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AM81T2 - Un esprit religieux est un esprit factuel
2ème rencontre publique
Amsterdam, Pays-Bas
20 septembre 1981



0:47 C'est notre dernière rencontre je le crains. Comme deux amis assis dans un parc par une belle journée, discutent de la vie, parlent de leurs problèmes, explorent sérieusement la nature même de leur existence et se posent sérieusement la question : pourquoi la vie est-elle devenue un tel problème ? Pourquoi, en dépit de votre intellect sophistiqué votre vie quotidienne est-elle cette corvée dépourvue de sens à part la survie – plutôt incertaine de toutes façons Pourquoi la vie, la vie quotidienne, est-elle devenue une telle torture ? Peut-être allez-vous à l'église, ou suivez-vous un dirigeant politique ou religieux, mais la vie quotidienne est toujours une bousculade avec, de temps en temps, des moments joyeux, heureux, mais il y a toujours ce nuage noir au-dessus de nos vies. Ces deux amis en parlent ensemble comme nous le faisons, vous et l'orateur, nous avons une conversation amicale, affectueuse peut-être, et attentive, avec la réelle intention de découvrir s'il est possible de vivre une vie, une vie de tous les jours sans un seul problème. Qu'on soit très éduqué, qu'on mène une carrière hautement spécialisée on n'en souffre pas moins de ces luttes insurmontables, des chagrins, des souffrances et des joies, et cette bonne sensation, parfois, de ne pas être totalement égoïste. Alors ensemble, ce matin si nous le pouvons, nous examinerons pourquoi nous, humains, vivons comme nous vivons, pourquoi aller au bureau de neuf heures à cinq ou six heures, pendant cinquante ans, pourquoi être occupé sans cesse par nos problèmes, et aussi pourquoi le cerveau, l'esprit est-il constamment occupé ? Jamais un moment de calme, jamais un moment de paix, toujours cette occupation à une chose ou à une autre, voilà notre vie. Notre vie quotidienne, monotone, plutôt solitaire, pleine de manques. Alors on tente d'y échapper au moyen de la religion, ou dans des distractions de toutes sortes.
5:55 Mais à la fin de la journée, nous demeurons ce que nous sommes depuis des milliers et des milliers d'années. Visiblement nous avons peu changé à l'intérieur, psychologiquement et nos problèmes augmentent. Et il y a toujours la peur du vieillissement, de la maladie ou d'un accident qui nous abatte. Donc voilà notre existence, de l'enfance à la mort, mort volontaire ou involontaire. Apparemment, nous ne savons pas résoudre ce problème-là non plus, le problème de vivre et le problème de mourir. En particulier quand on vieillit, on se souvient de toutes les choses passées, le temps des plaisirs et le temps des chagrins, le temps de la tristesse et le temps des larmes. Mais reste toujours cette inconnue qu'on appelle la mort dont pour la plupart nous avons très peur. Comme deux amis, assis sur le banc d'un jardin public – et non dans ce hall avec toutes ces lumières, qui est plutôt laid – donc assis sur un banc public au soleil, dans la lumière diaprée du soleil à travers le feuillage, les canards sur le canal, et toute la beauté de la terre conversant ensemble. Voici ce que nous allons faire, nous allons converser comme deux amis qui ont vécu longtemps, d'une vie longue et sérieuse pleine de soucis, le souci du sexe, la solitude, le désespoir, la dépression, l'anxiété, l'incertitude et le sentiment de non-sens de tout ça. Et toujours, en fin de compte, la mort.
9:29 On peut parler de la mort en l'abordant intellectuellement c'est-à-dire en la rationalisant, on dit qu'elle est inévitable, qu'il ne faut pas en avoir peur, ou on s'évade dans une croyance, on croit à l'au-delà comme les asiatiques, la réincarnation, ou, si vous êtes très intellectuel, elle est la fin de toutes choses, la fin de notre existence, de nos expériences, de nos souvenirs si nombreux, de tendresse et de délices mais aussi de grands chagrins et de souffrances. Qu'est-ce que cela veut dire, cette vie qui, vraiment, dès qu'on y regarde de plus près est plutôt absurde ? Par l'intellect, verbalement, on peut forger un sens à la vie mais la façon dont nous vivons n'a vraiment que très peu de sens.
11:12 Donc nous avons cette chose que l'on nomme vivre et mourir, c'est tout ce que nous connaissons. À part cela, tout n'est que théorie, ou spéculation, ou poursuite d'une croyance qui offre une sécurité, un espoir mais ces croyances elles aussi sont très superficielles, et plutôt absurdes, comme toutes les croyances. Ou bien, vous avez des idéaux mûris par la pensée et vous luttez pour atteindre ces idéaux. Voilà notre vie. Quand on est très jeune, plein de vitalité et d'amusement on a l'impression de pouvoir presque tout faire mais pour les jeunes, tout comme pour les adultes et les gens âgés se pose la question de la mort, de mourir. Pouvons-nous en discuter ce matin, ensemble ? Je vous en prie, comme nous l'avons souligné hier, nous allons le penser ensemble. Permettez-moi de le dire, vous n'êtes pas là pour écouter un chapelet de mots, quelques idées, mais au contraire, ensemble, je dis bien, ensemble, pour examiner ce problème : qu'est-ce que vivre et mourir. Ou bien on y met tout son cœur, tout son esprit, ou bien on n'en prend qu'un peu, on reste en surface, alors cela n'a pas grand sens.
14:10 D'abord on doit voir que nos cerveaux n'agissent jamais à fond, pleinement – nous n'utilisons qu'une fraction minime de notre cerveau et cette fraction est la structure de la pensée. Cette fraction est partielle par nature et par conséquent incomplète comme la pensée est incomplète donc l'esprit ne fonctionne que dans une zone très réduite dépendante de nos sens, nos sens qui eux aussi sont partiels – nos sens ne sont jamais totalement éveillés. Je ne sais si vous avez jamais fait l'expérience d'observer de près quelque chose avec tous vos sens en éveil : regarder la mer, les oiseaux, et le clair de lune sur une verte pelouse, la nuit, de regarder non pas à demi mais avec tous vos sens totalement en éveil. Ce sont deux états entièrement différents : quand vous observez une chose partiellement vous renforcez de plus en plus l'attitude égoïste, séparatrice de votre vie. Mais quand vous observez ce clair de lune sur l'eau créant un sillage argenté, avec tous vos sens c'est-à-dire avec votre esprit avec votre cœur, avec vos nerfs, donnant toute votre attention à cette observation, vous verrez bien vous-même qu'il n'y a pas de centre à partir duquel vous observez.
16:52 Alors, pouvons-nous observer ce qu'est vivre, dans sa vérité, et ce que signifie mourir ? Ensemble. Notre vie de chaque jour est un processus de remémoration. Notre cerveau, notre esprit n'est que mémoire, n'est-ce pas ? Sommes-nous bien en accord ? Il y a un problème: je ne suis pas certain que nous nous comprenions. Je ne sais pas à quel point vous comprenez l'anglais – ce que je dis là n'a rien d'insultant – mais parlons-nous suffisamment l'anglais pour comprendre ce que l'orateur exprime ? Ou écoutez-vous partiellement, comprenez-vous partiellement l'anglais et donc votre attention se disperse? Vous semblez plutôt effarés – vu d'ici. L'orateur utilise un langage courant, non spécialisé, de l'anglais tout simple. Donc j'espère que nous nous comprenons.
19:11 Nous disons que nous sommes – notre ego, notre personnalité, la structure toute entière – une construction de la mémoire. Nous sommes mémoire, d'accord ? Tout ceci se discute, s'il vous plaît ne l'acceptez pas. Observez-le, écoutez. L'orateur est en train de dire que vous, l'ego, le moi, êtes entièrement mémoire. Il n'y a pas un endroit, pas un espace de clarté. Vous pouvez croire, espérer mettre votre foi dans l'idée que quelque chose en vous n'est pas contaminé, que c'est Dieu, ou une étincelle de l'intemporel, vous pouvez croire à tout ça. Mais cette croyance n'est qu'illusion, comme toutes les croyances. Le fait est ceci : toute notre existence et nous-mêmes sommes entièrement mémoire, souvenirs, pas un coin, pas un espace en nous qui ne soit mémoire. Vous pouvez l'explorer vous-mêmes si vous avez le temps, peut-être pas ce matin, car nous avons beaucoup à étudier, mais si vous menez sérieusement l'enquête en vous-mêmes vous verrez que le moi, l'ego n'est que mémoire et souvenirs. Voilà notre vie : nous fonctionnons, nous vivons de mémoire et pour nous, la mort c'est l'extinction de cette mémoire. D'accord ?
21:56 Est-ce que je parle tout seul ou pensons-nous ensemble ? L'orateur, voyez-vous, est habitué à parler en plein air, sous les arbres, ou dans une vaste tente sans lumières éblouissantes, et cela permet une communication intime entre nous. D'ailleurs, finalement il n'y a que vous et moi ensemble, en conversation, pas cette énorme auditoire dans une grande salle, rien que vous et moi, assis sur la rive d'un fleuve, sur un banc, parlant de tout ça, ensemble. Et l'un dit à l'autre : nous ne sommes que mémoire, et c'est cette mémoire qui nous tient attachés. Ma maison, mes biens, mon expérience, mes relations, le bureau où je me rends, ou l'usine, la compétence que j'ai pu acquérir au cours d'un certain laps de temps, je suis tout ça. Et la pensée est attachée à tout ça, on appelle cela vivre. Et cet attachement – avec tous ses problèmes car quand vous êtes attaché vous avez peur de perdre, on s'attache parce qu'on est seul, d'une solitude profonde, tenace, qui étouffe, qui déprime, qui exclut. Et, plus nous sommes attachés à un autre – ce qui est encore de la mémoire, car l'autre est une mémoire : physiquement ma femme, mon mari, mon enfant sont différents de moi mais la mémoire psychologique de ma femme, voilà ce qui m'attache, son nom, sa forme – mon existence est un attachement à ces souvenirs que j'ai assemblés tout au cours de ma vie. Quand il y a attachement je reconnais, j'observe qu'il y a corruption. Si je m'attache à une croyance dans l'espoir de trouver dans cet attachement une certaine sécurité à la fois psychologique et physique, cet attachement va prévenir tout examen critique et je vais même avoir très peur d'examiner si je suis profondément attaché à quoi que ce soit, à une personne, une idée, ou une expérience. Donc la corruption apparaît quand il y a attachement. Et toute notre vie est un mouvement dans le champ du connu. C'est évident. Et la mort signifie mettre fin au connu, n'est-ce pas? La fin de l'organisme physiologique, la fin de toute la mémoire, qui est ce que je suis. Je ne suis rien que de la mémoire, la mémoire, c'est le connu. J'ai très peur de lâcher tout ça, ça signifie la mort. Je pense que tout ceci est clair, verbalement en tous cas. Je veux dire : vous pouvez l'accepter, intellectuellement, c'est logique, c'est sain, c'est un fait.
27:47 La question est pourquoi les humains du monde entier, en tous cas ceux du monde asiatique, ont cette croyance qu'ils vont renaître dans une prochaine vie – une prochaine vie plus digne, plus prospère, une plus belle maison, une meilleure situation. Donc, il y a ceux qui croient à la réincarnation, c'est-à-dire que l'âme, l'ego, le moi, qui est un paquet de souvenirs, va renaître dans une prochaine vie. Cette vie sera meilleure si je me conduis bien dans celle-ci si je mène une vie intègre, si je vis sans violence, sans envie, etc., Dans ma prochaine vie, ma vie sera meilleure et ma situation aussi. Seulement, la prochaine vie... Croire à la réincarnation, ce n'est qu'une croyance car même ceux qui y croient dur comme fer ne vivent pas une vie droite aujourd'hui. D'accord ? Vous suivez tout ceci ? Ce n'est qu'une idée : la prochaine vie sera merveilleuse. Mais la beauté de la prochaine vie doit refléter la beauté de la vie actuelle. Et notre vie actuelle est si tortueuse, si exigeante et si complexe qu'on oublie la croyance et qu'on lutte et on triche – l'hypocrisie, toute sorte de vulgarité et tout ce qui s'ensuit. Voilà un des aspects de la mort : la croyance à une prochaine vie.
30:18 Bien sûr certains n'admettent pas cette théorie, malgré l'accumulation des preuves de la réincarnation, tentative plutôt absurde aussi – vous comprenez tout ça ? – car, qu'est-ce qui va se réincarner ? Qu'est-ce qui a une continuité ? Vous comprenez ma question ? Nous parlons bien ensemble ? Qu'est-ce qui a une continuité dans la vie de tous les jours ? C'est le souvenir de l'expérience d'hier, des plaisirs, des peurs et des inquiétudes, voilà ce qui a une continuité tout au long de la vie si nous ne brisons pas ça pour nous extraire de ce courant. D'accord ?
31:34 Donc voici la question : est-ce possible, pendant que l'on vit au milieu de l'agitation, avec notre énergie, nos facultés, de mettre fin, disons, à l'attachement ? Parce que c'est ce qui va arriver quand vous mourrez. Vous êtes peut-être attaché à votre femme, à votre mari, à vos biens – non, pas aux biens, c'est risqué – attaché à une croyance, la foi en Dieu. Cette croyance n'est qu'une projection ou une invention de la pensée mais nous y sommes attachés, car elle donne un sentiment de sécurité même illusoire, peu importe, nous sommes attachés à ça. La mort signifie la fin de cet attachement. Alors, pendant qu'on vit, peut-on mettre fin volontairement, aisément, sans le moindre effort, à cette forme d'attachement ? C'est-à-dire mourir à quelque chose que l'on connait. Vous me suivez ? Pouvons-nous le faire ? Car cela, c'est vivre et mourir à la fois, pas avec un intervalle de cinquante ou cent ans, et attendre la maladie pour nous pousser dehors. Mais en vie, avec toute notre vitalité, notre énergie, nos facultés intellectuelles, avec une extrême sensibilité, en finir avec les conclusions, les singularités, les expériences, les attachements, les blessures – finir. C'est-à-dire, pendant que l'on vit, vivre aussi avec la mort. Est-ce que vous comprenez cela ? Est-ce que nous nous rejoignons ? Ainsi, la mort n'est pas une chose lointaine, la mort n'est pas une chose qui survient à la fin de la vie par accident, maladie ou vieillesse, mais, tout en vivant, en finir avec tous les souvenirs, en finir – ce qui est la mort. Cela signifie que la mort n'est pas séparée de la vie.
35:13 Et, comme nous le disons hier, nous devrions, ensemble, assis sur un banc aux bords de cette rivière dont l'eau coule, claire, ni boueuse ni polluée, voyant le mouvement des vagues qui se poursuivent en descendant le courant, nous devrions, comme deux amis assis là, discuter de ce qu'est la religion, pourquoi elle a joué un tel rôle dans nos vies depuis les temps les plus reculés jusqu'à aujourd'hui ? À quoi ressemble un esprit religieux ? Ce mot "religion", que veut-il vraiment dire ? Historiquement – je n'en ai pas de connaissance livresque mais j'ai observé que les civilisations disparaissent pour renaître avec une religion nouvelle. Les religions ont créé de nouvelles civilisations, de nouvelles cultures, ce que ne fait pas le monde de la technologie, l'ordinateur, les sous-marins, le matériel de guerre, pas plus que l'homme d'affaires ou l'économiste : ce sont les religieux du monde entier qui ont apporté avec eux des changements formidables. Nous devons donc étudier ensemble le sens de ce mot "religion", quelle est sa signification, si c'est pure superstition, illogisme, absurdité ? Ou y a-t-il quelque chose de bien plus grand, de bien plus beau, d'infiniment plus beau ? Mais pour le découvrir, ne faut-il pas – nous conversons comme deux amis – ne faut-il pas être libre de tout ce que la pensée a inventé comme religion ? Vous comprenez la question ? Je veux découvrir le sens de la religion, quelle est sa profondeur, quel est son but ? Car l'homme cherche depuis toujours quelque chose qui aille au-delà de l'existence physique. Il la cherche depuis toujours, il interroge, il souffre, il se torture pour trouver ce qui est hors du temps, ce qui n'est pas la pensée, qui n'est ni une foi ni une croyance. Et, pour le découvrir, on doit être absolument libre car si vous êtes amarré à quelque forme de croyance cette croyance entravera l'investigation de ce qui est éternel – si cela existe, l'éternité qui est au-delà du temps, au-delà de toute mesure. Il faut donc être libre si l'on veut enquêter sérieusement sur ce qu'est la religion, libre de toutes les choses que la pensée a inventées puis organisées en soi-disant religions. Par exemple, tout ce que l'hindouisme a pu inventer avec ses superstitions, ses croyances, ses images, les textes anciens comme les Upanishads et le reste, on doit être tout à fait libéré de tout ça car si l'on y reste attaché il est naturellement impossible de découvrir ce qui est l'original. Vous voyez le problème ?
41:36 Si mon esprit, mon cerveau est conditionné par les superstitions hindoues, leurs croyances, leurs dogmes et leur idôlatrie de tradition très ancienne, mon esprit y reste ancré il ne peut plus bouger, il n'est pas libre. Il faut donc s'en libérer totalement, ne plus être hindou, d'accord ? Se libérer aussi, totalement, de toutes les inventions de la pensée comme les rituels, les dogmes, les croyances, les symboles, les sauveurs des chrétiens, et tout le reste. Ceci est peut-être plus difficile, cela vous touche de plus prêt. Mais allez à Ceylan ou chez les tibétains du nord, c'est le bouddhisme et toutes leurs idoles comme les idoles des chrétiens, ils ont le même problème, s'attacher par sécurité aux choses inventées par la pensée. Donc toutes les religions, la chrétienté, l'islam, l'hindouisme ou le bouddhisme sont le mouvement de la pensée qui se perpétue dans le temps, par la littérature, par les symboles, par les choses que la main ou l'esprit ont fabriquées : le monde moderne considère tout cela comme religieux. Pour l'orateur, ce n'est pas la religion. Pour l'orateur, c'est une forme d'illusion, réconfortante, gratifiante, romantique et sentimentale, mais irréelle car la religion doit affecter la vie, notre façon de vivre, en somme, tout le sens de la vie. Alors seulement il y a de l'ordre – nous en parlions hier – dans notre existence.
44:56 L'ordre est tout à fait dissocié du désordre. Nous vivons dans le désordre, dans le conflit et la contradiction, dire ceci et faire cela, penser une chose et agir autrement, c'est une contradiction. Quand règne la contradiction, qui est une division, le désordre doit régner. Et l'esprit religieux ne connaît pas le désordre. C'est le fondement de la vie religieuse et non pas l'absurdité régnante des gourous et de leurs idioties.
45:53 Voyez-vous, c'est extraordinaire, beaucoup de gourous sont venus voir l'orateur parce qu'ils croient que j'attaque les gourous. Vous comprenez ? Ils veulent me persuader de ne pas attaquer. Ils disent : vos paroles tout comme votre vie sont l'absolue vérité, mais ce n'est pas pour nous car nous devons aider des gens bien moins avancés que vous. Vous voyez le jeu qu'ils jouent, vous comprenez ? Je me demande bien pourquoi le monde occidental, certains occidentaux, vont en Inde suivre ces gourous, se faire initier – quoi que cela signifie – mettre un costume différent donc se croire terriblement religieux. Déshabillez-les, arrêtez-les un moment, interrogez-les sur leur vie, ils sont comme vous et moi.
47:24 Donc l'idée d'aller ailleurs pour trouver l'illumination, de changer de nom pour prendre un nom sanscrit, cela paraît étrange, absurde, romantique et chimérique et pourtant des milliers le font. C'est sans doute une forme de distraction sans aucun sens. Je vous en prie, comprenez : l'orateur n'attaque pas, ce n'est pas une attaque, nous ne faisons qu'observer, observer l'absurdité de l'esprit humain, comme nous nous laissons facilement prendre, comme nous sommes crédules.
48:27 Donc, un esprit religieux est un esprit factuel, il s'occupe de faits, les faits sont ce qui est vraiment en train d'arriver, dans le monde du dehors et dans le monde intérieur. Le monde du dehors est l'expression du monde intérieur il n'y a aucune division entre le dedans et le dehors mais ce serait trop long à examiner. Donc, une vie religieuse est une vie d'ordre, de diligence, qui traite de ce qui arrive effectivement en soi-même sans aucune illusion – ainsi on mène une vie en ordre, une vie droite. Quand cela est établi, inébranlable, on peut commencer à poser la question de la méditation.
49:48 Ce mot n'existait peut-être pas il y a une vingtaine d'années, ou une trentaine, dans le monde occidental. Ce sont les gourous orientaux qui l'ont introduit. Il y a la méditation tibétaine, la méditation zen, la méditation hindoue, ou la méditation particulière de tel gourou particulier, la méditation du yoga, assis jambes croisées, les respirations, vous savez bien, tout ça – on appelle tout cela méditation. Nous ne critiquons pas les personnes qui font tout ça, nous ne faisons que souligner combien la méditation est devenue absurde. Le monde chrétien croit à la contemplation, on s'en remet à la volonté de Dieu, à la grâce, etc. Le monde asiatique a quelque chose de similaire, ils utilisent simplement des mots différents, en sanscrit, mais cela revient au même, l'homme qui cherche une sorte de sécurité éternelle, le bonheur et la paix, et, ne les trouvant pas sur terre espère qu'ils existent quelque part ailleurs – la quête désespérée d'une chose impérissable. C'est l'éternelle quête de l'homme depuis des temps immémoriaux. Les anciens Égyptiens, les anciens hindous, les bouddhistes, etc., et certains chrétiens ont suivi cette voie.
52:37 Alors, pour mener l'enquête ensemble, pour pénétrer la qualité de la méditation et voir s'il existe quelque chose de sacré, de saint. Pas la chose que la pensée invente et ensuite déclare sainte, cela n'est pas saint, ce que la pensée crée n'est pas saint, cela n'est pas sacré, car c'est à base de savoir et le savoir étant incomplet, comment ce que la pensée invente pourrait-il être sacré ? Pourtant, partout on rend un culte à ce que la pensée a inventé.
53:37 Donc, ensemble, ayant établi, pour certains en partie et pour d'autres totalement, de l'ordre dans leur vie, et dans leur comportement sans la moindre contradiction, ayant établi cela et rejeté, rejeté totalement toutes les formes de méditation, leurs systèmes et leurs pratiques – car quand vous pratiquez vous ne faites que répéter et répéter, comme un pianiste : il pratique, mais il pourrait pratiquer la fausse note. Donc il est facile de s'ajuster à un modèle, d'obéir à ce que quelqu'un a dit, qui vous aidera à atteindre le plus haut degré de je ne sais quoi. Et vous pratiquez, vous acceptez des systèmes parce que vous voulez accéder à autre chose que "ce qui est".
55:03 Et nous, maintenant, nous disons tout le contraire. Il n'y a pas de système, pas de pratique, mais la clarté de perception d'un esprit qui est libre, qui n'a ni direction ni choix, qui est libre d'observer. Le problème avec les méditations, c'est le contrôle de la pensée : celui qui pratique est distinct de celui qui est en train de pratiquer. J'espère que vous suivez tout ceci, si cela vous intéresse. Donc la plupart des méditations, zen, hindoue, bouddhiste, chrétienne, ou celle du dernier gourou à la mode est de contrôler votre pensée, car en contrôlant vous centralisez, vous rassemblez toute votre énergie sur un point précis, Donc, vous vous concentrez. C'est-à-dire qu'on a un contrôleur distinct de ce qui est contrôlé. Est-ce que vous suivez tout ça ? Donc, le contrôleur est le passé c'est toujours la pensée, toujours la mémoire, et ce qu'il contrôle est encore de la pensée qui vagabonde, donc on a un conflit. Vous êtes assis calmement, la pensée s'évade, vous voulez vous concentrer comme l'écolier regarde par la fenêtre et l'enseignant lui dit : "Ne regarde pas, concentre-toi sur ton livre". Nous faisons la même chose. Donc il faut apprendre ce fait : le contrôleur est le contrôlé. Est-ce que c'est clair ? Faut-il vraiment tout expliquer, étape par étape ? Je vais expliquer, pardon.
57:57 Le contrôleur, le penseur, celui qui fait l'expérience, nous pensons qu'il est différent de la chose contrôlée, du mouvement de la pensée. Celui qui fait l'expérience et l'expérience nous croyons que ces deux-là sont deux mouvements différents, mais si l'on observe de près, le penseur est la pensée. La pensée a créé un penseur séparé de la pensée qui donc décide : "Je dois contrôler". Vous suivez tout ceci ? C'est tellement logique, tellement sain. Alors, quand le contrôleur est le contrôlé vous éliminez totalement le conflit. Le conflit n'existe que dans la division. Entre vous et les Allemands, entre les Israéliens et les arabes, dans toute division nationaliste, économique ou sociale le conflit ne peut que surgir. Ainsi, quand nous avons en nous une division entre l'observateur, le témoin, celui qui fait l'expérience et ce qui est expérimenté, Il y a fatalement un conflit. Toute notre vie est un conflit car nous vivons dans cette division. Mais cette division est fallacieuse, elle n'est pas réelle, c'est devenu une habitude, contrôler fait partie de notre culture. Jamais nous ne voyons que le contrôleur est le contrôlé. N'est-ce pas ? Vous saisissez tout ceci ?
1:00:02 Donc, quand on le réalise, sans verbaliser, sans idéaliser, sans créer l'état utopique pour lequel il faut lutter, mais en observant dans le réel, dans notre vie que le contrôleur est le contrôlé, que le penseur est la pensée, alors toute notre système de pensée change radicalement parce qu'il n'y a aucun conflit. Et c'est absolument nécessaire si vous voulez méditer. Car la méditation exige un esprit qui soit hautement compatissant et donc hautement intelligent – de cette intelligence née de l'amour, pas la pensée ingénieuse.
1:01:19 Donc la méditation, c'est établir l'ordre dans notre vie quotidienne, qui ne connaît pas la contradiction. Et aussi, le rejet total de tous les systèmes, les méditations et tout ça, car l'esprit doit être libre, complètement, sans direction. Et cela requiert aussi un esprit complètement silencieux. Est-ce possible ? Parce que nous bavardons sans cesse, dès que vous quitterez cette salle, vous vous mettrez à parler, je sais. Donc nos esprits sont éternellement occupés, à bavarder, à penser, à batailler, donc ils n'ont pas d'espace. L'espace est nécessaire au silence. Mais l'esprit qui pratique et qui lutte dans son désir d'être silencieux n'est jamais silencieux. Mais quand il voit que le silence est absolument nécessaire – pas le silence projeté par la pensée, pas le silence entre deux notes, entre deux bruits, entre deux guerres – le silence de l'ordre. Quand il y a ce silence absolu... Je ne parle pas du silence cultivé, dans la plupart des méditations on cherche à cultiver le silence donc on cultive la pensée qui n'est jamais silencieuse. Je me demande si vous voyez à quel point c'est absurde. Donc, quand ce silence est là, alors, on découvre... Pardon, on ne découvre pas. Dans ce silence existe la vérité qui n'a pas de chemin, la vérité qui est hors du temps, sacrée, incorruptible. C'est cela la méditation, c'est cela un esprit religieux. SUBTITLE TEXT COPYRIGHT 1981 KRISHNAMURTI FOUNDATION TRUST LTD