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BO84Q - Session de questions/réponses
Bombay, Inde
9 février 1984



1:32 Il y a plusieurs questions, il y en a tout un paquet. Comment abordez-vous une question ? La question importe-t-elle plus que la réponse ? Ou la réponse se trouve-t-elle déjà dans la question ? Demandons-nous, avant d'entrer dans toutes ces questions, comment vous recevez une question, comment vous regardez une question, comment vous répondez à une question. Peut-être ne cherchez-vous qu'à obtenir une réponse. Si ce que vous cherchez est une réponse, alors la réponse importe plus que la question. Donc, nous disons qu'a beaucoup d'importance la façon dont on aborde une question. Et comment vous vous y prenez... comment vous explorez cette question, car la réponse se trouve dans la question elle-même et pas ailleurs. J'espère que c'est clair : nous cherchons tous deux une solution à une question mais nous disons qu'il est bien plus important de comprendre la nature et le contenu de la question. Donc, tous les deux, vous et l'orateur, nous allons explorer la question elle-même, nous allons comprendre la question et la réponse se trouve dans l'exploration de cette question. J'espère que c'est clair. Pour toutes ces questions-ci, ensemble, vous et l'orateur, nous allons explorer la nature de la question et par là, peut-être, pourrons-nous trouver la réponse au sein même de la question. Est-ce suffisamment clair ? Lisons d'abord ces questions.
4:54 Première question : "Qu'est-ce que la beauté ? Pourquoi aimons-nous les choses qui sont belles ?"
5:04 Qu'est-ce que la beauté et pourquoi aimons-nous les belles choses ?
5:16 Voilà la question. Nous allons ensemble étudier, explorer, découvrir la question elle-même et ce qu'elle contient. Est-ce bien clair ? L'auditeur demande ce qu'est la beauté. Et bien, regardez autour de vous, cette salle est-elle belle ? Quand vous regardez le ciel du soir, avec une seule étoile au firmament, est-ce beau ? Ou quand vous voyez un coucher de soleil merveilleux, plein de couleur, de profondeur, d'une impression de dilatation, c'est tout l'univers qui est plein de lumière et de couleur, est-ce que c'est beau ? Ou ne sont belles que les choses faites de la main de l'homme – l'homme a fait les cathédrales, les temples, les églises, et les différentes mosquées du monde entier. Alors, ces choses faites par l'homme, un tableau, un poème,une sculpture, un monument, ces choses faites par l'homme, sont-elles belles ? En d'autres mots, l'homme est-il la mesure de la beauté ? Ou bien l'homme est-il la mesure de toutes choses ? Est-ce que nous nous comprenons ?
7:33 Nous cherchons à découvrir ce qu'est la beauté. C'est une question très complexe et il faut une grande sensibilité pour découvrir par soi-même ce qu'est la beauté. Vous voyez un merveilleux coucher de soleil, le soleil de l'aube se lever sur les arbres, ou vous voyez une haute montagne se découper sur un ciel bleu clair et tendre, immobile, silencieux, c'est une grande beauté, le sentiment d'une infinie dignité, un émerveillement. Quand cela arrive, quand vous voyez une chose grandiose et merveilleuse, que se passe-t-il au moment où vous la regardez ? Vous voyez le soleil se coucher sur la mer, une lumière éclatante jaillissant du coucher de soleil – que se passe-t-il en vous ? S'il vous plaît, nous enquêtons ensemble, vous n'êtes pas seulement là à attendre que l'orateur réponde, nous étudions la question ensemble, peu importe la question, qu'elle soit économique, politique, sociale, etc. La question posée est : "Qu'est-ce que la beauté ?" Nous disons : la beauté n'existe que lorsque le moi, le 'je', n'existe pas. Les œuvres de l'homme, comme un tableau, comme la merveilleuse photo d'un arbre ou d'une personne, du flot d'un fleuve immense plein de lumière et de volume, quand vous regardez cela, les merveilles du monde, la beauté de la terre, que se passe-t-il en vous lorsque vous voyez une chose fabuleusement belle ? Pour un instant, vous cessez d'exister. Vous et vos problèmes, vous et vos soucis, vous et votre labeur quotidien, votre détresse, votre confusion, tout cela est dissipé, ou balayé au loin par la vision d'une chose d'une grande et formidable beauté. Pour un instant, vous n'êtes pas là. Vous êtes d'accord avec cela ? Écoutez-vous tout ceci ? Si vous écoutez, si vous voyez, si vous percevez un moment de beauté – de grande beauté, pas seulement la beauté physique d'une personne – quand vous la percevez, pendant une seconde, votre moi n'est pas là. Je dirais que c'est cela la grande beauté.
11:53 Et aussi – cet endroit est vraiment bruyant, n'est-ce pas ? – la question se poursuit ainsi : pourquoi aimons-nous une chose qui est belle ? Et cette question entraîne également : pourquoi tolérons-nous la laideur et la saleté ? Voyez les rues dégoûtantes de Bombay... Pourquoi le tolérons-nous, pourquoi le permettons-nous ? Vous allez répondre que ce n'est pas de votre responsabilité, que c'est de la responsabiblité du gouvernement, mais le gouvernement est corrompu donc tout part à vau-l'eau. Sommes-nous sensibles à notre environnement de vie ? La pièce où nous vivons, est-elle en ordre, est-elle propre, est-elle harmonieuse ou pas, en sommes-nous conscients ? Ou bien nous nous accomodons de tout ? De ce fait, la plupart d'entre nous deviennent... Lorsque vous voyez constamment, jour après jour, la saleté, l'insalubrité, l'inhumanité, l'homme contre l'homme, vous vous y faites, votre sensibilité perd de son acuité, de son mordant et vous ne voyez plus jamais véritablement ce qui est beau.
14:09 Deuxième question : "Est-il possible de percevoir le réel sans que la pensée intervienne ?"
14:20 Est-il possible de percevoir le réel sans que la pensée intervienne ?
14:32 Vous comprenez la question ? Peut-on percevoir un arbre, votre femme ou votre mari, votre patron ou votre assistant, votre serviteur, ou la nature qui vous entoure, percevoir cela sans que la pensée intervienne ? La question est claire : pouvez-vous voir un arbre, la nouvelle lune, le coucher de soleil, votre femme, votre mari, vos enfants, sans que la pensée intervienne dans la perception ? C'est la question posée. Explorons la question.
15:57 Que voulons-nous dire par percevoir, par observer ? Quand vous percevez votre mari ou votre femme, ou votre amie, ou votre fils, les voyez-vous réellement tels qu'ils sont ? Ou plutôt vous avez d'eux une image, un cliché, et c'est à travers cette image à travers ces verres teintés de souvenirs et de conclusions que vous regardez. Je vous en prie, examinez bien ce que dit l'orateur. Examinez votre propre femme, ou votre mari, votre voisin, votre patron et ainsi de suite, voyez si vous pouvez les regarder sans un seul mouvement de pensée, d'image, et sans le mot. Supposons que je sois marié – je ne le suis pas, mais supposons. Je vis avec ma femme depuis vingt ou trente ans, ou depuis quelques jours. Durant ce laps de temps, à cause de divers incidents et accidents, je me suis fait une image d'elle – elle a élaboré une image de moi. Ces images, ces souvenirs m'empêchent de la regarder vraiment, de voir ce qu'elle est. Donc la question est : est-il possible de regarder un être humain, que ce soit ma femme, ou un voisin, ou un étranger, de les regarder sans un seul mouvement de pensée ? C'est la question que pose l'auditeur.
18:42 Vous êtes assis là et l'orateur est assis ici. Vous venez probablement avec une image, avec une conclusion, avec des réminiscences de l'orateur, n'est-ce pas, Messieurs ? Allez-vous répondre à ma question ? Pouvez-vous observer l'orateur sans toute la réputation que vous lui avez bâtie, sans tout ce que l'on a pu dire de lui, tout ce que vous avez peut-être lu à son propos, ou entendu de lui – mettre tout cela de côté et le regarder, l'observer, lui. Allez-vous le faire ? En êtes-vous capables ? Capables de regarder une chose, ou une personne, peu importe, sans le préalable du souvenir, de la conclusion, de la mémoire : simplement regarder à neuf – est-ce possible ? Cela signifie que nulle pensée n'interfère avec votre observation. Si vous l'avez déjà tenté – ou si vous l'essayez un jour – vous verrez se produire des choses tout à fait extraordinaires. Vous commencez à découvrir une chose que vous n'auriez jamais imaginée. Vous commencez à découvrir une chose totalement neuve. Si vous regardez votre mari ou votre femme sans tous les souvenirs d'elle que vous gardez – et elle de vous – alors vous la regardez à neuf pour la première fois. Alors, la relation est constamment renouvelée, toujours fraîche, ce ne sont plus les vieux souvenirs qui opèrent, qui s'en mêlent. Avez-vous jamais tenté cela ? Ou vous ne faites qu'écouter : 'C'est magnifique mais je ne peux pas le faire' et vous ne changez rien. Donc, si vous le faites vraiment, une ou deux fois, mettant de côté tous les souvenirs que vous gardez d'elle ou de lui, alors, vous allez voir la personne en repartant de zéro. Et regarder cette personne comme pour la première fois, produit une chose absolument neuve – c'est la naissance d'une nouvelle forme de relation.
22:26 Troisième question : "Comment vivre avec un mari indifférent ?"
22:37 Comment vivre avec un mari indifférent ?
22:43 Je ne sais pas. Explorons la question. Qu'est-ce qu'un mari, et qu'est-ce qu'une épouse ? En Amérique, et ailleurs dans le monde, un garçon et une fille vivent ensemble sans passer par la cérémonie du mariage, ou sans enregistrer civilement leur mariage. D'une part, un garçon et une fille vivent ensemble sans passer par le mariage, sans enregistrement officiel, et d'autre part, un homme et une femme passent par une cérémonie, et cette cérémonie, religieuse ou civile, vous rend officiellement mari et femme. Où est la différence entre les deux ? Vous comprenez ma question ? Quelle différence entre un homme et une femme vivant ensemble sans être passés par une cérémonie de mariage, et un homme et une femme qui se sont unis dans un coûteux mariage ? Quelle différence y a-t-il entre les deux ? Les uns ont un papier légal qui les reconnaît comme mari et femme, la société atteste que vous êtes mariés, vous avez certaines responsabilités, celle de veiller sur votre femme, sur vos enfants et tout cela. Les autres aussi, ceux qui ne vont pas à l'église, qui ne passent pas par le mariage, ils sont peut-être irresponsables, peut-être aussi très responsables. Les deux sont responsables. S'ils prennent au sérieux la vie de couple ils sont tous deux responsables.
25:48 Alors nous demandons : qu'est-ce qu'un mari, qu'une épouse ? C'est à vous de répondre à cette question. Vous qui êtes ici, vous êtes presque tous mariés, je présume, ou vous avez une compagne – encore qu'en Inde ce ne soit pas courant, mais ça l'est tout à fait en Europe et en Amérique. Alors, qu'est-ce qu'un mari ? Un mari est supposé travailler, aller au bureau ou faire un quelconque travail de neuf à dix-sept heures, passer le plus gros de sa journée au bureau, que cela lui plaise ou non, ou à l'usine, et ensuite rentrer à la maison. La femme, l'épouse, prépare les repas, s'occupe des enfants si elle en a, et tout le reste. C'est notre routine quotidienne. Vous êtes d'accord là-dessus ? Oh, pour l'amour du ciel, oui ? C'est ce qui se passe dans le monde entier. La femme reste à la maison, ou bien elle va aussi travailler pour gagner plus d'argent, mais généralement la femme s'occupe des enfants, si elle en a, et reste à la maison. Quelle relation y a-t-il entre ces deux personnes ? Le mari qui travaille de neuf à dix-sept heures, et la femme qui elle aussi va au travail de neuf à dix-sept : quelle relation ont-ils ? Y avez-vous jamais pensé ? La vie devient de plus en plus compliquée, de plus en plus chère, donc la femme et le mari doivent travailler. Et s'ils ont des enfants, malheureusement, qu'est-ce qui se passe avec les enfants ? La femme et le mari reviennent à la maison, fatigués, vont-ils prendre soin l'un de l'autre, à part sexuellement ? Vont-il réellement faire attention à l'autre ? Vous posez cette question à l'orateur et il est supposé y donner réponse. Posez-vous cette question à vous-même, pas à l'orateur.
28:58 La question est : comment vivre avec un mari qui ne vous prête pas attention ? Ou vous dites : 'adieu, mon vieux', ou bien vous vous résignez. Généralement, vous vous résignez, vous devenez de plus en plus indifférents l'un à l'autre, de plus en plus isolés, de plus en plus déprimés, dans toute la détresse d'une vie avec une homme, ou une femme, qui en réalité ne fait pas attention du tout. C'est votre problème, ce n'est pas le mien. Alors, qu'allez-vous faire, courir après une autre femme, après un autre homme ? Là aussi, cela va recommencer, après un petit moment, il ne va plus faire attention, donc vous allez vous retrouver avec le même problème. La question est : y a-t-il de l'amour là-dedans ? Quand deux personnes vivent ensemble, est-ce une activité biologique, sexuelle, qui les tient ensemble, ou y a-t-il de l'amour dans leur vie, de l'attention mutuelle ? Il se pourrait que vous connaissiez la réponse mieux que l'orateur.
31:20 Quatrième question : "Faut-il se marier dans la vie ? Qu'est-ce que la relation physique entre l'homme et la femme ?"
31:30 Je ne sais pas. Vous devriez le savoir. Quelle étrange question, n'est-ce pas ? Est-il nécessaire de se marier dans la vie ? Qu'en dites-vous ? Si l'orateur vous pose cette question, que répondez-vous ? Faut-il, Mesdames et Messieurs, que je me marie ? Que répondriez-vous ? Vous répondriez très probablement : 'Faites ce que vous voulez, pourquoi m'embêter avec cela ? C'est votre affaire'.
32:31 Mais, voyez-vous, la question est en fait bien plus complexe que cela. Nous voulons tous une compagnie, nous voulons des relations sexuelles, c'est une nécessité biologique. Et nous voulons aussi quelqu'un sur lequel on puisse compter, en qui trouver la sécurité, qui nous procure un sentiment de réconfort, de soutien. Comme, pour la plupart, nous ne tenons pas debout tout seuls, nous disons : 'je dois me marier' – ou prendre une compagne – 'il me faut quelqu'un avec qui me sentir en confiance'. Mais nous ne sommes jamais en confiance, avec personne, car nous vivons dans nos pensées et dans nos problèmes, dans nos ambitions et tout cela. Et nous avons peur de rester seuls, car la vie est faite de solitude, la vie est très compliquée, pleine de difficultés, et il faut quelqu'un avec qui pouvoir parler de ces choses. Et puis, en vous mariant, vous avez des relations sexuelles, des enfants et tout le reste. Donc, dans cette relation entre homme et femme, s'il n'y a pas d'amour, vous l'utilisez et elle vous utilise, vous l'exploitez et elle vous exploite. C'est un fait.
34:44 Et l'on pose la question : doit-on se marier et qu'est-ce que la relation physique entre l'homme... Mon Dieu, comme si vous n'en saviez rien ! C'est votre affaire, Messieurs ! Mais pénétrer vraiment tout le problème complexe de vivre ensemble, pas seulement en couple, vivre ensemble avec l'humanité, vivre avec votre voisin, votre patron, avec votre serviteur, si vous en avez un, avec votre père, votre mère, vos enfants – vivre ensemble est une chose très compliquée. Vivre ensemble en famille vous donne certaine sécurité, certaine garantie, alors vous étendez la notion de famille à un groupe, à une communauté, à un État, à une nation, et cette nation s'oppose à une autre nation et produit toujours la division, et le conflit, et les guerres. Donc il faut trouver comment vivre avec l'autre sans le moindre conflit, sans la moindre lutte, sans adaptation ou ajustement. Cela requiert énormément d'intelligence, d'intégrité. Mais on se marie comme ça, par exigence sexuelle, biologique.
37:06 Est-ce vous qui avez rédigé ces questions ? Ils disent que non.
37:17 Cinquième question : "Quelle est la différence entre cerveau et esprit ?"
37:26 Quelle est la différence entre le cerveau et l'esprit ?
37:36 C'est une question très complexe. Nous savons ce qu'est le cerveau. Aujourd'hui, les savants disent qu'il y a un cerveau gauche et un cerveau droit. Le cerveau gauche est utilisé quotidiennement – je n'entre pas dans les détails, vous pouvez les lire si vous voulez, moi je ne l'ai pas lu, ce sont des amis, des scientifiques qui m'en ont parlé. Le cerveau gauche opère, fonctionne dans toutes les activités quotidiennes. Et le cerveau droit n'est pas totalement actif, ne fonctionne pas à plein. Car le cerveau droit est bien plus intelligent beaucoup plus précis, beaucoup plus perceptif. Et le cerveau est aussi le centre de toute action et réaction, de tous les réflexes sensoriels – cela, c'est ce que dit l'orateur.
39:05 Donc le cerveau contient tout l'ensemble de la conscience. La conscience, c'est votre croyance, votre foi, votre nom, vos compétences, vos aptitudes, tous vos souvenirs, toutes les blessures, les plaisirs, les peines, les déchirements, les luttes, tout cela, l'affection, tout cela est le contenu de votre conscience. Le contenu de votre conscience, c'est vous, c'est soi, c'est 'moi'. Ce contenu de la conscience peut inventer une super-super-conscience, ou inventer toutes sortes d'états imaginables ou inimaginables, tout cela s'inscrit toujours dans le contenu de votre conscience. Est-ce que nous voyons cela ? Vous – vous êtes votre nom, votre corps, votre colère, votre avidité, votre rivalité, votre ambition, votre plaisir, votre peine, votre affection, tout cela – vous êtes cela. C'est-à-dire le contenu de votre conscience. Ce que contient votre conscience, c'est le passé, les souvenirs passés, les incidents passés, tous les actes, toutes les expériences – vous êtes le passé. Vous êtes ce que vous savez, et c'est le passé. Voilà ce qu'est le cerveau.
41:28 Nous disons – et l'orateur peut faire erreur. Il en a discuté avec plusieurs 'hommes de science' mais néanmoins l'orateur peut faire erreur et, je vous en prie, n'acceptez pas ce qu'il dit, doutez de ce qu'il dit, interrogez, examinez. Il dit que le cerveau est toute la conscience, limitée, avec tout son contenu – plaisant, déplaisant, laid, beau, conflictuel, tout cela est le contenu. Et l'esprit est totalement distinct du cerveau. L'esprit est en dehors du cerveau – c'est l'orateur qui le dit, pas les savants, ils ne disent pas cela. L'orateur dit que le cerveau est une chose et l'esprit quelque chose d'entièrement différent. Le cerveau, avec tout ce qu'il contient, les luttes, les douleurs, les inquiétudes, ne peut jamais connaître, saisir, comprendre la beauté de l'amour. L'amour est sans limites. Ce n'est pas aimer une seule personne, c'est bien trop vaste, trop énorme. Et le cerveau, avec tous ses conflits, ses détresses et sa confusion, ne peut pas comprendre, saisir, être assez vivant pour aimer. Seul le peut l'esprit, qui est sans limites.
43:35 Il y a donc une distinction entre le cerveau et l'esprit. Ensuite, même si l'auditeur ne la pose pas, ceci entraîne la question suivante : quelle relation y a-t-il entre le cerveau et l'esprit ? Le cerveau est limité, limité parce que constitué de plein de morceaux séparés, de fragments, de débris, et il est donc sans cesse en état de conflit, de bataille. Alors que l'esprit n'est absolument pas de cette nature. Il n'y a de relation que lorsque le cerveau est entièrement libéré, – si cela est possible – de tout ce que contient sa mémoire. Cela exige un haut degré de recherche, de sensibilité. L'intelligence n'est pas du cerveau. L'intelligence de la pensée n'est pas ne peut pas embrasser l'intelligence de l'esprit. Vous comprenez tout ceci ? Est-ce que quelqu'un comprend ce dont je parle ? Non. Très bien.
45:31 Bon, Messieurs, soyons simples. C'est en étant tout simple qu'on peut aller très loin. Si vous partez d'un tas de théories et de conclusions complexes, vous y restez coincé – alors soyons très simples. Votre vie quotidienne, aller au bureau, travailler, travailler, l'argent, l'apprentissage de certains métiers – avocat, chirurgien, businessman, cuisinier ou autre – tout cela restreint, cantonne votre cerveau. Comme physicien, je passe des années à apprendre la physique, à l'étudier, à l'examiner, à y faire des recherches, donc mon esprit, du fait de cette étrange culture qui est la nôtre, se trouve finalement rétréci. Nous avons deux savants ici, ils approuvent. Notre cerveau est devenu mécanique, routinier, petit, car nous sommes tellement tournés vers nous-mêmes, nous vivons constamment dans le tout petit cercle de nos plaisirs et déplaisirs, du chagrin, de la souffrance, etc. Mais l'esprit est quelque chose de tout à fait différent. Vous ne pouvez saisir, comprendre la nature de cet esprit tant que votre cerveau est limité. Vous ne pouvez comprendre l'illimité si votre vie est limitée. Donc, voilà quelle est la relation : la relation entre le cerveau et l'esprit ne peut se produire que si le cerveau est libéré de son contenu. C'est une question complexe, elle demanderait plus de développement mais nous n'avons pas le temps.
48:21 Sixième question : "Qu'est-ce que la foi?"
48:29 Qu'est-ce que la foi ? La foi en Dieu, la foi. J'ai foi en ma femme, elle ne va pas me tromper. J'ai foi en mon mari. J'ai foi en mes affaires. La foi. Toute la chrétienté, toute la structure religieuse, la substance de la chrétienté repose sur la foi. Là, pas de remise en question, pas de place pour le doute, pour le sceptiscisme. Si vous placez votre foi en Dieu, il est impensable que s'y glisse la moindre forme de doute ou de sceptiscisme. De même pour le monde islamique. Mais dans le monde hindou, le monde bouddhiste, le doute est une qualité nécessaire, il clarifie le cerveau. Vous avez la foi, vous tous, n'est-ce pas, vous croyez ? Avez-vous jamais remis en question votre foi, votre croyance, et vos illusions ? Ou vous vous contentez de les accepter. Si vous avez la foi, vous avez totalement exclu toute idée d'investigation. Supposons que je croie en Dieu, que j'aie placé ma foi en Dieu. Dès lors, toute question, tout doute doit être proscrit car ma foi en Dieu est fondée sur la peur. J'ignore ce qu'est le monde, quelqu'un a dû le créer et j'aime à croire que c'est Dieu qui l'a créé, voilà une forme de croyance. Les savants disent que Dieu n'existe absolument pas, que c'est la croissance naturelle de l'évolution depuis la cellule jusqu'aux complexes neurones du cerveau humain.
51:19 Alors, pourquoi avoir la foi ? N'est-ce pas très restrictif, très étriqué, très borné ? Et la foi ne divise-t-elle pas les gens ? La foi du chrétien et la foi du musulman – les hindous qui, probablement, n'ont foi en rien – le résultat est qu'ils sont tous en conflit permanent.
51:59 Vous voyez, tout ceci entraîne une autre question complexe : pourquoi avoir des idéaux ? Le monde communiste tout entier est fondé sur une supposition théorique de Marx, Staline, Lenin, etc. Ce sont leurs dieux. Ils croient en ce qu'ils ont dit comme les chrétiens croient en la Bible, ou d'autres au Coran, ou vous, avec votre Gita, vos Upanishads ou autre. Tous, vous avalez ce que dit le livre vous ne remettez jamais de vous-même tout cela en question. Car dès que vous interrogez, que vous doutez, il vous faut compter sur vous-même, donc vous avez peur. Alors, mieux vaut la foi en quelque chose d'illusoire, une chose qui en réalité n'existe même pas. Mais si vous voyez vous-même qu'il vous faut comprendre votre vie, voir s'il est possible de provoquer une grande révolution dans votre vie, alors c'est votre point de départ. Mais avoir foi en quelque chose c'est vivre dans un monde prodigieusement illusoire.
53:55 Vous avez un tas de questions.
54:05 Septième question : "Si la conscience humaine est indivise, comment se fait-il que l'un soit heureux et l'autre malheureux ? Vous dites aussi que la pensée c'est 'moi', merci de me l'expliquer."
54:29 Si la conscience humaine est indivise, comment se fait-il que l'un soit heureux et l'autre malheureux ? Vous dites aussi que la pensée, c'est 'moi', merci de me l'expliquer.
55:07 Êtes-vous heureux ? Et pourquoi un autre est-il malheureux ? Vous êtes né riche, vos grands-parents vont ont laissé une usine, ou une affaire, et vous en êtes parfaitement heureux. Un autre est né dans un petit village, sans éducation, trimant jour après jour sur un lopin de terre de la taille de cette pièce, ou la moitié de cette salle, ne tirant de son travail qu'une maigre pitance, et il est malheureux – il ne connaît ni le bonheur, ni le malheur, il travaille, travaille, travaille. Le bonheur dépend-il des circonstances, du travail, de ce que vous faites, ou de votre satisfaction à faire quelque chose ? Qu'appelez-vous bonheur, et qu'appelez-vous malheur ? On peut parler de bonheur quand on est satisfait : faire telle chose me satisfait, je m'y sens très heureux ; faire telle autre chose ne me satisfait pas, je m'y sens très malheureux. La satisfaction est-elle synonyme de bonheur ? Et suis-je constamment en quête de satisfaction ? C'est-à-dire que je recherche toujours la gratification, qui va me rendre heureux. Le bonheur n'est-il pas plutôt une chose qui va et qui vient, qui n'est qu'une conséquence, qui n'est pas très important ?
57:36 Et la question se poursuit : "La pensée est le 'moi', montrez-moi comment." Que voulez-vous dire par 'montrez-moi' comment ? Sur un écran de télévision ? En dessinant un graphique ? Ou vous le montrer verbalement ? Donc vous acceptez intellectuellement une explication de l'orateur – la pensée c'est 'moi' – mais allez-vous le comprendre ? L'orateur va expliquer, il va décrire, il va expliciter, point par point. Allez-vous voir que c'est vrai ? Ou dire : 'non, le soi n'est pas cela, le soi est bien supérieur, il est divin, c'est l'atman, c'est tout autre chose' ? Donc comment accueillez-vous une explication, sachant que l'explication, la description, le mot ne sont pas la chose, n'est-ce pas ? Le mot 'fenêtre' n'est pas la vraie fenêtre. Si je peins une montagne, le tableau n'est pas la vraie montagne. Donc on peut étudier le sujet ensemble, je ne peux pas vous le montrer ! Je ne peux pas le mettre sur l'écran du téléviseur vous le montrer et dire : le voilà. Mais nous pouvons enquêter ensemble – si vous le voulez. Si cela vous embête, très bien, cela vous regarde.
1:00:08 Donc, découvrons ensemble. Qu'êtes-vous ? Si vous êtes vraiment franc, sérieux face à cette question, qu'êtes-vous ? N'êtes-vous pas votre nom ? N'êtes-vous pas votre visage, vos yeux, votre nez, vos cheveux et tout cela, physiquement ? N'êtes-vous pas la colère, n'êtes-vous pas l'avidité ? Ou bien l'avidité est-elle distincte de vous ? Quand l'anxiété est là, n'êtes-vous pas cette anxiété ? Quand vous souffrez, quand on souffre de perdre sa femme, son mari, son enfant,ou sa grand-mère, ne souffrez-vous pas ? Et cette souffrance est-elle une chose séparée de vous ? N'êtes-vous pas tout cela ? Ou vous pensez – pensez – que vous êtes séparé de tout cela ? N'est-ce pas, Monsieur ? Êtes-vous séparé de tout cela ? Êtes-vous séparé de la colère, de la jalousie, de votre compte en banque ? Vous êtes votre compte en banque, n'est-il pas vrai ? Mettons que je vous le prenne, allez-vous dire : 'ce n'est pas moi' ? Diriez-vous : 'prenez mon compte en banque, ce n'est pas moi' ? Si je prenais ce compte en banque, on vous entendrait hurler. Donc vous êtes votre compte en banque, vous êtes vos meubles, vous êtes votre maison, votre assurance, vos crédits, votre argent. Quand vous dites : 'tout cela n'est pas moi, il y a quelque chose en moi qui observe tout cela', est-ce un fait ? Ou vous l'avez inventé ? Beaucoup disent qu'existe une super-super-conscience bien au-dessus de cette conscience-ci. Et ceci, n'est-ce pas une invention de la pensée ? Votre compte en banque – hormis les pièces et des billets – n'est-ce pas un produit de la pensée ? Reconnaître votre femme ou votre mari, n'est-ce pas de la pensée ? Donc n'êtes-vous pas toute la mémoire du passé, toute la tradition du passé – en tant qu'hindou, brahmane, non-brahmane et toute cette histoire – n'êtes-vous pas tout cela ? Bien sûr que vous l'êtes.
1:04:27 Donc, vous êtes le savoir, donc le passé, vous n'êtes rien d'autre que des souvenirs. Ceci, vous allez l'accepter ? Évidemment non. Et ne l'êtes-vous pas ? Si tous vos souvenirs s'envolaient, qu'êtes-vous ? Un légume. Par conséquent, vos souvenirs, toujours passés, c'est vous. Votre tradition, en tant qu'hindou, parsi, musulman, etc., résulte d'années de propagande, d'années de tradition, c'est l'activité de la pensée. Donc vous êtes pensée. Si vous ne pensiez pas du tout, que seriez-vous ? Vous êtes donc tout le contenu du passé. Ce passé se modifie à travers le présent et continue en tant que futur. Vous êtes donc le passé, le présent et le futur. En vous est contenu le temps tout entier. Oh, vous ne comprenez rien à tout cela. Et le soi, le 'moi', mon nom, mes qualités, ma réussite, mon ambition, mon chagrin, ma douleur, tout cela c'est le passé. Donc le soi est l'essence du passé, c'est-à-dire la mémoire, le savoir. Le soi est donc infiniment limité, c'est pourquoi le soi produit de tels ravages dans le monde. C'est chacun pour soi. Vous n'agissez que pour vous-même, n'est-ce pas ? Voyez-le honnêtement, n'agissez-vous jamais que dans votre propre intérêt ? Pour votre ambition, votre réussite, vos réalisations, votre satisfaction. Donc, la pensée, c'est vous. La pensée est bornée, car tout savoir est borné, donc votre 'moi' est la chose la plus bornée qui soit. C'est pourquoi vous êtes cause de conflits et d'énormes souffrances car le 'moi' sépare, il divise.
1:08:31 L'orateur vient d'expliquer. L'explication n'est pas le fait. Le fait, vous devez le voir par vous-même. Si vous le voyez et vous dites : 'j'aime la façon dont je vis' c'est parfait. Mais vous savez en vous-même que vous créez le chaos dans le monde et, si vous préférez vivre ainsi, bonne chance. Mais peut-être certains diront que ce n'est pas une façon de vivre. Que l'on doit vivre avec un cerveau global, sans aucune division, aucune nationalité, sans aucun 'soi'. Et n'en faites pas une sorte de suprême illumination à laquelle seul un petit nombre peut avoir accès. Quiconque met son coeur et son cerveau à comprendre la nature de soi et à se libérer de soi – n'importe qui peut le faire, s'il y attache tout son esprit.
1:10:07 Très bien, Messieurs. Puis-je répondre à une dernière question avant d'arrêter ? Il est dix heures. Vous devez probablement aller à votre travail et tout cela...
1:10:28 Dix heures dix, pardon. Une question et c'est tout.
1:10:42 Oh, j'ai déjà répondu à celle-là.
1:10:59 Huitième question : "Si les grandes religions du monde ne sont pas des religions, qu'est-ce que la religion ?"
1:11:10 C'est la question – ce n'est pas bien imprimé.
1:11:18 Si les grandes religions du monde ne sont pas de vraies religions, qu'est-ce que la religion ?
1:11:32 Pourquoi dire 'si' les religions ne sont pas la vraie religion ? Pourquoi dire 'si' ? Sont-ce des religions ? À vous de répondre à cette question. Vous allez tous au temple, c'est probable. Vous avez tous des cérémonies de mariage, des pujas, etc. Sont-ce des religions ? Les grandes : christianisme, islam, bouddhisme, hindouisme, sont-elles des religions ? Leurs rituels, leur hiérarchie, leur foi, leurs croyances ? Aller au temple offrir d'énormes sommes d'argent à certain objet, fabriqué par la main ou l'esprit, que l'on appelle Dieu, tout cela, est-ce la religion ? Vous l'acceptez comme étant la religion. Mais si vous vous mettez à douter, à vous interroger, la question qui surgit est évidemment si toutes ces choses sont une construction de la pensée. La Bible, le Coran, et vos propres livres prétendument religieux ont tous été mis par écrit par la pensée. Ce ne sont pas des révélations divines, elles n'arrivent pas en direct de la bouche de Dieu. Je sais bien que vous aimez à penser cela. Mais la pensée l'a élaboré, l'a couché sur du papier et vous y croyez comme à une chose extraordinairement sacrée.
1:13:51 Si vous balayez tout cela, et cela demande du sceptiscisme, un sentiment de liberté afin d'observer, être libéré de la peur, totalement libéré de la peur, alors vous pouvez trouver, tout seul, ce qu'est la religion. C'est-à-dire s'il existe quelque chose de sacré, non inventé par la pensée, non mesurable par des mots, y a-t-il une chose immensurable, hors du temps ? On a posé cette question depuis la nuit des temps. Les anciens Égyptiens, les Grecs, toutes les grandes civilisations du passé ont posé cette question : y a-t-il quelque chose qui transcende tout ceci, une chose que la pensée n'a pas inventée, que la pensée n'a pas touchée ? Car on peut mesurer la pensée, la pensée est un processus matériel et, quoi qu'elle invente, ce n'est pas le sacré. Ainsi, pour découvrir cela, le cerveau doit être entièrement dégagé de son contenu, de la peur, de l'anxiété, du terrible sentiment de solitude, de la mort. Alors seulement découvrirez-vous ce qu'est la vérité, ce qu'est la plus haute forme de religion.