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BO84T3 - L’art de vivre et de mourir
3e causerie
Bombay, Inde
11 février 1984



0:41 Pouvons-nous poursuivre ce que nous disions la fois dernière? Nous parlions du conflit et de la possibilité de vivre en ce monde sans problème ni conflit. Nous devons rester sur ce sujet car pour nous, en général, la vie au quotidien est une succession de luttes, de conflits, de chagrins, et de toutes sortes d'inquiétudes. Et nous nous demandions s'il est possible, dans ce monde détraqué, de vivre une existence où n'existe aucun type de problème ou de conflit. Cela peut sembler absurde, ou même délirant, d'envisager une chose pareille, de vivre sans le moindre conflit.
2:23 L'autre jour, nous disions qu'enquêter sur cette question requiert une intelligence considérable, une énergie considérable, de l'application. La discussion, le dialogue entre vous et l'orateur au niveau verbal et théorique, a très peu de sens. Donc, si nous pouvions ce soir, tous ensemble – en dépit des corneilles – penser ensemble, approfondir ce problème de savoir s'il existe un art de vivre qui nous fasse vivre au quotidien – pas dans un monde théorique, au quotidien – vivre intérieurement, psychologiquement, sans l'agitation, la douleur du changement, l'anxiété qu'entraîne ce changement – s'il est possible de vivre une telle existence.
4:17 Cela peut sembler incroyable de poser une telle question, car notre vie, de la naissance à la mort, n'est qu'un chapelet de conflits, de luttes, d'ambitions, de tentatives de satisfaction personnelle, – toute la tristesse de l'existence, avec la souffrance, le plaisir, et tout le reste. Donc, si nous pouvions approfondir cette question, l'art de vivre – la vie de tous les jours. Il y a beaucoup d'arts, l'art de peindre, l'art de fabriquer une merveilleuse chaussure, de première qualité, l'art de peindre, l'art de l'ingénieur, l'art de la communication – il y a beaucoup d'arts. Mais la plupart d'entre nous, et peut-être aussi le reste du monde, n'avons jamais posé la question de l'art de vivre. Pour trouver cela... – c'est terrible, Bombay est un endroit plutôt sale, il fait larmoyer, je ne suis pas en train de pleurer – pour découvrir comment vivre, il faut chercher. Car l'art de vivre est l'art suprême, l'art qui importe le plus, supérieur à tout autre, plus grand que l'art de gouverner, l'art de communiquer, et malgré cela, nous ne sommes jamais allés bien loin dans l'enquête sur ce qu'est l'art de vivre notre vie de chaque jour, qui demande tant de subtilité, une telle sensibilité, et une grande dose de liberté. Sans liberté, vous ne pouvez saisir ce qu'est l'art de vivre. L'art de vivre n'est pas une méthode, un système, on ne demande pas à un autre ce qu'est l'art de vivre. Mais cela exige une forte activité intellectuelle et aussi une profonde et inaltérable honnêteté. Très peu d'entre nous sont honnêtes. Le monde va de mal en pis. Nous ne sommes pas des gens honnêtes. Nous disons une chose et en faisons une autre, nous parlons de philosophie, de Dieu, de toutes les théories inventées par les anciens Indiens – nous sommes plutôt bons à tous ces petits jeux – mais le mot, la description, l'explication, n'est pas la chose, n'est pas l'action. C'est pour cela que règne une telle malhonnêteté. Et pour enquêter sur l'art de vivre, il faut une honnêteté fondamentale, inébranlable, immuable. Une honnêteté qu'on ne peut corrompre, qui ne s'ajuste pas à l'environnement, aux exigences, aux diverses formes de provocation. Découvrir cela demande une grande intégrité, car nous traitons d'un problème extrêmement complexe. Ce n'est pas si facile de vivre une vie parfaitement ordonnée, sans dissipation d'énergie, sans vivre dans l'illusion, ou selon une tradition. La tradition, qu'elle soit ancienne ou moderne, n'est que la continuation du vieux modèle. Et le vieux modèle est incapable de s'adapter à ce qui est neuf.
10:53 Donc, ensemble – et nous insistons, ensemble, il n'y a pas un orateur qui expose une chose et vous qui êtes d'accord ou pas. Mais ensemble, exerçant votre intellect, votre raison, votre bon sens, si vous avez du bon sens. Ensemble, regardons ce problème très complexe. Nous l'avons dit l'autre jour, ceci n'est pas un cours, ce n'est pas un cours pour vous informer, vous montrer des faits, vous instruire, vous persuader, vous orienter un peu, avec subtilité, dans une certaine direction. Nous ne faisons aucune sorte de propagande pour diffuser un nouvel assortiment d'idées, rien de tout cela. Ce serait un déshonneur pour l'orateur. Quand il dit que ce n'est pas cela, il parle sérieusement. Donc, vous faites fonctionner votre cerveau, votre sentiment personnel d'exigence, d'urgence, pour découvrir s'il y a une façon de vivre qui soit intégralement en ordre. Donc, je vous en prie, soyez sérieux ce soir. Si vous n'êtes pas sérieux toute l'année, ou le reste de la semaine, au moins une seule fois dans votre vie, soyez totalement sérieux, totalement honnête avec vous-même. En ce cas, nous pouvons ensemble approfondir cette question : qu'est-ce que l'art de vivre.
14:11 Comment va-t-on le découvrir? L'art. Mettre chaque chose à sa juste place, ne pas donner plus d'importance à l'une qu'à l'autre, ne pas privilégier certains instincts, certains désirs et négliger tous les autres. Ne pas vouloir s'accomplir dans une direction donnée, mais ensemble, vous et l'orateur, nous allons découvrir – de nous-mêmes, sans y être incités par l'orateur, il faut comprendre ceci, c'est important.
15:22 Désolé, les corneilles prennent du bon temps ! Elles se souhaitent mutuellement bonne nuit. Elles vont se calmer à la tombée du jour.
15:46 Donc, je vous en prie, pour ce soir au moins, voyez à quel point il est important de découvrir une façon de vivre où n'existent ni conflits, ni problèmes. Car les conflits et les problèmes épuisent notre énergie. On doit trouver pourquoi les problèmes existent. Il y a les problèmes de mathématiques, de géographie, etc., les problèmes académiques, nous ne parlons pas de ces problèmes-là. Nous parlons des problèmes des êtres humains. Ce sont d'abord des êtres humains, et ensuite des savants, des ingénieurs, des hommes d'affaires et tout ce qui s'ensuit. Nous sommes d'abord des êtres humains. Mais, à trop mettre l'accent sur d'autres choses vous oubliez que vous êtes un être humain. Donc, je vous en prie, cherchons ensemble.
17:23 L'art de vivre, c'est, n'est-ce pas, vivre une vie quotidienne dans un ordre extrêmement précis et rigoureux. L'ordre ce n'est pas se conformer, suivre un modèle établi et s'adapter à ce modèle. Voyons cela tranquillement. Ne s'agit-il pas de devenir pleinement présent, totalement conscient de notre propre désordre? En sommes-nous conscients? Ou pensons-nous que les difficultés viennent de notre environnement, et qu'à l'intérieur de nous, tout est parfaitement en ordre ? Nous sommes en train de préciser – ensemble – qu'intérieurement nous vivons dans le désordre et la contradiction. C'est un fait. Même les plus grands saints – qui sont en général légèrement névrosés – même les grands saints vivent dans le désordre, car ils essaient en permanence de devenir quelque chose. Le fait même de devenir... Vous comprenez? J'espère que nous nous comprenons. 'Devenir' : je suis ceci, je vais devenir cela. Dans cet effort de changer 'ce qui est ' en 'ce qui doit être' existe un intervalle, un hiatus, où s'installe le conflit. Et ce conflit est l'essence du désordre. D'accord? Vous avez compris? Il y a division – différences de classe, de race, de religion, et en nous-mêmes aussi, une contradiction, une division : 'je suis ceci, je dois devenir cela' c'est une division. C'est cette division-là qui est la source du désordre. Car c'est en cela qu'est la contradiction – n'est-ce pas? – je suis ceci et je veux être en ordre. Dire 'je veux être en ordre' c'est admettre que je suis confus, donc je tente de mettre de l'ordre, donc je fabrique un schéma, un canevas de ce qu'est l'ordre après quoi j'essaie de m'y conformer. Nous disons – si vous voulez bien écouter tous ensemble – que c'est ce fait-là qui est la cause du désordre. N'est-ce pas? Avez-vous compris? Nous comprenons-nous un peu, un petit peu? Pas trop, mais juste assez.
21:42 Donc, cette division en nous, psychologiquement, crée fatalement du conflit, et par conséquent du désordre. Et, tant qu'il y a désordre, vouloir rechercher l'ordre est encore du désordre. D'accord? Vous comprenez ce que je veux dire? Je suis incohérent, ma vie est en désordre, Intérieurement, je suis partagé, morcelé, donc, à partir de cette confusion je me crée un modèle, un idéal, un projet, et je me dis, je vais vivre selon ce projet. Mais l'origine de ce projet, c'est mon incohérence. Bien? C'est clair? Donc, ce qu'il me faut comprendre c'est pourquoi je suis incohérent, pourquoi je ne suis pas en ordre. Si je peux comprendre ça, de cette compréhension, de cette perception va naître l'ordre, naturellement, sans le moindre effort. C'est-à-dire, si je trouve ce qui cause ma confusion, la confusion n'existe plus, et donc l'ordre est là. Je me demande si vous voyez ça. Nous comprenons-nous, un tout petit peu? Oui? Très bien. Vous dites 'oui, Monsieur', mais parlez-vous sérieusement? Ou c'est juste une façon de dire 'allez, on continue !'. Ça, c'est de la malhonnêteté ! Si ce n'est pas clair, ne dites pas 'oui', dites 'je ne vois pas' alors nous pouvons dialoguer tous les deux. Mais si vous dites 'oui' ce qui vous intéresse c'est 'allons, poursuivons !'
24:47 Je vous en prie, faites-y attention. Nous avons toute une heure devant nous. La prise de conscience de la confusion – qui n'est pas 'il ne faut pas être confus' – le seul fait de prendre conscience de la confusion dévoile sa cause, la relation cause-effet. Donc, quelle est la cause? Vous comprenez? Si je suis malade, je vais chez le docteur, et le docteur – s'il n'est pas trop mauvais – vous dit que ce que vous mangez ou bien ce que vous faites fait du tort à votre organisme, donc, dit-il, ne faites pas ceci et ne faites pas cela. Alors je change, et je mange ce qui convient. De la même façon, si nous pouvons détecter la cause, l'effet va être changé. Et s'il y a changement dans l'effet, il y aura changement dans la cause. Vous comprenez? Nous sommes ensemble ou vous dormez? Continuons.
26:32 Donc l'ordre n'est possible qu'en comprenant l'origine du désordre. Et l'origine du désordre peut être complètement effacée. Si je me dispute avec ma femme, ou si ma femme se dispute avec moi, je découvre pourquoi nous nous disputons. Si nous aimons cela, c'est une autre affaire, mais si nous voulons cesser de nous quereller, nous disons : 'il faut en parler, voyons la raison de ces disputes'. Et nous découvrons que c'est une querelle d'opinions, moi je veux ceci et vous voulez autre chose. De ce fait, nous commençons à communiquer et finalement nous arrivons à un point d'accord. Pareillement, ensemble, vivre une existence, un art de vivre, une existence complètement en ordre. C'est l'art de vivre.
28:06 Ensuite, l'art de vivre implique qu'il n'y ait pas de peur. Non? Faut-il développer? Cela vous intéresse? Nous disons que l'art de vivre exige l'absence totale de toute peur – peur pour sa sécurité psychologique, peur de la mort, peur de ne pas devenir quelqu'un, peur de perdre, peur de gagner – tout le problème de la peur. Voulez-vous en discuter, ensemble? Voir s'il est possible d'être complètement libéré de la peur, parce qu'un cerveau qui a peur, un cerveau qui a peur est un esprit paralysé, un esprit incapable d'observer, de vivre. N'êtes-vous pas tous effrayés? Soyez un peu honnêtes. Nous avons tous peur, à l'intérieur. Examinons d'abord l'intérieur nous verrons l'extérieur ensuite et pas le contraire. Vous comprenez? Nous voulons tous être en sécurité physiquement, chacun l'exige – de l'argent, une situation, être à l'abri, la sécurité physique. Mais nous ne remettons jamais en question la sécurité, la certitude intérieures. Car l'activité intérieure modèle l'extérieur, contrôle l'extérieur. Oui? Vous comprenez?
30:56 Donc, nous disons : l'art de vivre, c'est être complètement en ordre, mais c'est aussi être psychologiquement, intérieurement, totalement affranchi de la peur. Est-ce possible? Parce que, depuis l'enfance, nous vivons dans la peur. Peur du mari, peur de la femme, peur de ne pas y arriver, peur de ne pas s'épanouir, peur de ne pas être satisfait – je suis sûr que vous savez tous ce qu'est la peur. Et nous interrogeons la substance et la constitution de la peur. D'abord, posez-vous la question à vous-mêmes. Qu'est-ce que la peur, comment elle surgit, pour quelle raison, quelle raison fondamentale? J'ai peut-être peur du noir, peur de l'opinion publique, peur de quelqu'un qui s'apprête à me frapper. Il y a bien des formes de peur. Alors, faut-il prendre chacune de ces formes une par une – votre peur particulière, sa peur particulière, ma peur particulière – ou chercher ensemble la raison d'être, l'origine? D'accord? Lequel voulez-vous? Les diverses branches de la peur, ou la racine bien cachée, la nature cachée de la peur? Vous comprenez? Quelle est la racine de la peur? L'orateur vous pose la question et, si vous voulez bien être honnête ce soir – vous pourrez toujours être malhonnête plus tard, c'est votre nature, c'est cela que vous voulez – mais, pour ce soir, découvrez vous-mêmes quelle est la racine, qu'est-ce qui produit toute cette peur. Parce que la peur est ce qu'il y a de plus destructeur. A cause d'elle, on vit dans un enfermement... une sensation physique de tension nerveuse, on se sent tout petit, effrayé, vous savez, avoir peur, et à la peur se mêlent toutes sortes d'actes névrotiques, irrationnels, mais qui prétendent être rationnels. C'est pourquoi il importe que vous découvriez quelle est sa racine. A-t-elle plusieurs racines, ou bien une racine unique? Vous n'y avez probablement jamais pensé, vous êtes trop occupés à gagner de l'argent, vous êtes trop occupés à vous tracasser à propos de vos États, vous n'y avez probablement jamais pensé, jamais cherché à découvrir s'il est possible de vivre sans la peur.
35:51 Changer 'ce qui est' en 'ce qui devrait être' est l'une des causes de la peur. Je pourrais ne jamais y arriver, donc j'ai peur de ça aussi. Mais j'ai aussi peur de ce qui se passe maintenant. Et j'ai aussi peur du passé, n'est-ce pas? Alors, nous essayons ensemble – sans accepter ce que dit l'orateur – nous essayons de découvrir. Cela demande de l'honnêteté, du scepticisme, de ne rien accepter de ce que dit l'orateur, mais de découvrir nous-mêmes l'essence et la structure de la peur. D'accord? Qu'est-ce que la peur? Pas ce dont nous avons peur. Supposons que j'aie peur de la mort, parce que je vieillis et je commence à avoir peur. La question n'est pas ce dont vous avez peur mais ce qu'est la peur 'per se', la peur en soi. Vous comprenez? Êtes-vous fatigués? Très bien. Donc, qu'est-ce que la peur elle-même? Comment se produit-elle? Nous allons enquêter ensemble, mais vous devez partager, pas vous contenter d'explication verbale. Si l'explication verbale, la théorie, l'intellectuel vous suffit, à la fin, vous aurez encore peur. Et c'est perdre son temps, votre temps et celui de l'orateur. Mais si vous et moi, l'orateur pouvons marcher ensemble, faire ensemble le voyage au pays de la peur, et si vous saisissez vous-même la vraie cause de la peur, alors vous êtes libre ! Sauf si vous voulez avoir peur pour le restant de vos jours – on peut aimer cela, les gens aiment un certain type de peur qui leur donne la sensation qu'ils ont au moins quelque chose à quoi s'accrocher.
39:10 Qu'est-ce que le passé? S'il vous plaît, écoutez, nous parlons de la peur. Que sont le passé, le présent et le futur? Le passé est tout ce que vous avez entassé comme mémoire, les souvenirs de choses disparues, et le présent est le passé, qui se métamorphose en futur. D'accord? C'est le fait réel. Donc vous êtes la mémoire du passé, les souvenirs du passé, les accidents du passé, toute l'accumulation du passé, vous êtes cela. Vous êtes le baluchon des souvenirs. C'est un fait. Si vous n'aviez aucun souvenir, vous n'existeriez pas. Donc, vous êtes cela. Le passé – écoutez bien – c'est le temps, n'est-ce pas? Le passé s'est amoncelé au fil du temps. J'ai fait une expérience la semaine dernière, cette expérience a laissé une trace dans la mémoire, cette mémoire est née de l'expérience passée, et quand je dis 'passé', c'est déjà du temps. Bien? D'accord? C'est le temps. Le passé c'est le temps. Le passé est aussi la mémoire, le savoir, l'expérience. N'est-ce pas, Messieurs? Le passé c'est l'expérience, les connaissances stockées dans le cerveau sous forme de mémoire, et de cette mémoire surgit la pensée. C'est un fait. Donc le temps c'est le passé, la mémoire aussi, c'est le passé. Donc le temps et la pensée sont la même chose, ils ne sont pas séparés. Non? Vous comprenez cela? Nous sommes ensemble? Un petit peu?
42:31 Donc, nous disons : la peur est à la fois le temps et la pensée. La semaine dernière, j'ai fait une chose qui m'a fait peur, je me souviens de cette peur et je veux empêcher qu'elle recommence. Donc il y a l'incident passé qui a causé de la peur, et il est enregistré dans le cerveau en tant que mémoire. Cet enregistrement, c'est le temps, non? Cette causerie est enregistrée, cet enregistrement c'est du temps, entre le mot et la chose, il y a du temps. J'espère que vous comprenez tout cela. Et la pensée aussi c'est du temps, puisque la pensée naît de la mémoire, du savoir, de l'expérience, donc pensée et temps sont similaires, ils vont ensemble, ils ne sont pas indépendants. D'accord? Et nous demandons : est-ce là la racine de la peur? Le temps et la pensée, le temps-pensée. Voyons, j'ai peur de la mort, n'est-ce pas? Je suis encore jeune, ou vieux et en bonne santé, mais la mort m'attend, et j'ai peur de la mort. En fait, je l'ai tenue le plus loin possible de moi mais j'en ai quand même peur. N'avez-vous pas tous peur de la mort? Oui? Non? Vous êtes des gens bien bizarres si vous n'avez pas peur de la mort.
45:10 Donc la peur, la racine de la peur, est la pensée-temps. Ne dites pas 'comment puis-je stopper le temps et la pensée?' Demander 'comment' c'est vouloir un système, une méthode, et mettre cette méthode en pratique, cela suppose du temps. D'accord? Vous voilà retombé dans le même vieux schéma. Vous avez compris? Mais si vous comprenez, saisissez, percevez immédiatement la nature de la peur et sa cause, qui est la pensée, le temps. Si vous réalisez vraiment cela, alors ne le lâchez plus, ne vous en évadez pas ! Écoutez... Je ne vois pas pourquoi il me faut expliquer toutes ces choses, elles sont toutes tellement simples. Mais vous êtes tous très compliqués, trop intellectuels, trop instruits, trop expérimentés, vous n'abordez jamais rien simplement. Reprenons.
46:53 La peur surgit d'un élément qui est arrivé avant. J'ai eu mal aux dents, le dentiste m'a soigné, mais cela a été enregistré, la douleur a été enregistrée. Dès qu'il y a enregistrement, la mémoire intervient : 'j'espère que cela ne va pas recommencer demain'. Donc, la douleur d'hier est mise en mémoire, et le souvenir, l'enregistrement me dit : 'j'espère ne plus l'avoir' – l'ensemble de ce processus est la peur. Bien? Si vous comprenez ce principe – le fondement de la peur – vous saurez comment vous y prendre. Mais si vous vous en évadez, si vous rationalisez, si vous demandez quoi faire, comment y échapper, au bout du compte – c'est ce qui vous arrive – vous avez peur votre vie durant, n'est-ce pas?
48:24 Donc, la racine de la peur c'est le temps-pensée. Comprendre cela – en voir la beauté, la subtilité. Il y a autre chose : les gens ont peur – tout comme vous, presque tous les humains sur la terre ont peur de la mort. C'est l'une des peurs fondamentales de la vie. Et nous savons tous que la mort est pour tout le monde, pour vous et pour l'orateur. C'est une certitude absolue, d'accord? Vous n'y échapperez pas. On peut vivre plus longtemps en préservant son énergie, en vivant une vie simple, saine et raisonnée, mais quoi qu'il en soit, la mort est inévitable. N'est-ce pas? Vous l'acceptez? Pas l'accepter – c'est un fait. Allez-vous regarder ce fait en face? Vous allez mourir ! L'orateur aussi. Vous – qui êtes-vous? Mesdames et Messieurs, qui êtes-vous? Votre argent, votre situation, vos aptitudes, votre malhonnêteté, vos incohérences, vos inquiétudes, votre solitude, votre compte en banque – vous êtes tout cela, n'est-il pas vrai? Simplement et honnêtement, c'est comme ça !
51:01 Et la question est : qu'est-ce que l'art de vivre alors que nous allons mourir? Que cela vous plaise ou non, c'est là. Quel est l'art de vivre pour que l'on n'ait plus peur de la mort? Vous comprenez? Voyons cela. Voyons-le sans le mot, sans le concept, sans la théorie – la réalité, pour que vous sachiez ce que signifie la mort. Nous ne prêchons pas le suicide. Certains philosophes, existentialistes et autres, disent que la vie c'est monter et descendre sans cesse, se hisser vers le haut pour retomber ensuite. Et une telle vie n'a aucun sens, donc, suicidez-vous. Vous comprenez? Nous ne disons pas qu'il faut vivre ainsi, ce n'est pas cela, l'art de vivre. Nous nous demandons pourquoi nous avons peur de la mort. Qu'on soit jeune ou vieux, pourquoi ce tourment conscient ou inconscient? La peur de la mort est aussi une souffrance, non? Je souffre de laisser ma famille, je souffre de laisser tous les objets que j'ai amassés, d'abandonner tout cela. L'art de vivre c'est trouver comment vivre au quotidien, mais aussi découvrir quel est le sens de la mort pendant que je suis en vie. Bien?
54:03 Qu'est-ce que la mort? Il y a mort biologique, organique, pour cause de maladie, d'âge avancé, d'accident ou de quelque mésaventure – je descend la rue, une brique tombe par hasard sur moi, et je meurs. Qu'entendons-nous par mourir? Si vous comprenez vraiment cela, alors la vie et la mort peuvent coexister. Vous saisissez? Non pas la mort au bout de à l'arrêt de l'organisme, mais de vivre à la fois, vivre à la fois la mort et la vie. Vous êtes-vous jamais posé cette question? Probablement pas. Posez-la, cette question. Posez-la à vous-même. Savoir si l'on peut vivre – c'est ça l'art de vivre – vivre avec la mort. Pour le découvrir, il vous faut découvrir ce qu'est vivre, non? Qu'est le plus important, mourir ou vivre? Avant ou après? Vous comprenez ma question? En général, les gens se préoccupent de l'après, de savoir s'il existe une réincarnation, et toutes ces histoires. Mais ils ne demandent jamais qu'est-ce qui importe le plus, vivre, qui est un art... Si on mène une vie juste, peut-être la mort aussi fait-elle partie de cette vie juste, vous comprenez, pas à la fin d'une vie stupide !
56:38 Donc il faut commencer par voir ce qu'est vivre. c'est vous qui répondez, Monsieur, nous allons en débattre, dialoguer, mais vous devez trouver la réponse tout seul. En fait, qu'est-ce que votre vie? Votre vie de tous les jours, c'est cela votre vie, une longue suite de vies quotidiennes. Qu'est donc cette longue suite de vies? La douleur, l'anxiété, l'insécurité, l'incertitude, n'est-ce pas? Une sorte de dévotion illusoire à une entité que vous avez inventée, un genre d'existence chimérique, une vie de faux-semblant, avec la croyance, la foi – tout cela, c'est ce que vous êtes. Vous êtes attaché à votre maison, à votre argent, à votre banque, à votre femme, à vos enfants, n'est-ce pas? Vous êtes attaché, tenu, non? Voilà votre vie. Vous le contestez? Contestez- vous cela? La description que l'orateur vient de faire, votre vie faite de lutte constante, d'effort permanent, de réconfort, de chagrin, de solitude, de souffrance – voilà votre vie. Et vous avez peur de lâcher ça. Et la mort dit : 'Cher ami, impossible de ne rien prendre, pas question d'emporter votre argent, la famille, le savoir, les croyances. il faut tout laisser derrière', dit la mort. Bien? Vous êtes d'accord? Où vous le contestez? Voyez-le en face, Messieurs.
59:23 Donc, l'art de vivre, c'est – faut-il donner la réponse? Vous voyez, vous attendez que je réponde. Regardez, Monsieur, je suis attaché à ma femme, ou à une conclusion quelconque, j'y suis formidablement attaché. Alors, la mort me dit : 'quand je viendrai, vous devrez tout lâcher'. Alors, est-ce que je peux tout lâcher tout en vivant? Oui, Monsieur ! Le ferez-vous? Allez-vous tout lâcher? Silence total. Je suis attaché à mon meuble, je l'ai ciré, j'en ai pris grand soin, c'est un meuble ancien, je ne vais pas le donner, il est à moi. J'ai vécu avec lui quatre-vingts ans, il fait partie de moi. Si je suis attaché à ce meuble, ce meuble c'est moi. Je sais, vous riez, mais vous n'allez quand même pas lâcher ce meuble. Donc la mort vous dit : 'Cher ami, pas question de prendre ce bureau avec vous'. Donc, pouvez-vous vous libérer complètement, être totalement dégagé de l'attachement à ce meuble? Vous vivez avec ce meuble, mais en n'y étant absolument plus attaché. C'est cela la mort, vous comprenez? Ainsi, vous vivez en vivant et mourant sans arrêt. Oh, vous n'en voyez pas la beauté ! Vous ne voyez pas la liberté que cela donne, l'énergie, la capacité. Là où vous êtes attaché, il y a de la peur, de l'anxiété, de l'incertitude. L'incertitude, la peur causent la souffrance.
1:02:49 Et, si nous parlons de la souffrance – elle fait partie de la vie. Chacun sur terre a souffert, a versé des larmes. N'avez-vous pas versé des larmes? Votre mari ne vous aime pas, il vous utilise et vous l'utilisez. Et soudain vous réalisez comme tout cela est laid, et vous souffrez. L'homme a tué l'homme tout au long de l'Histoire, au nom de la religion, au nom de Dieu, au nom du nationalisme... non? Donc les hommes ont immensément souffert. Et ils n'ont jamais été capables de résoudre ce problème, de ne plus jamais souffrir. Car quand il y a souffrance il n'y a pas d'amour. Dans la souffrance, il y a de l'apitoiement sur soi, mais aussi la peur de la solitude, de la séparation, de la division, du remords, de la culpabilité, il y a tout cela dans ce mot. Et nous n'avons jamais résolu ce problème. Nous le supportons, nous versons des larmes, nous gardons la mémoire du fils, du frère, de l'épouse, du mari pour le restant de nos jours. Y a-t-il une fin à la souffrance? Ou l'homme doit-il porter ce fardeau à perpétuité? Découvrir cela fait aussi partie de l'art de vivre. L'art de vivre est de n'avoir aucune peur. Et l'art de vivre c'est aussi de n'avoir aucune souffrance. Donc il faut examiner ce problème complexe, pourquoi l'homme s'est-il montré non seulement inhumain mais aussi cruel envers les autres, brutal, violent, tuant par milliers, par millions. Combien de personnes ont versé des larmes sur leurs fils, leurs maris, leurs relations, etc.? Et pourtant nous continuons à jouer à ce bon vieux jeu, ce jeu pourri, dégoûtant, brutal : nous entretuer.
1:07:04 Je crois qu'il va y avoir ici – je l'ai vu en venant – une parade navale. Est-ce exact? Oui, Monsieur. Vous êtes très fier de votre armée, de votre marine, toutes ces foutaises! Chaque pays est fier de son arsenal militaire, fait pour tuer des gens par milliers. Vous êtes bien d'accord qu'il ne faut pas, et vous continuez le lendemain, vous n'examinez jamais comment stopper la violence en vous-mêmes, et pourquoi les guerres existent. Réalisez-vous qu'il y a des guerres depuis six mille ans, – l'homme tuant l'homme. L'abjection, la laideur de tout cela. Et cela ne vous fait rien. Cela se passe quelque part très loin et cela ne vous fait rien. Mais vous vous y préparez, vous aussi.
1:08:51 Donc, c'est l'un des problèmes de la vie, est-il possible de vivre sans souffrance. Qu'est la souffrance? Pourquoi, quand mon fils meurt – pas le vôtre, Monsieur cela vous est personnel – quand mon fils meurt, quelque chose s'est brisé en moi, surtout si je suis une femme. Je l'ai porté en mon sein, je l'ai mis au monde, je l'ai nourri, je m'en suis occupée, avec les peines et les plaisirs, les joies d'une mère, et finalement il se fait tuer – pour votre pays. Votre honneur commande qu'il soit tué. Vous comprenez tout ceci n'est-ce pas? Alors pourquoi le permettez-vous?
1:10:35 Donc, qu'est la souffrance? Est-ce que mon fils – il est mort, il ne reviendra jamais, même si je pense le revoir dans une autre vie, au paradis, ou en enfer – il est mort, c'est un fait. Mais je porte sa mémoire, je garde sa photo près de mon coeur. Je vis dans sa mémoire, je verse des larmes. Je ne peux pas oublier. Il fait partie de mon fardeau. Ne connaissez-vous pas tout cela? Ou ce que dit l'orateur est-il sans objet? Et vous n'avez jamais demandé pourquoi nous souffrons. Nous n'avons jamais examiné le chagrin, la souffrance, et demandé s'ils peuvent un jour prendre fin, pas à la fin de notre existence, mais maintenant, aujourd'hui. Si vous commencez à y réfléchir – j'espère que nous le faisons ici – quelle est la cause? Est-ce l'apitoiement sur soi? Parce qu'il était jeune, vivant, plein de fraîcheur et qu'il est mort? Est-ce parce que je me suis attaché à lui? Regardez tout cela en face, Messieurs ! Est-ce que je me suis attaché à lui? Et cet attachement, qu'est-ce que cet attachement? À qui suis-je attaché? À mon fils? Qu'est-ce que je veux dire par 'mon fils'? – soyez logique, rationnel – qu'est-ce que mon fils? J'ai une photo de lui, j'ai une image de lui, je veux qu'il soit quelqu'un, n'est-ce pas? Je veux qu'il soit quelqu'un, c'est mon fils. Je lui suis attaché désespérément, parce qu'il va reprendre mes affaires, il sera meilleur que moi à faire de l'argent. Vous savez, vous jouez tous à ça, vous connaissez le jeu par coeur. Cela, c'est un aspect. Et j'ai aussi une certaine affection pour lui. On ne l'appellera pas de l'amour nous l'appellerons une certaine forme d'affection. Si vous aimiez votre enfant vous auriez une autre éducation – non? – une autre façon de l'élever, pas seulement à marcher sur vos traces. Il est la nouvelle génération, et une nouvelle génération pourrait bien être très différente de la vôtre, du moins j'espère. Je veux qu'il soit la nouvelle génération, un autre genre de personne que moi. Ne pas suivre ce que j'ai fait – ingénieur, homme d'affaires et toutes ces histoires. Mais je veux qu'il hérite de mon argent, de mes biens, de ma maison – vous savez, le jeu auquel vous jouez, tous. Et quand il meurt, tout est détruit. Mon image de lui, mon désir qu'il soit ceci et cela, tout ça disparaît brusquement et je suis sous le choc. Alors je me tourne vers un neveu, une nièce, quelqu'un pour continuer sur les mêmes rails, parce que j'ai plein d'argent, ou juste une chambre. Vous ne connaissez pas tout cela? À quel point c'est cruel. C'est l'une des causes de grande souffrance.
1:16:56 Et la mort, évidemment, est la souffrance ultime. Mais si vous vivez avec la vie et la mort à la fois, alors le changement n'existe pas. Vous vous incarnez à neuf chaque jour – pas vous, c'est une chose nouvelle qui s'incarne à neuf, chaque jour. Et en cela réside une grande beauté. C'est cela la création. Pas seulement peindre un tableau, construire une maison... mais vivre avec ceci : la mort et la vie. En cela réside une formidable liberté. Et la liberté implique aussi... Le sens premier de ce mot 'liberté' c'est aussi l'amour. Vivre, l'art de vivre et l'art de mourir à la fois. Cela fait naître un grand amour. Et l'amour a sa propre intelligence, qui n'est pas l'intelligence d'un esprit habile. L'intelligence est une chose qui est en dehors du cerveau. Nous en parlerons demain.