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BO84T4 - L’amour, la liberté, le bien et la beauté ne sont qu’un
4e causerie
Bombay, Inde
12 février 1984



2:04 C'est la dernière causerie.
2:16 Hier, nous avons parlé de l'art de vivre. Je pense que nous devrions développer un peu. Nous y pensons assez peu, généralement. Il est rare que nous nous intéressions à ce qu'est la vie comment la vivre, notre vie quotidienne, cette hideuse agitation, les plaisirs fugaces et tout un lot de distractions, religieuses ou autres. Nous avons étudié à peu près tous les sujets académiques, consacré des années à devenir médecin, chirurgien ou ingénieur, et un ingénieur ne demande jamais 'comment'. Il a étudié, probablement cinq ou six ans, il a acquis un tas d'informations sur les contraintes, les forces, les matériaux, etc., il ne demande pas comment construire un pont, c'est son métier. Mais nous, gens ordinaires, nous demandons toujours 'comment'. Comment puis-je vivre une vie sans aucun conflit, sans aucun des problèmes qui sont au menu de nos misérables vies quotidiennes. Nous sommes là à faire des efforts, à tendre les bras, à vouloir arriver, et, quand une question provocante vous est posée, comme celle-ci : 'Peut-on vivre une vie sans aucun problème, sans aucun conflit?' vous entendez la question, et vous répondez : 'Oui, c'est intéressant, mais dites-moi comment faire', quelle est la méthode quel est le système, pour vivre une vie d'une profonde tranquillité, avec un profond sentiment d'émerveillement, un sentiment d'infinie beauté. Donc, nous demandons : 'dites-moi comment'. Nous devrions bannir 'comment' de nos esprits – en psychologie, pas pour la recherche scientifique – ne jamais demander, permettez-moi de le souligner très respectueusement, 'comment'. Ne demandez jamais 'comment' à qui que ce soit. Ils n'ont à vous offrir qu'un système, une méthode qui va devenir une nouvelle servitude, une autre cage dans laquelle vous serez enfermé.
6:33 Donc nous devrions ce soir aborder cette question. Nous avons parlé des guerres, nous avons parlé des êtres humains blessés psychologiquement dès l'enfance, blessés par leurs parents, à l'école, au collège, à l'université, par leur famille, etc. – nous sommes des gens blessés. Et cette blessure engendre la peur, inévitablement. Nous avons beaucoup parlé de la peur. Et aussi du temps. le temps de l'horloge, le temps chronologique, mais aussi le temps comme moyen d'accomplissement psychologique, je suis ceci, mais je vais être cela, je suis violent, un jour je serai non-violent. Ce perpétuel devenir, de 'ce qui est' à 'ce qui devrait être' c'est aussi un élément du temps. Nous donnons une grande importance au temps, le temps physique – aller d'ici à là – mais aussi l'idéal, inventé par la pensée – atteindre un idéal exige aussi du temps. Donc, nous sommes liés au temps. Des écrivains et d'autres personnes ont demandé : le temps peut-il s'arrêter, le temps peut-il finir?
8:59 Nous l'avons dit hier, et au cours des autres causeries, nos partageons ceci ensemble. Ce n'est pas – je vais le répéter cent fois – ce n'est pas un cours. Faites-y bien attention, je vous en prie. Ce n'est en aucun cas de l'information, de l'instruction sur des sujets académiques – ce qu'est un cours. C'est une conversation entre vous et l'orateur, un entretien sur la vie, sur l'incroyable complexité de la vie, ce sentiment d'intense labeur, d'anxiété, de solitude désespérée, les larmes innombrables versées par les êtres humains qui veulent être aimés et ne le sont jamais, ou, si quelqu'un vous aime, le danger constant et le chagrin d'être quitté.
10:37 Nous avons donc parlé de tout cela. Et si certains d'entre nous – ne serait-ce que dix – sont vraiment sérieux – c'est-à-dire honnêtes, d'une honnêteté inébranlable, d'une intégrité sans faille quelles que soient les circonstances – si de telles gens existent, au moins quelques-uns, nous pourrions provoquer un changement radical dans la société. Nous avons parlé de la société. Elle est ce que nous sommes. Nous l'avons créée, cette société laide, brutale, venimeuse – vous savez bien ce qu'est cette société moderne. Nous en sommes responsables, chacun d'entre nous. Et pour provoquer une mutation radicale et fondamentale de la structure et de la nature de la société, nous devons procéder à un monumental examen de nous-même, pas théorique, problématique ou philosophique, mais voir ce que nous sommes en réalité. Et affronter ce fait, ne pas le fuir, y pénétrer profondément. Alors peut-être certains d'entre nous pourraient effectivement créer une nouvelle culture.
12:57 Et – nous l'avons déjà dit hier – ce soir au moins soyons sérieux, soyons honnêtes. Car le mot n'est pas la chose, l'explication n'est pas la réalité, la description d'une montagne, même joliment faite, un grand poème sur la montagne contre le ciel bleu, avec les ombres exquises, toutes ces descriptions, ce tableau, ne sont pas la montagne. Mais nous nous satisfaisons généralement de la description, de l'explication, nous transformons cette explication en un idéal, et puis nous luttons pour vivre à la hauteur de cet idéal, ce qui aboutit à nouveau à une série de conflits. Nous avons abordé cela ces dernières années et aussi ces trois dernières causeries. Donc, je vous prie, rappelez-vous que vous et l'orateur étudient ensemble, en profondeur, avec sérieux, avec une grande honnêteté, comment vivre une vie qui soit réellement un grand art.
14:55 Allons plus loin. On a besoin d'humilité, n'est-ce pas, pour apprendre. L'humilité. Pas l'effacement, pas une sorte de vague consentement, mais il faut une grande humilité pour apprendre. En général, nous n'avons pas cette qualité d'humilité – le respect envers quelqu'un, ce n'est pas l'humilité, ce n'est que l'acceptation de l'autorité, et vous idolâtrez l'autorité. Vous avez vu ce qui s'est passé ce matin. Donc, l'humilité est une des composantes de la vie, pas l'arrogance ou la vanité. Un homme qui sait beaucoup de choses en tire le sentiment de sa propre importance, c'est un homme vaniteux, un homme qui a réussi, la situation, le statut, le pouvoir, l'argent, et toute cette vanité tente de devenir de l'humilité. Vous ne connaissez pas tout cela? Et l'humilité ne naît pas de la vanité. L'humilité est nécessaire pour comprendre l'extraordinaire complexité de ce qu'est vivre. Et l'humilité va avec la liberté.
17:34 Nous nous croyons tous très libres, de faire ce que nous voulons faire, ce que nous désirons, d'accomplir nos désirs – c'est une des structures de la société, que chacun soit libre de faire exactement ce qu'il veut faire, non? C'est ce que vous faites tous. Vous voulez être riche, vous voulez vous exprimer, vous voulez tracer votre propre route, vous être très affirmés dans vos opinions, vos conclusions. Vous avez la liberté de choix. Et nous appelons cela la liberté. Et si vous regardez ce que la liberté a produit dans le monde, elle a produit une énorme confusion, elle a opéré des ravages en ce monde, chacun exprimant son désir propre – en compétition. Et c'est ce que nous appelons la liberté. Donc, il faut examiner ce qu'est la liberté. Je vous en prie, posez-vous cette question. La liberté est-elle une affaire de choix? Vous êtes libre de choisir, d'aller d'ici à là-bas, libre d'avoir plusieurs sortes de métiers, si vous n'aimez pas l'un vous changez pour l'autre. La liberté de vous exprimer, de penser ce que vous voulez et de le dire – en tout cas dans une société démocratique, pas sous un régime totalitaire, où la liberté est refusée.
20:03 Alors, qu'est-ce que la liberté? Car elle fait partie de la vie. Nous l'avons dit hier, la mort aussi fait partie de la vie. Le vivre et le mourir. Nous avons examiné, avec grand soin, si les deux, la vie et la mort, peuvent vivre ensemble. Cela exige, nous l'avons dit hier, une attention très soutenue, une enquête approfondie, beaucoup d'intelligence – l'art de vivre avec la mort. Nous en avons parlé. De la même façon nous devons parler ensemble de ce qu'est la liberté. Existe-t-elle vraiment? L'une des racines du mot 'liberté' est l'amour. Et l'amour est-il une affaire de choix? Donc, à nous de découvrir ce qu'est la véritable liberté. Être libre 'de' quelque chose – de la douleur, de l'anxiété. La liberté de. La liberté existe-t-elle? Pas liberté 'de', vous comprenez? Être libre 'de' quelque chose n'est qu'une réaction. C'est comme un prisonnier qui dit : 'je veux m'évader de ma prison'. Psychologiquement, nous sommes en prison et quand elle est pénible, laide, qu'elle ne nous satisfait pas, on veut s'en libérer. Nous disons donc que la liberté 'de' quelque chose c'est une autre façon d'être en prison, c'est la même chose. Nous comprenons-nous, ou est-ce que je parle tout seul?
23:15 Donc, qu'est-ce que la liberté? Ce sentiment intérieur authentique, ce sentiment profond d'inébranlable liberté – et pas 'de' quelque chose. Qu'est-ce que cette liberté? Peut-on examiner ceci, ensemble, sans accepter ce que dit l'orateur, nous avons vu cela. Si vous acceptez ce que dit l'orateur, vous retombez dans la vieille habitude de suivre une autorité. Alors, l'orateur devient votre gourou, et l'orateur a tous les gourous en horreur. Dans le monde dit 'spirituel' – si l'on peut employer ce mot – l'autorité est un péché. Voyons donc tous ensemble ce qu'est la liberté.
24:50 Vous ne vous êtes probablement jamais posé la question. Tout ce que vous voulez c'est vous soustraire à quelque chose. Je suis seul, vraiment tout seul, comme la plupart des gens qui trouvent une échappatoire dans diverses formes de distraction, religieuse ou autre. Mais y a-t-il une liberté qui ne soit pas une réaction? Pour découvrir cela, il faut examiner ce qu'est l'amour. L'amour est-il une réaction? L'amour est-il une attraction, sexuelle ou autre? Je vous en prie, posez-vous cette question à vous-même et trouvez la bonne réponse. Comment trouver la bonne réponse à une question? L'orateur pose la question, vous y répondez naturellement, si vous êtes en train de penser, de suivre la question – vous répondez à la question. Ensuite l'orateur répond à votre réponse. C'est cela un vrai dialogue. Il répond à votre réponse, puis vous répondez à ma réponse, d'accord? Vous suivez? Un petit peu? De sorte qu'il y a question-réponse, et réponse-question. Si nous soutenons ce va-et-vient de questions et réponses très sérieusement, avec intensité, alors, au sein de ce mouvement vous disparaissez et l'orateur aussi disparaît – seule demeure la question, vous comprenez? Alors, la question elle-même a sa propre vitalité. N'acquiescez pas, je vous en prie, testez-le vous-même. C'est comme un bouton de rose. Si la question reste en suspension, elle est comme un bouton de rose qui petit à petit se déploie et montre sa substance, sa profondeur – elle a sa propre vitalité, son énergie, sa fougue. Voilà ce qu'est un dialogue, pas simplement adopter ce que le bonhomme raconte.
28:44 Donc, la question est : la liberté – pas 'de' quelque chose – est-ce l'amour? Et l'amour est-il une réaction? Je vois une belle femme, ou un homme, ou une merveilleuse sculpture – j'adorerais l'avoir, j'adorerais l'accrocher à mon mur, la regarder jour après jour, chaque fois que je la regarde, elle est différente, c'est une grande oeuvre d'art. Pour la majorité d'entre nous, il est probable que l'amour n'existe pas. S'il vous plaît, ce n'est qu'une question, je ne suis pas en train de dire qu'il n'existe pas. Mais, pour la plupart peut-être, nous ne savons pas ce que c'est. Nous connaissons l'attirance, la tendresse, la pitié, nous connaissons la culpabilité, le remords et la jalousie. – les corbeaux font un tapage infernal, je suis désolé – mais est-ce que tout cela est l'amour? Vous comprenez la question? Si cela n'est pas l'amour, alors l'amour est sans réaction. Et cela, c'est la liberté, qui n'est pas née d'une réaction. Disons que vous êtes chrétien, un intellectuel, et que vous deveniez bouddhiste. C'est votre choix, vous êtes libre de devenir bouddhiste, et le bouddhisme est bien plus actif intellectuellement, plus intéressant, il a une grande profondeur, etc. Vous voilà donc libre de l'un et piègé dans l'autre. Vous aimez le Bouddha, disons, donc vous répudiez votre divinité personnelle. Et on appelle cela 'liberté'. Les corbeaux sont libres! Ceci est très important à comprendre, pas au niveau verbal ou intellectuel, mais dans sa profondeur et dans sa beauté.
32:28 Et nous devrions aussi demander, puisque nous parlons de l'art de vivre, qu'est-ce que la beauté? La grande architecture – les cathédrales d'Europe, les grands temples et les mosquées du monde bâties par de grands architectes – les grands peintres, les grands sculpteurs, ah... Michel-Ange! Quand vous voyez tout cela, cela est beau. Alors, la beauté est-elle créée par l'homme? Faites marcher vos cerveaux, je vous prie. Un tigre n'est pas fait de la main de l'homme, Dieu merci! Un arbre seul dans un champ, solitaire, un merveilleux vieil arbre dans toute sa dignité, il n'est pas de la main de l'homme. Dès l'instant où vous peignez cet arbre, c'est la main de l'homme, et vous admirez, vous allez dans un musée pour voir cet arbre peint par un grand artiste. Donc dans notre vie, l'art de vivre c'est saisir la profondeur et la beauté de la liberté. et le bien qu'elle porte en elle. Et la beauté – pas le tableau, le poème, le merveilleux écrivain. Qu'est-ce que la beauté? Un homme beau, une femme belle, un visage qui a de l'intériorité, cette qualité esthétique de la vie, née de la sensibilité, qui naît quand tous les sens sont en action, pas un seul sens, ou deux, ou trois, le mouvement total des sens. La beauté, c'est certain, existe quand le moi n'existe pas. Vous comprenez? Quand je ne suis pas, la beauté est. Quand le 'moi' n'est pas, l'amour est. Donc l'amour, la liberté, le bien, la beauté ne sont qu'un. Ils ne sont pas séparés, on ne peut les poursuivre – on court après la beauté, et on y consume toute sa vie. Pourtant, ils sont tous reliés. Le bien, un mot pourtant si démodé, rien que ce mot a une profondeur incomparable. Sentir la profondeur du bien n'est possible que dans la liberté, quand il y a l'amour, la beauté.
37:01 Nous devrions parler ensemble de ce problème immense, tout comme nous avons parlé hier de la mort et de la souffrance, nous devrions examiner ensemble ce qu'est la religion, car elle fait partie de notre vie. Et pour découvrir la vraie religion – pas tous ces trucs bidon qui ont cours dans le monde, désolé pour les chrétiens, ne vous froissez pas de ce que l'orateur est en train de dire, les hindous non plus, ne soyez pas froissés, ou irrités – tout cela n'est qu'un tissu de superstitions, un tissu de croyances, d'espérances toutes nées de la peur. Vous inventez Dieu Toutes les cérémonies, tous les objets que contiennent les églises, les cathédrales, les temples et les mosquées, sont fabriqués par la pensée. Personne ne peut discuter cela. Et, comme nous l'avons dit, la pensée est un processus matériel, car elle est fondée sur l'expérience, le savoir, la mémoire, stockés dans le cerveau, contenus dans les cellules, donc c'est un processus matériel. Ce que la pensée engendre n'a rien à voir avec le sacré. Vous pouvez toujours adorer ces choses inventées par la pensée, vous pouvez bien vénérer votre gourou, vos Écritures – la Bible, le Coran, n'importe quel livre, la prétendue littérature religieuse – mais tout cela, c'est le produit de la pensée, cela ne tombe pas de la bouche de Dieu, de la bouche du cheval, tout cela n'est pas la religion. D'accord? Nous avons presque tous bien du mal à voir cela clairement, car nous avons tous au coeur l'espoir de quelque chose qui nous donnera de la force, qui nous libèrera de notre mortelle affliction. Nous voulons le réconfort de quelqu'un, du Père Éternel, là-haut. Je vous raconterais bien une bonne histoire, mais ce n'est pas le moment.
40:26 Donc, nous voulons quelqu'un qui nous soutienne, quelqu'un qui nous dise quoi faire, quelqu'un à adorer, quelqu'un à qui nous attacher, dans notre solitude et notre désespoir. Quand on pleure, on veut quelqu'un pour nous tenir la main. Alors la pensée invente toutes ces incroyables illusions, Dieu, les rituels, tout ce que vous adorez dans les temples, les mosquées, les églises – tout cela, est le produit de la pensée. Et nous disons donc, tout ceci n'est pas la religion. Vous le voyez? Pas intellectuellement, cela devient un jeu, un jeu assez stupide – voir que cela n'a aucun sens, vraiment, que c'est un genre de tromperie, d'hypocrisie, car cela n'a rien à faire avec notre vie quotidienne. Vous avez eu toutes sortes de dieux, depuis la nuit des temps, depuis la préhistoire, et ces dieux, et leurs déesses, et leurs rituels n'ont pas changé le cerveau humain, la brutalité humaine, les guerres des hommes. Vous pouvez bien révérer vos gourous et les suivre, mais cela ne vous fera pas stopper une seule guerre, cela ne vous fera pas changer votre être tout entier.
42:46 Donc, il nous faut examiner ce qu'est la religion. Pour examiner, il faut être libre de toute superstition, naturellement, et de toute autorité. Êtes-vous prêts à cela? L'autorité du Livre, l'autorité de la tradition, l'autorité que vous vous êtes fabriquée tout seul, à partir de votre propre expérience. Vous comprenez tout ceci? Avoir un esprit, un cerveau libéré de toute espèce d'illusion. Est-ce possible? Car le cerveau invente des illusions, des mythes. Toute la mythologie de la Grèce, de l'ancienne Egypte, votre mythologie personnelle, chrétienne, hindoue – tout cela est l'invention de la pensée, super-star et tout ça. L'esprit peut-il vraiment se défaire de tout cela? Le cerveau a été conditionné, siècle après siècle, par la propagande, par la tradition, par les livres – c'est cela la religion. Allez-vous vous libérer de tout cela? Sans devenir athée, c'est encore une réaction – avoir un cerveau complètement libre. Cela demande beaucoup de recherche sur soi, une grande attention à chaque pensée, au moindre mouvement de l'action, pour que tout votre être soit entièrement dépouillé de toute forme d'illusion, et cela n'est pas facile, car nous ne comprenons pas la nature du désir : c'est le désir de réconfort, d'assistance – vous comprenez – qui crée les illusions, le désir d'atteindre l'éveil – c'est ça que vous voulez tous.
46:26 Alors il faut examiner ce qu'est le désir. Vous comprenez cela? Il faut examiner avec sérieux, avec honnêteté – au moins pour cette heure – trouver nous-mêmes, honnêtement, ce qu'est le désir, pourquoi le désir nous a rendus ainsi, querelleurs, en rivalité, nous haïssant mutuellement – le désir de pouvoir. Le pouvoir en politique ou le pouvoir du prêtre, le pouvoir de l'image à l'intérieur du temple, le pouvoir du mari sur sa femme, sur sa bru – vous suivez? – le pouvoir. Un homme de grand savoir jouit d'un grand pouvoir. Le pouvoir sous toutes ses formes est maléfique, laid, brutal. Et nous voulons tous le pouvoir, le pouvoir c'est l'argent, l'argent c'est la liberté de faire ce que vous voulez. Donc, il nous faut un cerveau affranchi de toute autorité et de tout pouvoir. Êtes-vous prêts à celà? Allez-vous y réfléchir? Allez-vous l'approfondir? Ou vous êtes là à écouter, vous allez passer une heure à écouter une chose qui est vraie, et l'oublier dès que vous partirez. C'est ça que vous allez faire. Si c'est ça que vous allez faire, vous ne devriez pas être ici, car cela va agir sur vous comme un poison – d'entendre la vérité et de ne pas la vivre. Vous allez être en conflit, et le conflit détruit, détériore le cerveau. Donc n'écoutez pas. Ou alors mettez-y tout votre coeur, tout votre esprit, alors le mot est l'action, les deux ne sont pas distincts. Y a-t-il un cerveau entièrement libre de toute tradition et de toute autorité, – y compris de votre propre autorité, de cette confiance en vous, qui vous confère une autorité? C'est un problème très complexe, vous comprenez? L'autorité de la police, du gouvernement, de la loi – que vous semblez royalement ignorer – l'autorité des impôts... Ça va? Je peux?
50:48 Donc votre cerveau peut-il être libre de tout cela – cette liberté n'est pas une réaction, car vous comprenez la nature de l'autorité, vous comprenez la nature de la tradition qui consiste à suivre, à accepter machinalement, et qui fusille le cerveau. Le voir, c'est le rejeter, ce n'est pas une réaction. Réagir c'est retomber dans la bonne vieille ornière.
51:38 Après, on peut demander ce qu'est la religion. Vous comprenez? C'est à partir de là qu'on peut découvrir. Et cela implique la méditation. Puis-je employer ce mot? Ce mot utilisé par les gourous de tous acabits, les gourous faiseurs d'argent, du haut de leur pouvoir, de leur statut, ils vous enseignent. Il y a beaucoup d'écoles dans le monde pour vous apprendre la méditation. la méditation thibétaine – Seigneur, c'est tellement idiot, tout cela – la bouddhiste, l'hindoue, la zen, et votre propre gourou invente une forme particulière de méditation et vous vous y faites piéger. Mais vous ne cherchez jamais à savoir – vous êtes bien trop avides d'obtenir quelque chose – à savoir ce qu'est la méditation. Qu'est-ce que cela veut dire? Pas 'comment méditer', si vous demandez comment méditer, c'est simple : 'Faites ceci, ne faites pas cela, dix heures sur votre tête, posé sur votre tête, prenez telle posture assise, respirez de telle façon, contrôlez vos pensées'... Et qui est le contrôleur qui contrôle la pensée? Vous avez posé cette question? Qui est le contrôleur lorsque vous voulez contrôler votre pensée en méditant, où dans votre travail, ou ailleurs – qui est le contrôleur? Ne fait-il pas partie de la pensée, lui aussi? D'accord? N'est-ce pas? Donc le contrôleur, qui est aussi de la pensée, contrôle la pensée. Vous voyez le jeu auquel nous jouons?
54:25 Alors, qu'est-ce que la méditation? La méditation que nous pratiquons est née du désir. Non? Nous voulons atteindre la paix de l'esprit – je ne sais pas ce que cela peut vouloir dire. Nous voulons atteindre l'éveil, nous voulons trouver le Nirvana, nous voulons devenir quelque chose, non? Cela fait partie de notre méditation de s'élever dans l'échelle, l'échelle qui mène au ciel – donc s'élever dans l'échelle du succés, c'est la même chose, il n'y a pas grande différence. L'homme qui est né employé veut devenir directeur, et vous méditez pour devenir Dieu sait quoi. Donc, vous méditez. Maintenant, si vous pouvez mettre tout cela de côté, qu'est-ce que la méditation? Pour le découvrir, il faut revenir brièvement au désir.
56:13 Qu'est-ce que le désir? Quelle est la source du désir? Comment le désir... D'où surgit-il? Est-ce qu'il prend naissance dans l'objet perçu? Je vois une belle voiture, cette vue fait naître le désir, n'est-ce pas? Attention, je vous prie, ne soyez pas d'accord, car on va dire tout le contraire sous peu, ne vous faites pas piéger. Est-ce l'objet qui crée le désir? Je vois une belle maison, je la veux. Je vois une extraordinaire intelligence, la beauté... la profondeur d'un homme et je dis : 'Mon Dieu, comme je voudrais avoir cela!' Donc il nous faut examiner de très près ce qu'est le désir, pas le réprimer. Nous ne disons ni de réprimer le désir, ni de l'accomplir. Les moines répriment le désir et les autres se livrent au désir. Il nous faut donc trouver nous-mêmes – trouver nous-mêmes, pas selon des instructions, l'orateur ne vous dit pas quoi faire, pour l'amour du ciel, il ne vous impose rien! Découvrez ce qu'est le désir. L'objet – une voiture, une femme, ou un bel arbre, tout ce qu'on voit dans un joli jardin, la pelouse verte, les bordures fleuries, l'odeur du petit matin, le printemps dans un jardin, en voyant tout cela, vous dites : 'Mon Dieu, j'aimerais un jardin comme celui-là.' Ne connaissez-vous pas tous ce genre de désir? Oui, Messieurs. Donc, nous ne réprimons pas, nous n'y cédons pas, nous enquêtons sur le désir. Si l'on peut comprendre la nature et la structure du désir, on est capable de le traiter. Vous voyez une voiture – pour prendre cet exemple simplet, vous pouvez prendre un exemple personnel – vous voyez une chose mécanique, une voiture, une belle montre. On le voit, c'est visuel, voir, puis, à partir de la vision, une sensation, n'est-ce pas? Et qu'est-ce qui se passe à partir de cette sensation? Le contact fait partie de la sensation, d'accord? Ensuite – une minute – qu'est-ce qui arrive? Si vous avez déjà entendu l'orateur le dire, ne répétez pas, ne répétez pas! Car cela ne veut plus rien dire, la répétition. Un jour j'ai vu un perroquet, un beau perroquet, avec de belles plumes, et il bavassait sans arrêt tout ce que son maître avait dit. C'est cela que vous faites en général, répéter, répéter, répéter... Donc, je vous en prie, ne répétez pas, cela fait de vous des êtres de seconde main, sans dignité. Donc, vision, contact, sensation. Qu'est-ce qui se passe ensuite? Doucement, cherchez. Je vois cette très belle montre donnée par un ami, dans une vitrine. J'entre, je l'examine, je la sens, je la touche, son poids, sa facture – ensuite, qu'est-ce qui arrive? Ensuite la pensée entre en scène, crée une image, et dit : 'je voudrais l'avoir'. Donc, vision, contact, sensation, puis la pensée crée instantanément une image, alors, à la seconde même où la pensée crée l'image de vous dans la voiture, ou de vous avec cette montre, à cette seconde, le désir est né. D'accord? Sommes-nous au clair sur ce sujet? Au moins intellectuellement.
1:02:45 Alors, si vous le voyez, peut-il y avoir un intervalle, entre voir-contact-sensation, un intervalle avant que la pensée ne lui donne forme. Vous comprenez? Vous voyez de quoi je parle? Vous comprenez? Un intervalle. Pouvez-vous le faire? Tout cela est si rapide. Quand vous le ralentissez, comme le ralenti dans un film, vous voyez toutes les choses en détail. C'est cela le désir. Alors, augmentez l'intervalle. Parce que vous êtes désir, vous êtes la structure même de la pensée et du désir. Si on comprend, si on pénètre la nature de la pensée, vos réactions, on peut ralentir tout le mécanisme, calmement, doucement. On peut aussi le comprendre instantanément. Cela exige de l'attention, la passion de découvrir.
1:04:44 Revenons à la méditation. Ou plutôt, si vous avez compris, sans l'aide des mots, la nature et la structure du désir, nous pouvons reprendre l'enquête sur la méditation. La méditation consciente est-elle la méditation? Vous comprenez la question? Évidemment non. Si je m'assieds délibérément dix minutes par jour, ou vingt minutes le matin, vingt minutes l'après-midi et vingt minutes le soir, cela devient de la relaxation, une sieste, un agréable, confortable, délicieux petit somme. C'est ce qu'on appelle je ne vais pas le nommer, vous connaissez tout ça. Alors, la méditation, qu'est-ce que c'est? Si vous méditez délibérément, c'est orienté, il y a un motif, un désir d'accomplissement. Cela ne peut pas être la méditation, n'est-ce pas? C'est l'employé qui devient directeur à force de travailler, travailler, travailler. C'est la même chose dans les deux cas. L'un on l'appellera business, l'autre réalisation spirituelle, mais c'est exactement la même chose, est-ce que vous le voyez? Messieurs, vous qui méditez, le voyez-vous? Bien sûr que non. Cela suppose de lâcher votre plaisir préféré, votre distraction préférée. Nous disons donc que la méditation consciente n'est pas la méditation parce qu'elle a pris naissance dans le désir. Elle a pris naissance dans le désir de réussir, de devenir quelque chose, c'est-à-dire le 'moi' qui devient quelque chose. Le 'moi' le 'je' qui va devenir Dieu. C'est tellement bête! Pardonnez-moi le terme. Alors, qu'est-ce que la méditation? Si elle n'est pas consciente, qu'est-ce que la méditation? Vous comprenez?
1:07:53 Le mot 'méditation' signifie aussi peser les choses, réfléchir, et aussi mesurer. Cela est, en partie, le sens du mot 'méditation', son sens originel en sanscrit, etc. Alors, votre cerveau peut-il cesser de mesurer? Vous saisissez? Je suis ceci, je serai cela. Je me compare à vous, vous êtes tellement beau, vous avez de la grâce, vous avez un bon cerveau, une qualité, une profondeur, vous êtes un esthète, vous portez un habit merveilleux – je veux ça. Vous êtes en train de mesurer, c'est cela la comparaison. D'accord? Pouvez-vous cesser de comparer? Ne dites pas 'd'accord', arrêtez de comparer, découvrez ce que cela veut dire, vivre sans la moindre comparaison.
1:09:12 Donc vous comprenez? L'amour n'est pas une réaction, donc il est libre – pas libre d'exprimer ce qui vous chante, cela c'est une réaction. Et la liberté fait partie de cet amour. Où est l'amour, est l'intelligence, pas celle issue de la pensée. L'intelligence est en dehors du cerveau – je ne veux pas entrer là-dedans, c'est trop compliqué. Comme la compassion. La compassion, l'amour, la liberté – en dehors du cerveau. Je sais, je pourrais développer, mais le temps manque. Le cerveau est conditionné, il ne peut pas contenir cela.
1:10:20 Donc, la méditation n'est pas un acte conscient et délibéré. Il existe une forme de méditation totalement diférente qui n'a strictement rien à voir avec la pensée et le désir. Cela veut dire un cerveau qui est, véritablement, si je peux employer ce mot, vide. Vide de toutes les choses qui ont fait la pensée de l'homme. Et quand il y a l'espace – c'est cela le sens de la liberté, le sens de l'amour, c'est l'espace, un vaste espace, sans limites – et quand il y a l'espace, il y a le silence et l'énergie. Si vous pensez à vous toute la journée, comme la plupart d'entre nous, vous réduisez l'extraordinaire capacité du cerveau à cette toute petite chose que vous êtes, et bien sûr vous n'avez pas d'espace. Donc le cerveau, qui a son propre rythme – l'orateur n'est pas spécialiste du cerveau, mais il a vécu longtemps, il a vu le temps en lui-même, et observé les autres – le cerveau a son propre rythme, on n'a pas à s'en occuper. Mais quand le cerveau est silencieux, ne bavarde pas, calme, tout à fait... alors il y a ce qui n'est pas mesurable par les mots, ce qui est éternel, ce qui n'a pas de nom.