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BR82CPJ1 - Comment découvrir la source de toute vie?
1° Entretien avec Pupul Jayakar
Brockwood Park, Angleterre
21 Juin 1982



0:08 K: Quelle serait, à votre avis, la question la plus fondamentale, intéressant non seulement l'Occident mais aussi l'esprit indien qui s'est penché sur ces choses peut-être plus longtemps que le monde occidental ? Tenant compte à la fois de l'Est et de l'Ouest, que serait pour vous la question la plus signifiante, permanente, pas seulement temporaire, quelque chose qui perdure, qui a une réelle valeur ?
1:13 P: Monsieur, nos vies sont généralement si futiles.
1:24 K: Oui.
1:33 P: Et à moins que l'on ne découvre en soi-même - je voudrais user du mot juste - peut-être... la capacité de jaillir hors de cette futilité.
2:02 K: De ?

P: Jaillir hors de cette futilité. Afin que l'esprit ait le ressort créatif qui le garde en mouvement quoiqu'il fasse. Ce n'est pas ce qu'il fait qui compte, mais l'exigence de quelque chose de nouveau, d'intouché, de sorte que peu importent les circonstances, il semble que vous alliez au-delà des circonstances, et cela ne se produit que lorsque l'esprit ne dépend plus de rien et qu'il a un peu d'espace, un peu de perception. Et je me demandais, c'est peut-être une question difficile mais je l'ai en tête depuis quelques mois, et c'est : quel est le fondement de la créativité ?
3:41 K: Je me demande ce que vous voulez dire par 'créatif'. Après tout, un artiste se dit créatif, un poète, un penseur, ou un savant à propos d'une nouvelle découverte. Vous appelleriez cela activité créative ?
4:06 P: Peut-être.
4:08 K: Mais elle est limitée. Peut-être ne le réalisent-ils pas.
4:15 P: Monsieur, pourquoi introduire le mot 'limité' ?
4:19 K: Laissons' limité'. Partiel.
4:23 P: Même cela. Pourquoi introduire... Je ne connais pas autre chose.
4:29 K: Non. C'est partiel car c'est sans rapport avec leur vie quotidienne.
4:41 P: A nouveau...
4:43 K: Non. On peut être un grand savant et mener une vie très, très médiocre. Et le savant peut découvrir des choses inouïes et appeler cela créatif.
5:00 P: C'est pourquoi, voyez-vous, je ne parlais pas d'une 'action créative'.
5:10 K: Mais d'un esprit créatif.
5:12 P: Mais d'une origine, d'un esprit, d'une perception qui s'appuie sur le créatif.
5:33 K: Je pense que nous devrions préciser un peu la question, si vous le voulez bien.
5:40 P: Vous n'avez jamais répondu à aucune question sur l'origine de la manifestation, par exemple. Prenons cela au niveau le plus simple, cette venue au monde de quoi que ce soit.
6:04 K: La naissance, de quelque chose.

P: La naissance.
6:08 K: Un bébé, un nouvel arbre, un oiseau.
6:17 P: Qu'est-ce que cela suppose ?
6:21 K: Demandez-vous quelle est la source de toute vie, le manifesté et le non-manifesté ?
6:36 P: Oui. Je voudrais aller plus loin, si c'est possible, dans ce que vous venez de dire - le non-manifesté et... le manifesté et le pré-manifesté. Je ne veux pas employer 'non-manifesté'. Cet instant avant la manifestation.
7:05 K: Ou la naissance.

P: Cet instant-là.
7:13 K: Discutons-nous ce sujet en termes scientifiques ou technologiques, ou allons-nous pénétrer - pénétrer - dans quelque chose que ni vous, ni moi ne connaissons ? Un moment, je veux que ce soit clair. Car, après tout, la naissance d'un bébé... - nous savons comment il vient au monde.
7:47 P: On peut savoir comment il vient au monde et ne toujours pas savoir...
7:55 K: Quoi ?
7:56 P: La qualité de la vie qui l'anime. Sachant qu'un bébé naît...
8:07 K: En passant par divers processus.
8:09 P: ... ne vous fait pas expérimenter la naissance, Monsieur. La réalité de la naissance est très différente de sa description.
8:20 K: Oui.

P: C'est vrai pour tout.
8:23 K: La description n'est pas la chose, ou l'explication n'est pas la réalité.
8:29 P: Mais il est impossible de vivre une vie sans rencontrer cette entrée en existence.
8:38 K: Je ne comprend pas bien ce que vous voulez dire. Je ne suis pas impertinent, mais je ne vous suis pas bien. Si nous parlions de ce qu'est l'origine de toute vie, le commencement de toute existence, sans remonter et remonter en arrière - vous comprenez ? - mais tenter de découvrir ou de trouver ce qu'est le début de toutes choses. Plusieurs religieux ont dit : 'Dieu, Dieu est l'origine de toute chose'. Mais cela n'est qu'un mot, cela n'est pas l'expression d'un esprit qui enquête sur l'origine. Vous me suivez ?

P: Oui.
9:53 K: Donc, allons-nous dialoguer là-dessus, sonder très profondément l'origine de toute vie, hors de toute croyance, tout dogme, etc. ? Ou tenons-nous un dialogue théorique, navigant entre le réel et le non-réel, et tentant d'approfondir la chose par la pensée ? Je ne sais pas si ce que je dis éclaire...
10:43 P: Je comprends ce que vous dites. Voyez-vous, nous avons réduit ce mot 'créatif' à peindre ou écrire un livre ou faire une découverte scientifique, mais, fondamentalement, tout le sens d'un arbre, d'un être humain, de la terre, du ciel...
11:21 K: L'homme a posé cette question.
11:23 P: Bien sûr qu'il a posé cette question.
11:25 K: Il a demandé quel est le sens de tout cela, quelle est l'origine de tout cela.
11:30 P: D'où cela vient-il ?
11:32 K: Quelle est la source d'où surgit tout cela ? C'est cela votre question, c'est bien ça ?

P: Oui.
11:42 K: Quelle est la source de toute existence, toute vie, toute action ? N'est-ce pas ? Comment enquêter là-dessus ? Comment l'approcher ? Comment en arriver à explorer quelque chose qui exige une liberté peu commune, l'extraordinaire sentiment d'un esprit non-conditionné, si je peux dire cela. N'est-ce pas ? Une liberté - peut-être ce mot 'liberté' c'est l'amour. Cela requiert cette qualité d'esprit à la fois pratique, sensible et dotée d'une grande compassion.
12:50 P: Je ne peux pas partir de là, je ne connais pas ce...
12:54 K: Non, comment approcher ce point et, de là, avancer ?
12:57 P: Si vous le présentez ainsi, je suis hors jeu.
13:01 K: Vous êtes bloquée.

P: Je ne peux plus bouger.
13:04 K: Non, je pose une question. Je ne dis pas que cela doit être. N'est-ce pas cela, le processus d'investigation ?
13:11 P: J'ai dit, cette question surgit dans ma tête et je voudrais explorer autour de cette question. Mais si je pose que l'esprit doit être libre, que donc c'est l'amour, et que donc... Alors, que fais-je ?
13:31 K: Vous ne pouvez rien faire. Mais comment allez-vous explorer une question posée par l'homme depuis des millions d'années, mettre un nom dessus et vous en satisfaire ? Ce n'est pas cela que nous faisons. Nous disons : comment un esprit explore-t-il une chose qui doit être extraordinaire, qui doit avoir une qualité non seulement universelle - cosmique, si je peux l'employer - comment mon esprit... comment l'esprit entre-t-il dans une pareille question ? Dans une chose d'un ordre suprême. Comment commencer l'enquête ? Où ? Si vous utilisez la pensée, cela ne vous mène pas loin.
15:02 P: Non, je ne... Vous demandiez comment commence la recherche.
15:10 K: Oui. Comment s'y prendre, quelle est l'approche d'un esprit qui veut enquêter sur une chose qu'il ne connaît pas, dont il n'a pas idée, une chose qui suppose une qualité peu commune de subtilité profonde, profonde capacité d'ordre, et ainsi de suite. Par où vais-je commencer ?
15:44 P: Evidemment, par me rendre compte du désordre en moi-même. En premier.

K: C'est-à-dire, je commence, après tout, je suis le manifesté. Je suis un humain qui est né. Je connais le processus de la naissance, comment un enfant vient au monde, ce n'est pas notre sujet. Maintenant, j'enquête sur moi-même. Par où commencer ? Allons-y pas à pas, cela peut prendre un peu de temps mais, par où commencer ?
16:43 P: Par ce qui est autour de moi et par ce qui est dedans.
16:50 K: Oui.

P: Forcément, Monsieur. Il ne peut exister d'autre point de départ pour l'enquête.
16:55 K: Donc, le monde extérieur, le monde intérieur. Quel est le critère selon lequel je... qui va mesurer le dehors et le dedans ? Quelle est l'unité de mesure ? Je n'emploie pas 'jugement', j'emploie à dessein le mot 'mesure'.
17:18 P: Mais est-il besoin de mesurer ?
17:22 K: Si j'enquête sur moi-même dans un monastère, je peux m'illusionner énormément. Mais si j'ai la mesure - laissez-moi employer ce mot pour l'instant - de ce qui se passe réellement dans le monde autour de moi, j'observe tout cela sans aucun parti-pris, je relie ce qui se passe à ce qui se passe en moi, donc je vois qu'il s'agit d'un seul mouvement, pas de deux mouvements séparés.
18:09 P: Monsieur, je ne suis pas dans un monastère, je suis en plein dans la vie.

K: C'est exact.
18:16 P: Et, étant dans la vie, je vois l'action à différents niveaux, par rapport à moi, indépendante de moi. Je vois aussi en moi les réponses à l'action, toute la capacité que je peux avoir, au fil des années, de pouvoir... même demeurer sans réaction. Je vois tout cela. Et j'avance là-dedans - j'avance avec ça - non pas dedans, mais avec ça.
19:00 K: Vous êtes ça !
19:02 P: Oui, c'est pourquoi je dis...

K: Ne dites pas : 'j'avance avec ça'.
19:04 P: Oui.Je suis ça.

K: Vous êtes ça !
19:07 P: Vous savez, c'est plus facile avec le mouvement intérieur de dire : 'je suis ça', c'est bien plus difficile de le voir avec une chose extérieure. Si vous me dites que je suis toutes les guerres qui ont lieu, il est très difficile pour moi de le voir.
19:29 K: Non, nous sommes responsables de toutes les guerres qui ont lieu.
19:35 P: Oui...

K: Au plus profond sens du mot.
19:37 P: Oui, mais c'est très loin de moi. Vous devez comprendre. C'est très loin... cette responsabilité est une responsabilité distante. Je dis : 'oui, peut-être, si je pousse l'idée jusqu'au bout, je suis responsable'. Mais je ne peux pas sentir le même rapport qu'avec une réaction intérieure.

K: Tout à fait.
20:03 P: Naturellement une réaction en moi est une réponse vivante, elle a bien plus de vitalité.
20:10 K: Ma nouvelle question dévierait-t-elle de ce dont nous discutons : pourquoi ne vous sentez-vous pas totalement responsable ? Des les guerres, de la brutalité, des choses affreuses qui se passent dans le monde, pourquoi ne se sent-on pas totalement responsable ?
20:35 P: Comment est-on totalement responsable ? Du fait d'être né ?
20:42 K: Non, pas entraîné.

P: Non, du fait d'être né ?
20:46 K: Non.
20:47 P: Mais alors... cela devient une question de culpabilité.
20:50 K: Non. En tant qu'être humain vivant, adulte, toute ma tradition, ma façon de vivre, de penser, d'agir - comme nationaliste, ceci ou cela - a contribué à ceci, à l'état actuel du monde !
21:22 P: Monsieur, vous rendez les choses si difficiles. Un homme commet un meurtre sadique. Je ne peux pas me dire responsable de ce meurtre sadique. Donc, si vous poussez la chose aussi loin il me devient impossible d'en sentir la réalité.
21:42 K: Laissons cela pour le moment. J'ai posé la question. Laissons cela.
21:45 P: Laissons cela. Mais allons dans ceci... allons explorer l'origine de l'existence qui est l'être de la vie.
22:05 K: Etre - le verbe, 'être'. Et après ?
22:12 P: Donc le seul moyen de creuser est de descendre en soi, quoi que cela veuille dire.
22:26 K: Très bien. Prenons pour l'instant ce mot 'aller', ou 'descendre', ou 'entrer' dans la complexité de soi-même.
22:41 P: Oui.
22:43 K: Y entrer, pas en observateur extérieur. Je suis tout cela.
22:48 P: Oui. Je ne postule même pas ce que je suis.
22:54 K: Oui.
22:54 P: Je n'avance rien. Je découvre - dévoile.
23:00 K: Dévoiler plutôt que découvrir.
23:02 P: Dévoiler ce que je suis. Et, en le dévoilant, je comprends que je dévoile toute l'existence de l'homme. On peut voir cela.

K: C'est assez simple.
23:22 P: Oui. Donc, dans ce voyage de découverte, les choses superficielles sont éliminées, nous n'entrerons pas là-dedans.

K: Non, cela est assez simple.
23:39 P: Mais, le superficiel éliminé, la chambre balayée...
23:45 K: Ceci n'est-il pas important aussi : qui balaye la chambre ? Que signifie avoir balayé la chambre, qu'est-ce c'est ? Vous comprenez ma question ? Le balayage, le nettoyage, le dévoilement ont-ils écarté définitivement toutes les réactions superficielles, le conditionnement superficiel, afin de tenter de pénétrer la nature ou le mouvement qui conditionne l'esprit.
24:53 P: Evidemment, Monsieur, vous ne pouvez pas dire que vous avez balayé la pièce et que c'est fini. La poussière revient.

K: Oui.
25:03 P: Donc balayer est un mouvement qui fait partie de la vie. Vous ne pouvez pas... Mais les éléments les plus grossiers peuvent sûrement être éliminés. Les plus subtils survivent dans les coins où vous n'avez pas su aller. Mais, les choses évidentes peuvent être balayées.
25:49 K: Oui. Les choses évidentes...

P: Oui.
25:52 K: Non, nous devons être plus...

P: Allons-y.
25:56 K: Quelles sont les choses évidentes ?
25:58 P: Vous savez, par exemple, Krishnaji, l'ambition, ou l'envie.
26:05 K: Oui. La haine.

P: Ou la haine.
26:07 K: Non, vraiment, Pupulji, être libéré de la haine, l'éliminer - non, regardez un peu - être libéré de la haine est quelque chose d'extraordinaire. Etre libre de tout sentiment d'agression, tout sentiment de... Il n'y a pas d'ennemi. L'ennemi, c'est vous !
26:45 P: Mais le caractère de la haine est différent de celui de l'agression. Je le mettrais... Voyons un peu cela, Monsieur.
27:06 K: L'agression est liée à la haine car une nation agressive, ou une personne agressive, blesse inévitablement l'autre.
27:19 P: Non, mais...
27:20 K: Cette blessure nourrit la haine. Cela participe du même mouvement.
27:30 P: Oui, c'est pourquoi je dis qu'il y a les choses plus grossières et les plus subtiles. La haine, celui qui a connu la haine sait à quel point elle est puissante et très destructrice. Mais l'agression peut même, jusqu'à un certain point, faire partie de notre nature. Vous pouviez être... la conformation de votre...
28:11 K: ... venant de l'animal, etc.

P: Non, de l'être lui-même. En tant qu'humain, si vous êtes plus dominateur qu'un autre, c'est de l'agression. Et dominateur n'est pas haineux.
28:25 K: Fort bien. Fort bien. Avançons. Avançons.
28:28 P: C'est plus subtil - c'est pourquoi je le distinguais des choses plus grossières qu'on peut éliminer.
28:38 K: Mais comment savoir ce qui est grossier et ce qui est subtil ? Quel est l'esprit qui dit : ceci est...
28:47 P: C'est pourquoi je pense que la seule façon de s'y prendre et de voir que rien n'est trivial.
29:00 K: Qu'aucune réaction n'est...

P: N'est triviale.
29:04 K... pas seulement triviale, qu'elle provient de notre conditionnement.
29:14 P: Vous savez, Monsieur, j'ai vu récemment mouler un énorme chaudron de métal de près de sept pieds de diamètre. La moindre imperfection, même la plus minime, aurait fissuré le chaudron. Et c'est exactement comme cela. Aussi légère, aussi subtile soit-elle, elle va fausser l'investigation.
29:47 K: Je comprends cela. Ne seriez-vous pas en train de dire qu'il faut beaucoup s'exercer, une grande discipline, une sorte de formidable contrôle, comme le potier qui façonne une chose merveilleuse, cela exige une extrême attention, de l'énergie, des mains très habiles et ainsi de suite ?
30:24 P: N'est-ce pas vrai ?

K: Oh, oui c'est vrai.
30:27 P: Je pense que c'est de là qu'on récupère de vous le mot 'libre'.
30:39 K: Libre ?
30:43 P: En l'interprétant comme un certain relâchement de l'esprit.

K: Oh non. Non !
30:51 P: Discutons ceci, je vous prie. C'est un très important...
30:54 K: Ce n'est pas un relâchement de l'esprit. Grands Dieux !
30:56 P: Parce que cela peut être compris ainsi : je n'accepte pas l'autorité, je ne crois pas nécessaire de faire quelque chose, je peux vivre une vie futile, une vie insignifiante, ce n'est pas grave...
31:15 K: Le sens de ce mot 'liberté', Pupulji, si j'ai bien compris en regardant dans divers dictionnaires, le sens propre du mot est 'affection', 'amour'.
31:29 P: Et une formidable discipline. Laissez-moi employer ce mot 'discipline', je l'utilise...
31:38 K: Je sais bien que vous utilisez 'discipline', je ne suis pas sûr...
31:41 P: En utilisant le mot 'discipline', j'en parle comme d'une volonté de vigilance pour que le trivial ne pénètre pas.
31:59 K: Oui, mais est-ce que la vigilance - qui est la conscience en éveil si nous utilisons tous les deux le même mot - a besoin de s'exercer, a besoin de discipline ?
32:12 P: Elle n'a pas besoin...
32:14 K: Comprenons le sens de ce mot 'discipline'.
32:18 P: Voyez-vous, discipline - si je dis qu'il me faut m'asseoir le matin, croiser les jambes, regarder fixement le mur et veiller à ce que mon esprit ne pense pas - c'est une forme de discipline. Mais l'esprit réalisant le fait qu'il doit être éveillé à chaque mouvement en lui, c'est aussi une discipline.
32:50 K: Je me demande dans quel sens vous utilisez ce mot 'discipline'. N'est-il pas couramment associé à dressage, conformisme, imitation, contrainte ?
33:06 P: Non, Monsieur, il y a une diligence... Sans diligence, rien n'est possible. Et vous pouvez bien écarter le mot discipline, et mettre à la place le mot diligence.
33:20 K: Une minute, une minute. Allons doucement. Etre diligent, c'est être conscient de ce que vous faites, de ce que vous pensez, conscient de vos réactions. Et, à partir de ces réactions, observer l'action qui a lieu. Alors, dans cette observation, cette prise de conscience, l'action est-elle contrôlée, cadrée ?
34:07 P: Non, bien sûr...
34:08 K: Ce que je récuse - si vous permettez, on peut en discuter - ce que je récuse totalement c'est le mot discipline.
34:17 P: Monsieur, si vous permettez, vous êtes devenu allergique à ce mot.
34:21 K: Non, je ne suis pas allergique. J'ai peut-être une allergie, mais pas à ce mot.
34:27 P: Parce que vous l'utilisez dans le sens de cadrer.
34:34 K: Oui, mais attendez. Je veux dire aussi : l'action même d'apprendre est sa propre discipline.
34:49 P: Oui. Oui. Mais comment naît l'action d'apprendre ? Voyez-vous, revenons à l'étape précédente. D'où provient le besoin d'observer ?
35:10 K: Besoin ?

P: Pourquoi devrais-je observer ?
35:15 K: Pour la très simple raison de voir s'il est possible à l'esprit humain de changer quelque chose, de se changer lui-même, de changer le monde qui entre dans une zone critique aussi catastrophique.
35:32 P: Oui, mais si je pars de ce principe...
35:37 K: Non, pas un principe, c'est un fait !
35:39 P: D'accord. Si je pars de là, où si je pars de la souffrance, qui est souvent le véritable point de départ...
35:48 K: C'est très complexe, oui.
35:50 P: Le point de départ est vraiment la souffrance. Je crois que nous nous sommes éloignés. Revenons donc à cette question...
36:08 K: Nous sommes partis de : l'origine, le fondement de toute vie. Et, pour explorer cela, il faut explorer en soi-même, car vous êtes l'expression de tout cela !
36:27 P: Oui, oui.
36:29 K: Vous êtes la vie ! Donc, c'est de l'origine de cela que nous tentons de discuter. Bien ?
36:38 P: Oui, l'origine. L'état dont tout cela naît.
36:44 K: Et je ne peux le saisir qu'en me comprenant moi-même.
36:47 P: Oui, oui.
36:49 K: Prenons des mots simples - me comprendre moi-même. Moi-même est si redoutablement complexe. Comment vais-je aborder - ça n'est qu'une question - comment vais-je aborder un problème complexe, qui ne peut pas faire l'objet d'un diagnostic facile, du genre 'ceci est juste' ou 'ceci est faux', 'cela doit être', 'cela ne doit pas être', c'est une entité complexe, vivante, malpropre, désordonnée.
37:28 P: N'est-ce pas parce que notre attention se met d'entrée à la recherche d'une entité en ordre que, tombant sur le désordre, on se retrouve piégé ?
37:48 K: Je ne recherche pas l'ordre...
37:50 P: Auquel cas, si vous cherchez sans vous inquiéter de ce que vous cherchez...
37:58 K: Non, je crois que nous passons à côté de quelque chose. Je disais que le monde est en désordre. J'observe cela. Et le monde... Je vois que je suis aussi en désordre. Je commence par là.

P: Oui.
38:13 K: Je suis en désordre. Les êtres humains ont vécu et créé un tel désordre en eux-mêmes, et par conséquent au dehors. Laissons ça là pour le moment. Alors, comment comprendre, réaliser l'origine du désordre ? Vous me suivez ? Car, si je peux commencer à comprendre l'origine du désordre je peux pénétrer de plus en plus profond en une chose qui pourrait bien être un chaos total et pourtant ordonné. Vous comprenez ce que je veux dire ?
38:51 P: N'est-ce pas en étant aussi simple que possible à son propos ?
38:59 K: Oui, c'est ce que j'essaie d'être. Je suis en désordre.
39:07 P: J'ai certains instruments d'investigation. J'ai mes yeux, mes oreilles, mes sens.
39:15 K: Oui, oui. Vous n'enquêtez pas avec vos oreilles, ou avec vos yeux.
39:21 P: Pas vous ? N'enquêtez-vous pas avec vos yeux et vos oreilles ?
39:26 K: Un peu, oui. Je m'informe, en regardant, en lisant...
39:30 P: Et en regardant en vous-même.
39:33 K: Mais, puis-je regarder en moi avec mes yeux, mes yeux physiques ? Je peux me voir dans un miroir, mais je ne peux pas me voir dans ma complexité avec mes yeux. Il me faut pénétrer consciemment, avec sensibilité, sans aucun choix, dans cet état.
40:00 P: Pouquoi dire que vous ne pouvez pas prendre conscience par vos yeux ?
40:06 K: Encore une fois, que veut dire : 'par vos yeux' ? L'oeil interne ?
40:10 P: Non. Mais il y a un regard vers l'extérieur, et aussi un regard vers l'intérieur.
40:19 K: Regarder dedans. Très bien. Avec vos yeux ?
40:24 P: Regarder dedans, écouter dedans.
40:27 K: Oui. Maintenant ceci demande un peu de prudence, car cela peut égarer.
40:32 P: Oui, voyons cela. Y a-t-il un autre chemin ?
40:42 K: Oui, je pense que oui.
40:44 P: Voyons cet autre chemin. Avant tout, prenons le chemin, quel qu'il soit. L'oeil, l'oreille ne font-ils pas partie de cet autre chemin ?
40:58 K: Respirer, entendre, voir, sentir. Ce sont réellement des réponses sensorielles, n'est-ce pas ? Réellement. Je vois cette couleur. J'entends du bruit. Je goûte quelque chose, etc. C'est une réponse sensorielle.
41:25 P: Oui, mais n'y a-t-il pas : voir la colère, une réaction de colère, et écouter une réaction de colère ?
41:36 K: Ecoutez-vous avec vos oreilles ou observez-vous la colère ?
41:43 P: Comment observez-vous la colère ?
41:48 K: Vous êtes en colère, vous regardez la cause et l'effet de la colère.
41:57 P: Quand vous êtes en colère, vous ne pouvez pas.

K: Non. Mais plus tard...
42:03 P: On voit la nature de l'esprit qui a été en colère. Mais on 'voit' la nature... le mot utilisé est : 'voir' la nature de l'esprit.
42:14 K: Très bien, je ne vais pas...
42:19 P: C'est très important, Krishnaji.
42:22 K: Je comprends ce que vous dites, que l'acte d'écouter, l'acte de sentir, intérieurement... est-ce que vous le voyez de vos yeux, vous l'entendez de vos oreilles ?
42:48 P: Voyez-vous, en le présentant comme cela vous ne pourrez jamais comprendre ce point car l'oreille est si habituée à écouter à l'extérieur qu'elle ne peux pas comprendre cela, et si vous tentez de la ramener vers l'intérieur, vous n'y arriverez jamais.
43:13 K: Est-ce que cela aiderait si nous parlions de perception ?
43:17 P: Non, monsieur. Je dis que cela aiderait si vous parliez de voir et d'entendre avec l'oeil et l'oreille, parce qu'existent un voir, un écouter avec l'oeil et l'oreille.
43:33 K: Bon, attendez. Je vous entends déclarer cela. En vous entendant j'ai compris les mots et vu le sens de ce que vous dites. D'accord ? D'accord ?
43:47 P: Oui.
43:48 K: La communication verbale a eu lieu. Mais la signification profonde...
43:57 P: Mais elle aussi a lieu. Pendant que je vous écoute et que je vous vois, j'écoute aussi et je vois mon propre esprit, le terrain de l'esprit.

K: Non, non.
44:14 P: Alors qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui se passe ?
44:18 K: Qui écoute ?
44:20 P: Il y a écoute. Je ne parle pas de qui écoute.
44:24 K: Non, écouter.

P: Il y a écoute.
44:28 K: Mais, une minute, Pupulji, il faut être clair sur ce point. Il n'y a pas... Il nous faut être un peu plus circonspects.
44:37 P: Mais, Monsieur, dans un acte où vous êtes totalement attentif - prenons un acte où vous êtes totalement attentif - qu'est-ce que l'état de cet acte où l'on est totalement attentif ?
44:52 K: Quel est l'état de l'action qui naît d'une attention intégrale ?
44:59 P: D'une attention intégrale.
45:02 K: Je pense que c'est clair. Je vais y répondre. D'abord, pour répondre à cette question il nous faut comprendre ce que nous entendons par attention intégrale. L'attention. Ce n'est pas la concentration.
45:23 P: Non, Monsieur...

K: Non, je veux être clair là-dessus.
45:26 P: Non, bien sûr que non.

K: Bien sûr que non. Donc attention signifie qu'il n'y a pas de centre à partir duquel vous êtes attentif.
45:34 P: Non, bien sûr que non.
45:36 K: Ne dites pas 'non bien sûr', voyez ce que cela suppose.
45:40 P: Monsieur, je voudrais vous demander une chose : sommes-nous encore en train d'épousseter la surface ?
45:49 K: Non. Non, je ne veux pas...
45:52 P: Si vous n'êtes pas en train d'épousseter la surface...
45:55 K: La discussion et l'étude superficielle ont très peu de sens.
45:58 P: Alors, quand vous interrogez, à moins que je puisse comprendre ce qu'est l'attention, je ne peux même pas faire le premier pas.
46:07 K: Non, je veux seulement être précis. Attention veut dire - veut dire quoi ? - Je suis complètement attentif.
46:19 P: Etre complètement attentif, c'est quand le 'je' n'est pas là.
46:25 K: Oui. C'est vraiment cela. Où il y a attention, il n'y a pas de 'je'. Ce n'est pas : 'je suis attentif'. Il n'y a que cet état d'esprit qui est totalement attentif.
46:45 P: Et donc, tous les sens...
46:50 K: Oui, le corps tout entier, l'ensemble...
46:53 P: ... de l'être est éveillé, si je puis dire ainsi.
46:56 K: Oui, vous pouvez employer ce mot.
46:59 P: Et, dans cet état d'éveil de l'être, vous pouvez écouter, observer.

K: Oui, oui.
47:10 P: Et pouvons-nous poursuivre à partir de là ? Vous ne voulez pas poursuivre.

K: Nous sortons du sujet. Je veux enquêter en moi-même, n'est-ce pas ? Oui ? C'est ce que nous disons. Car moi-même, c'est la vie. En recherchant qui je suis, je peux, si ma recherche est juste, exacte, pas biaisée, je peux arriver... La source, l'origine de toute vie peut être découverte - peut être dévoilée.
47:47 P: Partant de là, je dirais qu'à la première étape vous allez rencontrer le 'je'.
47:56 K: Oui, oui. Première étape : voir clair, entendre clair.
48:01 P: Mais le 'je' est là.

K: Bien sûr.
48:03 P: Donc nous avons l'observateur et l'observé.
48:06 K: Bien sûr.
48:08 P: Alors, voyant cela, c'est aussi...
48:16 K: Attendez une minute, Pupul, ne bougeons plus de là. Je sais qu'il y a l'observateur et l'observé. Est-ce vrai ? J'interroge. J'ai pris pour acquis...
48:34 P: D'abord, Monsieur, c'est évident, quand j'entame une enquête je pars de l'observateur.
48:42 K: Oui, je pars de l'observateur.
48:44 P: Alors je demande - ou vous l'avez demandé vous-même et cela m'est resté dans l'esprit - y a-t-il un observateur ?
48:58 K: Y a-t-il un observateur séparé de la chose observée ?
49:03 P: Oui. Maintenant, ayant cet énoncé en moi, je cherche l'observateur.
49:10 K: Oui, qui est l'observateur.

P: Je cherche l'observateur.
49:14 K: Oui, connaître la nature de l'observateur. A présent, abordons ceci lentement. Car, si je comprends l'observateur - s'il y a compréhension de l'observateur - alors peut-être l'observateur pourra-t-il voir la fausseté de cette division entre l'observateur et l'observé.
49:48 P: Qui va voir ?
49:52 K: Pas 'qui va voir'. La perception de ce qui est vrai. La perception, pas 'qui voit'. Le fait de percevoir.
50:03 P: Donc voir la vérité de l'observateur mettra fin à l'état de division.
50:18 K: De division. Oui. Oui, c'est ce que j'ai dit mille fois.
50:25 P: Met fin à l'état de division.

K: Oui, oui.
50:31 P: Et la fin... Ce n'est pas par une seule opération, un seul acte, que j'en termine avec le processus de division. Vous pouvez dire que c'est arrivé un jour et que vous avez tout vu, mais cela n'arrive pas comme cela.
50:47 K: Non, c'est généralement relaté comme cela.
50:50 P: Oui. Pour cet instant-là c'est vrai.
50:54 K: Non... Allez-y, que voulez-vous dire ?
50:57 P: Ce que je veux dire, c'est : la diligence - nous l'avons dit - la diligence ou la discipline, c'est garder vivant, en soi, l'esprit de recherche.
51:14 K: Et je dis que cela ne requiert pas d'entraînement.
51:22 P: Je ne parle pas d'entraînement, vous venez de l'introduire.
51:25 K: Avant, vous utilisiez 'discipline', vous venez de l'employer.
51:29 P: Non, j'utilise le mot discipline sans y inclure pour autant le mot 'entraînement'. Par discipline j'entends que je ne peux pas espérer comprendre ceci si l'esprit n'est pas éveillé à ceci et diligent dans son désir de rester éveillé à ceci.
51:56 K: Oui, d'accord, je n'introduirai rien du tout. Je continue.
52:00 P: Vous ne pouvez pas nier cela.
52:01 K: Non, non, il doit être diligent, il doit être vigilant, il doit être attentif, subtil, hésitant, il doit être tout ça.
52:13 P: Il doit observer, se poser dans l'observation, trouver un nouvel abri pour lui-même dans l'observation.
52:26 K: Pupul, nous sortons encore du sujet, c'est peut-être moi. Je disais, j'enquête sur moi-même.

P: Hé bien, ceci est une enquête.
52:36 K: Comment examiner sinon à travers mes réactions : la façon dont je pense, la façon dont j'agis, la façon dont je réponds à l'environnement, ma relation à l'autre.
52:54 P: Oui, et, partant de là, je découvre au début de mon observation les réponses, les réactions, le tout rapide, confus, continu...
53:07 K: Je sais, contradictoire, etc.

P: ...contradictoire, mais l'observation elle-même y met un peu d'espace.
53:20 K: Un peu d'espace, un peu d'ordre. Cela veut dire...
53:26 P: Ce n'est que le début, Monsieur, ce n'est que le début.
53:30 K: Je sais, je sais. Oui. On ne se sort pas du début.
53:35 P: C'est ce que je demande.

K: Je suis fatigué du début ! Pardon !

P: Alors poursuivons.
53:45 K: Pupul, je voudrais poser une question. Est-il nécessaire de passer par tout ça ? Guetter mes réactions, guetter mes réponses, observer diligemment ma relation à un autre, intime ou pas ? Faut-il que j'en passe par tout ça ? Ou bien...
54:21 P: Voyez-vous, Monsieur, je veux dire une chose maintenant. Le fait est qu'on est passé par tout cela. Le fait est l'histoire de...
54:33 K: Il se peut que vous soyez passée par là parce que vous avez accepté ce modèle.
54:37 P: Non.
54:38 K: Une minute, attendez une minute. Voyez-vous, nous avons tous fait cela : les penseurs, les sannyasis, les moines et les autres...
54:51 P: Et Krishnamurti.

K: Je n'en suis pas sûr.
54:54 P: C'est là la question.
54:56 K: Je n'en suis pas sûr. Une minute. Je veux discuter de ce point très sérieusement, car c'est...
55:04 P: Ou bien vous avez, ces trente dernières années, fait un bond...
55:16 K: Attendez, regardons cela un moment. Nous avons accepté ce modèle d'examen, d'analyse - examiner les réactions, y prêter attention, être attentif, recueilli, etc., etc., etc. Il y a là quelque chose qui ne sonne pas juste. Pour moi, en tout cas.
55:48 P: Vous voulez dire qu'une personne prise dans la grande confusion de l'existence...
55:57 K: Elle ne va même pas écouter tout ça.
56:02 P: Il faut de l'espace rien que pour écouter. Comment cet espace se produit-il ?
56:08 K: Parce que, ou bien vous souffrez et vous dites : 'je dois comprendre', ou vous souffrez et dites : 'Dieu existe, je l'aime et c'est mon réconfort'.
56:20 P: Non, vous ne m'avez toujours pas répondu. Vous dites, est-il nécessaire de passer par tout cela.
56:26 K: Je le demande. Je pense qu'il se pourrait que non.
56:30 P: Alors montrez-moi comment. Vous ne pouvez pas faire...
56:34 K: Attendez. Je vais le montrer tout de suite. Aussi longtemps que vous acceptez ce processus analytique, - appelons-le pour l'instant processus analytique d'investigation, observer avec diligence vos réactions, tout ça - nous employons un mot pour ça, cette introspection analytique, observer, observer constamment.
57:00 P: Cela n'est pas analytique.

K: D'accord, jetez-le. Observer constamment, s'étudier constamment, vous suivez ? Je sens, je l'ai dit, que l'homme a fait cela des milliers...
57:17 P: Il n'a pas fait ça, Monsieur.

K: Oh si, il l'a fait.
57:20 P: Que non. Il a fait une chose bien différente.
57:23 K: Qu'a-t-il fait de différent ?
57:24 P: Il a regardé en son esprit et tenté de supprimer.
57:30 K: Cela fait partie du modèle : supprimer, échapper, substituer, transcender, tout cela c'est le même système !
57:39 P: Ce n'est pas la même chose d'observer sans chercher à faire quoi que ce soit de cette observation.
57:47 K: Non, je demande, Pupul - si je puis le dire, nous ne répondons pas à ma question, mais je peux faire erreur - vous ne répondez pas à ma question : dois-je passer par tout ça ?
58:02 P: Vous dites le mot 'doit'. 'Doit' est très...
58:06 K: Très bien, je mets 'doit' de côté. Est-il nécessaire, est-il impératif, est-il essentiel que je passe par tout ça ?
58:18 P: Mais prétendez-vous alors que, du milieu de ce chaos, vous pouvez jaillir vers un état de non-chaos absolu ?
58:29 K: Non, je ne dirais pas cela. Voyez-vous, vous essayez d'attraper... Non, je ne le dirais pas comme cela.
58:37 P: Alors qu'est-ce que vous dites ? Ou bien vous dites...
58:40 K.Non. Attendez, je dis une chose très claire, je dis que l'humanité est passée par ce processus, certains avec diligence, certains en sacrifiant tout, et ainsi de suite. Cela a été le modèle de notre existence. Certains l'ont fait. Bien ? D'accord ? Enquêté, analysé, étudié, examiné introspectivement, observant diligemment chaque action, etc. A la fin, il se pourrait qu'ils ne soient plus qu'une entité morte, avec quelque concept, un concept illusoire.
59:26 P: Il se pourrait que non.

K: Il se pourrait que non, mais bien peu, très, très peu en sont sortis.
59:35 P: Donc je dis il se pourrait que non. Mais, en disant : 'est-ce nécessaire ?', alors vous devez...
59:44 K: Oui, si ceci n'est pas nécessaire, montrez-moi l'autre chose !
59:49 P: Montrez-moi l'autre chose.

K: C'est ce que vous dites. Je vous le montre. Mais, d'abord, sortez de celle-ci.
1:00:05 P: Vous voyez, Monsieur...

K: Attendez, attendez. Je vais vous le montrer.
1:00:09 P: Mais voyez ce que vous demandez !

K: Je sais très bien ce que je demande.
1:00:14 P: Si je sors de l'autre chose, c'est déjà là.
1:00:18 K: Evidemment. Sortez-en. C'est tout ce que je dis. Ne prenez pas le temps de passer par tout cela.
1:00:24 P: Mais que signifie 'sortez de là' ?
1:00:27 K: Je vais vous expliquer ce que je veux dire. Je réalise - laissez-moi parler un peu - je réalise très clairement, je perçois, le mot que vous voulez, que ce processus d'observation introspective, de diligence, etc., etc., l'homme y a eu recours abondamment, depuis un million d'années, de diverses manières, et qu'à la fin, son esprit n'est pas vraiment clair, il fait des fixations, il a des idées, et ainsi de suite. En quelque sorte, ce mouvement a très, très peu de profondeur. A présent, si vous entendez que c'est très superficiel de faire cela et que vous voyez que c'est vrai que c'est superficiel, cela veut dire que votre esprit désordonné est maintenant silencieux, qu'il écoute pour découvrir. N'est-ce pas ? Votre esprit confus, traditionnel, dit : 'je suis habitué à cette diligente observation de toutes mes activités, et c'est réellement très, très superficiel'. Rien qu'à voir la vérité de cette superficialité, vous en êtes sortie ! C'est comme rejeter une chose totalement dépourvue de sens. A présent, attendez, laissez-moi le présenter d'une autre façon. Mon esprit est en désordre, ma vie est en désordre. Vous arrivez et vous dites : 'soyez diligent, regardez vos actes, vos pensées, vos relations - diligent - soyez profondément attentif tout le temps'. Et je réponds : 'c'est impossible, mon esprit ne permettra jamais cette diligence continuelle. Il n'est pas diligent, il est négligent'. Et je me bats entre les deux : être diligent ou négligent. Et je vois que l'homme a fait cela...
1:03:27 P: Mais vous voulez dire, Krishnaji, qu'un esprit qui n'est pas capable d'observer...
1:03:37 K: Non, je parle d'un esprit qui est désireux d'écouter. Je ne parle pas d'attention.
1:03:46 P: Mais, je vous en prie, Monsieur, écoutez-moi. Vous pensez qu'un esprit peut être dans cet état d'écoute.
1:03:53 K: C'est très simple.

P: Ah oui ?
1:03:55 K: Oui. Je dis : 'écoutez seulement une histoire que je vous raconte' - vous êtes intéressé. Votre esprit est tranquille, vous avez envie de voir de quelle histoire il s'agit, etc.
1:04:07 P: Désolée, Monsieur, cela ne se passe pas comme ça, non.
1:04:11 K: Non ? Une minute, une minute. Une minute, ne dites pas non, Pupul.
1:04:18 P: Vous savez, Krishnaji...
1:04:19 K: Je vous demandais - une minute - je vous demandais, Pupulji, d'écouter ce que j'ai à dire.
1:04:26 P: J'ai écouté.

K: Attendez, attendez - écouter. Je vais expliquer ce que j'entends par écouter. Pas seulement avec l'oreille sensorielle, mais avec l'oreille qui est sans mouvement, qui écoute réellement, qui ne traduit pas, qui ne compare pas, qui ne cherche pas à comprendre - écouter. J'écoute ce que vous dites, si complètement... Alors, si vous écoutez ainsi, un homme arrive et dit : 'Ne passez pas par tout ce processus diligent, il est faux, il est superficiel'. Vous entendez cela, la vérité de cela, qu'est-ce qui se produit ? Que se passe-t-il effectivement quand vous voyez une chose totalement vraie ? A présent, ce processus diligent... Cela prend du temps, n'est-ce pas ? Je n'ai pas le temps, ma vie est si courte. J'ai tant de problèmes, et vous en rajoutez un autre : soyez diligent. Et je dis, s'il vous plaît, je suis accablé de problèmes, et vous me présentez un autre problème. Et je réponds, s'il vous plaît, vous avez des problèmes, je sais que vous avez beaucoup de problèmes reliés entre eux. Oubliez-les pour un instant et écoutez-moi. C'est tout.
1:06:51 P: Monsieur, s'il en était ainsi, s'il en était ainsi - écoutez.
1:06:56 K: J'écoute.
1:06:57 P: Si je pouvais écouter - je le fais - la musique de cette façon...
1:07:04 K: Ah, la musique, c'est différent.
1:07:06 P: Mais, écouter - si j'écoute la musique de cette façon cela devrait me changer totalement. Cela ne se fait pas ?
1:07:14 K: Non, bien sûr que non.

P: Alors ?
1:07:20 K: Ah, nous allons vers quelque chose d'autre.
1:07:24 P: Vous parlez d'un esprit qui est déjà - je mets le mot entre guillemets - un esprit qui est déjà 'mûr' pour écouter une telle affirmation.
1:07:41 K: Non. Voyez-vous, Pupul, je ne suis pas certain que nous n'ayons pas rendu nos esprits si immatures qu'ils ne soient plus capables d'écouter quoi que ce soit.
1:07:56 P: Mais comment ? Vous voyez, Krishnaji, vous commencez en rendant les choses impossibles.
1:08:04 K: Evidemment ! Non. Voyez la vérité. Une chose impossible, alors il vous faut...
1:08:17 P: Mais l'énergie qu'il faut pour aborder une chose impossible...
1:08:23 K: C'est comme ça. Cette diligente affaire est du domaine du posssible. Je dis que c'est tellement insignifiant !
1:08:40 P: Je vous demande quelle sorte d'esprit est capable de faire face à une assertion comme celle-là ? Quelle est la nature de cet esprit ?
1:08:57 K: Ce qui est absolument impossible est non-existant. Nous croyons que tout est possible !
1:09:11 P: Non.

K: Ah... Je commence à...
1:09:14 P: Voyez, c'est votre façon de faire, Monsieur. Vous dites : ce que vous avez dit à l'instant est non existant, donc, avec un esprit non-existant, écoutez.
1:09:31 K: Ah... Non. Regardez, Pupulji, admettons, vous et moi - un instant, même temporairement - que ce processus diligent ne mène vraiment nulle part. Il a produit différentes activités probablement bénéfiques et ainsi de suite, mais l'esprit de recherche qui déclare : 'je dois remonter à la véritable source des choses' ne passe pas par là, c'est évident !
1:10:06 P: Bien sûr, cela je l'accepte.

K: C'est tout. A présent, si vous acceptez que ce n'est pas l'attention diligente qui...
1:10:16 P: Monsieur, j'en suis même au point de dire que cela ne peut être abordé de cette façon...
1:10:27 K: Alors, que s'est-il passé dans votre esprit ? Vous avez, donc, mis cela de côté.

P: Oui.
1:10:33 K: A présent, qu'est-ce qui arrive à un esprit qui dit : 'Ceci est trop trivial, trop superficiel, fini, jetons-le'. Quelle est alors la qualité de votre esprit ?
1:10:54 P: Je sais ce que vous allez dire, Monsieur.
1:10:59 K: Répondez à ma question. Quelle est la qualité d'un esprit bloqué dans un processus d'enquête diligente - diligence mangeuse de temps - dès qu'il réalise qu'il n'a aucune valeur fondamentale - valeur en ce sens qu'il conduirait ou aiderait à saisir, découvrir, dévoiler l'origine ? Ce processus ne le peut pas, il demande du temps, et l'autre pourrait bien ne pas prendre de temps du tout !
1:11:46 P: Mais voyez le danger en ce que vous dites. Le danger en ce que vous dites, c'est que je ne vais plus me soucier de balayer la chambre !
1:12:01 K: Non, non. Je mène l'enquête sur moi-même. L'enquête elle-même exige que l'esprit, le coeur, toute l'existence soit en ordre.
1:12:24 P: Vous commencez par l'impossible.
1:12:26 K: Evidemment, je commence par l'impossible, Pupulji, sinon, qu'est-ce qui est possible ? Vous avez fait tout le possible !
1:12:31 P: Non, non, Monsieur...
1:12:33 K: Non, vous avez fait tout ce qui était possible ! Vous avez jeûné, fait des sacrifices, tout essayé pour accéder à l'origine des choses. Cela, c'était le possible. Et le possible n'a mené nulle part ! Il a produit quelques bénéfices, socialement, etc., et a aussi entraîné une grande souffrance pour l'humanité. Vous me dites cela, que ce processus diligent prend du temps donc enchaîne au temps, et que tant que vous ferez cela vous resterez à gratter la surface. Il se pourrait que la surface soit très exceptionnelle, très belle, très plaisante, et sublime et tout ça, mais cela reste en surface. Si vous admettez cela, pas seulement l'admettre, mais le voir réellement - le sentir, sentir dans votre être que c'est faux ! - vous en êtes déjà sorti, vous êtes passé de l'ordinaire à quelque chose d'extra-ordinaire. Mais nous ne voulons pas cela. Nous voulons passer par tout ceci. Nous traitons ça comme apprendre une langue. Apprendre une langue est un acte de discipline, d'attention diligente, etc., etc. Nous projetons cette mentalité sur l'autre chose. C'est ce que je récuse.
1:14:54 P: J'abandonne l'autre chose.
1:14:57 K: Ahaha, nous ne sommes pas en train de jouer.
1:15:00 P: Non, je ne joue pas. On abandonne cela.
1:15:07 K: Ce qui veut dire - attention, Pupul...
1:15:09 P: Ce qui veut dire que même le 'voir-entendre' est terminé, si je peux m'exprimer ainsi.

K: Ce qui signifie quoi ? Le mouvement de diligence s'est arrêté. N'est-ce pas ? C'est évident. S'il est faux, il a disparu ! Alors, qu'est-ce qui est arrivé à mon esprit ? Mon esprit piégé dans l'enquête diligente, etc., qui enchaîne au temps, dit maintenant : 'parbleu, je le vois, tout ceci est parfaitement superficiel'. Et quel est l'état de l'esprit qui a rejeté une chose que l'homme traîne depuis un million d'années ? Quel est cet état d'esprit ? Alors ? C'est un esprit neuf. Non ? C'est un esprit totalement nouveau. Et c'est l'esprit qu'il faut pour enquêter - pas enquêter - qu'il faut pour dévoiler l'origine. Si je disais cela à un homme très enclin à la discipline, un religieux, il ne prendrait même pas la peine d'écouter. Il dirait : 'c'est un tas de bêtises'. Mais vous, dans notre dialogue, vous dites : 'allons y regarder' vous mettant donc de vous-même à écouter, découvrir. Mais si vous continuez à répéter ce processus diligent, vous êtes encore comme tous les autres. A présent, un tel esprit... En premier, un tel esprit n'a pas de chaînes. N'est-ce pas ? Il n'est pas rivé au temps. C'est-à-dire, ce processus diligent, vise à devenir quelque chose, c'est clarifier, comprendre, aller au-delà. Donc cet esprit n'a pas d'au-delà, il n'a pas de devenir. Iriez-vous aussi loin que cela ?
1:19:48 P: Voyez, au moment où le mouvement cesse...
1:19:53 K: Non, je demande, iriez-vous jusqu'à voir le fait : un tel esprit ne peut abriter aucune sorte de dépendance, d'attachement, etc., il est...
1:20:21 P: Oui, cela je le vois, car... lorsque le mouvement cesse...
1:20:36 K: Le mouvement du devenir.
1:20:38 P: Tout ce dont vous venez de parler est le mouvement du devenir.

K: C'est juste. C'est la perpétuation de soi-même sous une autre forme, dans un autre système de mots. Voyez-vous, si vous me dites cela et que je me mets en route pour dévoiler la source - et pour moi c'est une passion, je veux trouver, cela n'est pas un jeu, pour moi c'est absolument nécessaire - lorsque ce dévoilement de l'origine de la vie, lorsque ce dévoilement a lieu et que c'est là, ma vie, mes actions, tout est différent. Cela doit être ainsi. Mais l'autre processus diligent, Seigneur, je vais mourir à la fin. C'est pourquoi je sens... il faut comprendre qu'il utilise le temps, ce qui est si destructeur. Le temps est nécessaire pour apprendre une technique, mais ceci n'est pas une technique à apprendre.
1:22:48 P: Monsieur, vous avez l'esprit de... tout le... vous avez réellement un esprit antique.
1:23:00 K: Pardon ?
1:23:00 P: Réellement un esprit antique, d'une grande antiquité.
1:23:06 K: Antique, dans le sens...
1:23:08 P: ... qui contient la totalité de l'humain...
1:23:15 K: C'est la raison, voyez-vous, Pupul, pour laquelle il est important de comprendre 'je suis le monde'. Vous comprenez ? Je suis le monde.
1:23:28 P: Personne d'autre ne peut faire ce genre de déclaration.
1:23:32 K: On doit la faire, sinon, où vous situez-vous quand vous voyez : destruction, brutalité, guerres, tueries sans fin ? Un homme aimant - aimant - ne pourrait pas être britannique, argentin, israélien, arabe, ou quoi que ce soit. Il ne pourrait pas tuer quelqu'un. Donc... je vois que ce phénomène s'est perpétué depuis des milliers et des milliers d'années, chacun essayant de devenir quelque chose. Et tous ces tâcherons diligents aident l'homme à devenir quelque chose. L'illumination, l'éveil, il faut 'atteindre' l'éveil. C'est si absurde !
1:24:56 P: Voyez-vous, Monsieur, avec vous...

K: Pas 'avec moi'.
1:25:03 P: Ecoutez simplement. Tout le mouvement du dormant a cessé.
1:25:19 K: C'est-à-dire, la diligence a cessé, le devenir a cessé.
1:25:24 P: Toute la chose assoupie dans...
1:25:29 K: Pupulji, n'en faisons pas une chose élitiste, un genre de : 'réservé à quelques-uns, seule l'élite peut avoir cette sorte d'esprit'. Je refuse d'admettre cela. Cela nous ramène à la vieille division entre élite et non-élite. Toute personne qui prête attention, qui veut entendre, qui dit : 'vraiment, je dois trouver la source de la vie', passionnément, pas occasionnellement, elle va écouter, pas m'écouter moi, elle va écouter. C'est dans l'air. Vous savez, Bouddha est supposé avoir atteint l'illumination. Pensez une seconde à une assertion comme celle-là ! Assis sous un arbre, méditant, jeûnant, faisant des efforts - vous me suivez ? Pour que finalement, un jour, cela lui arrive. C'est vraiment trop vide de sens ! Cela signifie que vous attribuez au temps le rôle de facteur d'éveil, de facteur de profonde, pénétrante compréhension. Arrêtons-nous ? Six heures moins vingt. Sept. Les gens sont engagés, voilà pourquoi. Engagés dans une chose ou une autre. Attachés au savoir, attachés à la tradition, attachés à un pays, à une idée, et ainsi de suite. Ils sont attachés. Et, comme ils sont attachés, ils ne vont pas lâcher prise. Ils ne prendront même pas la peine d'écouter. Cela suffit.