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BR83CB1 - Y a-t-il une action qui échappe à la pensée?
1er entretien avec David Bohm
Brockwood Park, Angleterre
11 juin 1983



0:16 K:Je pensais que nous allions parler de l'avenir de l'homme.

D:Oui.
0:37 K:En réalité, en parlant de l'homme, nous parlons de l'humanité.

D:De toute l'humanité.
0:44 K:Toute l'humanité, pas de l'Anglais, du Français du Russe ou de l'Américain, mais de tous les êtres humains.
0:52 D:De toute façon, le futur est totalement connecté au présent.
0:56 K:Les choses étant ce qu'elles sont, outre ce que l'on observe le monde est devenu terriblement dangereux:
1:08 D:Oui.
1:12 K:...terroristes, guerres, divisions nationales et raciales certains dictateurs voulant détruire le monde, etc., etc. Et religieusement, il y a aussi une énorme séparation.
1:29 D:Oui, et je pense qu'il y a la crise économique et la crise écologique...
1:35 K:Oui, les problèmes écologiques et économiques semblent se multiplier toujours plus. Alors, quel est l'avenir de l'homme? Quel est l'avenir non seulement de la génération actuelle mais des générations futures?
1:59 D:Oui, l'avenir paraît bien sinistre...

K:Bien sinistre. Si vous et moi étions très jeunes que ferions-nous, sachant tout ceci. Quelle serait notre réaction, quelle serait notre vie notre façon de gagner notre vie, etc.?
2:27 D:Oui, eh bien, j'y ai souvent pensé. Par exemple, je me suis demandé si je me remettrais à la science.

K:Oui.

D:Je n'en suis plus du tout sûr à présent car la science ne semble pas être partie prenante dans cette crise.
2:43 K:Non, non, au contraire, elle y contribue.
2:45 D:Elle l'aggrave.

K:Oui, ils y contribuent.

D:Peut-être y contribuent- ils, mais en fait, ce n'est pas bien.
2:50 K:Alors que feriez-vous? Je pense que je continuerai ce que je fais.
2:56 D:Cela vous serait facile.
2:58 K:Cela me serait facile.
3:00 D:Mais ceci suscite évidemment plusieurs problèmes je ne sais si vous voulez en discuter. Quelqu'un qui débute dans la vie, doit bien gagner son pain, n'est-ce pas?
3:09 K:Bien sûr.
3:10 D:Il y a aujourd'hui très peu d'opportunités et la plupart se rapportent à des emplois très limités.

K:Limités, et le chômage sévit dans le monde entier.
3:24 Je me demande ce que l'on peut faire sachant que l'avenir est sombre, très déprimant, dangereux et tellement incertain. Par où commenceriez-vous?
3:46 D:Eh bien, je pense qu'il faudrait prendre du recul vis à vis de tous ces problèmes relatifs à mes propres besoins et aux besoins de ceux qui m'entourent.
3:59 K:Voulez-vous dire qu'il faudrait en fait s'oublier pour l'instant?
4:04 D:Oui.

K:Même si je m'oubliais
4:07 quand j'examine ce monde dans lequel je vais vivre et exercer une certaine carrière ou profession avec le chômage, que ferais-je? C'est là un problème que confronte, je pense, la plupart des jeunes.
4:33 D:Oui. C'est clair. Alors, auriez-vous quelque chose à proposer?

K:Comment?

D:Proposeriez-vous quelque chose?

K:Voyez-vous, je ne pense pas en termes d'évolution.
4:59 D:Oui, je comprends cela.
5:01 Je m'attendais à ce que nous discutions de cela.

K:Comment?

D:Je m'attendais à ce que nous discutions de cela.
5:07 K:Oui. Je ne pense pas qu'il y ait la moindre évolution psychologique.
5:11 D:Oui. Nous en avons souvent parlé, donc je pense comprendre jusqu'à un certain point ce que vous voulez dire. Mais je pense que les néophites visionnant cette cassette ne vont pas comprendre.
5:25 K:Oui, nous allons en discuter. Mais j'aimerais, si vous le permettez, parler de la question suivante: pourquoi nous préoccupons- nous de l'avenir? Ou serait-ce que tout l'avenir se situe maintenant.
5:42 D:Oui, dans un certain sens tout l'avenir se situe maintenant mais il nous faut clarifier cela. Ceci va très à l'encontre de tout le mode de penser traditionnel de l'humanité, auquel nous sommes tous exposés.
5:55 K:Oui, je sais.
5:58 L'humanité pense en termes d'évolution, de continuité, etc.

D:Peut-être pourrions-nous aborder cela différemment. L'évolution semble actuellement être la façon la plus naturelle de penser. J'aimerais donc vous demander: qu'objectez-vous au fait de penser en termes d'évolution?
6:16 Puis-je expliquer un point: ce mot a beaucoup de significations.

K:Bien sûr, bien sûr.
6:23 Nous parlons psychologiquement.

D:Oui, mais évacuons d'abord l'évolution physique.
6:28 K:Oui, un gland se développera et deviendra un chêne.
6:31 D:Oui. Ainsi, toutes les espèces ont évolué, par exemple des plantes à l'animal, et à l'homme.
6:38 K:Oui, il nous a fallu un million d'années pour être ce que nous sommes.
6:41 D:Vous ne mettez pas cela en doute?
6:44 K:Non, cela a eu lieu.
6:45 D:Cela pourrait se poursuivre.

K:C'est l'évolution.

D:C'est un processus reconnu.
6:50 K:Bien sûr. C'est là un processus naturel reconnu.
6:53 D:Il a lieu dans le temps.
6:56 Et par conséquent, dans ce domaine là le passé, le présent et le futur sont importants - n'est-ce pas?
7:02 K:Oui, évidemment. Ignorant une certaine langue, il me faut du temps pour l'apprendre.
7:07 D:En outre, il faut aussi du temps pour perfectionner le cerveau. Voyez-vous, si le cerveau a commencé par être petit et puis a grandi et grandi, cela a pris un million d'années.
7:16 K:Oui, en devenant de plus en plus complexe, etc. Tout cela demande du temps. C'est un mouvement dans l'espace et le temps.
7:26 D:Oui. Vous admettez donc le temps physique, et neurophysiologique.
7:31 K:Le temps neurophysiologique, absolument.
7:33 Bien sûr. Toute personne sensée le ferait.

D:Oui. La plupart des gens admettent aussi le temps psychologique qu'elles appellent le temps mental.
7:39 K:Oui, c'est de cela que nous parlons. Existe-t-il un demain psychologique une évolution psychologique.

D:Ou un hier.
7:50 Oui, à première vue cela pourrait paraître étrange. Voyez-vous, il semble que je puisse me souvenir d'hier et il y a un demain que je peux prévoir. Et cela a souvent eu lieu, jour après jour. J'ai donc l'expérience du temps d'hier à aujourd'hui, à demain - n'est-ce pas?
8:13 K:Bien sûr. C'est assez simple.
8:14 D:C'est assez simple. Alors que réfutez-vous?
8:18 K:Je réfute le fait que je serai quelque chose, que je m'améliorerai.
8:24 D:Que je puisse changer... Mais il y a deux manières de voir cela. L'une est: vais-je intentionnellement m'améliorer à force d'essayer? Deuxièmement, certains pensent que l'évolution est une sorte de processus naturel, inévitable dans lequel nous sommes entraînés comme par un courant, et peut-être devenons-nous meilleurs, ou pires
8:45 ou quelque chose nous arrive.

K:Psychologiquement.
8:47 D:Psychologiquement, oui, ce qui prend du temps et pourrait ne pas résulter de mes efforts pour m'améliorer. Les deux possibilités existent, selon les points de vue. Mais réfutez-vous aussi l'existence d'une sorte d'évolution
9:03 psychologique naturelle comme il y eut une évolution biologique naturelle?
9:08 K:Je réfute cela, oui.

D:Oui. Ah, pourquoi le réfutez-vous?
9:13 K:Pour commencer, qu'est-ce que le psychisme?
9:18 D:Oui.
9:20 K:Le 'moi', l'ego, etc., qu'est-ce?
9:24 D:Oui, le mot psychisme a de nombreuses significations. Par exemple, il peut signifier l'esprit. Alors voulez-vous dire par là que l'esprit et l'ego sont la même chose?
9:32 K:L'ego. Je parle de l'ego, du 'moi'.
9:34 D:Oui. Certains de ceux qui pensent en termes d'évolution pensent qu'il y aura une évolution dans laquelle le moi est transcendé. C'est-à-dire qu'il s'élèvera à un niveau supérieur.
9:46 K:Oui (...) la transition demande-t-elle du temps?
9:50 D:Une transcendance, une transition.

K:Oui. C'est là toute ma question.

D:Oui. Donc il y a là 2 questions. L'une est: le 'moi' va-t-il jamais s'améliorer? C'est là une des thèses. L'autre est: même en supposant que l'on veuille dépasser le moi, cela peut-il se faire dans le temps?
10:06 K:Cela ne peut se faire dans le temps.
10:08 D:Oui, alors il faut clarifier pourquoi.
10:11 K:Oui, je vais le faire. Nous allons pénétrer la question. Qu'est-ce que le 'moi'? Si le psychisme a tant de significations le 'moi' est tout le mouvement qu'a engendré la pensée.

D:Pourquoi dites-vous cela?
10:35 K:Le 'moi' est ma conscience
10:40 le 'moi' est mon nom, ma forme et toutes les expériences que j'ai vécues, les souvenirs etc. Toute la structure du 'moi' est construite par la pensée.
10:56 D:Oui, mais là encore, voilà quelque chose que certains auraient du mal à admettre.
11:02 K:Bien sûr, bien sûr. Nous en discutons.
11:05 D:Oui, pour essayer de l'expliciter. Mais ce que je ressens d'abord à propos du 'moi' c'est que le 'moi' existe indépendemment, et qu'il pense.
11:18 K:Le 'moi' est-il indépendant de mon processus de penser?
11:21 D:Ma première impression est que le 'moi' est là indépendamment de ma pensée, et que c'est le 'moi' qui pense.

K:Oui, oui.

D:Ainsi, me trouvant ici je pourrais bouger mon bras, penser, ou bouger la tête.
11:33 K:Oui, oui.

D:Alors est-ce là une illusion?
11:37 K:Non.

D:Pourquoi?
11:39 K:Parce que... quand je bouge le bras
11:46 il y a intention de saisir, de prendre quelque chose de placer quelque chose, ainsi il y a d'abord le mouvement de la pensée, lequel fait bouger le bras, etc. Je soutiens ceci - et je suis prêt à en admettre le bien ou mal fondé à savoir que la pensée est à la base de tout ceci.
12:16 D:Oui. Vous soutenez que tout le sentiment du 'moi' et ce qui en émane proviennent de la pensée. Mais ce que vous entendez par pensée
12:26 ne se limite pourtant pas à la pensée intellectuelle?

K:Non, bien sûr que non.

D:Alors, qu'y a-t-il de plus?
12:31 K:La pensée est le mouvement de l'expérience, du savoir et de la mémoire.
12:38 C'est ce mouvement global.

D:Vous entendez par là la conscience formant un tout.

K:En totalité, c'est exact.

D:Et vous dites que ce mouvement est le 'moi' , n'est-ce pas?
12:51 K:Le contenu de cette conscience dans sa totalité est le 'moi'.
12:57 D:Oui, mais alors...

K:Ce 'moi' n'est pas distinct de ma conscience.

D:Oui... Je pense qu'on pourrait dire:
13:08 je suis ma conscience, car sans conscience, je ne suis pas ici.
13:13 K:Bien sûr.

D:Alors, la conscience n'est-elle que ce que vous venez de décrire ce qui inclut la pensée, le sentiment, l'intention...
13:22 K:...l'intention, les aspirations...

D:...les souvenirs...
13:24 K:...souvenirs, croyances, dogmes, les rituels auxquels je m'adonne tout cet ensemble, comme un ordinateur programmé.

D:Oui. Tout cela se trouve certainement dans la conscience.
13:38 Tout le monde serait d'accord, mais d'aucuns ou beaucoup de gens pourraient sentir qu'il y a plus que cela.
13:44 Que la conscience pourrait s'étendre au delà de cela.

K:Voyons cela.

D:Oui.

K:Le contenu de notre conscience constitue la conscience le contenu.
13:58 D:Oui, ceci mérite d'être compris. L'usage habituel du mot 'contenu' est tout autre. Si vous dites que le contenu d'un verre est de l'eau - n'est-ce pas...

K:Oui.

D:...le verre est donc une chose, et l'eau une autre.

K:Non.

D:Le verre contient l'eau, sinon le mot 'contenu' sous-entendrait que quelque chose la contient - n'est-ce pas?

K:Bien. La conscience est faite de tout ce dont elle se souvient: croyances, dogmes, rituels, nationalités, peurs, plaisirs, souffrance.
14:35 D:Oui, mais si tout cela était absent n'y aurait-il pas de conscience?
14:42 K:Pas telle que nous la connaissons.
14:43 D:Mais il y aurait toujours une sorte de conscience?
14:46 K:D'une toute autre nature.
14:48 D:Alors je pense que vous voulez dire que cette conscience
14:51 telle que nous l'entendons est constituée de...

K:Je l'ai dit.

D:Oh oui.
14:55 K:La conscience telle que nous la connaissons est tout cela.

D:Telle que nous la connaissons généralement.

K:Et cela résulte des activités multiples de la pensée.
15:08 La pensée a réuni tout cela, c'est-à-dire ma conscience les réactions, les réponses, les souvenirs les réminiscences, les enchevêtrements extraordinairement complexes les subtilités, tout cela constitue la conscience.
15:36 D:Telle que nous la connaissons.

K:J'ai dit cela.
15:40 D:Oui.

K:Telle que nous la connaissons.

D:Oui.

K:Il s'agit de savoir si cette conscience a un avenir.
15:48 D:Oui. A-t-elle un passé?

K:Bien sûr: le souvenir.
15:53 D:Le souvenir, oui. Alors pourquoi dites-vous qu'elle n'a pas d'avenir?
15:56 K:Si elle en a, ce sera exactement pareil, ce même mouvement.
16:02 Les mêmes activités, les mêmes pensées modifiées, mais le modèle se répètera sans cesse.

D:Oui. Voulez-vous dire que la pensée ne peut que répéter?
16:18 K:Oui.
16:19 D:Mais on a le sentiment que la pensée peut développer de nouvelles idées, par exemple.
16:23 K:Mais la pensée est limitée, parce que le savoir est limité pour autant que vous admettez que le savoir sera toujours limité.
16:38 D:Oui, cela aussi pourrait mériter d'être discuté.
16:42 K:Bien sûr, il faut en discuter.

D:Alors pourquoi dites-vous que le savoir est toujours limité?
16:48 K:Parce qu'en tant que scientifique vous expérimentez, cherchez
16:56 et donc ajoutez, et après vous un autre ajoutera encore plus. Donc le savoir étant né de l'expérience est limité.
17:10 D:Eh bien, certains ont dit le contraire et espèrent parvenir au savoir parfait, ou à la connaissance absolue des lois de la nature.
17:20 K:Les lois de la nature ne sont pas les lois humaines.
17:24 D:Voulez-vous donc restreindre la discussion à la connaissance de l'être humain?
17:30 K:Bien sûr, nous ne parlons pas d'autre chose.

D:Même là, on pourrait douter
17:35 qu'une telle connaissance des lois de la nature soit possible.
17:37 K:Evidemment. Nous parlons de l'avenir de l'homme.

D:Très bien. Nous disons donc que l'homme ne peut acquérir une connaissance illimitée du psychisme.
17:46 Est-ce cela que vous dites?

K:Oui, c'est cela.
17:48 D:Il y a toujours plus d'inconnu.

K:Oui, il y a toujours de plus en plus d'inconnu.
17:54 Donc, dès lors que l'on admet le caractère limité du savoir il est alors admis que la pensée est limitée.
18:00 D:Oui, la pensée dépend du savoir et le savoir ne couvre pas tout.

K:C'est exact.

D:Ainsi la pensée sera incapable de traiter tout ce qui se présente.
18:13 K:C'est exact. C'est ce que font les politiciens, et tous les autres. Ils croient que la pensée peut résoudre tous les problèmes.
18:21 D:Oui. On voit que chez les politiciens le savoir est très limité en fait, il est presque inexistant! (rires) Par conséquent, quand on manque de savoir adéquat sur ce que l'on fait, on crée la confusion.

K:Oui. Donc, étant donné que la pensée est limitée, notre conscience qui a été élaborée par la pensée, est limitée.

D:Oui. Qu'est-ce que cela veut dire? Pouvez-vous clarifier cela?
18:55 Cela signifie que nous ne pouvons que répéter que tourner en rond.

K:Dans le même cercle.

D:Voyez-vous, si l'on fait un parallèle avec la science certains pourraient penser: mon savoir a beau être limité
19:06 je suis continuellement en train de découvrir.

K:Ce que vous découvrez est ajouté, mais c'est toujours limité.
19:13 D:C'est bien cela. Je puis persévérer je pense qu'une des idées sous- jacente à l'approche scientifique est que bien que le savoir soit limité
19:25 il m'est possible de découvrir et de me maintenir dans l'actualité.

K:Mais cela aussi est limité.

D:Mes découvertes sont limitées. Et il y a toujours l'inconnu que je n'ai pas découvert.
19:34 K:C'est pourquoi je dis que l'inconnu, l'illimité ne peut être capté par la pensée.

D:Oui.
19:41 K:Parce que par nature la pensée est limitée.
19:47 Si vous et moi sommes d'accord là-dessus... - pas seulement d'accord: c'est un fait.

D:Peut-être devrions-nous expliciter cela davantage.
19:58 Ainsi, la pensée est limitée, bien que verbalement il est facile d'admettre que la pensée n'est pas limitée il y a une très forte propension, une tendance
20:09 à considérer que la pensée peut faire n'importe quoi.
20:12 K:N'importe quoi. Elle ne le peut. Voyez ce qu'elle a fait dans le monde.
20:16 D:Je suis d'accord qu'elle a fait des choses terribles mais cela ne prouve pas qu'elle ait toujours tort. On peut toujours en imputer la faute
20:24 à ceux qui s'en sont servis à tort. (Rires)

K:Je sais, c'est en effet un bon vieux truc! Mais la pensée est en soi limitée, donc tout ce qu'elle fait est limité.
20:36 D:Oui, et elle est gravement limitée, dites-vous.
20:40 K:Bien sûr, très, très gravement.
20:43 D:Pourrions-nous tirer cela au clair en voyant de quelle manière?
20:47 K:Il n'y a voir ce qui se passe dans le monde.
20:51 D:Très bien, voyons cela.
20:52 K:Les idéaux totalitaires sont une invention de la pensée.
20:58 D:Oui... mais en usant du du mot 'totalitaire', les gens entendaient couvrir la totalité, mais ils n'y parvenaient pas.

K:Ils ne le pouvaient pas.

D:La chose s'effondra.
21:08 K:Cela s'effondra.
21:10 D:S'effondra. Puis il y a ceux qui se disent non totalitaires.
21:15 K:Mais les démocrates, et tout ce qui s'ensuit les républicains, les démocrates et les idéalistes, etc., tout leur mode de penser est limité.
21:24 D:Mais il est limité d'une façon...

K:...très destructrice.
21:29 D:...très grave et destructrice.
21:32 Alors comment montrer cela? Voyez-vous, je pourrais dire 'Ok, ma pensée est limitée, mais ce n'est peut-être pas aussi grave que cela'.
21:40 Pourquoi est-ce tellement important?

K:C'est assez simple: parce que toute action née d'une pensée limitée ne peut qu'engendrer le conflit.

D:Oui.

K:Ainsi le fait de diviser l'humanité géographiquement en nationalités etc., religieusement, a fait des ravages dans le monde.

D:Oui, alors relions cela aux limites de la pensée.
22:09 Ainsi, mon savoir est limité - n'est-ce pas?

K:Nous l'avons dit.
22:13 D:Alors, comment cela me conduit-il à diviser le monde?
22:20 K:Ne sommes-nous pas en quête de sécurité?

D:Oui.

K:Et nous avons pensé que la sécurité se trouvait dans la famille
22:30 dans la tribu, dans le nationalisme. Nous avons donc pensé que la sécurité se trouve dans la division.
22:39 D:Oui. Il semble que la chose s'éclaire prenez par exemple la tribu: se sentant dans l'insécurité on dit: 'je suis en sécurité dans la tribu'. C'est là une conclusion. Et je pense en savoir assez pour en être certain, mais il n'en est rien. Il se passe d'autres choses que j'ignore, ce qui est très insécurisant.
23:01 D'autres tribus surgissent.

K:Non, non, la division crée d'elle-même l'insécurité.
23:05 D:Oui, elle y contribue, mais j'essaie de dire que je n'en sais pas assez pour le reconnaître - n'est-ce pas? Je ne le vois pas.

K:On ne le voit pas parce que
23:13 on n'a réfléchi à rien, ni considéré le monde comme faisant un tout.

D:Oui, eh bien voyez-vous, la pensée qui
23:23 vise cette sécurité, tâche de savoir tout ce qui importe. Elle présume tout savoir et dit: 'ceci va amener la sécurité'. Non seulement ignore-t-elle tout un tas de choses, mais elle ignore notamment que cette pensée même est facteur de division.
23:39 K:Facteur de division, oui.

D:De division. Parce que
23:42 je définis une zone de sécurité distincte d'une autre.
23:47 K:Parce qu'elle est en elle-même limitée.
23:49 Tout ce qui est limité crée inévitablement le conflit.
23:56 D:Vous voulez dire toute pensée...
23:58 K:Si je dis que je suis un individu, c'est limité.
24:03 D:Oui.
24:05 K:Je me préoccupe de moi-même, c'est très limité.
24:09 D:Oui, il nous faut clarifier cela. Si je dis: ceci est une table qui est limitée cela ne crée pas de conflit - n'est-ce pas?
24:15 K:Non, là il n'y a pas de conflit.
24:16 D:Mais quand je dis: ceci est moi, cela crée le conflit.
24:20 K:Le 'moi' est une entité qui divise.
24:23 D:Voyons plus clairement pourquoi.
24:27 K:Etant un facteur de séparation, il se préoccupe de lui-même. Le 'moi' s'identifiant à la grande nation est encore facteur de division.

D:Oui, je me définis dans l'intérêt de la sécurité
24:44 afin de savoir qui je suis par opposition à ce que vous êtes et je me protège - n'est-ce pas? Dès lors, ceci crée une division entre moi et vous.
24:57 K:Nous et eux, et ainsi de suite.

D:Nous et eux. Or cela provient de ma pensée limitée, parce que je ne comprends pas qu'en réalité nous sommes étroitement liés.
25:07 K:C'est-à-dire que nous sommes des êtres humains.
25:09 D:Oui, nous sommes tous des êtres humains.

K:Tous les êtres humains ont plus ou moins les mêmes problèmes.
25:13 D:Je n'ai pas compris cela. Ma pensée - mon savoir est limité; je pense qu'on peut faire une distinction et se protéger: moi et pas les autres.
25:23 K:Oui, c'est cela.
25:25 D:Mais par cet acte même je crée de l'instabilité.
25:27 K:C'est cela. Vous créez...

D:...l'insécurité.

K:L'insécurité. Alors, si l'on voit cela pas seulement intellectuellement ou verbalement mais si l'on sent effectivement que l'on est le reste de l'humanité la responsabilité devient alors immense.
25:50 D:Oui, alors que peut-on faire de cette responsabilité?
25:55 K:Alors, ou je contribue à tout ce gâchis, ou je n'en fait pas partie. Ce qui siignifie être en paix, avoir de l'ordre en soi.
26:10 Je vais y venir. Je vais trop vite.

D:Oui, (...) voyez-vous
26:16 je pense que nous avons mis le doigt sur un point important. Nous disons que l'ensemble de l'humanité fait un, et donc créer une division est...

K:...est dangereux.
26:25 D:Oui. Alors que créer une division entre moi et la table n'est pas dangereux, car nous ne faisons pas un, en quelque sorte.
26:34 K:Moi et l'arbre - bien sûr.
26:36 D:Ce n'est que dans un sens très général que nous sommes un. Mais l'humanité ne se rend pas compte qu'elle est un tout.
26:43 K:Pourquoi?

D:Eh bien voyons cela. C'est un point crucial. Il est clair que ce n'est pas le cas, car il y a tant de divisions non seulement entre nations et religions, mais d'une personne à l'autre.
26:54 K:Je sais. Pourquoi y a-t-il cette division?
26:57 D:Il y a d'abord le sentiment, tout au moins à l'époque moderne que chaque être humain est un individu.
27:04 Ce n'était peut-être pas aussi fort dans le passé.

K:C'est ce que je mets en doute. Je mets totalement en doute que nous soyons des individus.
27:12 D:Oui, c'est là une question importante, car...
27:14 K:Bien sûr. Nous venons de dire que la conscience, c'est-à-dire moi est analogue dans le reste de l'humanité. Tous y souffrent, tous ont des peurs, tous sont dans l'insécurité ont leurs propres dieux et rituels, tous cela découlant de la pensée.
27:45 D:Oui, eh bien je pense qu'il y a là deux questions. L'une est: tout le monde ne ressent pas la similitude - la plupart des gens pensent se distinguer par quelque chose d'unique...
27:59 K:Qu'entendez-vous par 'quelque chose d'unique'? Se distinguer par les actes?
28:04 D:Cela pourrait revêtir plusieurs aspects. Par exemple, une nation pourrait se sentir capable de faire certaines choses mieux qu'une autre telle personne pourrait avoir certaines aptitudes, une qualité...

K:Bien sûr. Vous êtes... plus intellectuel que moi. Quelqu'un d'autre est meilleur en telle ou telle chose.
28:23 D:Il pourrait s'enorgueillir de ses propres aptitudes ou avantages.
28:27 K:Mais hormis cela, nous sommes fondamentalement tout pareils.
28:33 D:Voyons ce que cela signifie vous dites que ces choses que vous venez de décrire
28:38 qui sont...

K:...superficielles.
28:40 D:Oui. Alors, que sont ces choses fondamentales?
28:42 K:La peur, la souffrance, la douleur, l'anxiété la solitude, et tout le labeur humain.
28:49 D:Oui, mais beaucoup penseront que ce qui est fondamental sont les réalisations les plus élevées de l'homme.

K:Les quoi?

D:Les réalisations les plus élevées de l'humanité ne sont pas ces choses.
29:00 K:Qu'a-t-il accompli?

D:Eh bien, discutons-en.

K:Oui, oui.

D:Il me semble que
29:05 nous en avons souvent discuté, mais je pense qu'il faut le clarifier.
29:09 K:Oui Monsieur, allons-y. Qu'avons-nous accompli?

D:Eh bien, d'une part
29:15 les gens pourraient être fiers des réalisations humaines en science, en art, en culture et en technologie.
29:21 K:Nous avons beaucoup accompli dans ces domaine, c'est certain. Technologie de pointe, communications, voyages, médecine, chirurgie ont formidablement progressé.
29:36 D:Oui, c'est vraiment remarquable dans bien des domaines.
29:39 K:C'est indubitable.

D:Oui. Vous dites maintenant...

K:Qu'avons-nous accompli psychologiquement?
29:47 D:Oui, à mon sens, rien de cela ne nous a affectés psychologiquement.

K:Oui, c'est exact.

D:Et la question psychologique domine tout le reste, car si la question psychologique n'est pas clarifiée, le reste est dangereux.
30:00 K:Oui. Tout à fait. C'est justement cela. Si nous sommes limités psychologiquement alors, tout ce que nous pourrons faire sera limité et la technologie sera alors utilisée par...
30:10 D:...oui, c'est le psychisme limité qui mène le jeu, et non la structure saine, rationnelle de la technologie.

K:Saine, rationnelle.

D:Et en fait, la technologie devient alors un dangereux...

K:...instrument.

D:...instrument. Il est donc établi que le psychisme est à la racine de tout cela et si le psychisme n'est pas en ordre, le reste ne vaut rien.

K:Si la maison est en ordre...

D:La seconde question est celle-ci: tout en disant que le psychisme comporte certains désordres fondamentaux, ou un manque d'ordre qui nous est commun à tous nous pourrions tous avoir un potentiel pour autre chose le second facteur est celui-ci: sommes-nous vraiment tous un? C'est-à-dire, bien qu'étant tous semblables il n'en découle pas que nous sommes tous identiques, tous un.
31:05 K:Nous avons dit que fondamentalement notre conscience repose sur un sol qui nous est commun à tous.
31:12 D:Oui. Voyez-vous, le fait de la structure analogue du corps humain, ne prouve pas qu'ils sont tous identiques.
31:22 K:Bien sûr que non. Votre corps diffère du mien.
31:24 D:Oui, nous sommes des entités distinctes, dans des lieux distincts, etc. Mais il me semble que vous dites que la conscience n'est pas une entité individuelle...

K:En effet.

D:...le corps est une entité doté d'une certaine individualité.
31:37 K:C'est cela. Tout cela paraît si clair.
31:40 D:C'est peut-être clair. Mais...

K:Votre corps est distinct du mien. J'ai un nom différent du vôtre.
31:51 D:Oui, nous sommes tellement différents
31:53 bien que faits d'un même matériau, nous ne pouvons l'échanger
31:56 car les protéines d'un corps
31:58 pourraient ne pas être compatibles avec celles d'un autre.
32:00 Nombreux sont ceux qui pensent de même à propos de l'esprit, disant que la chimie des uns et des autres peut ou non être compatible.
32:07 K:Oui, mais en fait si l'on approfondit la question la conscience est commune à tous les êtres humains...

D:Oui. Mais, le sentiment prévaut que la conscience est individuelle
32:21 et c'est cette information qui est communiquée...
32:26 K:Je pense que c'est là une illusion car nous nous cramponnons à une chose qui n'a pas lieu d'être.

D:Oui, voulez-vous donc dire qu'il n'y a qu'une conscience humaine?
32:37 K:Elle est une.

D:Elle est une.
32:39 C'est important, car qu'elle soit multiple ou pas est une question cruciale.

K:Oui.

D:Elle pourrait être multiple les parties communiquant entre elles et formant une entité plus vaste. Ou pensez-vous que dès l'origine elle est un tout?
32:54 K:Dès l'origine elle est un tout.
32:56 D:Et le sentiment de séparation est une illusion, n'est-ce pas?
32:58 K:C'est ce que je ne cesse de répéter. Cela paraît si logique, sensé. L'autre notion est insensée.

D:Oui, mais on ne ressent pas d'emblée
33:14 que la notion d'existence séparée est insensée, car on extrapole du corps à l'esprit on dit: il est tout à fait sensé d'affirmer que mon corps est distinct du vôtre, et que mon esprit est dans mon corps.
33:28 Alors voulez-vous dire que l'esprit ne se situe pas dans le corps?
33:31 K:C'est là une toute autre question.
33:34 Un instant. Finissons-en avec la première. Si chacun de nous se croit un individu psychiquement distinct il en a découlé dans le monde un gâchis colossal.
33:49 D:Si nous nous pensons distincts alors que nous ne le sommes pas
33:53 il en découlera clairement un gâchis colossal.

K:C'est ce qui a lieu. Chacun pense qu'il n'a qu'à faire ce qu'il veut - s'accomplir. Donc il lutte dans cette séparation pour parvenir à la paix pour parvenir à la sécurité, ce qui est un déni total de cette sécurité et de cette paix.

D:La raison de ce déni est qu'il n'y a pas de séparation.
34:21 S'il y avait vraiment séparation il serait rationnel d'essayer d'agir ainsi.
34:27 K:Effectivement.
34:28 D:Mais si nous essayons de séparer l'inséparable il en résultera le chaos.

K:C'est exact.
34:33 D:Maintenant c'est clair mais je pense qu'il ne sera pas clair pour tout le monde que la conscience de l'humanité forme un tout inséparable.
34:43 K:Oui Monsieur, un tout inséparable - tout à fait.
34:48 D:Le fait même d'envisager cette notion va soulever bien des questions mais je me demande si nous avons suffisamment approfondi cela. Une des questions est: pourquoi nous pensons-nous distincts?
35:01 K:Pourquoi? Pourquoi est-ce que je me pense séparé? C'est mon conditionnement.
35:08 D:Oui, mais comment avons-nous pu adopter un conditionnement aussi stupide?
35:13 K:Dès l'enfance, ceci est à moi - c'est mon jouet, pas le vôtre.
35:18 D:Oui, mais ma première impression est qu'il est à moi, parce que je me sens distinct, voyez-vous. On ne voit pas clairement comment l'esprit qui était un en est venu à cette illusion qu'il est fragmenté en plusieurs morceaux.
35:33 K:Je pense que, là encore, c'est l'activité de la pensée. La nature même de la pensée est un facteur de division elle est fragmentaire, et par conséquent je suis un fragment.

D:Oui, la pensée va engendrer une sensation de fragments.
35:52 On peut voir par exemple que si l'on décide de créer une nation on sera alors séparé, on se pensera séparé d'une autre nation, avec toutes les conséquences qui en découlent donnant à tout cela l'apparence d'une réalité indépendante. On aura toutes sortes de langues et de lois distinctes et l'on tracera une frontière. Et au bout d'un moment, on voit tant de preuves de séparations que l'on en oublie l'origine, disant que cela a toujours existé et l'on ne fait qu'agir à partir de ce qui a toujours existé.
36:26 K:Bien sûr. C'est pourquoi, Monsieur, il me semble qu'une fois que l'on saisit la nature de la pensée la structure de la pensée, son fonctionnement quelle est sa source et qu'elle est donc toujours limitée, si on le voit vraiment...
36:48 D:...Quelle est la source de la pensée?
36:50 Est-ce la mémoire?

K:La mémoire.
36:51 La mémoire est le souvenir des choses passées c'est-à-dire le savoir, et le savoir découle de l'expérience, et l'expérience est toujours limitée.
37:04 D:Oui, mais la pensée inclut aussi, bien sûr la tentative d'aller de l'avant de se servir de la logique, de prendre en compte les découvertes et les intuitions.
37:15 K:Comme nous le disions il y a quelque temps, la pensée est le temps.
37:18 D:Oui. Bien. La pensée est le temps. Cela demande aussi à être développé car voyez-vous, à première vue le temps vient en premier, et la pensée a lieu dans le temps.

K:Ah, non.

D:Par exemple, si l'on dit qu'un mouvement a lieu le corps se déplace, et cela demande du temps.
37:41 K:Il faut du temps pour se rendre d'ici à là.

D:Oui.
37:46 K:Il faut du temps pour apprendre une langue.

D:Oui. Une plante a besoin de temps pour pousser.
37:50 K:Vous savez, tout cela. Il faut du temps pour peindre un tableau.
37:53 D:On dit aussi qu'il faut du temps pour penser.
37:56 K:Nous pensons donc en termes de temps.
37:58 D:Oui. On aurait d'abord tendance à dire que comme tout prend du temps, penser prend du temps, n'est-ce pas? Or vous dites autre chose, à savoir que la pensée est le temps.

K:La pensée est le temps.

D:Psychiquement, psychologiquement parlant.
38:14 K:Psychologiquement, bien sûr.
38:17 D:Alors comment faut-il comprendre cela?
38:22 K:Comment faut-il comprendre quoi?

D:Que la pensée est le temps.
38:27 Ce n'est pas évident, voyez-vous.
38:29 K:Oh oui. Diriez-vous que la pensée est mouvement et que le temps est mouvement?

D:C'est un mouvement. Mais voyez-vous
38:44 le temps est une chose mystérieuse, un objet de controverse. On pourrait dire que le mouvement est nécessaire au temps. Je pourrais comprendre que le temps ne peut exister sans mouvement.
38:59 K:Le temps est mouvement.

D:Le temps est mouvement.

K:Le temps n'est pas distinct du mouvement.
39:04 D:Je ne dis pas qu'il est distinct du mouvement mais voyez-vous, dire que temps et mouvement sont une seule et même chose...
39:12 K:Oui, c'est ce que je dis.

D:oui, alors ils ne peuvent être séparés, n'est-ce pas?

K:Non
39:17 D:Cela semble assez clair. Maintenant, il y a le mouvement physique qui équivaut au temps physique, n'est-ce pas? Les battements du coeur, etc.
39:26 K:Le temps physique: chaud et froid, et aussi obscurité et lumière...
39:29 D:...saisons...

K:..coucher et lever du soleil. Tout cela.

D:Oui. Ensuite il y a le mouvement de la pensée. Ceci introduit la question de la nature de la pensée. La pensée n'est-elle rien d'autre qu'un mouvement dans le système nerveux, dans le cerveau? Diriez-vous cela?

K:Oui, oui.

D:Certains ont dit que cela inclut le mouvement du système nerveux, mais il pourrait y avoir quelque chose de plus.
39:52 K:Monsieur, qu'est-ce que le temps, en fait? Le temps est espoir.

D:Psychologiquement.
40:06 K:Oui, je ne parle que du psychologique, pour l'instant.
40:10 D:Mais on a tendance à continuellement penser...
40:11 K:Bien sûr. Nous avons compris cela. J'entends, l'espoir est le temps.
40:18 Le devenir est le temps. Accomplir est le temps. Prenez maintenant la question du devenir: je veux devenir quelque chose, psychologiquement. Je veux devenir non-violent - prenez cet exemple là. C'est totalement illusoire.
40:52 D:Oui, on comprend que ce l'est, mais pour la raison qu'il n'y a pas de temps de cette sorte, est-ce cela?
41:04 K:Non, non Monsieur. Les êtres humains sont violents.

D:Oui.

K:Et ils ont beaucoup parlé - Tolstoï, et en Inde de non-violence. Le fait est que nous sommes violents.

D:Oui, mais...
41:21 K:Un instant, permettez.
41:24 Et la non-violence n'est pas réelle. Mais nous voulons devenir cela..
41:32 D:Oui, mais voilà encore une extension du type de pensée que nous avons à l'égard des choses matérielles. Si vous voyez un désert, ce désert est réel et le jardin ne l'est pas, mais vous avez à l'esprit le jardin qui poussera quand vous y amenerez de l'eau. Nous disons donc que nous pouvons faire des plans sur l'avenir quand le désert deviendra fertile. Mais il faut ici prendre garde: nous disons que nous sommes violents mais nous ne pouvons, par de tels plans, devenir non-violents.

K:Non.

D:Pourquoi cela?
42:05 K:Pourquoi? Parce que l'état de non-violence ne peut exister là où il y a violence.
42:14 D:Oui.

K:C'est là un idéal.
42:19 D:Eh bien, soyons plus clairs, car de la même manière
42:23 fertilité et désert ne peuvent co-exister. Mais je pense que vous voulez dire que dans le cas de l'esprit, quand vous êtes violent, cela n'a pas de sens.
42:36 K:C'est le seul état qui soit.

D:C'est tout ce qu'il y a.
42:39 K:Oui, pas l'autre.
42:41 D:Le mouvement vers l'autre est illusoire.

K:Illusoire.

D:Oui.
42:45 K:Donc tout idéal est illusoire, psychologiquement. L'idéal de construire un magnifique pont n'est pas illusoire.

D:Non, pas là...

K:Vous pouvez en dresser les plans mais c'est d'idéaux psychologiques [qu'il s'agit].
43:05 D:Oui, si vous êtes violent et continuez à l'être tout en vous efforçant de ne pas l'être...
43:12 K:...c'est tellement évident...

D:...cela n'a pas de sens.
43:16 K:Pas de sens, et pourtant cela a pris une telle importance. Donc le devenir, en devenant soit 'ce qui est' soit [autre chose] à l'écart de 'ce qui est'.
43:35 D:'Ce qui devrait être', oui.
43:38 K:Je mets les deux choses en doute.

D:Oui, eh bien si vous dites qu'il n'y a aucune raison de devenir
43:46 dans le sens de l'amélioration de soi...
43:51 K:Oh! L'amélioration de soi est une chose affreuse. Nous disons donc, Monsieur que la source de tout ceci est un mouvement de pensée en tant que temps. Une fois admise la notion de temps psychologique tout idéal de non-violence, d'un état suprème, etc., etc devient totalement illusoire.

D:Mais quand vous parlez du mouvement de pensée en tant que temps
44:31 il me semble que cela veut dire que ce temps issu du mouvement de la pensée est illusoire, n'est-ce pas?

K:Oui.

D:Cette impression de temps, n'est en fait pas un temps réel.
44:45 K:C'est pourquoi nous demandions: qu'est-ce que le temps?

D:Oui.
44:49 K:Il me faut du temps pour me rendre d'ici à là.
44:53 Si je veux apprendre la mécanique je dois l'étudier, cela prend du temps. Ce même mouvement est étendu au psychisme. Nous disons: il me faut du temps pour être bon. Il me faut du temps pour être illuminé.
45:16 D:Oui, cela créera toujours un conflit.

K:Oui.

D:Entre une partie de vous et l'autre. Donc ce mouvement dans lequel on dit 'il me faut du temps' crée aussi une division dans le psychisme.

K:Oui, c'est exact.

D:Disons entre l'observateur et la chose observée.
45:32 K:Oui, c'est exact. Nous disons que l'observateur est l'observé.
45:36 D:Et par conséquent, il n'y a pas de temps psychologiquement.

K:C'est cela.
45:41 L'expérimentateur, le penseur est la pensée. Il n'y a pas de penseur distinct de la pensée.
45:51 D:Tout ce que vous dites semble très plausible mais je pense que cela va tellement à l'encontre de la tradition à laquelle nous sommes habitués...

K:Bien sûr.

D:...qu'il va être extrêmement difficile pour les gens de vraiment...
46:06 K:Non, Monsieur, la plupart des gens veulent un mode de vie confortable: 'laissez-moi poursuivre tranquillement mon chemin' pour l'amour du ciel, laissez-moi tranquille'.
46:15 D:Oui, mais il en résulte tant de conflit...

K:...tant de conflit...

D:...que les gens en ont assez, je pense.

K:Mais on a beau fuir le conflit, ne pas le résoudre
46:29 le conflit existe bien, que cela vous plaise ou non. Donc, c'est là toute la question est-il possible de vivre une vie sans conflit?
46:40 D:Oui, tout cela est implicite dans ce qui a été dit.
46:44 K:C'est exact.
46:45 D:La source du conflit est la pensée, ou le savoir, ou le passé.
46:50 K:On demande alors: est-il possible de transcender la pensée?

D:Oui.
46:57 K:Ou est-il possible de mettre fin au savoir?
47:03 Psychologiquement, je veux dire.

D: Oui. Nous disons que le savoir ordinaire relatif aux objets matériels
47:11 et ce genre de choses, au savoir scientifique, continuera.
47:15 K:Absolument. Il le faut.

D:Mais c'est bien à ce que vous appelez la connaissance de soi
47:21 que vous invitez à mettre fin, n'est-ce pas?

K:Oui.
47:23 D:D'un autre côté, on a dit - vous-même l'avez dit - que la connaissance de soi est très importante.
47:28 K:La connaissance de soi est importante, mais si je prends du temps pour me comprendre c'est-à-dire, je finirai par me comprendre par l'étude, l'analyse, etc., etc., en observant toute ma relation avec autrui, etc., tout cela implique le temps.

D:Oui, eh bien...

K:Et je dis qu'il y a une autre manière d'observer tout cela sans le temps. C'est quand l'observateur est l'observé.

D:Oui.

K:Dans cette observation là, le temps n'intervient pas.
48:13 D:Pourrions-nous voir cela de plus près? Par exemple, quand vous dites qu'il n'y a pas de temps, vous pouvez néanmoins vous souvenir qu'il y a une heure vous étiez ailleurs.

K:Bien sûr, ce serait absurde.

D:Alors, comment pouvons-nous prouver qu'il n'y a pas de temps?
48:31 K:Le temps est division - n'est-ce pas? Comme l'est la pensée. Voilà pourquoi la pensée est le temps.
48:39 D:Le temps est une série de divisions entre passé, présent, futur.

K:La pensée est aussi cela - facteur de division.
48:48 Donc le temps est la pensée. Ou la pensée est le temps.
48:53 D:Oui, mais cela ne découle pas exactement de ce que vous avez dit. Cependant, nous l'avons expliqué.

K:Approfondissons cela.

D:Oui. Voyez-vous, à première vue, on pourrait dire que la pensée
49:08 crée des divisions de toutes sortes, avec des moyens divers et divise aussi les intervalles de temps en passé, présent et futur. Mais il n'en découle pas forcément que la pensée est le temps.
49:23 K:Nous avons dit que le temps est mouvement.

D:Oui.
49:28 K:La pensée est aussi une série de mouvements.

D:Oui, très bien.
49:32 K:Tous deux sont donc des mouvements.

D:Oui, donc la pensée est un mouvement n'est-ce pas? - un mouvement supposé du système nerveux.
49:41 K:Voyez-vous, c'est un mouvement de devenir. Psychologiquement parlant.
49:50 D:Psychologiquement. Mais chaque fois que l'on pense quelque chose est aussi en mouvement dans votre sang, vos nerfs, etc. Bien. Maintenant, quand vous parlez d'un mouvement psychologique n'entendez-vous par là qu'un simple changement de contenu?
50:03 K:Un changement de contenu?
50:05 D:Eh bien, où est le mouvement? Qu'est-ce qui bouge?
50:08 K:Regardez, Monsieur: je suis ceci et je m'efforce de devenir autre chose, psychologiquement.
50:16 D:Oui, donc ce mouvement se situe dans le contenu de votre pensée
50:19 voyez-vous.

K:Oui.
50:20 D:Donc si vous dites 'je suis ceci et j'essaie de devenir cela' je suis alors en mouvement, n'est-ce pas?

K:Oui.
50:26 D:Tout au moins, je me sens en mouvement.
50:28 K:Mettons par exemple que je sois avide. L'avidité est un mouvement.
50:37 D:Quelle sorte de mouvement est-ce?
50:39 K:Pour obtenir ce que je veux.
50:41 D:Pour obtenir plus, oui.

K:Pour obtenir de plus en plus. C'est un mouvement.

D:Très bien.

K:Et, je trouve ce mouvement pénible, supposons-le. Et j'essaie de ne pas être avide.

D:Oui.

K:La tentative de ne pas être avide est un mouvement dans le temps, c'est un devenir.
51:07 D:Oui, mais l'avidité aussi était un devenir.
51:11 K:Bien sûr. Donc la vraie question est celle-ci:
51:15 est-il possible de ne pas devenir, psychologiquement?
51:25 D:Eh bien, il semble qu'il faudrait pour cela n'être rien psychologiquement. Ainsi, dès que vous vous définissez d'une façon ou d'une autre...
51:36 K:Non, nous allons le définir dans quelques instants.
51:38 D:Je voulais dire que si je me définis comme quelqu'un d'avide ou peu importe quoi alors, soit je vais vouloir devenir autre chose
51:49 soit demeurer tel que je suis - n'est-ce pas?

K:Puis-je rester tel que je suis? Puis-je rester non pas avec la non-avidité, mais avec l'avidité? Et l'avidité n'est pas autre chose que moi, l'avidité est moi.
52:08 D:Oui. d'ordinaire on pense: je suis ici, et je pourrais être soit avide, soit non-avide...

K:Bien sûr.

D:...étant donné que sont là des attributs que je puis ou avoir ou pas.
52:22 K:Mais les attributs sont moi.
52:24 D:Oui. Là encore, ceci va très à l'encontre de notre langage et expérience courants.

K:Bien sûr, Monsieur.
52:29 D:Au lieu de quoi, dire que je suis mes attributs sous entend que la pensée qui se les attribue crée le moi, n'est-ce pas? Le sentiment du moi.
52:41 K:Toutes les qualités, les attributs, les vertus les jugements, conclusions et opinions, sont moi.
52:50 D:Il me semble que ceci devrait être perçu immédiatement comme une évidence.

K:C'est là toute la question. Percevoir la totalité de ce mouvement instantanément. Nous en venons alors à la perception: est-il possible de percevoir - ceci peut paraître un peu bizarre et peut-être un peu farfelu, mais ce ne l'est pas est-il possible de percevoir sans tout le mouvement de la mémoire? De percevoir quelque chose directement, sans que le mot, la réaction les souvenirs n'entrent en jeu dans la perception.
53:39 D:Oui, c'est là une très vaste question, car la mémoire
53:42 pénétre constamment la perception.

K:Bien sûr. (...)

D:Cela soulèverait la question suivante: qu'est-ce
53:50 qui va empêcher la mémoire de pénétrer la perception.
53:52 K:Rien ne peut l'arrêter. Mais si je vois rationnellement que l'activité de la mémoire est limitée, la perception même de cette limitation fait que vous en êtes sorti et êtes dans une autre dimension.

D:Il me semble qu'il faut pour cela percevoir la limite
54:18 de la mémoire dans sa totalité.

K:Oui, pas partiellement.
54:22 D:On peut voir qu'en général la mémoire est limitée
54:25 mais ceci n'est pas évident dans bien des domaines. Par exemple, il n'est pas évident que beaucoup de nos réactions proviennent de la mémoire, car nous ne les éprouvons pas comme telles. Ainsi, mon moi est perçu comme étant actuel et non en tant que mémoire. C'est le ressenti habituel. Supposons que je dise: 'Je veux devenir moins avide', alors l'avidité et la nécessité de devenir sont vécus par moi comme une...

K:...réalité.

D:...une réalité, et non comme produit de la mémoire, mais je puis me souvenir d'avoir été avide mais c'est ce moi qui se souvient, et non l'inverse. Cette mémoire crée le moi - n'est-ce pas?
55:14 K:Monsieur, en réalité tout cela revient à ceci: l'homme - l'humanité peut-elle vivre sans conflit? Fondamentalement, cela revient à ça. Peut-on avoir la paix sur cette terre? Et les activités de la pensée n'y pourvoient jamais.
55:38 D:Eh bien, il ressort clairement de ce qui vient d'être dit que l'activité de la pensée ne peut amener la paix par nature elle engendre le conflit, psychologiquement.
55:49 K:Oui, une fois que nous aurons vraiment vu ou reconnu ce fait toute notre activité sera totalement différente.
56:02 D:Voulez-vous dire qu'il existe alors une activité hors de la pensée?
56:06 K:Comment?

D:Qui est au-delà de la pensée?

K:Oui.
56:09 D:Et qui est non seulement au-delà de la pensée, mais qui ne requiert pas la coopération de la pensée?

K:Certainement pas.
56:17 D:Qui peut continuer en l'absence de la pensée?
56:23 K:Voilà la vraie question.
56:25 Nous en avons souvent discuté, à savoir y a-t-il quoi que ce soit au-delà de la pensée. Pas quelque chose de sacré - ce n'estpas de cela que je parle. Y a-t-il une activité que n'effleure pas la pensée? Nous disons qu'il y en a une. Et cette activité là est la forme suprême de l'intelligence.
56:59 D:Oui, eh bien voilà que nous introduisons l'intelligence.
57:02 K:Je sais, je l'ai fait exprès! Donc l'intelligence n'est pas l'activité de la pensée rusée. Il faut de l'intelligence pour construire une table,.
57:19 D:Oui, l'intelligence peut se servir de la pensée, vous l'avez souvent dit.
57:24 K:L'intelligence peut se servir de la pensée.
57:26 D:Oui, ainsi la pensée peut être l'action de l'intelligence
57:29 diriez-vous cela?

K:Oui.

D:Ou elle pourrait-elle l'action de la mémoire?
57:34 K:C'est cela. Elle est l'action née de la mémoire et la mémoire étant limitée, la pensée l'est aussi, et et ayant sa propre activité, elle engendre alors le conflit.
57:46 D:Oui, je pense que ceci peut se relier à ce que qui se dit à propos des ordinateurs. Voyez-vous, tout ordinateur dépend finalement d'une sorte de mémoire qui lui est fournie...

K:...programmée...

D:...programmée et c'est forcément limité.

K:Bien sûr.

D:Par conséquent, quand nous fonctionnons à partir de la mémoire
58:05 nous ne différons pas beaucoup d'un ordinateur à l'inverse l'ordinateur n'est peut-être pas très différent de nous.
58:13 K:Je dirais qu'un Hindou a été programmé pendant les 5.000 dernières années à être un Hindou ou dans ce pays-ci, vous avez été programmé en tant que Britannique ou catholique, ou protestant. On est donc tous programmés dans une certaine mesure.
58:31 D:Oui, il semble que vous introduisez ici la notion d'une intelligence libre de programme qui pourrait être créactrice...

K:Oui, c'est exact. Cette intelligence là n'a rien à voir avec la mémoire et le savoir.
58:47 D:Oui. Elle peut agit par la mémoire et le savoir
58:49 mais elle n'a rien à voir avec cela.

K:Oui, elle peut agir à travers la mémoire, etc. C'est cela. Alors, comment découvrir si elle a une quelconque réalité si elle ne découle pas simplement de l'imagination d'un romantisme absurde, comment le découvrir? Pour y arriver, il faut aborder toute la question de la souffrance voir si celle-ci peut prendre fin, et que tant qu'il y a souffrance peur, et recherche de plaisir, il ne peut y avoir amour.
59:27 D:Oui, il y a là plusieurs questions. La première a trait à la souffrance y compris le plaisir, la peur, et je suppose également la colère, la violence et l'avidité.

K:Evidemment, sinon...

D:On pourrait d'emblée dire que toutes ces choses relèvent de la mémoire.

K:Oui.

D:Elles n'ont rien à voir avec l'intelligence.
59:50 K:Oui, elles font toutes partie de la pensée et de la mémoire.
59:54 D:Et tant qu'elles agissent il me semble que cette intelligence ne peut fonctionner dans la pensée.

K:C'est cela.

D:A travers la pensée.
1:00:01 K:Il faut donc qu'il y ait liberté à l'égard de la souffrance.
1:00:05 D:Oui, eh bien voilà un point crucial.
1:00:07 K:C'est là une question vraiment très sérieuse et profonde. Est-il possible de mettre fin à la souffrance, c'est-à-dire la fin du moi.
1:00:21 D:Oui, là encore, au risque de se répéter, il y a le sentiment que je suis là, que je souffre ou pas. Que je jouisse des choses, ou que je souffre.
1:00:33 K:Oui, je sais.

D:Or je pense que vous êtes en train de dire que la souffrance émane de la pensée, que c'est la pensée.
1:00:43 K:Identifiée.

D:Oui. Et que...

K:L'attachement.

D:Alors qu'est-ce qui souffre?
1:00:50 Voyez-vous, il me semble qu'il y a en fait l'opposé d'une sensation de plaisir, il me semble que la mémoire peut produire du plaisir et quand elle est frustrée, elle produit douleur et souffrance.
1:01:06 K:Pas seulement. La souffrance est bien plus complexe, n'est-ce pas? La souffrance - qu'est-ce que la souffrance?

D:Oui, eh bien...

K:Ce mot signifie éprouver de la douleur de l'affliction, se sentir absolument perdu, dans la solitude.
1:01:33 D:Il me semble qu'il ne s'agit pas d'une simple douleur mais d'une sorte de douleur totale, très pénétrante...
1:01:42 K:Mais la souffrance, c'est la perte de quelqu'un.
1:01:46 D:Ou de quelque chose de très important.
1:01:50 K:Oui, bien sûr. Perte de ma femme, ou de mon fils, frère mari, ou qui vous voudrez, et le sentiment de solitude désespérée.
1:02:02 D:Ou tout simplement le fait que le monde entier se trouve dans un tel état.
1:02:10 K:Bien sûr, Monsieur. Toutes les guerres.
1:02:13 D:Ce qui fait que plus rien n'a de sens..
1:02:16 K:Que de souffrances dues à la guerre des Malouines!
1:02:19 D:Oui, toutes ces guerres.
1:02:21 K:Guerres qui se poursuivent depuis des millénaires. C'est pourquoi je dis que nous perpétuons le même schéma de guerres, depuis 5000 ans ou plus.

D:Oui, on peut facilement voir que la violence et la haine des guerres
1:02:41 porteront atteinte à l'intelligence.

K:Evidemment.
1:02:44 D:Mais ce n'est pas aussi évident que cela certains pensent que passer par la souffrance rend les gens...
1:02:52 K:...intelligents?...

D:...les purifie, c'est comme passer par
1:02:54 le creuset, le métal se purifie dans le creuset, n'est-ce pas?
1:02:59 K:Je sais. Qu'on apprend par la souffrance.
1:03:02 D:Qu'on est purifié, en quelque sorte.

K:Purifié. Que votre ego est banni, dissout par la souffrance.
1:03:11 D:Oui, dissout, raffiné.

K:Ce n'est pas le cas. Les gens ont souffert, immensément . Combien de guerres, combien de larmes et la nature destructrice des gouvernements?
1:03:30 D:Oui, ils ont souffert de tant de choses.
1:03:33 K:Cela augmente - chômage, ignorance...
1:03:37 D:...ignorance, maladie, douleur, tout. Mais qu'est-ce en réalité que la souffrance? Pourquoi détruit-elle ou entrave-t-elle l'intelligence? Pourquoi la souffrance entrave-t-elle l'intelligence?
1:03:52 Que se passe-t-il en réalité?

K:La souffrance (...) est un choc - je souffre j'ai mal, c'est là l'essence du 'moi'.
1:04:06 D:Oui, la difficulté avec la souffrance, c'est que c'est le 'moi' qui souffre.

K:Oui.

D:Et ce 'moi' qui a pitié de lui-même.
1:04:15 K:Ma souffrance est différente de la vôtre.
1:04:18 D:Il s'isole.

K:Oui.
1:04:21 D:Cela crée une sorte d'illusion.

K:On ne voit pas que cette souffrance se répartit dans toute l'humanité.
1:04:27 D:Oui, mais supposons que l'on voit qu'elle est ainsi partagée?
1:04:31 K:Je commence alors à m'interroger sur ce qu'est la souffrance. Ce n'est pas ma souffrance.

D:Oui, c'est important. Pour pouvoir comprendre la nature de la souffrance je dois quitter cette idée qu'il s'agit de ma souffrance car tant que je crois qu'il s'agit de ma souffrance
1:04:45 j'ai une notion illusoire de toute cette affaire.
1:04:48 K:Et je ne peux jamais y mettre fin.

D:Pas tant que vous agissez sur une illusion - vous ne pouvez rien en retirer. Mais pour en revenir à la souffrance pourquoi la souffrance est-elle le lot du grand nombre? Ma première impression est d'avoir mal aux dents ou de subir une perte, ou qu'il m'est arrivé quelque chose alors que l'autre semble parfaitement heureux.
1:05:08 K:Heureux, oui, c'est cela.
1:05:09 Mais il souffre aussi à sa manière.

D:Oui. Il ne le voit pas pour l'instant, mais il a ses propres problèmes.
1:05:15 K:Donc la souffrance est commune à toute l'humanité.
1:05:18 D:Oui, mais ce fait ne suffit pas
1:05:20 pour en faire un tout.
1:05:22 K:Elle est réelle.

D:Oui, mais voulez-vous dire que la souffrance de l'humanité est un tout inséparable?
1:05:28 K:Oui Monsieur. C'est bien ce que j'ai dit.
1:05:30 D:Comme l'est la conscience de l'humanité.

K:Oui, c'est cela.
1:05:33 D:Ainsi, lorsque quelqu'un souffre, l'humanité entière souffre.
1:05:36 K:Si un pays tue des centaines de milliers d'êtres humains
1:05:47 non, tout revient à ceci: nous avons souffert depuis la nuit des temps, et nous n'avons pas résolu cela.
1:06:00 D:Il est clair quecela n'a pas été résolu. Nous ne l'avons pas résolu.
1:06:03 K:Nous n'avons pas mis fin à la souffrance.

D:Mais je pense que vous avez dit
1:06:08 que c'est parce que nous la traitons comme un objet personnel ou relevant d'un petit groupe ce qui est une illusion.

K:Oui.

D:Toute tentative d'agir sur une illusion ne peut rien résoudre. Nous aimerions être très clairs là-dessus...
1:06:22 K:La pensée ne peut rien résoudre psychologiquement.
1:06:26 D:Oui, car on peut dire que la pensée elle-même divise qu'elle est limitée, et ne peut voir l'unicité cette souffrance - n'est-ce pas? Et donc, elle la divise en ma souffrance et la vôtre.

K:C'est exact.

D:Et cela crée une illusion qui ne peut que multiplier la souffrance. Il m'apparaît que l'affirmation de l'unicité de la souffrance humaine est inséparable de l'affirmation de l'unicité de la conscience humaine.
1:06:56 K:Nous l'avons dit. La souffrance fait partie de notre conscience.
1:07:01 D:Mais on ne ressent pas immédiatement que cette souffrance appartient à l'ensemble de l'humanité.
1:07:08 K:Monsieur, le monde est moi, je suis le monde.
1:07:11 D:Oui, vous l'avez souvent dit.

K:Oui. Mais nous l'avons divisé en terre britannique française, etc.
1:07:18 D:Mais s'agit-il à votre sens du monde physique
1:07:21 ou du monde de la société?

K:Le monde de la société le monde psychologique, essentiellement.
1:07:28 D:Nous disons donc que le monde de la société, des êtres humains est un, alors qu'entendons- nous par 'je suis ce monde'?
1:07:37 K:Le monde n'est pas distinct de moi.
1:07:40 D:Le monde et moi sommes un - n'est-ce pas? Nous sommes inséparables.

K:Oui. Et ceci... c'est la vraie méditation il faut ressentir cela, ce n'est pas une simple affirmation verbale, c'est une réalité. Je suis le gardien de mon frère.
1:08:04 D:Oui, beaucoup de religions ont dit cela.
1:08:07 K:Mais ce n'est qu'une affirmation verbale, elles ne s'y tiennent pas elles ne le pratiquent pas dans leur coeur.
1:08:14 D:Certaines l'ont peut-être fait, mais ce n'est pas le cas général. Il y en a peut-être eu quelques unes.
1:08:19 K:Je ne sais si quelqu'un l'a fait... - nous autres êtres humains ne l'avons pas fait. Nos religions nous en ont en fait empêché.
1:08:26 D:A cause des divisions, chaque religion a ses propres croyances et sa propre organisation.

K:Bien sûr. Ses propres dieux et ses propres sauveurs.

D:Oui.

K:Ceci dit, cette intelligence est-elle une réalité? Vous comprenez ma question? Ou n'est-ce qu'une sorte de projection chimérique laquelle, espère-t-on, résoudra nos problèmes? Ce ne l'est pas pour moi. C'est une réalité. Car la fin de la souffrance signifie l'amour.
1:09:09 D:Oui, mais avant de poursuivre, clarifions un point à propos de moi. Vous avez dit: 'ce ne l'est pas pour moi'. En un sens, il me semble que vous êtes encore en train de
1:09:22 définir un individu, n'est-ce pas?

K:Oui, oui.
1:09:24 En réalité, je me sers du mot 'moi' comme d'un moyen
1:09:30 de communication, et non...

D:Oui, mais qu'est-ce que cela veut dire? En quelque sorte, il semble qu'il y ait deux personnes: 'A' qui a votre façon de voir et 'B' qui ne l'a pas, non?
1:09:43 K:Oui.

D:Donc 'A' dit 'ce ne l'est pas'
1:09:45 ce qui semble créer une division entre 'A' et 'B'.
1:09:49 K:C'est exact. Mais 'B' crée la division.

D:Pourquoi?

K:Quelle relation y a-t-il alors entre les deux?

D:Oui. ... 'B' crée la division en disant:
1:10:02 'je suis une personne distincte', mais 'B' est encore plus troublé quand 'A' dit: 'ce n'est pas mon point de vue'.
1:10:10 K:Oui. M., voilà bien tout le problème de la relation, n'est-ce pas. Vous ne vous sentez pas distinct et avez réellement ce sentiment d'amour et de compassion, et moi je ne l'ai pas. Je n'ai même pas perçu ni abordé cette question. Quelle est votre relation avec moi?

D:Oui, eh bien...

K:C'est bien ce que je dis: vous avec une relation avec moi
1:10:50 mais je n'en ai pas avec vous.

D:Oui, on pourrait dire que la personne qui n'a pas vu vit pratiquement dans un monde de rêves, psychologiquement et le monde des rêves n'est pas relié au monde de l'éveil.

K:C'est exact.

D:Mais celui qui est éveillé pourrait peut-être
1:11:09 au moins éveiller l'autre.

K:Vous êtes éveillé, pas moi. La relation que vous avez avec moi est alors très claire. Mais je n'ai pas de relation avec vous, cela m'est impossible. J'insiste sur la division, et pas vous.
1:11:29 D:Oui, en quelque sorte, on peut dire que la conscience de l'humanité s'est divisée, elle est une, mais elle s'est divisée...
1:11:38 K:Bien sûr.

D:...par la pensée - n'est-ce pas?
1:11:40 K:C'est ce que nous avons vu...
1:11:42 D:...oui, et c'est pourquoi nous sommes dans cette situation.

K:Tous les problèmes qu'a actuellement l'humanité tant psychologiquement qu'autrement, résultent de la pensée. Et l'on poursuit le même schéma de pensée et la pensée ne résoudra jamais aucun de ces problèmes. Or, il y a une autre sorte d'instrument: c'est l'intelligence.
1:12:10 D:Oui, mais ceci soulève un tout autre sujet.
1:12:15 K:Oui, je sais.

D:Vous avez aussi mentionné l'amour.
1:12:20 K:Oui.

D:Et la compassion.
1:12:22 K:Sans amour et compassion il n'est point d'intelligence.
1:12:29 Et l'on ne peut avoir de la compassion si l'on est attaché à une religion quelconque, à un pieu; étant attaché à un pieu comme le serait un animal, on peut se croire compatissant.
1:12:45 D:Oui, mais dès que votre moi est menacé, alors tout s'évanouit, voyez-vous.

K:Bien sûr.
1:12:52 Mais voyez-vous, le moi se cache derrière...

D:...d'autres choses
1:12:57 de nobles idéaux.

K:Oui, oui. Il a d'immenses aptitudes à se cacher. Quel est donc l'avenir de l'humanité? D'après ce que l'on observe, il va à la destruction.
1:13:20 D:Oui, c'est bien dans ce sens qu'il paraît aller.
1:13:23 K:Il est très sombre, sinistre, dangereux, et si l'on a des enfants quel est leur avenir? Est-ce d'entrer dans tout ceci? Et de passer par tout ce malheur? Donc, l'éducation prend une importance extraordinaire. Mais à présent, l'éducation n'est qu'accumulation de savoir.
1:13:57 D:Oui, chaque instrument que l'homme a inventé, découvert ou développé a été orienté vers la destruction.
1:14:05 K:Oui Monsieur. Absolument. Ils détruisent la nature, il ne reste que très peu de tigres.
1:14:13 D:Très peu de?

K:De tigres.
1:14:17 Ils sont en train de tout détruire.

D:Ils détruisent les forêts et les terres agricoles.

K:La surpopulation. Personne ne paraît s'en soucier.
1:14:29 D:Je pense qu'il y a deux faceurs: l'un est que les gens sont plongés dans leurs problèmes.
1:14:34 K:Plongés dans leurs propres petits plans pour sauver l'humanité!
1:14:38 D:La plupart des gens sont plongés dans leurs plans de sauvetage personnels.

K:Bien sûr. (Rires)

D:Mais ces autres en ont pour sauver l'humanité mais je pense qu'il y a aussi une tendance implicite à désespérer de ce qui se passe actuellement
1:14:53 les gens pensant qu'il n'y a rien à faire.

K:Oui. Et s'ils pensent que quelque chose peut être fait ils forment de petits groupes et de petites théories.
1:15:02 D:Oui, il y a ceux qui sont très confiants dans ce qu'ils font et ceux qui manquent de confiance...
1:15:09 K:La plupart des premiers ministres sont très confiants. Ils ne savent pas vraiment ce qu'ils font.
1:15:15 D:Oui, mais la plupart n'ont pas trop confiance en ce qu'ils font.

K:Je sais. Si vous avez une énorme confiance
1:15:21 j'accepte votre confiance et vous accompagne.

D:Oui, mais comme la pensée est limitée...

K:Non Monsieur, tel est l'avenir de l'homme, de l'humanité
1:15:35 l'avenir de l'humanité - je me demande si quelqu'un s'en préoccupe. Ou si chacun, chaque groupe ne se préoccupe que de sa propre survie.
1:15:50 D:Je pense que le premier souci a presque toujours été celui de la survie, individuelle ou collective. Telle a été l'histoire de l'humanité.
1:16:01 K:D'où des guerres perpétuelles, une insécurité perpétuelle.
1:16:06 D:Oui, mais comme vous l'avez dit, ceci résulte de la pensée incomplète, qui commet l'erreur d'identifier le 'moi' au groupe, etc.
1:16:18 K:Il se trouve que vous écoutez tout ceci. Vous êtes d'accord, vous en voyez la vérité. Ceux qui sont au pouvoir ne vous écouteront même pas.
1:16:30 D:Non.

K:Ils créent toujours plus
1:16:32 de malheur, le monde devient de plus en plus dangereux alors à quoi servirait-il que vous et moi nous mettions d'accord percevions le vrai? C'est ce que les gens demandent: que vous et moi percevions une vérité a quoi bon, et quel effet cela a-t-il?
1:16:52 D:Eh bien, il me semble que penser en termes d'effets...
1:16:59 K:Oui, et c'est aussi une mauvaise question.
1:17:02 D:...c'est introduire le temps, la chose même qui sous-tend le problème. La première réaction serait: il faut rapidement intervenir
1:17:13 et faire quelque chose. pour changer le cours des événements.

K:Et donc créer une société
1:17:17 une fondation, une organisation, et tout le reste.

D:Mais notre erreur est que pour faire cela il faut penser à quelque chose, et cette pensée est incomplète. Nous ne savons pas vraiment ce qui se passe
1:17:26 et les gens font des théories là-dessus, mais il ne savent pas.

K:Non, mais venons y: si ce n'est pas la bonne question alors, l'être humain que je suis qui est l'humanité, demande: quelle est ma responsabilité?

D:Eh bien, je pense que c'est pareil...

K:Mis à part l'effet et tout le reste.
1:17:50 D:Oui, on ne peut rien attendre des effets. Mais c'est comme pour 'A' et 'B', à savoir que 'A' voit et 'B' ne voit pas - n'est-ce pas?

K:Oui.

D:Bon, supposons que 'A' voit quelque chose et pas le reste de l'humanité. On pourrait alors dire que l'humanité semble prise dans un rêve qu'elle est endormie.

K:Prise dans une illusion.
1:18:12 D:Une illusion. Et si quelqu'un voit
1:18:18 quelque chose, sa responsabilité est alors d'essayer d'éveiller les autres - n'est-ce pas? - pour qu'ils sortent de l'illusion.
1:18:28 K:C'est bien cela. Tel a été le problème. C'est pourquoi les Bouddhistes ont projeté l'idée de Bodhisattva qui est compatissant, qui est l'essence de toute compassion et qui attend de sauver l'humanité. Cela paraît bien. Il est agréable de sentir que quelqu'un s'en charge. Mais en réalité, nous ne ferons rien qui ne soit confortable satisfaisant, sécurisant, tant psychologiquement que physiquement.
1:19:20 D:Oui, c'est là qu'est la source de l'illusion, fondamentalement.
1:19:25 K:Comment s'y prendre pour qu'un autre voit tout ceci? Ils n'en ont pas le temps, ni l'énergie ils n'en ont même pas l'inclination. Ils veulent s'amuser. Comment s'y prendre pour que 'X' voit tout cela si clairement, qu'il dise: 'Très bien, j'ai saisi, je vais me mettre au travail. Et je vois que je suis responsable, ...et tout le reste. Je pense que c'est la tragédie de ceux qui voient et de ceux qui ne voient pas.