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BR84CRE - La peur peut-elle être complètement effacée?
Entretien avec Ronald Eyre
Brockwood Park, Angleterre
24 juin 1984



0:14 E: J'aimerais vous interroger à propos de l'enjouement qui m'importe de plus en plus...
0:21 K: Enjoué ?

E: L'enjouement, être apte à, sachant que si je m'attelle à une tâche avec une certaine gravité, quel que soit mon sérieux, cela semble s'auto-détruire, mais si mon approche comporte un élément d'enjouement, de laisser faire, d'aisance...
0:36 K: Je me demande ce que vous entendez par enjouement.
0:38 E: Je suppose qu'un excès de gravité est plutôt prétentieux. On a l'idée de vouloir accomplir telle chose, on aimerait la terminer, la fin se trouve dans le commencement, on sait ce qu'elle sera. J'entends par enjouement le fait de permettre aux choses de survenir d'un côté inattendu – pensées ou notions.

K: Oui, vous voulez dire que quand vous travaillez vous êtes concentré, et quand cette concentration n'est pas focalisée, alors le reste...
1:09 E: Comme beaucoup d'entre nous, j'ai été élevé de façon très puritaine, élevé à croire que l'effort est une chose louable. Et je crois qu'il me faut apprendre que l'effort est à double tranchant, et qu'il peut être trop grave, nous pousser à des conclusions, il peut vous rendre aveugle et sourd à toutes sortes de choses qu'il faudrait entendre et voir. Et je ressens le besoin de prendre du recul et jouer davantage. Cela permet-il...
1:38 K: ...à d'autres pensées de surgir au lieu d'avoir une continuité d'effort et de pensée.
1:47 E: Oui, et laisser la chose s'organiser en sorte de prendre forme naturellement, peut-être dans un sens que vous n'aviez pas souhaité.
1:58 K: Diriez-vous que la distraction est nécessaire ? C'est-à-dire que...
2:07 E: Oui, c'est de la distraction. Cela relève d'une distraction attentive, il ne s'agit pas seulement d'être ouvert à quoi que ce soit.
2:16 K: L'esprit vide.

E: C'est exact.
2:24 K: Donc de la concentration, une sensation de distraction dont on est conscient.
2:31 E: C'est exact. Cela semble très important.

K: Oui. Mais quand on est conscient que c'est de la distraction, est-ce de la distraction ?
2:41 E: C'est une concentration extrêmement subtlie, peut-être.
2:44 K: C'est ce que je demande.

E: Oui, j'en ai l'impression. C'est ce que je ressens, c'est lié à la peur, je pense. Un des aspects de la peur est la peur de se tromper, ou que quelque chose d'inadéquat se produise, cela vous fige, vous pensez que vous vous concentrez mais en fait, vous vous fermez. Diriez-vous que c'est cela ?
3:07 K: En partie seulement, n'est-ce pas ? Pouvons-nous discuter de ce qu'est la concentration pour en venir ensuite à l'autre aspect ? Qu'entendez-vous par 'se concentrer' ? Focaliser sa pensée.
3:32 E: Focaliser semble un tantinet positif, comme si votre intention était un peu exagérée.
3:38 K: Oui. Se concentrer sur ce qu'on fait. Sans laisser s'introduire quoi que ce soit.
3:45 E: Etre totalement à ce qu'on fait...
3:48 K: Oui, très bien.

E: ...est une autre façon de le dire.
3:53 K: Qu'est-ce que cela fait quand on est si centré, focalisé ? Ne vous fermez-vous pas à toute autre forme de pensée, toute autre forme de distraction, si l'on peut se permettre ce mot. Vous vous entourez ainsi d'un mur et dites : 'non, s'il vous plaît, n'ayez aucune pensée autre que celle-ci'.
4:28 E: Il y a là une distinction entre... Quand vous avez fait ce geste, c'était un geste un peu soucieux : 'ne me dérangez pas, je me concentre là-dessus.' Toutefois, – bien que je le fasse moi-même assez souvent – cela me semble inclure de la peur, ce qui n'est peut-être pas aussi utile qu'une ouverture à quelque chose qui ne fait qu'écarter délicatement d'autres facteurs.
4:54 K: Je n'en suis pas si sûr.

E: Ah ! Dites m'en plus.
5:00 K: Pourrions-nous commencer par discuter de ce qui nous fait nous concentrer : la volonté, le désir, une intention d'accomplir, un motif, une orientation, un objectif, un désir intensifié, c'est-à-dire la volonté, et dire : 'je dois faire ceci, c'est nécessaire, je vais me concentrer' et j'écarte donc toute autre pensée qui se présente. J'érige donc un mur autour de moi pour l'instant – et là. C'est donc une forme de résistance. C'est une forme de... Puis-je le définir autrement ? Une tentative égocentrique de retenir quelque chose, qui devient alors la peur.

E: Oui, je vois. Il est certain que ce que vous décrivez là, ainsi que l'exclusion, sont, je le sais, un prélude à l'échec. C'est ce qui a lieu avant l'échec, n'est-ce pas ? Donc je m'intéresse au nouvel état dans lequel on se trouve en réalité – il nous faut encore user du mot 'concentration', à moins qu'il y en ait peut-être un autre.
6:46 K: Il y en a un.

E: ...quand on est vraiment, librement ouvert et disponible à ce qui se présente.

K: Un autre mot : l'attention.
6:53 E: L'attention, c'est plus utile, oui.
6:56 K: Mais c'est bien plus compliqué. Il ne s'agit pas d'être 'disponible', mais de prêter attention.
7:10 E: Dans l'attention, se laisse-t-on surprendre par ce qui se manifeste en soi ?
7:20 K: J'aimerais en discuter un petit peu. Quand on prête attention, cela revient à consacrer toute son énergie, toute sa sensibilité, et aussi son système nerveux, pas seulement à l'écoute, la vision : tout est formidablement vivant. Dans cet état d'attention il n'y a pas de centre qui agit en tant que 'moi'. Il n'y a donc pas de peur, là.

E: Ah oui.
8:13 K: Je ne sais si...
8:15 E: Je comprends absolument, oui.
8:19 K: On nous a entraînés depuis l'enfance à nous concentrer. Les maîtres disent 'concentrez-vous ne regardez pas par la fenêtre'. Et donc il y a là une contradiction : je veux regarder dehors – d'où l'apparition de la peur. D'où l'effort.
8:46 E: C'est pleinement pour cette raison que j'ai abordé le sujet de l'enjouement. Cette attention m'intéresse en ce qu'elle est nécessaire et dépourvue de peur, pourrait-on dire, ce qui ne manque pas de sérieux, mais n'est pas grave. La limite est ténue.

K: Non, l'attention est l'attention.
9:05 E: Elle est où elle doit être.

K: Oui, Monsieur.
9:10 E: Le mot 'jouer' m'intéresse, car il se trouve que toute ma vie, professionnellement et comme enfant, je ne me suis jamais lassé d'histoires – c'était à la fois mon fardeau et mon plaisir – alors naturellement je travaille dans un théâtre et me raconte à moi-même et aux autres des histoires, ou les écris. Et il se trouve alors que le mot 'jouer' est celui qui s'applique à ces événements, et quand j'étais en Inde, produisant des films...
9:35 K: Vous avez vu cette statue ?
9:39 E: Laquelle ?

K: Celle de Siva jouant.
9:40 E: Jouant, absolument ! Et Lila, en tant que pièce, et je voulais que vous m'en parliez, car je trouve merveilleux que 'jouer' soit en fait le mot juste pour décrire cet état de choses.
9:54 K: Voilà pourquoi... Danser, jouer au foot, au golf, etc., pourquoi ces choses ont-elles pris tant d'importance ? Vous y jouez, vous dancez, mais, pour ainsi dire, déconnecté de la concentration.
10:29 C'est ce qu'on fait : on travaille toute la journée au bureau, de 9 à 17 heures, peu importe, pour ensuite aller boire au bar, se distraire – vous savez – le cinéma et ainsi de suite, et il y a donc là une énorme contradiction.
10:52 E: Et rien de cela n'est du jeu.

K: Rien de cela, c'est de la distraction. La distraction n'est pas un jeu.
11:01 E: Il me semble... Je ne me donne pas de plannings quant à mon rôle sur terre, mais m'assigne un petit programme : ma fonction, me semble-t-il, est d'accroître l'abondance de jeu – cela a-t-il du sens pour vous ? – pour accroître dans ma vie les possibilités d'éviter le côté fastidieux des choses, ce qui signifie changer de métier.

K: Bien sûr. Mais supposons que l'on abolisse pour l'instant le mot 'jeu', que se passe-t-il alors ?
11:42 E: Que voulez-vous dire ?
11:44 K: J'ai travaillé en usine et c'est une fonction terriblement fatigante, sale, bruyante, malodorante. Je rentre chez moi ou vais au bar, et là, je me détends, je bois un coup et tout ce qui s'ensuit, puis rentre chez moi dans cet état de relaxation. L'épouse commence une dispute, dit quelque chose, je m'irrite et nous entretenons la chose. Dans l'intervalle, sexe et tout cela, mais j'entretiens la chose Le sexe devient une distraction, vous suivez ? Donc tout l'ensemble, le travail, me pousse à la distraction – la boîte de nuit, vous savez...

E: Oui, pour sûr. Mettons que je puisse examiner des aspects de ma vie... Je me considère comme un électron libre, changeant constamment de fonction, autrement dit, je passe d'une distraction à l'autre, à la recherche d'une situation réconfortante – prendre un nouvel emploi réconforte momentanément, mais cela finit par se transformer en camisole de force, en prison, et il vous faut quitter cette prison, alors, je ne sais pas... il doit y avoir une alternative...
13:14 K: Tout cela comporte un élément de peur. Je ne m'acquitte pas bien de ma tâche, j'ai trop bu, ou trop de sexe, et mon Dieu, je me perds – vous suivez ? – et ce cycle de la peur est mis en marche.
13:35 E: On ne peut briser ce cycle par la pensée, n'est-ce pas.
13:40 K: Tout d'abord, aime-t-on ce que l'on fait ?
13:49 E: Pas trop.

K: Non.
13:51 E: Pour le moins.

K: En effet. On est poussé par les circonstances, on se spécialise en tant que menuisier, ou scientifique, ou écrivain, vous savez tout cela. Donc graduellement le cerveau se rétrécit, se limite considérablement. Et cette limitation engendre d'elle-même l'ennui. N'est-ce pas ? Alors brisons cela, ayons recours au jeu, à la bière, au sexe, aux boîtes de nuit, au golf, au foot.
14:50 E: C'est presque un processus qui, lors du changement, vous procure comme une bouffée d'oxygène, une bouffée d'énergie au moment du changement, puis dès que vous abordez la phase suivante, bière, sexe ou autre, cela se durcit et l'oxygène se retire.
15:11 K: Y a-t-il donc une énergie qui n'est pas du tout gaspillée ? Et donc pas de peur.
15:21 E: Et cette énergie peut-elle être toujours disponible ?
15:26 K: Elle est là.

E: L'est-elle ?
15:27 K: Bien sûr. Mais j'en fais mauvais usage. Je fais quelque chose que je déteste. Je veux me promener par une belle matinée comme celle-ci, mais ma femme dit : allons à l'église.

E: Oui, c'est bien cela. Alors, de quoi avons-nous peur ?
15:55 K: C'est là ma question : parlons-nous de mettre fin à la peur et donc de vivre ? Pas de jouer ou ne pas jouer.
16:19 E: A votre avis, pensons-nous que nous mourrons si nous n'avons pas d'autre distraction ?
16:26 K: Bien sûr. Cette terrible peur de la mort est présente.
16:33 E: Sous bien des formes subtiles.

K: Evidemment. Je ne sais si vous voulez aborder tout cela.
16:50 E: Bien volontiers, oui.
16:57 K: Voyez-vous, cela implique un devenir, pas seulement physiquement – je suis faible, mais me fortifierai, je n'ai pas assez couru, mais m'y mettrai – vous suivez ? Faire de gros efforts pour se mettre en bonne forme physique. C'est ce qu'ils font tous aujourd'hui, c'est la mode. Et cela s'est-il répandu dans le domaine psychologique ? Je ne sais si...
17:38 E: Oui, nous ne parlons pas de la peur de la mort, mais plutôt d'essayer d'éviter le cycle de la vie.
17:45 K: Par conséquent, si j'ai peur de la vie... Tout notre mode de vie est donc devenu un mouvement régi par la peur : peur de la mort, de perdre un emploi, peur de ma femme ou de mon mari, je ne suis pas en train de réussir – vous suivez tout ce qu'a produit ce mode de vie, petit à petit, menant en fin de compte à la peur de la mort.
18:25 E: Oui. Bien. C'est merveilleux, oui. La racine de toute peur remonte à la peur de la mort. L'absence occasionnelle de peur est une sorte de conquête sur la mort.
18:39 K: Non, un instant. Si nous comprenons le vivre, la signification du vivre, et non cette lutte, cette bataille, ce conflit perpétuels - il me faut davantage, du meilleur, cette façon incessante de me mesurer à autrui : il est célèbre, je dois le devenir, il se produit à la télévision, pas moi. Ce terrible sentiment de pauvreté.

E: Oui.
19:29 K: Et cette tentative d'être riche porte en elle le fardeau de la peur : je pourrais ne jamais être riche, car il y a quelqu'un de bien plus riche.

E: Pour sûr. Donc en un sens je vois que ces petites prisons que nous habitons, ces petites distractions, sont... le fait qu'en les approfondissant on sait qu'elles sont incomplètes, une chose en nous sait que cela ne marchera pas. C'est donc la cause d'une grande détresse. Toutefois, si vous allez dans un lieu où vous pensez être bien, vous ne vous trompez pas jusqu'à ce que cela se gâte. Mais il y a en nous quelque chose qui sait que cela ne marche pas.
20:17 K: Nous le savons, mais nous persévérons.
20:20 E: N'est-ce pas étrange ?
20:22 K: Comme pour la guerre, nous savons que c'est affreux, terriblement dommageable, destructeur. J'ai entendu l'autre jour, vous savez, lors de la fête de la victoire, que le premier jour a coûté la vie à vingt mille jeunes hommes...
20:42 E: ...lors de la 1ère attaque.
20:44 K: La première attaque. Vingt mille ! Et les politiciens...
20:55 E: Le problème est qu'à présent, si vous refusez d'assister à la fête de la victoire, ou traitez avec dédain ces commémorations, on considère que vous manquez de respect à l'égard des victimes, alors que c'est tout le contraire. C'est révoltant.
21:10 K: Cela paraît si monstrueux.
21:11 E: Ce que vous voulez dire, c'est que par amour pour les victimes je ne veux rien avoir à faire avec les coquelicots.
21:24 Pendant quelques années, alors que je faisais des films qui comportaient le nom d'une religion, je commençais à découvrir que les religions ont souvent servi de refuge temporaire contre la peur de la mort – elles l'ont évidemment été. Mais on ne peut en rester là, car n'importe quoi, une maison peut dans ce sens être une religion, un emploi, ou une distraction, donc le monde n'est pas si bon que cela. Si l'on pouvait dire que les religions font cela, on se sentirait libre. Mais ce n'est pas le cas.
21:54 K: Alors, de quoi parlons-nous ?
21:57 E: Eh bien, je parle de la peur de la mort. Car je sens qu'elle est envahissante et je ne saisis pas pourquoi à certains moments de ma vie, il y a une sorte de censeur ou de juge, ou...
22:13 K: Diriez-vous que la mort fait partie du jeu ?
22:20 E: Absolument. Dans le sens où une bonne mort fait partie du jeu. La bonne mort fait partie du jeu.
22:29 K: Qu'entendez-vous par 'une bonne mort' ?
22:32 E: Tout simplement la possibilité qu'en escaladant quelque chose vous en tombiez sans plus, il y a une possibilité de chute de l'autre côté de l'action. Voilà ce que j'entends par 'bonne mort', l'autre moitié de l'action est ce que j'entends par 'bonne mort'.
22:53 K: Par exemple, un homme très riche qui a tout ce qu'il veut de la vie, il écrit des livres et au bout du compte il dit : 'j'ai eu une rudement belle vie', puis meurt. N'est-ce pas ? Et il y a ceux qui sont paralysés ou mutilés et tous ces cas terribles qui augmentent de plus en plus dans le monde; pour eux, la mort pourrait être un événement extraordinaire.
23:25 E: Pour qui serait-ce un événement extraordinaire ?
23:28 K: Le paralytique. Les invalides, les incurables. Parlons-nous de la peur de la mort, ou de la peur de la vie qui nous fait avoir peur de la mort ?
23:51 E: C'est plutôt cela.
23:59 K: Alors, pourquoi avons-nous peur de la vie ? Quelle en est la cause, la raison ou les multiples raisons qui font que nous avons peur de vivre ?
24:18 E: Si je pouvais le savoir...
24:20 K: Discutons-en. L'une en est que dès l'enfance on me force à apprendre, à mémoriser, et je suis entraîné à confronter les problèmes. Notre cerveau a été conditionné à résoudre des problèmes mathétiques dès l'enfance, au collège, à l'université, problème sur problème. Le cerveau est donc conditionné aux problèmes, et il confronte alors les problèmes et la résolution d'un problème complique encore plus celui-ci, et sa solution produit dix autres problèmes. C'est ce que font les politiciens.
25:32 E: J'entrevois quelque chose de tout à fait valable. Notre éducation, telle que vous la décrivez, est une série d'essais pour résoudre des problèmes. Mais quand le problème surgit, ce n'est pas ce problème là que couvre cet essai, jamais.
25:48 K: Non, alors que se passe-t-il ?
25:51 E: Vous appliquez les règles...

K: Les vieilles règles.
25:53 E: ...les règles que vous avez apprises en espérant qu'elles agiront... et elles ne le font pas.
26:00 K: Voilà donc un des vrais problèmes des êtres humains : aborder un problème sans avoir le moindre problème.
26:10 E: Très bien. Oui, en fait, je suppose que la façon dont on vous enseigne définit le problème pour vous, mais celui-ci pourrait être tout autre. Vous ne pouvez donc résoudre que les problèmes que vous avez appris à résoudre et qui pour vous sont autant de problèmes, alors que des choses bien plus terrifiantes vous détruisent.
26:32 K: Oui. Et vous les abordez alors avec un cerveau entraîné à résoudre un problème.

E: Oui.
26:42 K: La plupart des gens religieux de ce monde croit en Dieu. Et pour atteindre cette divinité vous devez vous torturer, vous devez jeûner, vous plier à toutes sortes de refus : pas de sexe, ne regardez pas autour de vous, ne ressentez rien, maîtrisez vos désirs. Vous suivez ? Et nous sommes conditionnés de la sorte. Alors, je passe par tout cela pour atteindre Dieu. Et vous devenez un saint.
27:26 E: N'est-ce pas fou que dans les écritures chrétiennes, par exemple, il y ait tout un bazar à propos de gens extérieurs à tout cela, à propos de prostituées, etc., mais dans la vie, au fur et à mesure que la religion se durcit, s'institutionnalise...
27:44 K: Ils sont fous ! Alors, contentez-vous d'observer cela un instant. Nous avons peur de vivre car nous avons perdu... Puis nous disons : que signifie la vie, quel sens a-t-elle. Et n'en trouvant pas, nous inventons : les philosophes, les spécialistes interviennent, ainsi que les psychologues – vous suivez – nous inventons. Et cette invention devient notre sécurité. Puis je m'y cramponne. Je me battrai, je tuerai pour cela.
28:37 E: C'est comme un poison que l'on a absorbé.
28:42 K: C'est ce qui a lieu.
28:44 E: Savez-vous en fait pourquoi je suis ici ? Je vais vous raconter ce qui s'est passé la dernière fois. A ma première venue ici il y avait deux heures d'attente et on me conduisit dans une pièce pour y voir des vidéos de vous. Au bout de deux heures, je conçus une grande aversion à votre égard.
29:02 K: Aversion ?

E: Aversion.
29:03 K: Bien.

E: Une forte aversion. Puis, tout à mon aversion, j'allai déjeuner et une voix derrière moi dit : 'vous devriez prendre de la carotte rapée, c'est très bon', et c'était vous. Après cela tout alla bien entre nous. Voyez-vous, j'étais évidemment en formation, m'éduquant à travers vous, j'essayais de voir ce qu'il en était, acquérant toutes sortes de notions dont l'effet était très déprimant. Et pourtant les carottes et votre présence étaient satisfaisantes, ce n'était pas un problème. Je souhaite donc ardemment que rien de ce que nous disons aujourd'hui puisse provoquer une telle sensation, que nous n'éprouvions rien de la sorte – bien qu'on ne sache jamais.
29:54 K: Nous discutons, n'est-ce pas, de la raison pour laquelle la vie a perdu tout son sens. L'arbre ne pose pas cette question. Le tigre ne la pose pas davantage. N'est-ce pas ? Il dit 'je vis'.
30:22 E: En effet.
30:29 K: Ainsi Monsieur, s'il n'y avait pas de conflit dans la vie, je ne poserais jamais cette question. Je ne sais si je suis clair...
30:41 E: Je n'ai pas compris la dernière phrase.
30:43 K: Si la vie ne comportait pas le moindre conflit, vous ne poseriez jamais cette question.
30:49 E: La question de l'absurdité de la vie.
30:52 K: Le sens de tout cela.
30:54 E: Cela sous-entend l'idée qu'il faudrait avoir une sorte de perfection.

K: Oui.
30:58 E: Ce qui est une autre fiction. Nous trébuchons donc de fiction en fiction.
31:04 K: D'illusion en illusion, de chimère et ainsi de suite.
31:12 E: Et je suppose que l'horrible vérité est que tout système...
31:15 K: Qu'est-ce qui incite les êtres humains à poser cette question ? Le fait que leur propre vie n'a aucun sens – aller au bureau de neuf à dix-sept heures, jusqu'à soixante ans, les responsabilités, la maison, l'hypothèque, l'assurance, et le conflit dans la relation, etc. Et à 65, 70, 80 ans, vous tirez votre révérence. Alors vous dites 'quel est le sens de tout cela ?'
31:58 E: Qu'est-ce que cela veut dire.
32:10 K: Puis il y a la mort. Alors vous dites : 'je vais mourir, j'espère en une autre vie' – vous suivez ? – tout ce cycle commence : espoir, désespoir, dépression, peur, j'ai tant accompli dans cette vie-ci, et qu'est-ce que ça veut dire, arriver à la fin de tout cela ? On m'a parlé d'un homme, je l'ai rencontré, qui était richissime – d'énormes biens. Ses armoires en étaient pleines : or, argent liquide de toutes origines – surtout suisse. Mourant, il dit : 'comme je ne puis emporter cela avec moi, laissez toutes les portes des armoires ouvertes pour que je puisse tout contempler en mourant'. Pensez !...
33:26 E: Magnifique. Quelle belle dernière pensée. Pendant que vous parliez, j'ai ressenti l'incongruité de la mort, la chose dont il ne faudrait pas parler; le siècle dernier, c'était du sexe, à présent c'est de la mort. J'ai senti que ne pas vraiment vivre avec, la cotoyer, nous place dans une situation impossible.
33:51 K: Je n'en suis pas certain, Monsieur. Après tout, la mort signifie en finir totalement avec tous les souvenirs, toutes les expériences, le savoir, les attachements, les peurs, les souffrances, les anxiétés, – finir. C'est comme quelqu'un qui met en pièces tous les fils que vous avez réunis – mettre fin. Nous devrions discuter de ce que signifie mettre fin. Mettons-nous jamais fin ? Ou y a-t-il dans la fin une autre continuité.
34:53 E: Cela paraît inutile... Je ne sais pas. Je n'ai jamais vraiment eu la sensation de commencer, ni le sens du temps qui s'écoule, et n'ai pas plus le sens de ma propre fin, j'ai donc toutes les raisons de croire que ce sera sûrement le cas pour le reste – suis-je clair ?
35:11 K: Oh oui. Qu'est-ce que finir ? C'est la mort. Non ? Je puis croire que je renaîtrai dans une prochaine vie.
35:28 E: La mort est observable par autrui, sûrement.
35:32 K: Pas seulement; je veux y croire, c'est réconfortant.
35:36 E: Vous voulez penser que...

K: Je veux y croire. Cela me procure un grand réconfort : j'ai au moins une autre chance.
35:44 E: Je vois ce que vous voulez dire.
35:48 K: Tout le monde asiatique croit en la réincarnation. Et à présent, c'est en partie admis ici, des livres paraissent, des gens disent 'j'y crois', etc.
36:02 E: Eh bien, l'après vie à laquelle on croit en général dans ce pays-ci, dans cette tradition.
36:08 K: Oui, ici dans le monde chrétien, ils y croient sous une autre forme, la résurrection, etc.
36:14 E: Une manière subtile de vous tranquilliser à propos de ce qui a lieu maintenant.

K: Oui. Il y a donc la mort, finir, et il y a le vivre. Le vivre est devenu si... Inutile de s'y étendre, nous le savons très bien. Et c'est là, en attente. Pas en attente, c'est là. Nous allons tous tirer notre révérence, mourir. C'est la question. N'est-ce pas ? Il y a un intervalle de temps. L'intervalle pourrait être de cent ans, ou de cinq ans, ou de cinquante ans, c'est un intervalle de temps. Et pendant cet intervalle de temps je vis. J'agis, vivant, souffrant, dans le désespoir, etc. Je n'ai pas résolu ce problème, cette façon de vivre, s'il y a une façon de vivre dénuée de douleur, dénuée de souffrance – vous suivez ? – et il y a aussi l'autre aspect qui est de mettre fin à tout ceci. Sans intervalle de temps, ces deux aspects vont de pair.
37:53 E: Oui.
38:00 K: Ce qui signifie donc mettre fin tous les jours à toute chose.
38:07 E: Oui.
38:10 K: A vos attachements – ceci est mon école, vous suivez ? Cela réduit, limite tellement le cerveau.
38:23 E: Mais nos motifs d'attachement sont si extraordinaires, on peut se féliciter de s'être défait de l'attachement A, tandis que B à Z s'alignent pour prendre la suite.
38:34 Oui, Monsieur.
38:36 E: C'est un problème extraordinairement destructeur.
38:38 K: Alors, est-il possible de vivre ainsi ?
38:46 E: Qu'en pensez-vous ?

K: Oh oui. C'est la seule façon de vivre, autrement on passe par l'enfer. Donc la vie n'est pas... Au contraire, la vie comprend la mort, vivre est la mort. Donc chaque jour, ce que vous avez acquis, écartez-le. Si je suis attaché à cette maison, je sais que la mort dit : 'mon brave, c'est impossible. C'est ta fin', alors je dis : 'je me libère de l'attachement à cette maison'. Ne pas être attaché – vous suivez ?
39:45 E: Oui, non attaché.
39:47 K: Vous en êtes complètement libéré.
39:49 E: Et pourtant s'en servir, c'est le problème. Le non attachement peut souvent prendre des formes de résistance.
39:57 K: Je vis donc dans cette maison, j'en suis responsable, je suis responsable de ce qui a lieu ici, mais je vais aussi mourir. Alors, pendant cette journée de vie je suis pleinement responsable.
40:19 E: Vous n'êtes pas responsable du jour où vous êtes absent.

K: Oui.
40:35 E: Il doit y avoir quelque chose en nous qui pense que la vie sera blessante si nous la vivons.
40:40 K: La vie est blessante.

E: Si nous la vivons.

K: Oui.
40:44 E: Voyez-vous, tandis que l'esprit dira : 'je sais qu'il est stupide de croire en quoi que ce soit, que les relations, la boisson, ou le métier sont un petit refuge, pendant que l'esprit dit cela il doit aussi subtilement, d'une voix tranquille, dire : 'mais l'alternative est plus terrifiante'.
41:09 K: Voyez-vous, c'est pourquoi il faut s'enquérir de l'existence d'un devenir, et par conséquent la fin du devenir engendre la peur.
41:24 E: La fin du devenir engendre la peur, oui.
41:31 K: Et y a-t-il un quelconque devenir psychologique ? Il y a pourtant bien un devenir dans le monde. J'entends, on est apprenti auprès d'un maître charpentier et l'on travaille à son côté jusqu'à peu à peu devenir aussi bon que lui.
41:56 Cette même attitude, cette même activité déborde ou se répand dans l'autre domaine, le psychologique, l'intérieur – je dois devenir quelque chose. Sinon, je suis perdu, je suis un raté, je suis déprimé, vous êtes devenu quelque chose, je ne suis personne.
42:21 E: Cela implique que le stade ultime est préférable au précédent, que le maître est préférable à l'apprenti. Il me semble que les gens que j'admire, tout en ayant leur âge chronologique en sont restés à un autre âge. Ces gens que j'admire vraiment ont environ trois ans.
42:39 K: Des enfants.
42:40 E: Oui, mais aussi ceux qui ont cette curieuse façon béate de voir. Bien que je sois toujours soupçonneux à l'idée de croître ou de se développer en quelque chose. J'ai le sentiment que cela a déjà été négligé. Est-il sensé de postuler que tout cela était préexistant, évoquant notre enfance en quelque sorte . Et de quelque manière que l'on envisage de s'extraire de ses petites prisons, du fait que c'est une idée, la peur s'y est inscrite en tant qu'idée.
43:27 K: Qu'idée, tout-à-fait. L'idée devient donc une peur.

E: C'est exact. Par conséquent, l'idée d'une délivrance est une peur. Donc nous attendons.
43:41 K: Non.

E: Alors, que faire ?
43:43 K: Voir s'il est possible de mettre fin à la peur.
43:48 E: Mettre fin à la peur, oui.
43:51 K: Pas à une peur particulière, mais mettre fin à toute l'arborescence de la peur. Et nous essayons d'élaguer les peurs, vous savez.
44:06 E: Avec quelle hache ? Comment y parvenir ?
44:09 K: Nous allons le voir. Qu'est-ce que le temps ?
44:25 E: Qu'est-ce que le temps.
44:30 K: Pas celui du chronomètre, du lever et du coucher du soleil.
44:38 E: Je pense ne pouvoir comprendre le temps que par rapport au passé. Est-ce correct ?

K: Vous l'avez dit, M. Une partie du temps relève de ce qui a eu lieu hier...
44:50 E: Cela me donne l'idée du temps.
44:53 K: Oui. C'est ce qui a eu lieu hier, ou un millier d'hiers, ou quarante mille ans depuis que l'homme est censé exister sur terre; c'est-à-dire, toute la durée de quarante mille ans se situe dans le présent.
45:19 E: La pensée se situe dans le présent et tout ce que nous en savons est dans le présent.

K: Oui, tout cela est dans le présent. Et le futur est le présent.
45:35 E: On présume qu'il va y en avoir un et nous en faisons une fiction. Pour sûr. On ne peut l'avoir demain, il faut que ce soit maintenant.
45:44 K: Non. Comme nous le disons, le passé est maintenant, dans le présent.
45:50 E: C'est ainsi qu'il faut le prendre.
45:52 K: C'est ainsi, l'actualité.

E: Pour sûr.
45:55 K: Je me souviens de vous avoir rencontré l'année dernière, il y a donc cette durée de temps, la reconnaissance, si je le reconnais, et le futur est identique à maintenant, car je vous reverrai l'année prochaine et dirai oui, bonjour, comment ça va, etc.

E: Oui.
46:19 K: Donc le futur se situe aussi maintenant. Ainsi, le présent contient le passé, le présent et le futur. Il n'y a donc pas de futur. Je ne sais si vous le voyez...

E: Oui, je vois ce que vous voulez dire.
46:47 K: Le futur est ce que vous êtes maintenant.
46:51 E: Il est surprenant comme nous habitons ce futur inventé, avec des possibilités délétères et Dieu sait quoi. Oui.
47:01 K: Le futur est donc maintenant. Et faute de démonter le 'moi' maintenant, je serai exactement le même demain. Je mets donc en doute la possibilité de toute évolution psychologique. Vous comprenez ? Il n'y en a pas.
47:33 E: Excepté une autre fiction que quelqu'un a inventée en vous observant. Oui.
47:40 K: Pour moi, il n'y a pas de 'plus' ou de 'mieux' – le mieux est le futur.
47:51 E: Bien, oui.
47:53 K: 'Mieux' est une mesure, 'ce que je devrais être'. Donc 'ce qui devrait être' est une façon d'éviter ce que je suis. Cela crée donc un conflit.

E: Oui.
48:18 K: Je vois donc effectivement, pas théoriquement ou sentimentalement, que le fait réel est que la totalité du temps se situe maintenant et qu'il n'y a par conséquent aucun devenir, aucun idéal à atteindre.
48:44 E: Voilà une pensée bien radicale. Tout en ayant une impression de 'déjà entendu', cette pensée est néanmoins désespéremment étrange, elle défie tous les critères selon lesquels on vit. Parlez-moi aussi de cette hache...
49:02 K: J'y viens...
49:04 E: ...car je veux m'en défaire.
49:07 K: Qu'est-ce alors que le changement ? Si je change selon un futur idéal, cet idéal est projeté par la pensée, ce qui implique aussi le temps – la pensée est du temps. Dons si l'on saisit vraiment la profondeur de cette annonce, en ressentant que tout temps se situe maintenant, et qu'il n'y a donc pas de demain au sens où 'je serai quelque chose demain', le conflit prend alors fin.
50:07 E: Oui.
50:09 K: C'est là un facteur énorme. Nous avons admis le conflit comme mode de vie. Il n'y a plus le moindre conflit. C'est-à-dire, je dois comprendre le changement. Je suis ainsi et si je ne change pas, demain je serai exactement pareil à ce que je suis à présent. Qu'est-ce donc que le changement ? Y a-t-il un quelconque changement psychologique ? Vous comprenez ? Ou seulement 'ce qui est', et le fait de prêter attention à 'ce qui est' est la fin de 'ce qui est'.
51:05 E: Oui.
51:10 K: Mais on ne peut pas prêter une attention totale à 'ce qui est' quand on a un idéal.
51:17 E: Oui, c'est juste.
51:23 K: On m'a demandé de parler aux Nations Unies. Avant tout, il y a une contradiction dans les termes 'Nations Unies'. Il y est dit qu'il faut se rassembler, devenir amis et tout ce blabla, et cela n'a jamais lieu, car le principe en est faux : mon pays et votre pays, mon Dieu et votre Dieu. Les Russes ont leur idéal et... Donc si en effet on réalise, on ressent la profondeur de ce que tout temps se situe maintenant c'est comme un éclair qui transforme.
52:24 E: Dans ce 'tout temps est maintenant', ce 'maintenant' est-il toujours joyeux ?
52:28 K: Comment ?

E: 'Maintenant' est-il toujours joyeux ?
52:32 K: Ne vous servez pas du mot 'joyeux'.

E: Bien
52:38 K: Pourquoi devrait-il être joyeux ?
52:39 E: Non – Tout à fait.
52:43 K: Pourquoi devrait-il être quoi que ce soit ?

E: En effet.
52:51 K: Vous savez, il y a une chose que nous devrions aborder, si nous en avons le temps : qu'est-ce qu'être rien ? Parce que nous voulons être quelque chose. Le vouloir dénote un sentiment de manque. Je n'ai pas une bonne maison, j'en veux une meilleure. Je ne possède pas tout le savoir des livres, je dois lire. Il y a donc cette énorme aspiration. Et à quoi bon cette aspiration ? Je ne suis pas philosophe...
53:48 E: Non, je sais.
53:49 K: A quoi aspirons-nous ? Nous voulons la paix. Nous aspirons à la paix et nous vivons violemment.
54:03 E: Nous cherchons toujours les sources de la violence en dehors de nous.
54:07 K: C'est cela. Et nous citons donc la non violence. Alors qu'un être humain est violent, vivant violemment, luttant, se querellant, en conflit, et il œuvre pour la paix.
54:30 E: Je vais vous dire le pourquoi de 'joyeux'. Je ne parlais pas vraiment de 'joyeux' dans un sens qui causerait problème. Je me suis seulement souvenu d'une grande exposition à Olympie, à propos de l'Esprit et d'une chose ou l'autre, et il y avait plusieurs pavillons et diverses personnes, diverses confessions religieuses, et tout le monde souriait. Ils vendaient cette sorte de sourire, cette qualité de félicité, vous savez. Et je m'affligeais d'avoir un pavillon où tout le monde souffrait d'un fort mal de tête. Vous voyez ce que je veux dire ? Et je voulais simplement aller vers eux et être présent. Non parce que c'était bon ou mauvais; la grande difficulté, c'est que tout ce que vous dites peut si facilement être associé à des pensées très destructrices, c'est là votre fardeau.
55:21 K: Oui. Alors M., le mot 'changement' implique : je suis ceci, je dois être cela. Nous sommes conditionnés ainsi depuis l'enfance.
55:46 E: A nous y attendre.
55:48 K: Si lourdement conditionnés. Je vois une petite auto. Il m'en faut une plus grande. Je vous vois à la télévision, et pourquoi n'y suis-je pas aussi ?
56:02 E: Nous devrions y être ensemble.
56:05 K: Vous savez, cet ardent désir, non seulement de publicité, mais cette aspiration intime à Dieu, à l''illumination, à une vie juste, il faut donc être tous ensemble. Pourquoi avons-nous une telle aspiration ?
56:41 E: Je l'ignore. Il y a là un grand manque d'amour, le sentiment de ne pas être vraiment aimé et la possibilité que la plus grande auto vous étreindra contrairement à la petite, et vous compensera. C'est un sentiment déplacé de manque d'affection, non ?
57:06 K: Partiellement. Est-ce en soi un sentiment d'insuffisance ? Je ne suis pas aimé.
57:21 E: Cela me semble... une réelle motivation.
57:23 K: Je ne suis pas aimé. Pas aimé de cette femme ou de cet homme. Et il faut que je sois aimé de cet homme ou de cette femme. Mais cela mêne à une autre question très complexe : qu'est-ce que l'amour ?
57:58 E: J'aurais tendance à dire la possessivité.
58:00 K: Bien sûr. Attachement, jalousie, possessivité, plaisir sexuel, désir de plus...
58:22 E: C'est aussi l'amour de soi, n'est-ce pas ?
58:25 K: Nous appelons tout cela l'amour.

E: Oui.
58:32 K: Quelqu'un m'a dit : comment peut-il avoir amour sans jalousie ? C'est-à-dire sans haine. Vous suivez ?
58:44 E: Assurément, oui. Eh bien, au sens de la possession, c'est impossible. Oui.
58:52 K: Et l'on demande alors : quel lien y a-t-il entre l'amour et la mort ?
59:01 E: Entendons-nous par cet amour la possession ?
59:04 K: La possession, tout cela, toute cette idée, ce mot inclut tant de chose.
59:15 Si vous dites que l'amour parfait rejette la peur, il n'est pas parfait, n'est-ce pas ?

K: Non, non...
59:20 E: Non, exactement, je sais, c'est un tueur !
59:30 K: Si vous posez cette question, M., qu'est-ce que l'amour et cet état d'amour qu'a-t-il à voir avec la mort ? L'amour dans le sens ordinaire de ce mot. A-t-il un lien quelconque ? Et s'il y en a un, comment se dévoile-t-il ? Comment se manifeste-t-il ?
1:00:04 E: Nous parlons de l'amour comme d'une série défectueuse de polices d'assurance contre la mort, alors que l'assureur est sur le point de s'effondrer. Mais vous contractez quand même l'assurance.
1:00:21 K: Avant tout, on ne pose jamais cette question.
1:00:25 E: Du lien entre les deux – non. Certainement pas tandis que nous plongeons dans l'amour.
1:00:32 K: Alors, si vous posez cette question, – je vous la pose, si vous le permettez – quelle est votre réponse ?
1:00:41 E: A quoi ?

K: A cette question.

E: Le lien.
1:00:44 K: Oui, quel est le lien, qu'est-ce qui les relie ? Y a-t-il une lien quelconque ? S'il y en a un, de quelle nature est-il ?
1:00:59 E: Cela ressemble à une tentative d'évitement, pour que cela n'ait pas lieu. Le possession dans le sens où nous en parlons est une recherche de permanence là où il ne peut y en avoir. D'où une tentative de désavouer le fait que les choses meurent.
1:01:15 K: La mort est impermanente.
1:01:17 E: La mort est impermanente. La mort est un mot permanent décrivant un événement impermanent.
1:01:22 K: La mort est impermanente. Et la possessivité, un espoir de permanence.
1:01:30 E: Absolument. Une tentative de proroger cela éternellement, oui. Il est curieux comme la poésie d'amour bon marché renvoie toujours à la notion d'un "à jamais". La bonne poésie d'amour traite habituellement d'échecs.
1:01:45 K: Quel est le lien ? Quel est le lien entre l'obscurité et la lumière ?
1:02:02 E: On ne peut avoir l'un sans l'autre.
1:02:05 K: Non. Je demande qu'est-ce qui relie les deux.
1:02:12 E: Pourriez-vous me le dire ?
1:02:14 K: Ainsi, l'obscurité, nous l'éprouvons en l'absence de clair de lune, d'étoiles, rien, une forêt obscure – cela m'est arrivé – une obcurité absolument impénétrable. Puis le soleil se lève et tout est lumière. Quel lien y a-t-il entre ceci et cela ?
1:02:47 E: Dites-le moi.
1:02:51 K: Je ne pense pas qu'il y en ait.
1:02:54 E: Vraiment ?
1:02:57 K: La lumière est la lumière. Un instant, permettez-moi d'exprimer cela autrement. Quel rapport y a-t-il entre le bon et le mauvais ? Y en a-t-il un ?
1:03:14 E: Avant d'aborder le bien et le mal, si je pouvais traiter l'obscurité et la lumière : s'il m'est demandé de décrire quelque chose, pour le décrire il me faut la présence d'un des éléments avant de pouvoir aborder l'autre. Par exemple, si je décris cette forêt où je ne vois pas un arbre, c'est l'obscurité, et quand la lumière apparaît l'arbre devient visible.
1:03:38 K: Vous jugez alors la lumière et l'obscurité selon votre perception.

E: Oui. C'est exact.
1:03:46 K: Evidemment.

E: Mais ce n'est que quand je dois le décrire que le rapport existe de ce fait.
1:03:53 K: Mais allez un peu plus avant, plus à fond. Quel rapport y a-t-il entre ce qui est bon et ce qui est soi-disant mal ou mauvais ? Le bon est-il né du mauvais ? Du fait que je sais ce qui est mauvais, ou fais l'expérience de ce qui est douloureux, mauvais, etc., j'évite ou cherche ou essaie de passer du mauvais au bon.
1:04:34 E: J'userais des termes bon ou mauvais pour décrire des effets très temporaires, non ?
1:04:40 K: Non. Le bon est-il temporaire ?

E: Oui.
1:04:44 K: Ce qui est bon, ce qui est beau n'est pas temporaire.
1:04:51 E: Pourquoi pas ?

K: Je vais le montrer, voyons cela un instant. Si le bon – ou quel que soit le mot que vous préfèreriez – est issu du mauvais, s'il y prend ses racines, alors il n'est pas bon, il fait partie du mauvais. Ainsi, chaque opposé prend racine dans son propre opposé.
1:05:20 E: Bien. Je saisis cela.
1:05:24 K: Alors, y a-t-il un bon qui ne soit pas issu du mauvais ?
1:05:33 E: Pas quelque chose que je nommerais ainsi. Je ne le pourrais pas, car nous nous en sommes déjà servi.
1:05:40 K: Nommez-le autrement, peu importe. Le bon vieux mot à la mode, le bon, le beau, la vérité. Mais je mets totalement en cause l'existence même d'un opposé.
1:06:00 E: Au bon, dans le sens où nous en parlons.
1:06:02 K: Non, à l'opposé.

E: Tout opposé ?
1:06:03 K: Tout opposé. Bien sûr, il y a l'homme, la femme, grand, petit.
1:06:07 E: Assurément. Ce sont des convenances.
1:06:10 K: Oui. Mises à part les convenances, y a-t-il quelque chose d'aussi absolu ne relevant pas de l'utile ?
1:06:22 E: Je m'en servirais moi-même toujours avec réserve. Je ne pourrais pas faire autrement. J'aurais peur de ceux qui le font, car ils deviennent des meurtriers.
1:06:31 K: Oh non, au contraire.

E: Que voulez-vous dire ?
1:06:39 K: Je veux dire la liberté de la bonté, pas son mauvais usage. Le mauvais usage de la liberté est ce qui a lieu dans le monde. Mais la liberté est bonne, elle comporte une qualité de bonté. Je n'aime pas me servir des mots 'morale', 'vertu' qui n'ont d'autre sens que leur notion de profondeur.
1:07:22 E: Nous voilà à nouveau face à la peur et à l'absence de peur.
1:07:26 K: Evidemment.

E: N'est-ce pas ?
1:07:31 K: D'où notre question : peut-on être totalement libre de peur ? Pas ce qui pourrait arriver dont je pourrais avoir peur, ou ce qui a eu lieu dont j'ai peur, mais ces deux éléments, le passé et le futur, sont dans le maintenant. N'est-ce pas ? Alors, le maintenant, c'est-à-dire la peur, peut-il être totalement effacé ?
1:08:16 E: La présence du maintenant, comme vous le traitez, dépend de la présence en soi de ces fictions du passé et du futur.
1:08:23 K: C'est exact.
1:08:24 E: Donc même parler du maintenant est risqué.
1:08:27 K: Oui, mais il faut bien utiliser ces mots 'présent', 'maintenant'. Vous êtes assis là, moi ici, c'est maintenant.
1:08:36 E: Mais il vous faut pousser plus loin le scalpel.
1:08:39 K: Bien sûr, là il faut faire preuve d'un peu de subtilité...
1:08:44 E: C'est exact. Mais la peur subsiste tant que le couteau peu creuser...
1:08:56 K: C'est cela.

E: ...le maintenant.
1:08:58 K: Oui, bien sûr. Qu'est-ce alors que la peur ? Pas en théorie, qu'est-ce en fait que la peur, dans son coeur, son cerveau, comment survient-t-elle ? Quelle en est la source, sa racine, son commencement ?
1:09:20 E: En gros, à première vue cela a quelque chose à voir avec ne pas être à sa place, ne pas se sentir là où il faudrait être. Un 'devrait' s'y implique; on 'devrait' être comme ceci ou comme cela.
1:09:33 K: Nous en avons parlé : le devrait-être, je vais...
1:09:36 E: Vous parlez d'une autre peur.
1:09:38 K: Tout ceci est de la peur. Quelle en est la racine ? Nous avons dit que la peur est comme un grand arbre. Il y a ici un arbre magnifique, un chêne, il s'étend sur un demi hectare. Notre peur est ainsi, mais la racine de ce chêne est là, au centre, les branches sont énormes.
1:10:11 E: Quelle est la racine ? Comment la décririez-vous ? Vous me demandez de la décrire.
1:10:16 K: Pas de décrire. Le fait en est le temps et la pensée.
1:10:32 E: On peut jouer avec la pensée mais pas...
1:10:35 K: Non, le temps et la pensée sont la racine de la peur. Nous essayons de comprendre s'il est possible d'être délivré de la peur, totalement, complètement – psychologiquement s'entend. Et sa racine, le commencement à partir duquel le chêne grandit, devient énorme, la racine en est le temps et la pensée. Le temps étant 'je serai', faute de quoi j'ai peur. La pensée dit 'j'ai été et mon Dieu, j'espère être'.
1:11:21 E: Y a-t-il une sorte de peur qui n'est pas liée à la pensée ? Ou toute peur est-elle liée à la pensée ?
1:11:26 K: Toute peur est liée à la pensée. Bien sûr.
1:11:30 E: Si quelque chose vous arrive tout à coup qui terrifie l'organisme...
1:11:35 K: A cet instant il n'y a pas de peur, mais la pensée surgit alors.
1:11:38 E: L'intervention de la pensée, si rapide soit-elle, plus rapide que la lumière, et puis la peur réactive. Oui, oui. Bien.
1:11:51 K: Puis vient la question : la pensée peut-elle être active dans certains domaines – écrire une lettre, parler et ainsi de suite – pleinement active, et pas du tout dans d'autres domaines, dans le monde psychologique, pas du tout.
1:12:25 E: Je n'ai jamais compris la pensée discursive. Je n'ai jamais eu d'attirance pour cela, en fait, même pour assembler des phrases... J'ai toujours senti que les choses qui font sens pour moi me sont venues comme ça, comme par un éclair.
1:12:38 K: Notre pensée est linéaire.
1:12:40 E: Nous sommes formés d'une façon linéaire, mais je ne m'y suis jamais senti à l'aise.
1:12:44 K: Nous sommes formés, comme les Chinois, c'est encore linéaire.
1:12:50 E: C'est encore linéaire. C'est juste. C'est l'instruction, là où l'on réussit ou échoue à son examen.
1:12:55 K: Penser est une série de connections, d'associations, toujours...
1:13:05 E: Alors vous animez une école qui vise à faire cesser de penser.
1:13:09 K: Non, non. La pensée est absolument nécessaire dans certains domaines. Là, il faut beaucoup d'attention, beaucoup de savoir, une grande aptitude, de la compétence, et de l'habileté, de l'inventivité.

E: Assurément.
1:13:34 K: Et cette même activité se serait-elle déversée ou étendue à l'autre domaine ?
1:13:42 E: Très bien, oui, excellent. Savoir où elle est utile, la conserver en tant qu'outil efficace.
1:13:53 K: Si je comprends, en vois vraiment la profondeur, le sérieux, je demanderais alors pourquoi la pensée est-elle toujours mouvante, active dans le monde psychologique. Le monde psychologique est le 'moi', ma conscience, mon échec, ma réussite, ma réputation, mon 'je dois être', 'je ne dois pas être', ma foi, ma croyance, mon dogme, mon attitude religieuse, politique, peur, douleur, plaisir, souffrance – tout cela est moi. Tout cela est la mémoire. Tout cela étant donc mémoire, le 'moi' est mémoire.
1:14:56 E: Le 'moi', si l'on est élevé comme nombre d'entre nous dans ce pays.
1:15:00 K: Dans le monde entier.
1:15:02 E: Peut-être, selon une sorte de tradition Bunyan où vous êtes reponsable de vous-même, il y a là un élément qui fait sens, il y a aussi un élément très destructeur. Quelqu'un m'a raconté une histoire, je pense au Japon, à propos d'un certain mode de vie : un homme courait, fuyant son ombre, réalisa qu'il lui suffisait de se réfugier sous un arbre pour que l'ombre disparaisse. Je me souviens de m'être aussitôt senti outré par cet aspect méthodiste : 'on ne peut s'écarter de son ombre.' Mais évidemment on le peut et il le faut.
1:15:38 K: La pensée et le temps sont donc à la racine de la peur. Pourquoi la pensée pénètre-t-elle ce domaine, ce royaume du psychisme ?
1:16:05 E: Je me le demande. Cela semble stopper le danger, car avoir une pensée, c'est comme de l'amiante pour tenir un objet chaud, on a l'illusion que la pensée permet de maîtriser une chose qui dans son état incontrôlé pourrait nous submerger.
1:16:28 K: Voilà donc le penseur qui tient quelque chose de chaud et la pensée qui dit 'ne le tiens pas'.
1:16:39 E: Oui. Attention.
1:16:43 K: Il y a donc deux entités distinctes : le penseur et l'objet auquel il pense. Qu'est-ce alors que le penseur ?
1:17:01 E: Une pensée.
1:17:03 K: Exact ?

E: Oui.
1:17:05 K: La pensée dit : je suis le penseur, distinct de...
1:17:12 E: Oui.
1:17:17 K: Mais il s'agit de réaliser que l'observateur, le penseur, l'expérimentateur, est l'expérience, est l'objet, ils font un, ils ne sont pas distincts. Monsieur, cela signifie une formidable révolution, intérieurement, psychologiquement. Ce qui signifie que sans division il n'y a pas de conflit. Il n'y a que ce fait. Quand vous prêtez votre attention au fait, celui-ci se consume. Mais la pensée est conservée pour planter un arbre.

E: Oui, bien sûr.
1:18:07 K: Apportez cette fleur.

E: C'est sensé, oui.
1:18:14 K: Alors si vous prêtez attention à cela, cela ne créera jamais de problèmes.
1:18:25 E: Oui, je comprends. Voyez-vous, tout ce que nous disons conduit à un carrefour.
1:18:31 K: Oui, Monsieur.
1:18:33 E: Car cela nous dérange de penser qu'il nous faut abandonner diverses façons de gérer le monde.
1:18:40 K: Quelqu'un a dit : il faut brûler vos icônes.
1:18:43 E: Brûlez vos icônes, en effet. Oui. Et c'est dérangeant, et il n'y a pas d'autre moyen.
1:18:54 K: Alors, quand vous brûlez vos icônes, la mort est là. Vous comprenez ?

E: Oui.
1:19:08 K: Et de plus, M. – j'ignore si vous avez abordé cela, pas théoriquement, mais effectivement – qu'est-ce alors que la création ? Pas l'invention, je ne parle pas de cela. L'invention est issue du savoir. Le scientifique peut inventer de nouvelles bombes atomiques, ou quelque chose de neuf, mais c'est toujours issu du savoir.
1:19:47 E: Qu'est-ce que la création, dans quel sens ?
1:19:48 K: La création qui n'est pas née du savoir. Car le savoir est limité.
1:20:00 E: Limité, oui, en effet.

K: Maintenant ou dans le futur.
1:20:04 E: Et c'est pré-limité...

K: C'est limité
1:20:09 Si la création est née du savoir, ce n'est pas de la création, c'est de l'invention.
1:20:22 E: Certainement, quoique j'ai pu faire de façon routinière, à mes moments perdus, peut-être lors d'une séance d'écriture certainement dénuée de toute connaissance pré-conçue, quand mes limites paraissaient presque illusoires et que je n'étais pas confiné pour une raison ou une autre, et que quelque chose d'autre y était apporté, vous écrivez alors ou faites quelque chose qui a une force qui ne provient pas de vous.
1:20:50 K: Non. Faut-il que la création soit toujours exprimée ? Vous comprenez ?
1:20:59 E: Pardon – Faut-il...
1:21:00 K: Faut-il que ce soit toujours exprimé ? Dans un écrit, une sculpture, une peinture. Vous suivez ?
1:21:08 E: Oui. Je ne vois pas pourquoi cela devrait tant soit peu être exprimé.
1:21:15 K: Alors si nous voyons tous deux le fait que la création ne peut naître du savoir...
1:21:22 E: Oui, c'est certain.
1:21:25 K: Ce qui naît du savoir est de la grande invention sous des formes diverses à des niveaux divers, etc. Mais y a-t-il un état d'esprit, cerveau ou esprit, où le savoir n'a pas lieu d'être ?
1:21:46 E: Où il y a création.
1:21:48 K: Où il y a création. Vous comprenez ce que nous disons ?
1:22:00 E: Eh bien je pense... elle doit... Elle existe, je suis sûr quelle existe. Je l'ai vécu. Pourquoi faudrait-il l'écrire, cela semble une horrible...
1:22:16 K: Non. Je ne sais pas. Tout d'abord, suis-je, moi qui ai écrit, parlé ou inventé, et donne à mon invention le nom de création – je peins un tableau et dis que c'est une superbe création. Léonard peint quelque chose, et je dis : 'quelle merveilleuse création est-ce là'. On s'est servi de ce mot dans les deux sens.
1:22:59 E: En effet. C'est une fin, c'est un produit, on s'en sert comme d'un produit. Ainsi, quand vous obtenez des croquis d'un maître, disons – servons-nous de leur exemple – un croquis, une chose incomplète qui vous titille en quelque sorte, comme ne le ferait peut-être pas le produit fini.
1:23:21 K: Bien sûr.
1:23:22 E: Car le mécène, celui qui a payé le tableau, intervient fréquemment dès lors qu'il est au stade final. Tandis que l'énergie dépensée à le produire n'a pas eu à le mener à son terme et il est là à un stade précoce.
1:23:43 K: Voyez-vous, c'est là une des questions que posaient les grands anciens, à savoir, y a-t-il un état d'esprit où le savoir prend fin ? Il a beau être utile en d'autres domaines... Une fin totale. Alors seulement apparaît quelque chose de neuf. Et cette chose est de la création. C'est cela, la création. Vous comprenez ?
1:24:24 E: La fin du savoir est en elle-même création, oui.
1:24:31 K: Cela requiert non pas une discipline de conformité, mais une formidable diligence, intérieurement, un sens de profonde vigilance afin que l'autre aspect ne s'y glisse pas.
1:24:53 E: Il vous faut alors tout lâcher. Vous ne seriez pas ce que vous êtes. Vous savez, c'est une pensée glaçante.