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LO82T2 - L'ordre dans la conscience
2ème Causerie Publique
Londres, Royaume-Uni
6 Juin 1982



0:22 Krishnamurti : pouvons-nous poursuivre le sujet d'hier ? Nous avons longuement parlé de la question de la peur. S'il est vraiment possible d'être totalement et complètement libéré de la peur. Nous avons montré la nature et la structure de la peur, les causes qui favorisent la peur. Et nous avons dit que la peur ne pouvait être refoulée ou transformée, ou fuie. Elle doit être observée, et il faut discerner que l'observateur est l'observé, que l'observateur n'est pas séparé de la peur. L'observateur, qui est le passé avec tout le savoir accumulé, se sépare, et par conséquent, soit il refoule la peur, soit il la fuit ou il essaye de la transcender, d'aller au delà. Tout cela implique le conflit. En tant qu'êtres qui vivent en conflit depuis des milliers d'années, nous devrions considérer ensemble s'il est possible d'éliminer entièrement la peur, le conflit. Et cela n'est seulement possible que lorsque l'observateur réalise qu'il n'est pas séparé de ce qu'il observe, psychologiquement. Alors cette division entre l'observateur et l'observé disparaît entièrement. Ce n'est pas simplement une idée, un mouvement habile de la pensée. L'observation n'a rien à voir avec la pensée. Observer tout le mouvement de la peur, sa complexité, ne pas l'aborder avec des motivations ou essayer de la dépasser, mais simplement l'observer. Il me semble très important que nous apprenions – si nous pouvons employer ce mot, et apprendre n'est pas une question de temps, ici – à observer sans l'accumulation des souvenirs du passé. Cela demande énormément d'attention de prendre conscience de toutes les causes favorisant la peur et des conséquences de la peur. Et l'observer à mesure qu'elle grandit, qu'elle évolue. Lorsqu'il n'y a pas de conflit, et cela ne se produit que si l'observateur réalise que ce qu'il observe n'est autre que lui-même, que l'observateur est l'observé, alors toute l'énergie, que nous avons dispersée dans le conflit, en tentant de le surmonter, de le dépasser, de l'éliminer, disparaît totalement. Donc quand l'observateur est l'observé, l'énergie n'est pas dispersée, elle dissout alors la peur entièrement. C'est cela dont nous parlions hier.
5:13 On écoute la plupart de ces idées et on en tire une conclusion, une abstraction de ce que l'on a entendu, et cette abstraction devient un principe, un idéal, une chose qu'il faut accomplir. Tandis que si on écoute sans qu'il y ait abstraction, si on écoute simplement tout le mouvement psychologique de la peur, sans en faire une idée, mais en l'observant vraiment comme on observe une montagne merveilleuse – vous ne pouvez rien y faire, elle est là. De la même façon, observer la nature entière de la peur. L'énergie ne se dissipe pas dans cette observation. Et donc, la totalité de cette énergie fait disparaître la peur complètement.
6:43 Soit on écoute tout cela, on en fait une abstraction, une idée, et on poursuit cette idée, soit on observe sa propre peur sans abstraction, parce que la plupart d'entre nous ont toutes sortes de peurs. Nous n'avons peut-être pas peur maintenant assis ici dans un hall où il fait plutôt chaud mais la peur est là, cachée ou en évidence. Et quand la peur est là, cela engendre toute une activité névrotique. Avons-nous pleine conscience de la racine de la peur, des peurs conscientes autant que des peurs profondément enfouies dans les renfoncements de notre psyché ? Ou sommes-nous juste en train d'écouter ces mots complètement déconnectés de notre peur véritable ? Ecoutons-nous avec beaucoup d'attention, afin de discerner soi-même le vrai du faux ? Lorsque l'on rejette le faux, pour lequel énormément d'énergie est gaspillée, alors toute l'énergie accumulée dissipe la peur.
8:37 Nous avons dit aussi hier que nous parlerions du plaisir : le plaisir sous différentes formes, le plaisir de posséder, le plaisir de devenir quelqu'un, le plaisir éprouvé dans les réactions sensorielles. Mais pour comprendre la nature du plaisir, il est important de comprendre la nature de l'amour. Parce que lorsque nous aimons, si cela est seulement possible, le plaisir prend alors un tout autre sens. Il n'est peut-être plus nécessaire. Nous devons donc, ensemble, comme nous l'avons dit hier dans notre conversation, approfondir ce problème très complexe qu'est l'amour. Je vous en prie, ceci n'est pas un sermon.
10:14 Nous avons dénaturé ce mot. On l'utilise de toutes les façons : on aime gravir une montagne, on aime le sexe, on aime la réussite, on aime le pouvoir, la position, le statut, on aime ce qui nous procure du plaisir, et ainsi de suite. Quelle est la différence entre la pensée qui a créé le plaisir d'aimer et l'amour lui-même ? Quelle est la nature de l'amour qui n'est pas désir – nous en avons brièvement parlé hier – de l'amour qui n'est pas plaisir, de l'amour qui n'est pas lié au souvenir d'évènements passés. Je vous demande donc : l'amour est-il le désir ? L'amour est-il le plaisir ? C'est à dire le souvenir de moments heureux, d'évènements sensoriels ou psychologiques. Le souvenir de moments passés, le plaisir qu'on en retire, et l'entretien du désir, est-ce tout cela, l'amour ?
12:43 Comment le savoir ? Parce qu'il semble dans notre conversation que sans cette qualité, ce qu'on appelle l'amour, et le parfum de l'amour, sa réalité, non pas sa description verbale, mais la réalité de cet état d'esprit, nous devons vraiment comprendre en profondeur que le désir, le plaisir et le souvenir n'ont absolument rien à voir avec l'amour. Cela est-il seulement possible ?
13:51 Si nous approfondissons ce sujet ensemble, nous devons aussi considérer le fait que le cerveau enregistre chaque incident. C'est une machine qui enregistre comme un ordinateur, donc il est mécanique. Si c'est mécanique, c'est constamment répétitif. Nous sommes conditionnés pour répéter le plaisir, qu'il s'agisse d'un plaisir d'ordre sexuel ou autre. Le cerveau peut-il enregistrer ce qui est absolument nécessaire et non pas les évènements psychologiques ? Je vous en prie, c'est une question très sérieuse, parce que tout notre conditionnement, le contenu de notre conscience, est le processus mécanique d'enregistrement du cerveau. C'est ainsi que nos vies deviennent mécaniques. Dans ce champ mécanique on est capable d'inventer, mais on invente toujours à partir de notre savoir et le savoir est toujours incomplet, dans tous les domaines. La pensée est donc générée par le savoir, donc la pensée est incomplète. Le savoir vit toujours dans l'ombre de l'ignorance. Nous fonctionnons toujours dans le champ du savoir, c'est notre conditionnement.
16:27 Je vous en prie, si je peux me permettre de le faire remarquer, j'hésite pourtant à le faire, n'écoutez pas cela simplement comme des mots, des idées, mais examinez avec l'orateur la nature de l'esprit mécanique qui répète, ne l'acceptez pas, ne le rejetez pas, observez-le de près, avec prudence. Observez votre cerveau dans sa qualité, son conditionnement extrême, qu'il soit britannique, français ou autre, qu'il soit conditionné par des concepts religieux, conditionné par le climat et ainsi de suite, par la tradition. Quand on examine un sujet aussi profond que l'amour, il nous incombe de le faire en dehors de tout conditionnement. Pouvons-nous donc remettre de l'ordre dans la confusion, le désordre de la conscience ? Est-il possible de mettre de l'ordre dans ce désordre : celui de notre façon de vivre, de notre société, de notre culture, de la langue que nous utilisons, de nos réactions, tellement contradictoires, et d'observer le contenu de notre conscience ? Parce que dès lors qu'on l'observe, on y voit une grande contradiction : on veut la paix, une vie heureuse, une vie créative, et pourtant on fait tout le contraire. Notre conscience est donc en conflit permanent, et plutôt désordonnée.
19:22 Est-il possible d'y mettre de l'ordre ? Parce que l'ordre est l'ultime vertu. L'ordre est totalement dissocié du désordre. Lorsque le cerveau, la conscience, est en désordre, chercher de l'ordre à partir de ce désordre est toujours le désordre. D'accord ? J'espère que nous nous comprenons. Si je vis dans la confusion, le désordre, l'encombrement, et que j'essaie de mettre de l'ordre dans toute cette confusion, cet ordre sera toujours le désordre. L'ordre n'existe que si l'on met totalement fin au désordre. Car le désordre se manifeste dans le conflit, dans la contradiction, dans le fait de dire une chose et d'en faire une autre, de penser d'une façon et d'agir tout à fait différemment. Nous sommes de tels – si je peux le dire sans provoquer de contrariété – nous sommes de tels hypocrites. Et dans tout ce désordre, nous essayons de trouver l'ordre. Pouvons-nous mettre fin au désordre ? Car lorsque le désordre total cesse, il y a l'ordre suprême. Il faut donc savoir ce qu'est le désordre, comment il naît.
21:48 J'espère que tout ceci vous intéresse. Puisque vous êtes ici, vous y trouvez sûrement un peu d'intérêt, pas trop, c'est une si belle matinée que vous aimeriez sortir et jouer au golf. Mais puisque vous êtes ici, assis dans un hall où il fait chaud, où c'est inconfortable, veuillez considérer sérieusement tout ce que vous dit l'orateur, ne le négligez pas. Parce que le monde est dans un désordre total, le monde est dans un état de démence : on parle de paix et on s'entretue, on parle de paix et on vend des armes. C'est en train de se passer, nous en avons parlé rapidement hier. C'est un problème très sérieux, ce n'est pas un divertissement, et nos esprits sont habitués aux divertissements. Alors je vous en prie, soyez très attentifs à tout ceci, si vous le voulez bien.
23:35 Qu'est-ce que le désordre ? Parce que là où il y a le désordre, Il ne peut y avoir d'amour, là où il y a la peur, il n'y a pas d'amour, là où il n'y a guère que la recherche d'un plaisir continu, l'amour ne peut pas exister. Il faut donc se demander – si vous êtes tout à fait sérieux et très, très honnêtes – quelle est la nature du désordre, pourquoi nous vivons dans un tel désordre.
24:30 Le désordre n'est-il pas une contradiction ? Le désordre n'est-il pas ce qui est exprimé dans le conflit, psychologiquement, en soi ou en dehors ? Le désordre n'est-il pas la poursuite d'un idéal, lorsque l'on est confronté à la réalité ? N'y a-t-il pas de désordre lorsque le futur est plus attirant que le présent ? – et ainsi de suite. Donc, le désordre est essentiellement une contradiction. Cela signifie que, comme nous l'avons vu hier, les humains sont violents, c'est un fait, c'est une réalité. À la moindre attaque, blessure ou atteinte à l'honneur, nous sommes prêts à nous entretuer. Après deux guerres terribles nous continuons toujours la guerre, et nous parlons toujours de paix, c'est une contradiction, une malhonnêteté absolue. Et lorsqu'il y a un conflit dans la relation : entre l'homme et la femme, avec le voisin, ou avec un voisin qui est à des milliers de kilomètres, quand il y a un conflit dans la relation, le désordre est inévitable. Percevoir cela dans l'immédiat, sans le rationaliser, sans en parler ni l'intellectualiser, mais en voir toute la vérité, dans l'immédiat, voir qu'il n'y a qu'un fait, – nous sommes violents, et ne pas essayer de devenir non-violents. Si vous essayez de devenir non-violent, vous êtes dans la violence. Au contraire, faisons face au fait que nous sommes violents, que c'est un héritage vieux de plusieurs siècles, qui nous vient de l'animal, et ainsi de suite.
27:57 Lorsque nous voyons ce qui est faux, nos illusions, et que nous nous en écartons, alors, la vérité est. Mais nous avons tant d'illusions, qui sont les facteurs contribuant à notre désordre. Être conscient de tout ce mouvement de désordre, ne pas se dire : je dois dissoudre cela pour atteindre l'ordre, mais l'observer de très près, avec toute votre énergie, permet à cet état de désordre intérieur de disparaitre totalement. C'est cela, mettre de l'ordre dans sa maison. Et là où il y a de l'ordre, il n'y a pas de contradiction. Ce que vous dites, vous le pensez exactement. Il n'y a pas de double discours. Cela signifie qu'on doit être sa propre lumière, et ne suivre personne. Au royaume de l'esprit il n'y a pas d'autorité, pas d'intermédiaire entre vous et cette réalité, cette vérité. Or nous faisons appel à des intermédiaires, à des leaders et ainsi de suite. Donc si nous comprenons cette nature du désordre, alors en découle naturellement, facilement et délicatement, l'ordre, qui est la plus grande forme de vertu dans nos actes, nos pensées et ainsi de suite.
30:35 Et comme nous l'avons dit, lorsqu'il y a en nous du désordre et de la contradiction, il n'y a pas de place pour l'amour. Je peux dire à ma femme – si j'ai une femme ou une petite amie – je t'aime. Mais il s'agit juste d'une expression liée au plaisir. Or l'amour exige que l'on se pose beaucoup de questions. On ne peut pas aimer quelqu'un si on appartient à un groupe, une nationalité, une religion. Il faut être libre, totalement, pour aimer. Le mot liberté est en soi l'expression de l'amour. le mot lui-même signifie l'amour : liberté. Sans amour il n'y a pas de compassion, la charité, la bonté, la gentillesse, la douceur, la générosité, n'ont rien à voir avec la compassion, ce n'est qu'une forme de sympathie, une façon naturelle de s'exprimer. Mais la compassion exige beaucoup d'intelligence. L'intelligence de la pensée, qui est une forme d'ingéniosité, n'est pas l'intelligence. Cette intelligence suprême n'existe que lorsqu'il y a compassion, amour et ordre.
32:42 Après cela nous pouvons aborder le prochain sujet. Là où il y a de la jalousie, de la haine, il ne peut pas y avoir d'amour. Il n'y a pas de place pour l'antagonisme. Comment peut-on tuer quand on aime vraiment, que ce soit pour son pays, pour ses intérêts, pour Dieu ou quoi que ce soit, comment peut-on tuer quand on aime ? Je vous en prie, ceci est très sérieux, réfléchissez à tout cela car nous vivons dans un monde terriblement dangereux, qui est devenu dangereux, totalement incertain, et sans cette qualité d'intelligence née de la compassion et de l'amour, nous ne pourrons pas établir un nouvel ordre social.
34:04 Nous devrions aussi débattre ensemble de la possibilité de mettre un terme à la peine, et voir quelle est la relation entre l'amour et la peine. Y a-t-il de la place pour l'amour là où il y a souffrance, que ce soit en son for intérieur ou en dehors ? Il est donc important de débattre ensemble de la possibilité de mettre fin à la souffrance, ce fardeau terrible que l'homme porte depuis des millénaires. Non seulement il y a la souffrance individuelle, mais aussi la souffrance du monde. Ceux qui ont grandi sans vêtements, sans nourriture, ou avec juste un repas par jour, ceux qui vivent dans l'humiliation, la pauvreté, et dans ces guerres épouvantables. Tant de personnes ont versé des larmes. Nous semblons n'en tirer aucune leçon, nous nous comportons toujours comme des primitifs, des barbares qui s'entretuent. Alors réfléchissons au sens de la relation entre l'amour et la peine. Lorsque nous perdons un frère, une femme, des enfants, auxquels nous sommes attachés, cet attachement est-il l'amour ? Lorsqu'il y a attachement il y a souffrance. L'attachement engendre la peur, l'anxiété, la douleur, le chagrin, un sens de perte extrême – et cela engendre la peine. Peut-on aimer quelqu'un sans l'attachement total, sans aucun attachement ?
37:29 Et si nous n'approfondissons pas nous-mêmes ce problème, parler de l'amour n'a plus beaucoup de sens. Certains d'entre vous ont sans doute écouté l'orateur au cours des soixante dernières années ou davantage, et nous sommes toujours prisonniers des vieilles traditions et habitudes de l'attachement, tentant de devenir détachés, luttant pour être détachés. Le détachement mène au cynisme, à la cruauté, mais lorsque l'on comprend la nature de l'attachement que l'on y entre profondément et que l'on en voit les conséquences et toute la fausseté, alors le faux s'évanouit. Nous n'avons pas le temps de nous y attarder, car nous avons un autre sujet à aborder ensemble, si vous n'êtes pas trop fatigués.
38:48 Il nous faut parler ensemble d'un problème très complexe, celui de la mort. Pourquoi les êtres humains du monde entier – quelque soit leur couleur, leur nationalité, leur race, leur religion – ont-ils si peur de la mort, en sont-ils si effrayés. Certains considèrent la vie comme une bonne expérience, ils meurent en disant 'j'ai drôlement bien vécu'. Mais ceux qui sont vraiment très sérieux et déterminés à découvrir toute la signification de la mort doivent non seulement questionner la peur, ce que nous avons fait, mais aussi le sens de la mort – en tant que fin. Qu'est-ce que la fin ? Pourquoi a-t-on tellement peur lorsque quelque chose prend fin ? Je vais perdre mon frère, il est mort ou en train de mourir. Et je suis attaché à lui, je l'aime beaucoup, j'aime sa compagnie et tout le reste, ou bien ma femme, ma sœur ou ma petite amie. Et j'ai peur de les perdre, j'ai peur d'être totalement seul, de vieillir sans compagnie. Même étant jeune, le même schéma se répète, quand on y pense, quand on observe tout cela.
41:09 Donc qu'est-ce que la mort, que signifie la mort, qui veut dire la fin, la fin de tout : la fin de vos possessions, la fin de tous vos souvenirs, la fin de tous vos attachements, la fin de toutes nos habitudes, heureuses ou malheureuses. Nous devons donc nous enquérir, non pas de ce qu'est la mort, mais plutôt de ce qu'est la fin du connu. Parce que nos esprits, nos cerveaux, ont toujours fonctionné dans le connu. Et lorsqu'on le remet en question, qu'on met fin au connu, ce qui est la mort, le connu a peur, il est effrayé, il se recroqueville.
42:36 Est-ce donc possible d'y mettre fin quand on vit, non pas de se suicider, je ne parle pas de ça, y mettre fin. Disons, par exemple, mettre fin à l'attachement, l'attachement à son travail, à son nom, à sa famille, à ses idées, ses croyances et ses doctrines, mettre fin à son dieu, si on en a un. Le déni complet – qui est l'essence de la mort – de tout le connu. C'est cela la mort. Alors vivre, être rempli d'énergie, de clarté, et mettre fin au connu, c'est mourir, pouvons-nous donc vivre avec la mort constamment ? Je me demande si vous comprenez ce que je suis en train de dire.
44:01 Je suis en vie, plein de vitalité, d'énergie, de motivation, de clarté, mais je suis attaché à quelque chose. Je suis attaché à ma réputation, assis là, en train de vous parler. J'y suis attaché – supposons que je le sois. Mettre fin à cet attachement de m'adresser à de vastes audiences partout dans le monde complètement, totalement, sans aucun effort, mettre fin à ce sentiment de dépendance, parce que c'est cela mourir. Alors vivre, en mettant constamment fin à cette accumulation, en mettant constamment fin à tout ce que l'on enregistre. Cela exige énormément d'attention, de conscience, d'énergie. Une fois que vous avez compris cela, cela devient comme l'eau d'une rivière qui coule à flot.
45:33 Je ne sais pas l'heure qu'il est.
45:43 Nous devrions aussi discuter, parler ensemble, si vous n'êtes pas trop fatigués, de la question de la religion, de la méditation, et se demander si le sacré existe. L'orateur garde la méditation et la religion pour la fin de la causerie, car si on parle de ces sujets au début, l'esprit qui est confus, en désordre, ne peut pas méditer – cela n'a pas de sens. Il peut pratiquer toutes sortes de théories stupides. Je vous en prie ne soyez pas vexés par ce que dit l'orateur.
46:51 Nous devons donc examiner ce qu'est un esprit religieux. Les religions partout dans le monde ont joué un rôle extraordinaire dans la vie des êtres humains, sérieusement ou superficiellement. C'est devenu un divertissement. Tous les mots et les symboles, les processions et tout ce qui se fait au nom de la religion sont élaborés par la pensée. Et la pensée – comme nous l'avons dit l'autre jour, hier et avant cela – n'est pas du tout sacrée, ce n'est qu'un processus matériel issu de la connaissance, de la mémoire, enregistré dans le cerveau. Donc, pour découvrir d'abord ce qu'est un vrai esprit religieux, il faut se libérer de tout dogme religieux, qu'il s'agisse du dogme hindouiste, bouddhique, chrétien ou autre, musulman, du monde Islamique, entièrement, totalement, se libérer complètement de tout cela. Cela fait partie de notre conditionnement. Voilà 2000 ans que nous sommes programmés pour être chrétiens, 3 à 5000 ans pour les hindous, les bouddhistes et tous les autres. Parce que pour découvrir par soi-même ce qu'est un esprit religieux, on doit être complètement libre de toute orthodoxie, tradition, et de tous les divertissements qui se font au nom de la religion. Parce que dans ces idées, ces concepts, dans les symboles, les sauveurs, nous avons trouvé la sécurité pour une vie complexe, misérable, déroutante. C'est notre issue de secours. Mais dès lors que l'on met de l'ordre dans sa vie ici et maintenant, alors il n'y a plus de peur, et l'esprit qui est absolument dénué de toute peur psychologiquement, possède cette qualité de l'esprit religieux. Et les croyances, qu'elles soient chrétiennes, bouddhistes ou hindoues, la croyance des musulmans, pourquoi devons-nous avoir des croyances ? Croire en Dieu – Dieu est une invention de la pensée, parce que Dieu est la sécurité suprême. Et on a fait des choses terribles au nom de Dieu, on a brûlé des gens, torturé des gens. Il faut donc se libérer entièrement de toute croyance, foi et dogme.
51:23 Pourquoi, quand nous parlons de sujets religieux, sommes-nous si crédules ? A croire que nous ne faisons pas preuve de raison, de bon sens. Nous acceptons tout. Le monde chrétien renie le scepticisme et le doute. Dans les religions hindoue et bouddhiste on encourage le doute, le doute fait partie de la vertu. L'esprit ne peut donc comprendre ce qu'est la religion que s'il découvre ou s'il rencontre ce qui est sacré – si le sacré existe. Parce que la culture technologique ne peut absolument pas apporter une culture ni une religion totalement universelle, c'est impossible – une interdépendance universelle de l'humanité, c'est le but unique de tous les politiciens.
53:25 En venir à cette découverte : s'il existe quelque chose de sacré que la pensée n'a pas inventé, la méditation est nécessaire. L'Inde, hélas, a importé récemment ce mot dans le monde occidental. Le monde chrétien avait sa propre forme de contemplation, un état d'esprit contemplatif. Mais les gurus et les autres ont apporté ce concept de méditation. Et ces gens ont inventé ou apporté leur tradition ancestrale depuis le Tibet, depuis le Zen au Japon, depuis la Birmanie, l'Inde, cette bêtise a d'abord commencé en Inde : méditer veut dire pratiquer quelque chose, pratiquer une méthode, pratiquer le silence, pratiquer la conscience, pratiquer le moment, qui est le présent, et ainsi de suite – pratiquer.
55:17 Quand on pratique quelque chose, on est dans la répétition. Si vous êtes au piano en train de pratiquer, vous pratiquez peut-être la mauvaise note. Mais ici vous pensez qu'il est nécessaire de pratiquer jour après jour, prêter serment, devenir moine, vous connaissez toutes ces histoires – on n'a pas le temps d'aborder cela. Alors on pratique. Plus vous pratiquez plus votre cerveau devient obtus, c'est évident. Même si vous pratiquez différents systèmes de méditation, votre cerveau devient de plus en plus mécanique, il n'est jamais libre. Pour découvrir ou rencontrer ce qui est sans nom, intemporel, sacré, il faut une liberté totale qui ne vient pas du désir, de la pensée, mais de la fin de ce qui n'est pas libre comme l'attachement, la recherche du plaisir, l'épanouissement personnel, l'égocentrisme et ainsi de suite. Cela exige énormément de questionnement, énormément d'énergie, de perception, pas seulement la connaissance de soi – se connaitre soi-même sans aucune forme d'analyse, mais se connaitre soi-même par l'observation de ses réactions dans les relations aux autres. Ces réactions révèlent ce que nous sommes. et quand elles révèlent ce que nous sommes, cette révélation devient pour nous une connaissance alors on accumule de plus en plus de connaissance de soi. Et cette connaissance devient une entrave à notre liberté. Je vous en prie, j'ai peu de temps, voyez juste cette vérité.
57:55 Je vous demande donc, peut-on arrêter la pensée et le temps ? Parce que s'il y a le temps, c'est à dire, s'il y a la pensée, – cette occupation perpétuelle, car la plupart d'entre nous sont perpétuellement occupés à penser à des tas de choses, à bavarder – le cerveau n'est jamais tranquille, toujours en train de tâtonner, de chercher, de se souvenir, d'espérer. Un tel esprit, évidemment, n'est jamais tranquille. Mais percevoir qu'il ne l'est pas – sans aucune directive, sans dire qu'il doit être tranquille – le percevoir, l'observer, alors il devient extraordinairement tranquille sans aucune contrainte, sans aucune pratique, ce qui demande une grande sensibilité, attention et conscience. Il n'y a que dans ce silence absolu de l'esprit, un silence qui n'est pas cultivé par la pensée, ce n'est pas un silence entre le bruit, entre deux bruits ou deux pensées, – ce silence est différent. Le silence exige d'être totalement libre de toute activité égocentrique et de la recherche du plaisir, de la peur, et ainsi de suite. Il n'y a que dans ce silence total qu'il peut y avoir ce qui n'a pas de nom.
1:00:44 Puis-je me lever ? S'il vous plait, n'applaudissez pas. Cela ne fera que du bruit.