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MA7879D2 - Sommes-nous conscients de la division?
2e dialogue public
Madras (Chennai), Inde
9 janvier 1979



0:54 K:Personnellement, je n'aime pas m'asseoir sur des estrades.
1:03 Une petite hauteur ne confère aucune autorité à l'orateur.
1:13 Alors, parlons ensemble ce matin, en dialogue comme deux amis préoccupés par leur vie, entourés de toute la calamité de l'existence quotidienne, leur confusion, leur tristesse.
1:39 Ils n'échangent pas leurs théories ou leurs croyances, ils sont profondément soucieux de comprendre leurs propres problèmes, leur propre tristesse, leur propre confusion.
2:04 Alors, n'engageons pas une discussion, sur des théories mais occupons-nous réellement de notre vie quotidienne, et donc, de quoi allons-nous discuter?
2:34 C'est votre affaire, Messieurs, ceci est un dialogue.
2:40 Q:Le savoir est à la fois essentiel et non essentiel mais dans le cadre de la vie quotidienne nous devons recourir au savoir. Seulement, en fait, cette vie quotidienne nous amène à corrompre les autres, ou à être nous-mêmes corrompus.
2:57 Comment éliminer cette confusion, car, si l'on ne corrompt pas les autres, ou si l'on n'est pas soi-même corrompu, on ne peut satisfaire ses besoins fondamentaux.
3:04 K:Oui Monsieur. Comment peut-on vivre en ce monde, en Inde - et il se réfère probablement à Madras - sans être corrompu parmi des gens déjà corrompus. Comment mener une vie sans aucune corruption.
3:32 D'autres questions? Monsieur, c'est un dialogue entre nous deux, entre ce monsieur et vous-même, nous pouvons tous entrer en discussion sur des questions que vous aimeriez poser en plus de celle-ci.
3:46 Q:Vous dites : la mémoire psychologique doit complètement disparaître. - je me réfère à la question posée par mon ami. Pouvons-nous nous passer totalement de la mémoire psychologique?
3:58 K:Pouvons-nous nous passer de mémoire psychologique, complètement?
4:10 D'autres questions?
4:12 Q:Vous avez dit que l'observateur et l'observé sont une seule et même chose. Ensuite, dans la même phrase, vous nous demandez d'observer.
4:20 K:L'observateur n'est pas distinct de l'observé et vous dites en même temps : observez sans vous référer au passé.
4:37 Q:Y a-t-il deux sortes d'observation?

K:Oui, oui, nous allons voir cela, Monsieur.
4:41 Q:Vos enseignements, Monsieur, comportent d'excellentes directives quant à nos vies quotidiennes mais aujourd'hui, nous vivons dans une ambiance où la politique domine toute la vie, non seulement notre vie économique, sociale, politique, mais encore la vie philosophique.
5:03 Comment peut-on lutter contre cela et améliorer la situation afin de créer une atmosphère dans laquelle les individus puissent poursuivre à la fois leurs propres idées psychologiques et autres, et aussi les buts et les objectifs de leur vies individuelles.
5:23 K:L'auteur de la question dit : la politique est prédominante, toutes nos vies sont régies par la politique.
5:43 Et les individus ont-ils la possibilité de se libérer des pressions politiques. N'est-ce pas Monsieur?
6:02 Q:Non, comment contrôler ce contrôleur !
6:04 K:Comment contrôler le gouvernement. C'est ça, Monsieur?

Q:Oui.
6:13 Q:Monsieur, vous avez dit que c'est la pensée qui crée la division entre le penseur et la pensée, et que cette division ne peut disparaître que lorsque nous fonctionnons hors du domaine de la pensée.
6:26 Mais vous considérez en même temps que la pensée est nécessaire à certains actes mécaniques tels que conduire une voiture, retrouver ma maison, ou prendre l'avion - ce que nous avons fait hier.
6:36 Etablir cet ordre, c'est-à-dire maintenir la pensée à sa juste place et l'exclure ailleurs signifie renoncer à la moindre petite chose à laquelle nous tenons.
6:46 Monsieur, je vous écoute depuis tant d'années, et il s'avère extraordinairement difficile de renoncer à la moindre petite chose à laquelle nous sommes attachés.
6:56 K:Exact, Monsieur.

Q:C'est la difficulté.
7:01 K:Comment peut-on être totalement détaché de toutes les choses que l'homme a accumulées par la pensée au cours des millénaires.
7:13 Est-ce là la question, Monsieur? C'est bien ça.
7:16 Q:Oui.
7:18 Q:Monsieur, dans la mesure où Dieu n'existe pas, qu'y a-t-il alors ici, et là-bas? Qu'y a-t-il?
7:27 K:Qu'y a-t-il? Puisque vous, l'orateur, dites qu'il n'y a pas d'autre dieu que celui fabriqué par la pensée, s'il n'y a pas de dieu qu'y a-t-il alors?
7:45 Assez de questions.
7:48 Q:Encore une question. Je ne veux pas jouer avec les mots, mais vous dites : ne laissez pas agir votre mémoire, sauf pour les faits, et débarrassez-vous de la tradition.
8:00 Mais hier, nous avons tous écouté de la musique, par exemple, et cette musique dépend entièrement de la tradition et de la mémoire.
8:08 Sans la perfection de la tradition et la perfection de la mémoire, cette musique n'aurait pu exister.
8:15 Comment expliquez-vous cela, Monsieur?
8:18 K:Il n'y aurait pas eu la musique d'hier après-midi sans la tradition et tout le contenu du chant était totalement, complètement traditionnel.
8:34 Q:Et aussi une mémoire parfaite.
8:36 K:Et la mémoire en opération. Je pense que cela suffit. Un instant, Monsieur. Très bien, Monsieur.
8:44 Q:L'observation est action instantanée. pouvons-nous discuter cela?
9:05 K:Très bien, Monsieur, c'est vous qui l'affirmez. Oui, Monsieur?
9:19 Q:La vérité étant indivisible et immuable comment peut-elle changer de jour en jour?
9:26 K:La vérité est indivisible et immuable, comment la vérité peut-elle changer de jour en jour?
9:48 Si vous me le permettez, comment savez-vous ce qu'est la vérité?
10:01 Vous considérez comme admise l'existence de la vérité et comment mettre cette vérité en pratique dans la vie quotidienne, d'instant en instant.
10:12 Monsieur, il a été expliqué avec beaucoup de soin... - bon, j'aborderai cela plus tard.
10:20 Voyons, plusieurs questions ont été posées : l'observateur et l'observé, le penseur et la pensée, peut-on observer sans l'observateur, les gouvernements contrôlent toutes nos vies, peut-on se débarrasser du poids de ces gouvernements. Quelles sont les autres questions?
10:53 Globalement, je pense que les questions mènent toutes à cela. Alors, lesquelles de ces questions aimeriez-vous aborder? Et gardez en tête ceci : ces questions ont-elles un rapport avec votre vie quotidienne, ou sommes-nous en train de jouer quelque part avec les mots?
11:24 Q:Pouvons-nous aborder la question qu'a posée ce monsieur sur la relation?
11:32 K:Cela vous aide-t-il, cela a-t-il un quelconque effet dans votre vie? Cette question vient-elle d'une réflexion sur votre vie quotidienne?
11:51 Q:Oui.
11:55 K:Pouvons-nous continuer sur cette question, voulez-vous que nous en discutions?
11:59 Q:Nous pouvons discuter du contrôle exercé par le gouvernement et de notre vie de chaque jour.
12:03 K:Le contrôle du gouvernement, jour après jour, dans notre quotidien. Pouvons-nous nous passer de cette question?
12:10 Q:Nous en passer?
12:12 K:Non, je vais y répondre nous allons en discuter. Qu'est-ce que le gouvernement? Et qui sont ces politiciens qui ont pris la responsabilité de gouverner le peuple?
12:28 Dans une société démocratique, dans une société libre, vous élisez le gouvernement, les politiciens.
12:37 N'est-ce pas? Vous êtes responsables du gouvernement. Et si vous ne voulez pas de ce gouvernement-là, faites le tomber ! C'est votre prérogative. N'est-ce pas? Changez de gouvernement par votre vote, si vous ne l'aimez pas.
13:00 Q:Toute la difficulté réside dans la majorité.
13:03 K:Attendez. J'y viens. Toute la difficulté est qu'un petit nombre d'entre nous peut vouloir, ou ressentir l'urgence de changer de gouvernement mais la grande majorité des gens, ignorants, ne savent pas vraiment ce qui se passe - n'est-ce pas? -
13:29 on les aveugle, on les trompe, ils sont habilement coincés pour qu'ils ne puissent pas réagir, alors, que devons-nous faire?
13:44 Est-ce bien la question, Monsieur?
13:51 Q:Les gouvernements démocratiques ont un pouvoir autoritaire et leurs électeurs ne sont que des individus.
14:01 K:Je sais. cela a été expliqué, Monsieur. L'auteur de la question - avant tout, soyons clairs. Ceux qui en ont la capacité, qui en ont l'intention, qui en ont la volonté, peuvent amener le changement en votant, un petit nombre.
14:23 Dans leur grande majorité les gens sont ignorants, on les trompe, on leur fait des promesses, et on aboutit à toute cette absurdité électorale. Que faut-il faire?
14:40 Vous et un autre pourriez vouloir changer de gouvernement, vous pourriez voter pour les partis de droite, libéraux, centristes, conservateurs, etc.
14:56 Que ferez-vous quand la grande majorité élira quelqu'un de corrompu, en quête de pouvoir, ne se souciant que de lui et de sa petite famille, que ferez-vous?
15:11 Répondez moi Monsieur, c'est votre problème, pas le mien, que ferez-vous?
15:18 Dans un gouvernement totalitaire vous n'avez pas de choix, ils sont solidement vissés à leur pouvoir.
15:29 Alors, qu'allez-vous faire? C'est votre problème, Monsieur, ne me le repassez pas, dans environ un mois ou trois semaines d'ici, je serai en route pour l'Europe et l'Amérique, et je ne peux pas voter, je ne veux pas voter.
15:48 Tout ce système pourri, je ne veux pas y adhérer. Que ferez-vous? Vous comprenez, Monsieur? C'est un problème humain qui dure depuis la nuit des temps, un petit nombre veut changer, vivre décemment, sans corruption, mais la grande majorité mène une vie de corruption, c'est leur mode de vie, la contrebande et tout cela.
16:26 Et que peut faire cette minorité?
16:31 Q:Puis-je dire un mot, Monsieur? En ce qui concerne notre discussion, dans ce sens là nous vous comprenons.
16:37 K:Non, vous n'avez pas à me comprendre, Monsieur, pas du tout.
16:40 Q:Non. Dans le sens où vous voulez que nous travaillions.
16:42 K:Non, non. Nous pensons ensemble.
16:46 Q:Oui, nous travaillons dur quotidiennement à ce problème qui nous concerne, et pourtant, nous rencontrons sans cesse tant d'obstacles que nous passons de la clarté à la confusion, de la clarté à la confusion.
17:00 Voilà ce que...

K:Voilà ce que disait ce monsieur, cela revient au même.
17:06 Le gouvernement est élu par la majorité, la majorité est ignorante - vous savez ce qu'elle est !
17:17 Et le petit nombre souhaite changer. Que ferez-vous pour amener un changement dans la majorité?
17:28 S'il vous plaît, répondez moi Monsieur, il s'agit de votre vie.
17:32 Q:Vous devez commencer par vous changer vous-même. Si vous changez totalement et si vous vous trouvez au centre du changement, il se répand.
17:40 K:Bien, Monsieur, commencez par vous changer. Allez-vous le faire? Non, Monsieur, ma question n'est ni une offense, ni une insolence.
17:52 Q:je ne l'ai pas prise dans ce sens là.

K:Ecoutez... C'est très facile de dire : on doit changer, je dois changer. Allez-vous changer, radicalement, profondément?
18:03 Q:Pourquoi pas?

K:Je n'ai pas dit 'pourquoi pas'. Allez-vous le faire?

Q:Je vais le faire.
18:12 K:Quand?

Q:Je le fais en ce moment même. Je vous ai écouté toutes ces années, oui.
18:18 K:Bien, Monsieur. Alors, si vous changez, comment allez-vous affecter la masse? Voilà la question, Monsieur. C'est un des problèmes - écoutez seulement. L'autre problème touchant au gouvernement, qu'il soit totalitaire, communiste, socialiste, libéral, est la question du pouvoir.
18:46 L'homme désire le pouvoir, qu'il s'agisse des soi-disant 'siddis' ou de pouvoirs physiques.
18:56 N'est-ce pas, Monsieur? Cette question n'a pas été réglée. Alors comment allez-vous apporter un changement, à la fois faire cesser le pouvoir du petit nombre, - démocratique, quel que soit le parti en place - et éduquer ou aider la grande majorité qui s'en moque pourvu qu'elle possède un bout de terrain et de quoi manger, ils sont pleinement satisfaits - qu'allez-vous faire?
19:43 Q:Eduquer est la seule voie, il n'y en pas d'autre.
19:49 K:Eduquer est la seule voie. Alors pourquoi n'y a-t-il pas d'éducation adéquate dans ce pays?
20:05 Progressivement, l'éducation est prise en main par le gouvernement, dans les états totalitaires tout comme ici.
20:16 N'est-ce pas, Monsieur? Alors, comment allez-vous changer un gouvernement afin qu'il établisse un type d'éducation adéquat? Voyez-vous, vous esquivez la question. Vous passez du gouvernement à l'éducation, à l'individu. Cela revient donc à ceci, Monsieur, si je peux le souligner : aucun de nous n'assume sa responsabilité qui est de veiller à ce que cela ne se passe pas ainsi.
20:53 Allez-vous éduquer vos domestiques, si vous en avez?
21:01 Allons, Messieurs. Allez-vous éduquer leurs enfants?

Q:Non.

K:Evidemment pas,
21:12 parce que vous ne vous préoccupez que de vous-même, de votre petite famille.
21:16 N'est-ce pas, Monsieur? Allez-vous le faire? Silence absolu ! Vous aurez donc le gouvernement que vous méritez. N'est-ce pas? N'est-ce pas, Monsieur? Voyons les choses telles qu'elles sont.
21:41 On rencontre de très nombreux officiels, des membres du parlement, du gouvernement, etc.
21:52 Vous connaissez le jeu auquel ils se livrent tous, inutile de m'étendre. Alors, vous qui avez la faculté de voter, allez-vous vous responsabiliser et prendre soin des êtres humains?
22:08 Vous comprenez Monsieur? N'est-ce pas? Allez-vous le faire? Cela veut dire, Monsieur, que prendre soin implique l'amour. N'est-ce pas Monsieur? Avez-vous ce soin, cette attention qu'engendre l'amour? Allons Monsieur, repondez y. Ce qui signifie que vous éduquerez les enfants de vos domestiques. Il faut commencer très près pour aller très loin. Mais vous vous attaquez au sommet et ne commencez pas tout près.
22:53 A- t-il été répondu à cette question, Monsieur?

Q:Non, Monsieur. Voyons, comment un faible nombre d'individus peut-il résoudre le problème? A moins d'admettre que l'immense majorité d'une nation change en s'impliquant dans ce programme d'action, rien ne peut être fait.
23:08 Et comment changer l'immense majorité.
23:11 K:Je suis en train de vous le dire, Monsieur. L'immense majorité, comment la changerez-vous, - vous, Monsieur? Pourquoi me le demander à moi?
23:18 Q:Parce que je pense obtenir de vous davantage de lumière.
23:22 K:Très bien. Non, non Monsieur. Nous sommes amis, n'est-ce pas?
23:27 Q:Oui mais...

K:Attendez, attendez. Nous sommes amis. Et j'indique ce qui peut être fait, d'accord? L'immense majorité doit être changée, doit être...
23:43 - je ne sais pas si vous voulez aborder la question de l'éducation, de comment éduquer l'immense majorité.
23:51 Ce n'est pas le sujet pour l'instant. Que dois-je faire, ou que devez-vous faire au milieu d'une immense majorité de gens tellement ignorants, si déplorablement - vous savez - intérieurement vides.
24:07 Non?

Q:Par immense majorité, j'entends non pas les seuls illettrés, mais également ceux qui sont très cultivés, érudits, nantis, l'élitede la société.
24:19 K:Oui, Monsieur. Les nantis, les gens cultivés, ceux qui sont très pauvres, etc., comment vont-ils changer?
24:32 Vous, dites-le moi.
24:37 Q:Monsieur, dans notre tradition, l'objectif a été le salut individuel, donc ceux qui sont capables de changer la société s'occupent d'eux-mêmes et de leur propre âme, au lieu de se consacrer à ce qu'on appelle la communauté, la société, son développement.
24:58 Ils sont donc aussi égoïstes que celui qui court après l'argent, la fortune et le plaisir.
25:09 K:Avons-nous répondu à la question?
25:13 Q:Monsieur, vous n'avez fait que décrire combien nous sommes dépourvus de cette sollicitude et de cet amour.
25:19 Cela pourrait devenir le centre de notre activité. Je pourrais prendre soin des enfants de mon domestique, de mes employés, et aussi des leaders, mais il y a une limite à l'action d'un individu, au-delà de laquelle il pourrait ne pas être capable de...
25:35 K:Oui Monsieur. Historiquement, on a constaté que très peu d'individus provoquent un changement, n'est-ce pas?
25:49 N'est-ce pas, Monsieur? Aurez-vous l'énergie, les capacités, l'ardeur, l'amour nécessaires pour créer un monde différent?
26:02 Monsieur, je ne sais si vous vous êtes rendu compte qu'il ne s'agit pas d'un problème provincial, tribal, comme cela le devient en Inde - tribal - mais d'un problème global.
26:16 Vous comprenez, Monsieur? Et le problème global ne peut se résoudre que lorsque nous cessons d'être nationaux.
26:26 N'est-ce pas, Monsieur? Quand nous cessons d'être Indiens. Mais personne ne veut de cela. Nous voulons que le sommet amène un changement pour nous y adapter confortablement. Et au sommet, les gens fortement politisés, attirés par le pouvoir, ne vont pas changer. N'est-ce pas? Cela suffit pour ce sujet. Nous voulons à présent discuter de ce qu'il faut faire dans la vie quotidienne, de la question de l'observateur et de l'observé - les deux divisions. D'accord Monsieur?
27:11 En comprenant cela - que nous allons étudier - vous allez voir que votre relation avec votre femme, vos enfants, avec votre voisin, avec le pauvre, y est rattachée.
27:27 N'est-ce pas Monsieur? Nous allons en discuter pour découvrir une relation juste entre nous, et avec toute l'humanité.
27:38 D'accord? Cela vous intéresse-t-il? C'est ce que vous avez demandé, Monsieur. Et c'est ce que la plupart d'entre vous veulent aborder. Commençons donc à un niveau très simple : avez-vous observé visuellement, de vos yeux, un arbre?
28:05 Oui? Un simple arbre. Et quand vous observez l'arbre, qu'y a-t-il dans cette observation?
28:23 Il y a cette chose, vous l'appelez un arbre.
28:31 Vous l'appelez 'arbre' car la mémoire est entrée en jeu et il est généralement admis que cette chose est un arbre.
28:43 Vous lui donnez un nom parce que vous l'avez reconnu, donc, nommer, reconnaître et se souvenir sont en opération.
28:54 N'est-ce pas Monsieur? Suivez-vous? C'est assez simple, n'est-ce pas? Maintenant, pouvez-vous observer l'arbre sans le nommer?
29:11 Simplement regarder l'arbre, Monsieur. Simplement le regarder, et voir si vous pouvez le regarder sans qu'entrent en jeu le moindre mot ou souvenir, simplement regarder.
29:23 Le pouvez-vous?

Q:Sans émotion, Monsieur?
29:27 K:Commencez simplement, Monsieur, lentement.

Q:Momentanément, oui, pour un instant.
29:36 K:Bon, attendez. Pour un instant.
29:38 Q:Nous sommes donc dans le temps.

K:Une minute, Monsieur.
29:41 Pour un instant. C'est assez facile, n'est-ce pas? Ce qui veut dire - écoutez seulement, Monsieur - que le mot 'arbre' n'est pas le fait lui-même.
29:58 N'est-ce pas? N'est-ce pas? Non, Monsieur, n'admettez pas ce que je dis, voyez-le. Le mot n'est pas la chose. N'est-ce pas, Monsieur? Le mot 'micro' n'est pas la chose réelle. N'est-ce pas? Une minute. Donc, la description d'un arbre n'est pas la chose décrite.
30:30 N'est-ce pas, Monsieur? Alors soyons clairs. Le mot, la description, n'est pas la chose, ce qui est décrit.
30:44 Q:Comment cela s'est-il fait?

K:Attendez, Monsieur, attendez, découvrez, Monsieur, faites-le.
30:50 Q:Il a une fonction à remplir, ce mot, c'est tout. Sinon, la communication se paralysera.
30:57 K:J'y viens, Monsieur.

Q:Oui, Monsieur.
31:01 K:Un peu de patience, Monsieur.

Q:Pardon.
31:05 K:Ne vous excusez pas, Monsieur.

Q:OK, d'accord.

K:OK. Ne dites pas OK.
31:15 Donc le mot n'est pas la chose. Pouvez-vous regarder cela sans le mot? C'est tout. Et vous dites : je peux.
31:30 Pouvez-vous maintenant regarder votre femme ou votre mari, sans vous servir du mot 'ma femme'?
31:44 Q:Très rarement.
31:57 K:Vous demandez : l'observateur et l'observé sont-ils distincts, et s'ils ne sont pas distincts il n'y a que l'observation.
32:12 Et nous allons aborder cette question très lentement, pas à pas, car une fois ceci compris, vous serez libérés de l'effort.
32:28 Le mot n'est pas la chose, le mot 'porte' n'est pas la porte elle-même.
32:35 N'est-ce pas, Monsieur? N'est-ce pas? Le nom 'K' n'est pas la personne réelle, la réputation n'est pas la personne, la description n'est pas la personne réelle, la photographie n'est pas la personne réelle, et l'image que vous vous êtes faite de cette personne n'est pas cette personne.
33:01 D'accord? Alors, soyons très, très clairs sur le point suivant : la description n'est jamais la chose décrite.
33:11 Vous aurez beau peindre la plus belle montagne, le tableau n'est pas cette chose.
33:19 N'est-ce pas? Donc le symbole n'est pas cela, la théorie n'est pas le fait.
33:30 Alors, pouvez-vous regarder votre femme ou votre mari sans le mot.
33:48 Q:Monsieur, ce n'est possible que dans un état extatique. Regarder de cette façon-là n'est possible que quand on se trouve dans un moment d'extase, de béatitude, sinon, cela ne se peut pas.
34:01 K:Nous allons voir cela, Monsieur.
34:03 Q:Non, Monsieur, ma question est : comment atteindre cet état de béatitude par d'autres moyens, pour commencer à regarder les choses différemment.
34:10 K:Oui, je vais vous donner d'autres moyens : la drogue, l'alcool.
34:18 Ils ont essayé cela. Ils ont essayé le LSD, la cocaïne, la marijuana, le hashish, le dernier cri s'appelle la mousse d'ange ou la poussière d'ange, qui vous tue vraiment, ou vous fait voir quelque chose hors du réel.
34:43 Il y a donc d'autres façons de s'y prendre, qui détruisent votre cerveau, détruisent votre corps.
34:53 Si vous voulez vous y prendre de cette façon-là, vous êtes dans un pays libre, si vous avez de la drogue, allez-y.
35:02 Mais nous parlons d'une façon bien plus saine, plus rationnelle de le faire.
35:09 Ainsi, nous disons que quand vous observez votre femme - je reviens à la femme et l'enfant car c'est votre vie, votre patron, vos serviteurs, vos enfants, votre voisin, vos politiciens, tous ceux-là, pouvez-vous les regarder sans le mot - doucement - sans le mot sachant que le mot n'est pas la personne, et que le mot représente une continuité de mémoire, d'association avec le passé.
35:54 N'est-ce pas? C'est simple, n'est-ce pas Monsieur? Vous suivez?
36:00 Q:Seuls les enfants peuvent faire cela avant d'apprendre à parler.
36:06 K:Je sais, je sais. Les enfants le font peut-être. Vous pensez que les enfants au moins peuvent le faire. Nous ne sommes pas des enfants, nous sommes des adultes, alors ne revenons pas aux enfants.
36:20 Excusez-moi, Monsieur, je ne cherche pas à être impoli.
36:22 Q:Monsieur, même si le processus de dénomination est suspendu au cours de l'acte de perception, il reste néanmoins le problème de la présomption.
36:30 Nous présumons à plusieurs niveaux. Présumer signifie agir comme si quelque chose existait. Nous présumons l'univers, vous présumez la présence de l'auditoire. Donc, nous agissons au niveau profond comme s'il y avait un autre (inaudible) le monde est au-dehors.

K:Je comprends, Monsieur.
36:48 Puis-je poursuivre un peu là-dessus, pas à pas? Peut-on observer sans l'association qu'éveille le mot?
37:03 Suivez-vous tout ceci, Monsieur? Et vous est-il possible d'observer la personne, intime ou non?
37:16 Le mot, le souvenir sont le passé. N'est-ce pas?
37:25 Le passé étant tous les incidents, les événements accumulés pendant la relation existant entre un mari et une femme, une famille, un voisin - et le gouvernement.
37:43 Dès lors, pouvez-vous... - y a-t-il une observation, pas 'pouvez-vous' - y a-t-il observation sans association?
37:53 Q:Vous devez nous indiquer la technique, Monsieur.

K:Comment?
37:57 Q:Je veux savoir comment procéder, concrètement, pratiquement.
38:01 K:Vous voulez savoir comment procéder? Oui, ce Monsieur veut la façon pratique de procéder. C'est-à-dire, dites-moi comment m'y prendre. Ce qui signifie quoi? Ecoutez seulement. Quand vous demandez comment dois-je m'y prendre vous n'êtes pas en train de le faire, n'est-ce pas?
38:27 Je vous en prie, il n'y a pas d'offense, je demande. Vous n'êtes pas en train de le faire. Donc, vous voulez que quelqu'un vous dise comment vous y prendre, c'est-à-dire quelqu'un qui l'a trouvé, qui l'a fait, et qui dit : si vous faites ceci et cela, vous y arriverez aussi. N'est-ce pas?
38:52 Vous voulez donc un système, une pratique, une méthode.
39:00 N'est-ce pas?

Q:Monsieur, un génie comme vous...

K:Je ne suis pas un génie.
39:05 Q:Pour nous, pauvres mortels, une façon de...
39:08 K:Non, vous n'écoutez pas, mon très cher Monsieur, écoutez, je vous prie !
39:19 Quand on a vécu de cette façon, nous avons vécu dans la division, et de cette division sont issus tous les conflits de l'humanité : division de classes, division de nations, division de peuples, division de tribus, division de croyances, division - vous suivez, toute la structure de l'existence humaine est fondée là-dessus.
39:47 Cela amené énormément de conflits, de guerres, de malheur. N'est-ce pas? Donc on demande s'il y a une façon différente de vivre - vous comprenez, Monsieur? - qui ne comportera aucun conflit.
40:01 Donc, Il faut la découvrir. Mettons que quelqu'un l'ait trouvée et dise : faites-le.
40:09 Et s'il dit : suivez tel système, telle méthode, telle voie, il vous replace dans l'ancien sillon de l'autorité.
40:23 Vous comprenez, Monsieur? Ainsi que je vous l'ai souvent expliqué : Je ne suis pas votre autorité, je ne suis pas votre gourou, ne me suivez pas, mais, comme deux amis parlant ensemble, résolvons ce problème. C'est tout.
40:50 Alors, je dis : pouvez-vous observer? Pouvez-vous observer cette chose qu'est un arbre, sans la nommer? Oui?
41:00 C'est assez facile, si vous avez contemplé la nature, les oiseaux, il est relativement facile d'observer le monde extérieur.
41:15 Mais dès que vous vous tournez vers l'intérieur cela devient extrêmement difficile. Vos réactions sont si fortes, si conditionnées, si instantanées qu'il est très difficile de dire 'je vais les retenir'.
41:32 Nous allons donc voir cela, étape par étape. Pour commencer, voyez ce que vous faites concrètement dans la vie quotidienne.
41:43 Vous et votre femme. D'accord? Vous, différent de votre femme, et elle différente de vous, ou vous et votre voisin, différents, etc.
41:59 Là où il y a division, il y a inévitablement conflit. C'est entendu. N'est-ce pas, Messieurs?
42:06 Q:Oui ,Monsieur, mais cette division est le sentiment fondamental d'être vivant.
42:12 K:Oui, Monsieur.
42:13 Q:C'est fondamental à l'expérience même de l'existence.
42:17 K:Comment?

Q:Et c'est le sentiment d'être séparé.

K:Non, non, ça, c'est ce que nous avons admis.
42:25 Q:D'accord, c'est ce que nous avons admis, supposé.
42:28 K:Nous avons admis l'illusion qu'être vivant c'est être séparé.
42:35 Et cette vie de séparation a engendré un malheur sans pareil.
42:42 Q:Quelle est l'alternative, Monsieur?
42:44 K:Attendez. Vous voulez tous la voie alternative.
42:52 Q:Non, pas la voie, mais comprendre, ne fut-ce que mentalement.
42:55 K:Oui, je le fais, Monsieur, c'est ce que nous faisons.
43:05 Je vous demande, ou plutôt parlons-en ensemble, allez-vous découvrir comment regarder votre femme ou votre mari, sans que tous les souvenirs de vingt ou de cinq jours, ou de trente jours n'entrent en opération, allez-vous découvrir comment le faire?
43:31 Allez-vous le faire?
43:32 Q:Si je me réduis à un miroir, dépourvu de toute réaction, je pense que c'est possible.
43:43 K:Monsieur, vous dites 'si'. Dès qu'on introduit le mot 'si', on ne le fait pas.
43:53 Si j'étais la reine d'Angleterre, merveilleux, mais je ne le suis pas !
43:58 Q:Non, mais c'est ainsi que nous pouvons effacer tout ceci.
44:02 K:Non, Monsieur, pas en disant 'si je suis ceci', seulement en affrontant le fait.
44:12 Le fait est que les gouvernements veulent contrôler les gens, les gouvernements sont incapables de gouverner, dans l'humanité toute entière.
44:21 D'accord, Monsieur? Alors, mettez-vous face au fait. Ne dites pas: 'si nous avions un gouvernement merveilleux', il n'y a pas de gouvernement merveilleux, nulle part.
44:32 Le fait est donc que nous avons cette division, et, en faisant de nous des entités distinctes, cette division a causé un immense malheur dans la vie, les guerres, les destructions et tout le reste.
44:49 Et cela fait des siècles que nous admettons cela. Tel est notre conditionnement. Alors quelqu'un passe par là et dit : voyons s'il n'y a pas une façon de vivre différente.
45:06 Il commence donc par dire : pouvez-vous découvrir la raison de cette division?
45:15 Bien Monsieur?
45:18 Q:Monsieur, quand je vous observe, il n'y a que la parole, il n'y a ni vous ni moi. OK?
45:25 K:C'est exact, Monsieur, c'est exact.

Q:C'est bien compris.
45:28 K:C'est exact, Monsieur, vous l'avez dit !
45:30 Q:Ainsi, nous ne vivons que dans le contexte de ce que nous disons.
45:33 K:Oui, c'est exact. -écoutez - c'est-à-dire que vous écoutez réellement
45:39 - attendez - il n'y a pas de personne, vous n'existez pas et je n'existe pas, mais vous écoutez effectivement ce qui est dit.
45:48 Q:Oui, Monsieur.

K:C'est tout. Restez-en là.
45:56 Voyez-vous, c'est si difficile d'avancer pas à pas dès l'instant où vous introduisez sans cesse autre chose.
46:05 On réalise que nos cerveaux sont conditionnés à cette division. D'accord?
46:15 Vous en rendez-vous compte, Monsieur, en êtes-vous conscient? Que vous êtes conditionné à accepter cette division : moi et ma femme, moi et mon pays, moi et mon gouvernement, moi et ma croyance - vous suivez? - cette division continuelle.
46:32 Etes-vous conscient de cette division? Et des conséquences de cette division?
46:44 Madame, on ne peut pas écouter tout en prenant des notes,
46:51 pardonnez-moi d'en faire la remarque. C'est tellement impossible de parler de ceci, de l'approfondir. La plupart des gens ont admis ce conflit entre deux personnes, ou dans un groupe de personnes, entre différentes religions, nous l'admettons, c'est devenu notre habitude, notre coutume.
47:18 Et nous disons, 'aidez-moi à rompre cette coutume'. N'est-ce pas? N'est-ce pas, Monsieur? Personne ne va vous aider. N'est-ce pas? Les gourous l'ont promis, les livres l'ont promis, et vous continuez dans la division.
47:42 N'est-ce pas? Alors pouvez-vous - écoutez bien - pouvez-vous repousser vos livres, vos gourous, toutes vos autorités, et affronter le fait?
47:54 Allez-vous le faire? Affronter le fait que cette division ne peut que créer un monde corrompu, en désintégration.
48:12 Si vous dites : 'j'admets, on ne peut pas vivre de cette façon' vous mettez votre cerveau face à un défi ! Celui de découvirr une autre façon de vivre.
48:28 Allez-vous mettre votre esprit au défi? Non. Vous comprenez, Monsieur? Allez-vous le faire?
48:35 Q:Oui.

K:Bien. Si vous le faites, alors vous devez le découvrir, pas l'admettre, ne pas demander : 'dites moi quoi faire', car c'est à vous de le faire.
48:51 Alors, qu'allez-vous faire? D'abord voir ce qui se passe dans les faits. N'est-ce pas, Monsieur? Ensuite demander : 'pourquoi cette division existe-t-elle?' N'est-ce pas, Monsieur? La division est-elle créée par le mot? La division est-elle créée par l'image que je me suis construite de ma femme ou de mon mari?
49:22 Cette division existe-t-elle parce que je poursuis le cours de mon propre désir et qu'elle poursuit son désir à elle?
49:36 Vous suivez? est-ce parce qu'on est ambitieux et la femme est docile?
49:46 Ou c'est la femme qui est ambitieuse et vous docile? Vous suivez, Monsieur? Etes-vous conscient de ceci?
49:57 Q:Qu'y a-t-il à observer s'il n'y a pas de division?
50:04 K:Nous y venons, Monsieur. Qu'y a-t-il à observer s'il n'y pas de division. Encore une fois, Monsieur, voyez-vous, vous n'avez même pas eu la courtoisie d'écouter !

Q:C'est bien compris, Monsieur, c'est seulement quand
50:27 nous sommes conscients qu'il n'y a pas de division.
50:32 K:'Quand' vous êtes conscient, 'si' vous êtes conscient, 'il faudrait' être conscient, 'il faut' être conscient, tout cela indique que vous n'êtes pas conscient.
51:02 Donc, on demande : êtes-vous conscient de cette division?
51:10 Si on l'est, alors pourquoi y a-t-il cette division? Cette division existe depuis des millénaires, depuis des temps immémoriaux.
51:23 N'est-ce pas? N'est-ce pas, Monsieur? Moi et mon Dieu, moi et ma langue, moi et ma croyance.
51:34 N'est-ce pas, Monsieur? Cela existe depuis l'antiquité, depuis l'époque sumérienne, c'est-à-dire depuis environ 7.000 ans avant J.C.
51:47 Et nous l'avons admis, nous disons que c'est ainsi qu'il faut vivre, avec la guerre, la destruction, le conflit, la haine.
51:57 Alors, nous devons trouver une autre façon de vivre. Pourquoi cette division, et qui l'a créée?
52:09 Vous comprenez, Monsieur? Nous pensons ensemble. Je vous en prie, qui l'a créée? Ne dites pas la nature, Dieu, quelque force extérieure. Ce sont les humains qui l'ont créée. N'est-ce pas? N'est-ce pas, Monsieur? Alors, qu'est-ce qu'un être humain, c'est son aptitude à penser. N'est-ce pas, Monsieur? La pensée elle-même étant limitée tout ce qu'elle crée ne peut être que limité.
52:49 D'accord? Par conséquent, dans la relation avec autrui, le fonctionnement de la pensée ne peut être que limité.
52:58 N'est-ce pas? Quand il y a limitation, il y a division. Quand une tribu dit : 'je suis de cette tribu' face à une autre tribu, c'est une division. N'est-ce pas?
53:15 La pensée a donc créé cette division. Bien, vous le voyez?
53:25 Q:Monsieur, puis-je clarifier quelque chose? Ma pensée. La pensée paraît fonctionner à tous les niveaux, Le niveau sensoriel, le niveau...
53:35 Qu'entendez-vous par pensée? N'est-elle que verbalisation interne?
53:40 K:Oui. En partie verbalisation, en partie - un instant, je décris les parties, mais les parties ne font pas le tout.
53:57 D'accord? Je veux développer un peu ceci.
54:01 Q:La division n'est pas nécessairement un conflit, elle peut être coopérante.
54:07 K:Oh, Monsieur, ne dites pas 'nécessairement', c'est ça qui se passe, pourquoi dites-vous 'nécessairement'? Ce n'est qu'une idée. Bonté divine, vous êtes incapables d'écouter de façon suivie. Monsieur, vous êtes ici pour découvrir ce dont parle l'orateur. N'est-ce pas? Vous avez posé cette question alors commencez par écouter et vous pourrez ensuite tout mettre en pièces.
54:35 Vous pourrez le jeter par-dessus bord, le piétiner, en faire ce que vous voulez, mais ayez d'abord la courtoisie de prêter une attention amicale.
54:53 Je commence par demander pourquoi cette division existe-t-elle, pourquoi l'homme l'a-t-il admise, qui l'a créée, comment est-elle apparue.
55:08 On voit donc que c'est soit une croyance, n'est-ce pas, soit du tribalisme, une tribu s'opposant à une autre.
55:19 N'est-ce pas, Monsieur? Suivez-vous tout ceci? Un assortiment de dogmes s'opposant à un autre assortiment de dogmes, une collection de dieux claniques s'opposant à une autre collection de dieux claniques, la langue qui sépare les gens, etc.
55:39 Comment ceci est-il apparu?
55:43 Q:Il reste, Monsieur, que si ces choses que vous avez décrites ont bien amené la division, il existe toutefois un niveau de division très subtil où le sentiment même que je suis quelque chose de distinct paraît sous-tendre toutes ces formes de division plus rudimentaires.
56:04 K:Je n'entends pas, il vous faut parler beaucoup plus fort.
56:09 Q:Les divisions dont vous avez parlées, le tribalisme, le nationalisme, la religion, semblent toutes se situer à un niveau rudimentaire et si vous portez votre attention sur ces choses il vous est pour ainsi dire possible de voir au travers.
56:27 K:J'y viens, Monsieur. il me faut d'abord commencer par l'extérieur pour en venir à l'intérieur.
56:32 Q:Ce qui me paraît donc très difficile à percevoir c'est le sentiment primordial de séparation de la personne en tant qu'individu.
56:44 K:Qu'est-ce qu'il dit?

Q:Pour lui, la difficulté réside dans ce sentiment de séparation en tant qu'individu qui est bien plus fondamental que toutes ces séparations.
56:57 K:J'y viens, Monsieur !
57:06 Il s'est écoulé près d'une heure et nous n'avons même pas encore atteint le fond de la chose.
57:22 Nous disons que l'homme a vécu avec ses sens, mais bien davantage au niveau intellectuel, verbal.
57:42 Et que l'activité même de la pensée est le facteur de division, de division dans le sens où elle morcelle.
57:54 Est-ce clair? Vous pouvez l'observer vous-même, Monsieur. Tout processus de pensée est limité, fragmentaire.
58:06 La pensée peut concevoir le tout, mais la conception est encore de la pensée.
58:14 N'est-ce pas? N'est-ce pas, Messieurs? Alors : la pensée, qui est mémoire, expérience, savoir - c'est-à-dire le passé - ce savoir peut-il rester inactif quand vous observez?
58:39 C'est tout. Quand vous observez votre femme, votre mari et votre famille, ou votre domestique, ou votre voisin, ce souvenir associé à votre femme ou votre mari peut-il être mis en suspens pour regarder, simplement? Allez-vous le faire?
59:02 Pouvez-vous le faire? Vous rendant compte que la pensée divise, qu'elle est fragmentaire, que la pensée est née du savoir, c'est-à-dire du passé, et que vous regardez toujours votre femme, votre voisin avec les yeux du passé.
59:27 Et, quand vous vous regardez vous-même, c'est avec les yeux du passé, ce qui provoque le réflexe conditionné traditionnel : 'je suis différent de quelqu'un d'autre'.
59:41 Avez-vous suivi tout ceci, Monsieur? Etes-vous en train de le faire? Donc je dis...
59:51 Q:Ne déformez pas les faits. Qu'advient-il de votre voisin, du fait de votre voisin? Quand vous retournez les faits comme vous le faites pour vous-même, c'est impossible. Ce sont là de simples faits, les faits bruts, irréfutables du voisin, ou de la femme, de l'enfant ou de quoi que ce soit.
1:00:14 Q:Tout ça c'est l'ego, Monsieur, l'ego.

K:Comment, Monsieur?
1:00:20 Q:Tout cela c'est l'ego qui nous donne ce sentiment.
1:00:25 K:Vous voulez dire que cet ego, le 'moi', la personne,
1:00:30 sont construits par la pensée, votre nom, votre forme, vos désirs, vos anxiétés, votre souffrance, vos plaisirs, vos peurs, votre arrogance, votre vanité, votre désir de pouvoir, c'est vous !
1:00:49 Q:Monsieur, si j'ai bien compris, vous dites que cet ego ou cette division est une activité entretenue par le processus de penser.
1:00:57 K:Oui. Alors pouvez-vous observer - je reviens à cela - pouvez-vous observer votre femme ou votre mari sans l'intrusion des souvenirs passés?
1:01:17 Sinon, que se passe-t-il? Vous n'avez même pas atteint ce stade. Vous comprenez ma question, Monsieur? Je regarde ma femme - je n'en ai pas, mais disons que je regarde ma femme.
1:01:38 Puis-je la regarder sans les souvenirs sexuels, sans les souvenirs de domination, sans le souvenir d'une compagnie réconfortante, sans toutes les petites impatiences mesquines, et tout le reste.
1:02:02 Pouvez-vous la regarder comme si c'était la première fois?
1:02:09 Quand vous la regardez de la sorte, il n'y a pas d'observateur, rien que l'observation - que se passe-t-il alors?

Q:Une absence de la personne.
1:02:29 K:N'inventez pas, Monsieur.
1:02:32 Ne dites pas: si, quand, absence. Grand dieu, mais vous ne le faites pas !
1:02:39 Q:Je suis incapable de le faire, le passé intervient.
1:02:42 K:Alors découvrez pourquoi il intervient.

Q:Je suis le passé.
1:02:46 Q:Monsieur, l'observation est-elle distincte de... comment peut-il y avoir observation sans l'observateur?
1:02:52 K:Faites-le, Monsieur.
1:02:53 Q:A moins que l'observateur soit égal à l'ego.
1:02:56 K:Un instant, Monsieur. Pouvez-vous regarder cet arbre sans le mot? Pourquoi ne pas le faire ici?

Q:Mais qui en est conscient?
1:03:07 K:Oh, vous autres... Monsieur, vous n'essayez pas,
1:03:11 vous n'y travaillez pas, vous ne voulez pas découvrir, vous faites des annonces. Regardez, Monsieur.
1:03:20 Q:Cette chose là, je suppose, est existence pure, on est conscient seulement de l'existence, sans division.
1:03:27 K:Tout cela n'est que de la théorie. A quoi bon les théories ! Vos livres sont pleins de théories. Vos gourous, vos églises, vos temples sont pleins de théories. Où en êtes-vous au bout du compte? Vous et votre pays, vous autres, où en êtes-vous ! Maintenant, Monsieur, écoutez seulement. Je me suis adressé à des scientifiques de renom, à qui j'ai montré que l'observateur est l'observé : ils ont mis un certain temps à comprendre la signification verbale de la chose puis ils m'ont expliqué quelque chose.
1:04:17 Ils ont dit : quand vous observez, sans théories, sans souvenir, sans tout cela, au microcospe, au cours de l'observation, la chose que vous observez subit un changement.
1:04:32 N'approuvez pas ceci, vous n'en savez rien. La chose que vous observez bouge, change, n'est jamais pareille.
1:04:44 Alors écoutez je vous prie, quand vous observez votre avidité, c'est-à-dire sans le mot, sans le souvenir qui dit : 'je ne dois pas être avide' et tout le reste, quand vous observez ce fait de la réaction appelé avidité, cette réaction subit un changement radical.
1:05:08 Voilà comment il faut observer. M'observer moi-même, toute ma structure et ma nature, avec toutes ses qualités, toutes ses laideurs, tout le plaisir, toute la misère, quand j'observe cela, quand il y a observation sans les associations du passé, l'observation même opère un changement dans ce qui se passe.
1:05:49 Q:En quelques mots, dans cet état là, je suis simplement humble, affectueux, et aimant.
1:05:56 K:Comment Monsieur?

Q:En quelques mots...

K:Oh non, non, ne convertissez pas cela en mots ! Avez-vous compris ce que veut dire l'orateur?
1:06:16 Voyons, Monsieur, voyons : il y a de la violence. N'est-ce pas?
1:06:23 Dans le monde, c'est maintenant devenu de la violence tribale. N'est-ce pas, Monsieur? N'est-ce pas? Même les soi-disant brahmanes - il n'y en a malheureusement plus - même les soi-disant brahmanes sont devenus tribaux.
1:06:47 Et ce tribalisme est créateur de violence. Pouvez-vous simplement regarder la violence, simplement l'écouter, en suivre le déroulement - je vais expliquer étape par étape.
1:07:02 Vous devez d'abord devenir conscient de votre violence, ainsi la colère, l'imitation est une forme de violence - imiter quelqu'un.
1:07:18 Quand vous vous comparez à quelqu'un, c'est une forme de violence. Quand vous essayez de parvenir à un résultat, un succès, c'est une forme de violence.
1:07:30 Je me sers du mot violence dans son acception la plus large, non seulement physique, mais aussi psychologique.
1:07:39 Quand ce sentiment se manifeste, la pensée arrive et dit : c'est la violence.
1:07:50 N'est-ce pas, vous suivez? Car la pensée ne fonctionne qu'à l'aide de mots, d'images, de symboles, et donc elle dit : c'est la violence.
1:08:02 Ainsi le passé a reconnu le nouveau sentiment et l'a baptisé violence.
1:08:11 Suivez-vous ceci, Monsieur? Alors pouvez-vous observer cette émotion baptisée violence, sans la nommer?
1:08:30 Parce que, quand vous ne la nommez pas, l'objet même de l'observation change.
1:08:41 Et il n'y a en cela aucun conflit.
1:08:48 Dès l'instant où l'observateur dit : 'je suis violent', le conflit commence, 'je ne dois pas être violent', 'dites-moi comment ne pas être violent', 'je dois rechercher la non-violence' et tout le reste.
1:09:02 N'est-ce pas, Monsieur? N'est-ce pas? Alors pouvez-vous en faire l'essai? Faites-le. Testez-le. Quand un sentiment émerge - colère, jalousie, avidité, violence, sexe, ce qui est capital pour la plupart des gens - quand naît ce sentiment, observez-le sans introduire toutes les images, les contradictions, - qu'il n'y ait que le fait de ce sentiment.
1:09:45 Vous découvrirez alors tout seul que le fait n'a pas d'opposé.
1:09:56 N'est-ce pas? Par contre, quand vous vous écartez du fait, l'opposé entre en scène et par conséquent le conflit commence.
1:10:05 Nous disons maintenant : observez le sentiment et soyez conscient que la pensée est destructrice dans l'observation.
1:10:21 Avez-vous compris cela, Monsieur?
1:10:25 Q:Cette dernière phrase, je ne la comprends pas.
1:10:32 K:Nous avons dit que la pensée divise.
1:10:35 Q:La pensée en action est destructrice.
1:10:38 K:Oui, bien sûr. Tout ce qui divise.

Q:Elle est destructrice.

K:Elle est destructrice. Quand je me dis catholique, ma seule croyance est dans le sauveur Jésus ou peu importe qui, et vous, vous dites je suis hindou,
1:10:53 et le musulman dit, je suis musulman - vous êtes des gens destructeurs.
1:11:00 Alors nous disons qu'il est possible, pas en théorie, mais dans la vie quotidienne, il est possible de vivre sans conflit quand il n'y a que pure observation.
1:11:22 Ceci ne demande pas de discipline, pas de contrôle, seulement observer que l'idée, le concept fondamental du 'moi' est essentiellement différent d'autrui.
1:11:44 Q:Monsieur, vous affirmez que cette présomption, que ce concept doit être radicalement déraciné, exact?
1:11:52 Il me semble que quand vous observez, et cette observation est nécessaire, il y a chez celui qui vous entend une tendance à renforcer l'ego dans le sentiment qu'il est approprié de prendre du recul
1:12:08 et de s'isoler encore davantage.
1:12:11 K:Bien sûr, bien sûr. Parce que quand vous écoutez cela, vous ne l'écoutez pas complètement, Vous n'écoutez pas, Monsieur.
1:12:21 Il nous faut revenir à la question de l'écoute.
1:12:26 Q:C'est l'échec de la conscience humaine.
1:12:30 K:Oui, Monsieur, je sais tout cela, nous le savons tous. Mais regardez, Monsieur, si l'on connaît l'art d'écouter, tout devient extraordinairement simple.
1:12:43 Certains d'entre vous ont écouté cette musique, si vous l'avez écoutée, elle est très simple. Mais notre esprit, nos cerveaux sont si conditionnés à la complexité que nous n'écoutons même pas.
1:13:02 Maintenant, au terme d'une heure un quart, où en êtes-vous? Je sais où j'en suis, mais vous?
1:13:14 Avez-vous vraiment compris qu'il existe une façon de vivre sans l'ombre d'un conflit?
1:13:27 Quand il n'y a pas de conflit, vous engendrez une société différente et par conséquent d'autres gouvernements.
1:13:49 Q:Monsieur, peu avant, vous avez défini ce qu'est un humain et vous l'avez fait en termes de sa capacité de penser.
1:13:57 Alors, admettons qu'il existe un défaut d'écoute, ou une mauvaise interprétation de ce que vous entendez par penser, - puis-je terminer? - car vous semblez appeler un changement radical dans la façon de faire l'expérience, mais vous l'appelez au niveau de l'esprit, et c'est là le niveau habituel des êtres humains, de sorte que nous semblons nous engager encore plus à fond dans le processus de séparation.
1:14:35 K:Je comprends, Monsieur. Monsieur, il faut bien se servir de mots pour communiquer. Si nous pouvions communiquer sans mots, c'est-à-dire - écoutez seulement - communiquer sans mots signifie que vous et l'orateur devez être au même niveau, avec la même intensité, au même moment.
1:14:59 Sinon, seule la communication verbale est possible. Si vous ne pouvez venir à la rencontre de l'orateur au même niveau, au même moment, avec la même intensité, alors les mots doivent nécessairement servir à la communication.
1:15:16 Voilà ce qu'est l'amour : en présence d'un véritable amour, la communication est inutile.
1:15:29 Donc avant de m'arrêter, je demande - s'il m'est permis - où en êtes-vous, avez-vous compris?
1:15:37 Cela ne peut être testé qu'une fois rentrés chez vous, quand vous vous trouverez face à votre femme, à votre patron, en travaillant dans un bureau, découvrez, testez-le.
1:15:54 Et la personne qui recherche l'expérience ne se rend pas compte que l'expérimentateur est l'expérience.
1:16:09 Car l'expérimentateur, lorsqu'il expérience, doit reconnaître cette expérience,
1:16:17 ce qui signifie qu'il y a déjà goûté, qu'il l'a déjà connue, par conséquent l'expérimentateur est l'expérience, le penseur est la pensée, l'observateur est l'observé.
1:16:32 Bien, Messieurs.