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MA7879T1 - Les organisations n’ont pas sauvé l’homme
1re causerie
Madras (Chennai), Inde
31 décembre 1978



1:23 Je suppose que je dois parler. Je suis heureux de cette belle soirée. Nous aurons sept causeries et deux discussions et nous devrions aborder tous nos problèmes humains le plus à fond possible. Je pense que nous devrions être très clairs dès le début sur ce que vous et moi faisons ensemble.
2:21 En premier, j'aimerais souligner, s'il m'est permis, qu'il n'est pas question ici de propagande, ni d'une nouvelle série d'idées, un nouvel assortiment de croyances, ni de s'installer comme gourou, mais nous allons converser, ensemble, de nos nombreux problèmes. Pour converser, vous êtes si nombreux il est impossible de communiquer avec chacun en particulier mais si nous sommes capables de penser ensemble, sans être d'accord ou pas d'accord, mais capables de penser clairement, objectivement, sainement. Cela veut dire : aucun préalable, ne pas s'appuyer sur une base d'opinions, de jugements, d'arguments contradictoires - nous ne nous occupons pas d'arguments ni d'opinions. Nous tentons réellement de découvrir un mode de vie incluant une compréhension de toute la complexité de nos vies.
4:43 S'il m'est permis d'insister, penser ensemble implique que l'on aborde les problèmes sans aucun préalable, sans idées ni croyances préconçues. Nous pensons ensemble. Et cela implique que vous fassiez fonctionner vos cerveaux, que vous ne dormiez pas, que vous n'acceptiez pas.
5:45 Tout d'abord, il faut examiner les problèmes qui nous cernent, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. D'abord examiner clairement les choses extérieures, ce qui se passe dans le monde. Car nous devons penser globalement, pas provincialement, pas avec un esprit de classe, ou un esprit sectaire, pas croire en une chose et la contredire par nos actions, et ainsi de suite. Nous allons donc examiner ensemble, si possible clairement, ce qui se passe dans le monde, au dehors de nous, au niveau environnemental, politique, religieux, écologique. Car si l'on n'examine pas l'extérieur avec précision, autant que faire se peut, il est très difficile de s'examiner soi-même avec précision. Il faut commencer par l'extérieur pour aller vers l'intérieur, comme le flux et le reflux de la marée. C'est le même mouvement, le monde extérieur n'est pas distinct de nous. Mais nous pouvons au moins observer clairement ce qui se passe autour de nous. Et nous avons au moins un critère à partir duquel nous pouvons travailler à l'intérieur. J'espère que c'est clair.
8:01 Commençons par examiner ensemble ce qui a lieu autour de nous, si possible sous tous les angles, en nous appuyant sur les faits dont nous disposons. Et nous ne disposons pas de beaucoup de faits car nous avons affaire à des politiciens, à de prétendus dirigeants, dans le monde entier. Ils nous gouvernent. Et vous pouvez voir, dans chaque pays, un groupe de gens uniquement préoccupés de leur propre petit domaine. C'est évident. Et si vous examinez de plus près, non seulement ils ne se préoccupent que de leur propre petite portion d'un immense domaine, le monde, mais cette petite portion elle-même est divisée, de plus en plus fragmentée.
9:19 Donc la fragmentation est en marche dans le monde, nationalement, religieusement, politiquement, économiquement. Le morcellement. C'est tellement évident dans ce pays, comme dans le reste du monde. Il y a donc fragmentation, non seulement en politique mais aussi en nous-mêmes. Nous sommes des humains morcelés, nous ne sommes pas entiers. C'est clair. Et chaque nation se bat contre une autre nation, l'hindou, le musulman, etc. Et l'on a compté sur la politique pour sauver l'homme. Mais elle ne l'a pas sauvé. Au contraire, elle a engendré encore plus de souffrance par les guerres, par la division. On a espéré en la science pour le progrès de l'homme, mais cela aussi a échoué, économiquement, etc. Nous avons compté sur la politique pour le salut de l'homme, nous avons compté sur les religions pour le salut de l'homme, nous avons compté sur la science - qui est l'accumulation du savoir en action - nous avons compté sur ces choses et aucune d'elles n'a pu aider l'homme. Peut-être lui ont-elles procuré une petite niche, ici ou là, mais cela a été une lutte continuelle. C'est évident.
11:38 Et nous avons aussi vu qu'aucune sorte d'organisation, qu'elle soit de gauche, de droite, ou du centre, ou communiste, socialiste, qu'aucune organisation quelle qu'elle soit ne va sauver l'homme. N'est-ce pas? J'espère que vous verrez cela. Même de petites communautés ne vont pas sauver l'homme, car c'est un problème mondial, un problème global, et il doit être traité globalement, avec un esprit global, pas avec un petit esprit sectaire, paroissial, étroit.
12:30 Donc les organisations ont échoué. Les institutions ont échoué. Les gourous qui se multiplient comme autant de - comment dire - de champignons, partout dans le monde, eux non plus ne vont pas sauver l'homme. Au contraire, ils créent leur propre petit tourbillon, leur petit bruit, vous savez bien ce qu'ils font, inutile de vous parler de tout cela. Alors, qu'est-ce qui va sauver l'homme, car actuellement, en observant ce qui se passe dans le monde, la préparation de la guerre - 400 milliards de dollars sont dépensés en armements chaque année par l'ensemble des gouvernements. Mis ensemble, tous les gouvernements dépensent 400 milliards de dollars chaque année. C'est totalement dément. N'est-ce pas?
13:54 Alors, au vu de tout cela, que doit faire l'homme? Vous comprenez ma question? Que devez-vous faire? Par où allons-nous commencer la réforme de l'homme? Nous avons tout essayé pour résoudre ces problèmes. Nous avons eu des principes, des idéaux extraordinaires, de grandes théories, des volumes de livres sacrés - dits sacrés, aucun livre n'est sacré, pas même la Gita, les Upanishads, la Bible, ni même le Coran.
14:55 Nous avons donc tout essayé pour résoudre nos problèmes, les maoïstes en Chine, Lénine et son groupe en Russie, les capitalistes, les socialistes, les libéraux, nous avons tout essayé. Donc au vu de tout cela, de toutes leurs divisions et fragmentations, leur confusion, chaque être humain s'opposant à un autre être humain, un gourou s'opposant à un autre gourou, mon gourou est meilleur que le vôtre, il est plus pacifique, lui, il sait, et vous ne savez pas, etc. J'espère que vous réalisez la gravité de tout ceci.
16:05 Ceci n'est donc pas une réunion d'un soir, à laquelle vous assistez nonchalamment, puis oubliez. Nous sommes rassemblés dans un but sérieux. Et la qualité de ce sérieux dépend de vous, puisque vous êtes mis au défi : ou vous acceptez ce défi ou vous ne faites que passer. Diverses cultures ont échoué, y compris celle de ce pays. Alors, quand vous observez tous ces signes extérieurs de violence, le terrorisme, la brutalité, l'énorme cruauté et la torture, les politiciens se battant pour le pouvoir, quand vous voyez tout ceci vous êtes face au défi : que doit faire un être humain? Que devez-vous faire? Par où commencerez-vous? Car l'homme, les êtres humains comme vous et moi, sont confrontés à une grande crise de l'humanité. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte. Et nous devons répondre à cette crise, qui est un défi, avec justesse.
18:11 Donc, voyant tout cela, qui va sauver l'homme? Vous comprenez ma question? Qui va vous sauver, vous. Vous sauver de votre confusion, de votre conflit, de votre souffrance, de vos perpétuelles contradictions, de votre envie, de votre nationalisme mesquin, des gourous, dont vous avez accepté l'autorité? Donc quand on voit cela, il ne peut y avoir qu'une seule réponse. Si les organisations n'ont plus aucune valeur, si les leaders ne peuvent nous aider, et qu'aucun livre ne va procurer la liberté à quiconque, il ne nous reste qu'à commencer par nous-mêmes. N'est-ce pas? J'espère que nous sommes en communication. La communication implique : partager. Partage de notre faculté de penser, de notre ressenti, de notre observation de ce qui se passe, en exigeant de soi-même la plus haute qualité pour agir avec justesse. Donc, de l'extérieur, nous en venons à l'intérieur. C'est le même mouvement, le monde n'est pas distinct de nous. Nous l'avons fabriqué, ce monde malheureux. C'est nous qui l'avons fabriqué, nul dieu, nul agent extérieur, c'est bien nous, les êtres humains, qui avons créé cette société dans laquelle nous vivons, avec toute sa corruption, ses superstitions malfaisantes, ses dieux absurdes. Nous avons fabriqué cela. Les divisions nationales, les divisions de classe. Voyez-le, je vous prie.
21:22 Nous devons donc commencer par nous-mêmes. N'est-ce pas? Personne sur terre ou dans les cieux ne va nous sauver. Ni livre, ni gourou, ni système, ni méthode, ni leader, ni héros, ni principe. N'est-ce pas? Nous devons commencer par nous-mêmes et voir si nous pouvons nous transformer si nous pouvons radicalement changer à la racine même de notre être pour avoir un esprit libre, et non un esprit morcelé, corrompu, apeuré, anxieux, avide, dans la souffrance. Alors est-ce possible? Vous comprenez ma question? D'accord, Messieurs? L'orateur exprime-t-il cela clairement?
22:52 Et, pour aller très loin, il faut commencer tout près. Le 'tout près', c'est vous. Voilà pourquoi nous demandons : quelle est la qualité de votre pensée, quelle est la qualité de votre esprit, déterminé, voyant ce qui se passe, à exiger que cela change : la société où nous vivons, une autre sorte d'éducation, des gouvernements globaux différents, etc. Alors, nous autres êtres humains, - vous - sommes-nous prêts, sommes-nous désireux, sérieusement déterminés à découvrir, à étudier l'ensemble de la structure humaine, psychologique et religieuse, et voir s'il est possible à tout être humain assez bon pour écouter ceci de mener l'enquête sur lui-même. Vous comprenez Messieurs? D'accord?
24:48 Je demande donc : votre état d'esprit, de conscience, est-il assez sérieux pour mener cette investigation? Vous comprenez ma question? Etes-vous sérieux? Ou voulez-vous passer une soirée agréable sous les arbres, si magnifiques soient-ils après la pluie, sous le ciel clair. Vous-mêmes, connaissez-vous l'état de votre propre existence? Votre existence quotidienne, votre façon de penser, de ressentir, si vous êtes avides, envieux, et tout le reste, tout l'ensemble de la structure humaine. En avez-vous conscience? Savez-vous ce que vous pensez? Et pourquoi vous pensez? Connaissez-vous vos sentiments, vos préjugés, vos anxiétés, vos peurs, qui sont notre vie, notre vie quotidienne? Votre relation avec un autre, intime ou non, de quelle nature est-elle, superficielle ou profondément réelle? Ou n'est-elle que sexuelle, sensorielle, ou cette relation comporte-t-elle affection, attention, tendresse, amour?
27:07 Nous demandons donc si vous avez conscience de votre propre vie quotidienne avec toutes ses complexités. Et ce n'est qu'à partir de là que l'on peut commencer, et non par une quelconque croyance, quelque idéal, quelque conclusion, comme croire en Brahman, ou en Dieu, en Jésus, ou autre chose. Toute cela n'est qu'illusion. Alors nous demandons, - écoutez, je vous prie - nous demandons si votre esprit est pris dans une illusion. S'il l'est, il vous est impossible d'effectuer en vous un changement radical, car vous êtes le monde, vous n'êtes pas distinct du reste de l'humanité, car vous souffrez, et les gens qui vivent à 10.000 km d'ici souffrent. Ils ont peur, comme vous. Ils sont en quête de sécurité, et en trouvent très peu, que ce soit dans le monde, ou dans le domaine psychologique, il y a très peu de sécurité. Ils veulent le bonheur et ils sont malheureux. Ils sont crédules, comme vous. Vous êtes donc essentiellement semblables à tout autre être humain. Ce n'est pas un concept intellectuel dont on peut discuter, c'est un fait. Que vous soyez brun, noir, blanc ou rose, à part la division raciale, et où qu'il se trouve dans le monde, chaque homme traverse tout ce que vous traversez vous-mêmes, psychologiquement et physiquement. N'est-ce pas comme cela? Vous avez peur de la mort, et les autres aussi. Vous croyez en la réincarnation, parce que cela vous réconforte, d'autres ont leurs propres théories sur l'après-vie. Il en va exactement de même pour chaque être humain dans le monde. Vous êtes donc essentiellement le monde.
30:20 Mais cette réalisation n'est pas une affaire intellectuelle. Ce n’est pas une idée - bonne ou mauvaise. Si vous ne sentez pas, dans votre sang et dans vos tripes, que vous êtes le monde, alors, pour transformer le monde, vous devez changer, radicalement. Bien? Pouvons-nous partir de là? C'est-à-dire, est-on au courant, conscient des pensées, sentiments, de ses croyances, de ses idéaux, de sa corruption, de ses peurs, de ses plaisirs, vous connaissez tout cela? Que vous les connaissiez ou non, il faut chercher à comprendre pourquoi nous vivons comme nous le faisons, pourquoi nous acceptons de vivre ainsi. Comprenez-vous mes questions?
32:10 Donc, ensemble - je dis bien, ensemble - nous allons examiner, explorer en nous-mêmes. Cela n'est pas une thérapie de groupe, cette horreur, exposer mutuellement nos fautes dans un espoir de clarification. Nous allons discuter ensemble, examiner la qualité de nos esprits la qualité de nos coeurs, la qualité de notre cerveau. Pour examiner, vous devez être libres de regarder. N'est-ce pas, Messieurs? Libres de regarder en vous-mêmes. Ce qui signifie : aucune conclusion. N'est-ce pas? aucun sentiment d'autorité. Personne pour vous dire comment regarder, car alors vous voyez par ses yeux. Il ne faut pas de guide. Vous devez être libre de vous écouter, de vous observer et d'apprendre en observant, et d'agir en observant.
34:13 Nous avons donc ce premier problème : savoir ce qui se passe en fait, ce qui se passe en ce moment dans vos esprits et dans vos coeurs, dans votre vie quotidienne. Et être capable d'écouter vos propres murmures, vos propres peurs, vos propres misères, les écouter. Et observer les réactions dans vos rapports avec autrui, parce que c'est le seul guide, vos réactions à l'autre. Tout ce respect pour ceux qui sont au-dessus de vous, ou qui ont de plus hautes situations, statuts, pouvoirs, et comment vous bousculez vos inférieurs. Non? Cela se voit dans ce pays, ce manque total d'égards, de respect pour les êtres humains. Vous devez découvrir de vous-mêmes, en réfléchissant ensemble comme nous le faisons là, comment vous observer. Pas à quoi penser, mais comment penser. Pas ma façon de penser, ou votre façon de penser, ou celle du professeur, du gourou, du spécialiste, mais penser ensemble sans aucun préjugé, sans aucune opinion. Autrement, on ne peut pas penser ensemble. N'est-ce pas? Le voyons-nous? Voyons-nous que, si vous avez une opinion, et que j'en ai une aussi, notre façon de penser est déformée. N'est-ce pas? Alors est-il possible de penser sans opinion? Accompagnez-moi s'il vous plaît, je vais aborder cela lentement. Est-il possible d'observer sans aucune conclusion? Est-il possible d'écouter simplement, sans aucune déformation? Nous allons donc approfondir cela lentement, pas à pas.
37:46 C'est une belle soirée, il fait bon être assis sous les arbres et parler de choses sérieuses, sans oublier de regarder les feuilles, les branches et au-dessus, le ciel bleu, et de voir le coucher de soleil, la beauté des couleurs, les nuages tout éclairés, et aussi de nous voir nous-mêmes exactement tels que nous sommes. On ne peut changer les nuages, ni changer le coucher de soleil. Donc, vous regarder vous-mêmes sans désir de changer. Car le désir même de changer a un motif, ou c'est l'avidité, ou l'on veut s'améliorer en vue d'atteindre un certain principe, un certain idéal. Alors pouvez-vous vous observer sans le moindre mouvement de pensée? Vous comprenez ma question?
39:24 Essayons d'abord de découvrir ce que signifie écouter. Ne dites pas : 'j'ai déjà entendu cela de votre part'. Il y a malheureusement beaucoup de gens ici qui viennent tous les ans sans changer pour autant. Cela devient un jeu. Ils ne sont pas sérieux. Même s'ils sont venus ici très souvent et ont entendu l'orateur, je leur demande d'oublier ce qu'il a dit auparavant, de totalement oublier ce qu'il a dit et de recommencer à neuf. Vous savez, quand vous regardez une fleur, jour après jour, elle n'est jamais la même, n'est-ce pas? La beauté d'une fleur varie de jour en jour. De même, vous qui avez écouté l'orateur depuis de très, très nombreuses années, écoutez comme si c'était la première fois. Alors, vous apprenez. Vous ne mémorisez pas, vous apprenez sur vous-mêmes. Sans apprendre sur soi, il ne peut y avoir de base à une action juste, à une réponse juste, à une compréhension objective.
41:32 Nous allons donc commencer par découvrir ensemble, - je ne vous dis pas quoi faire - ensemble nous allons découvrir ce qu'écouter signifie. Ecoutons-nous jamais qui que ce soit? Ecoutez-vous ce que je dis en ce moment? Oui? En toute honnêteté, écoutez-vous? Ou votre esprit est tellement pris par d'autres choses. Ou bien vous êtes ici à cause de la réputation de l'orateur et vous voulez savoir ce qu'il va dire. Toutes ces diversions empêchent une écoute effective. N'est-ce pas? Car il est très important d'apprendre l'art d'écouter. Car, si vous apprenez cet art - pas le mémoriser, car pendant que vous mettez en mémoire comment il faut écouter, vous n'écoutez pas. Donc, que veut dire écouter? Ecouter non seulement le monde extérieur, mais encore écouter ses propres murmures profonds, ses profondes angoisses, ses peurs et ses plaisirs. Que veut dire écouter? Il y a une écoute par l'oreille, et il y a aussi une écoute sans qu'interviennent les réactions nerveuses. Suivez-vous ce que je dis? Sommes-nous le moins du monde ensemble? Est-ce que je parle grec, chinois, ou nous comprenons-nous? Car il est très important de trouver ce que veut dire écouter, observer. Car nous allons observer sans aucune déformation la réalité de notre propre mouvement. Observer, écouter de la sorte est un grand art. Et nous sommes, ensemble, en train d'apprendre cet art. Je ne suis pas votre professeur. J'insiste là-dessus. Je ne suis pas votre autorité. Mais, comme deux amis qui discutent ensemble de leurs problèmes, de leurs peurs, de leurs anxiétés, chaque ami parle de ses propres problèmes, et ensemble, ils les abordent et les résolvent. Nous faisons de même. Pas si l'orateur a résolu les siens - il l'a fait; mais nous tentons de communiquer, de partager.
45:48 Tout d'abord, que veut dire écouter? Ecouter une phrase, écouter le cri de ce corbeau, le klaxon de cette voiture, écouter sa propre pensée, ses propres sentiments. Et écouter requiert la non-intervention de la pensée. Car dès l'instant où la pensée intervient, disant 'ceci est bon ou mauvais', 'je n'aime pas ce bruit' ou 'j'aime ce bruit', vous n'écoutez pas. Je vous en prie, faites le maintenant pendant que vous êtes là et que je vous l'explique, faites-le maintenant, pas quand vous rentrerez chez vous, ce sera trop tard, vous n'aurez pas entendu.
47:16 L'orateur va faire de très nombreuses remarques, vous devez découvrir par vous-même si elles sont vraies ou fausses. Mais si vous écoutez à partir de ce que vous avez appris dans les livres, auprès d'une autorité, ou de votre expérience, alors vous bloquez votre capacité à écouter réellement ce que l'autre veut dire. Vous comprenez la responsabilité qui est la vôtre? Celle d'écouter le monde et votre propre anxiété, insécurité, incertitude, souffrance. Nous allons entrer pas à pas dans la totalité de la peur, de la souffrance, de la douleur, de l'anxiété, toute l'existence humaine, nous allons l'approfondir. Mais nous devons d'abord apprendre à les écouter.
48:42 Ensuite, comment observer, que signifie observer. Vous m'observez, moi l'orateur, comment m'observez-vous? Voyez ce fait très simple : vous êtes assis là, l'orateur se trouve ici, vous l'observez, vous le voyez. Le voyez-vous réellement, ou avez-vous des images de lui, des conclusions, des idées? Donc, des conclusions, la réputation, l'image vous empêchent de regarder vraiment la personne. N'est-ce pas? Comprenez-vous ce fait très simple? Si vous dites 'c'est un socialiste', vous ne le regardez pas. Si vous dites 'oh, c'est un communiste', l'étiquette vous empêche de l'observer. Et si vous dites 'c'est un musulman', rien ne va plus pour un hindou.
50:09 Alors pouvez-vous observer - écoutez s'il vous plaît - pouvez-vous observer sans un seul mouvement de vos préjugés, qui sont une fabrication de la pensée. Si je veux vous connaître, je dois oublier toutes mes étiquettes, si vous me plaisez ou non, etc., et simplement vous regarder. J'apprends par l'observation. C'est le commencement de la sagesse : observer, pas à partir de livres. C'est une chose. Ecouter, observer, et apprendre.
51:11 Que signifie apprendre? Dès l'âge de 5 ou 6 ans, nous allons à l'école. Nous y apprenons des faits. Nous apprenons une grande quantité d'informations que nous stockons dans le cerveau en tant que mémoire. N'est-ce pas? N'est-ce pas, Messieurs? La mémoire emmagasinée nous sert à agir : avoir une carrière, un emploi, de l'argent; nous accumulons le savoir, tant biologique que physique, mathématique, etc., et recueillons toutes ces données provenant de recherches passées, de tous ceux qui ont accumulé de l'information et l'ont transmise de génération en génération, et cela est stocké dans le cerveau. C'est ce que nous appelons : apprendre. Apprendre, récolter des informations, recueillir ce que d'autres ont dit, au sujet de Dieu, du paradis, comment il faut vivre, ce qui est juste, etc. Tout cela a été recueilli et stocké dans nos cerveaux. Et l'on appelle ça le savoir. C'est une façon d'apprendre.
53:14 Il existe aussi une autre façon d'apprendre : aller faire quelque chose, apprendre de cette action, cela devient un savoir. Nous agissons donc toujours à partir du savoir et le savoir est toujours le passé, ce qui a été. N'est-ce pas? C'est ce qui s'appelle : apprendre. Apprendre de l'expérience acquise par d'autres, de votre propre expérience, des habitudes, coutumes et traditions transmises de génération en génération, tout cela est stocké dans le cerveau. Nos cerveaux sont très, très vieux. Et en général, c'est ce qu'on appelle apprendre. Nous agissons à partir du savoir, c'est-à-dire du passé. N'est-ce pas? Voyez cela, car nous allons examiner ce qu'est apprendre.
54:31 Il existe une autre manière d'apprendre, qui n'est pas l'accumulation de savoir : j'explique cela tout de suite. Mais d'abord nous devons déterminer très clairement le domaine où le savoir est essentiel - pour conduire une voiture, pour faire n'importe quoi, parler une langue, retrouver sa maison. Le savoir est donc essentiel. Mais le savoir se situe toujours dans le passé. Donc, nous vivons dans le passé. N'est-ce pas?
55:22 Et il y a une autre manière d'apprendre qui n'est pas de l'accumulation de savoir. Ayez la gentillesse d'écouter ce que je dis. Ecoutez, sans être d'accord ou pas, sans acceptez ni rejeter, contentez-vous d'écouter comme vous écoutez cet oiseau. Comme vient de le dire l'orateur, nous ne connaissons qu'une seule méthode d'apprentissage consistant à accumuler du savoir. Et à partir de ce savoir nous agissons, fonctionnons, afin d'avoir un emploi, une maison, etc. Ce savoir devient dangereux dans la relation. Vous comprenez? Si le savoir, c'est-à-dire le souvenir, devient important dans la relation humaine, la relation mutuelle, ce savoir même divise les gens. Nous allons approfondir cela. Ecoutez simplement.
57:11 Nous disons qu'il existe une autre manière d'apprendre. Puis-je poursuivre? Je ne cherche pas à être malin, à vous impatienter, mais je veux communiquer de façon que vous compreniez vraiment, que vous compreniez non seulement avec votre cerveau, intellectuellement, mais également avec votre coeur, - vous comprenez? - avec votre esprit, votre cerveau, la qualité d'un cerveau qui écoute, et l'aptitude intellectuelle à raisonner logiquement, sainement, et aussi avec cette qualité d'affection, d'attention, d'amour, car celles-ci sont nécessaires pour découvrir quelque chose de nouveau. Vous comprenez? Quand vous voulez découvrir quelque chose de totalement neuf, il faut que règne une harmonie totale, pas seulement l'intellect fonctionnant tout seul, ou un cerveau qui se souvient de tous les incidents passés, les événements, les conclusions, et qui s'y accroche, mais aussi - et c'est peut-être le plus difficile - avoir de l'attention, de l'amour, de l'affection.
59:37 Nous allons donc découvrir ensemble s'il y a une autre manière de vivre, c'est-à-dire : apprendre et agir. Voyez la différence entre ce que je vais dire et ce que nous faisons en général : nous accumulons le savoir et agissons à partir de ce savoir. Il y a un intervalle de temps - écoutez, s'il vous plaît - il y a un intervalle de temps entre l'idée et l'action. N'est-ce pas? Vous suivez? Il y a l'idéal et vous tentez de mettre cet idéal en action, du coup il y a un hiatus entre le principe, l'idéal, la croyance, et la réalité. N'est-ce pas? Ce que nous disons maintenant, c'est que l'intervalle de temps entre l'idéal et l'action n'existe pas. Cela va être un peu difficile, prêtez votre attention si cela vous intéresse. Sinon, allez votre chemin.
1:01:12 Voyez ce que nous faisons actuellement : nous concevons une idée puis voulons mettre cette idée en action. Il y a donc un intervalle de temps, un hiatus entre l'idée et l'action. C'est clair. N'est-ce pas? Ne seriez-vous pas d'accord là-dessus? Nous disons à présent qu'il existe une façon d'agir, une façon d'apprendre sans aucun intervalle de temps, en laquelle apprendre c'est agir, pas agir à partir d'un savoir préexistant. Je vais m'expliquer. Allons lentement. Je veux d'abord établir une communication entre nous.
1:02:21 Un bon ingénieur est très au fait du principe du moteur à piston, du moteur à combustion interne. Et il veut découvrir quelque chose de nouveau. Bien sûr, le cerveau est plein ce qu'il a appris, plein de savoir sur le moteur à combustion interne. N'est-ce pas? Et s'il veut découvrir quelque chose de totalement neuf, il doit écarter tout cela. Il lui faut un esprit libre d'observer, d'écouter, de saisir ce qui pourrait se trouver juste à sa portée. Ainsi, la condition requise pour apprendre - pas pour accumuler du savoir - est d'avoir un esprit non encombré par le savoir. Et nos cerveaux sont tous encombrés de savoir. Regardez les faits. Plus vous êtes traditionnel, plus vous avez lu, lu la Gita, peu importe quoi, tout est stocké, enregistré dans votre cerveau, et par conséquent vous ne pouvez jamais découvrir une chose totalement nouvelle. Je parlais un jour avec un ami, un écrivain très connu, et il me dit : 'vous savez, j'ai tellement lu, j'ai lu toute la philosophie orientale, chinoise, et bien sûr européenne, je sais tout du communisme, j'ai lu Marx, etc., et je n'ai pas de place pour le nouveau'. Vous comprenez? Un esprit traditionnel, comme la plupart des esprits, imprégné de ce qui a été transmis de génération en génération, la coutume, l'habitude, le rituel, le puja, vous savez, tout ça, comment un tel esprit peut-il découvrir quelque chose de nouveau? Comprenez-vous ma question?
1:05:23 Donc, pour découvrir une façon d'apprendre qui ne soit pas l'accumulation de savoir le reste doit être complètement mis de côté. Ce qui signifie aucune tradition. Etes-vous disposé à faire cela? Non, Monsieur. La tradition est très réconfortante, pris dans une routine, vous continuez sur votre lancée, comme une machine.
1:06:05 Voici donc ce que je vous dis : l'esprit, le cerveau, doit être complètement libre de préjugés, d'opinions, de croyances, de tout ce que que la pensée a élaboré dans le cerveau. Vous comprenez ceci? Alors, est-ce possible? Suivez-vous? Un professeur, un scientifique, s'il veut découvrir du nouveau, ne peut naturellement pas continuer à répéter son propre savoir. Ce n'est d'aucune utilité. Il veut découvrir, trouver quelque chose de frais, qui ne soit pas un montage de la pensée. Pour apprendre en dehors de l'accumulation du savoir l'esprit doit d'abord être libre d'observer. C'est-à-dire que l'esprit, bien qu'il soit plein de savoir, doit avoir l'aptitude, la subtilité, l'énergie nécessaires pour écarter ce savoir et se trouver libre afin d'avoir un 'insight' dans ce qui se passe en réalité. Vous comprenez ma question? Suivez-vous? Est-ce que je m'explique clairement? Sinon, dites le moi, je vous prie, et je m'y prendrai autrement.
1:08:19 Nous vivons dans le passé et par conséquent nous sommes toujours en train de détruire le présent. Le passé se modifie dans le présent pour devenir le futur, mais cela reste le passé. N'est-ce pas? Je me demande si vous suivez tout ceci. Je vous en prie... Donc notre vie, notre vie quotidienne est basée sur une routine, se rendre au bureau pendant 50 ans - pensez donc ! Et la tradition, vos habitudes sexuelles, votre solitude, tout cela fait partie de cette énorme accumulation de savoir. Et c'est à partir de ce savoir, qui est le passé, que nous agissons. Maintenant, l'orateur dit qu'il existe une action qui ne se fonde pas sur le passé. Cela implique un esprit, un cerveau, qui a écarté tout souvenir. Je vais vous le montrer, je vais l'approfondir, et vous allez en capter la signification.
1:10:11 De n'avoir aucun souvenir le rend capable d'observer instantanément et d'agir instantanément. L'observation est elle-même l'action. Pas : 'j'ai appris et ensuite j'agis' ce qui suppose un intervalle de temps, toutes sortes d'autres facteurs s'insinuant dans cet intervalle. Par conséquent, cet intervalle entraîne contradiction, douleur, etc. Tandis que nous disons : avoir un 'insight' de toute la structure de ma conscience, de votre conscience. Je vais approfondir cela. Avoir un 'insight' de la totalité de votre conscience, cet 'insight' lui-même est l'action qui dissipe le contenu de la conscience, contenu qui constitue la conscience. J'espère que vous comprenez tout ceci. J'en doute !
1:11:30 Voyons Messieurs, que représente l'action dans votre vie, si vous l'examinez? Je regrette d'avoir à y revenir, mais il le faut jusqu'à ce que ce soit absolument clair. Elle s'appuie sur la mémoire, sur le savoir ou sur un motif lié à quelque intérêt pour soi, etc. Donc le savoir a sa place. Mais a-t-il la moindre place dans nos relations mutuelles? Il est très important de le découvrir. Cela signifierait que la relation n'est que mémoire. La mémoire, le souvenir, est-ce l'amour? Quand vous dites 'ma femme', il s'agit d'un souvenir. Vous avez une image d'elle - ou du mari ou de l'amie - vous en avez une image. Ce souvenir résulte d'incidents, d'expériences passées, de mémoire, et ainsi, quand la relation comporte de la mémoire il ne peut y avoir amour. C'est logique.
1:13:12 Nous disons donc, un 'insight' n'est pas la continuité de la mémoire ou des souvenirs. Je vais expliquer ce que cela veut dire. Notre cerveau - je ne suis pas un spécialiste du cerveau, je l'ai observé. Si on l'observe en soi-même, on n'a pas besoin de prendre le moindre livre, on peut voir tout cela tout seul - nos cerveaux ont la faculté d'enregistrer, d'enregistrer un incident, un événement, une insulte, une flatterie, une vexation, il a la faculté d'enregistrer comme le fait un ordinateur. Tant que cet ordinateur est en fonctionnement, il n'y a aucun sentiment d'être libre d'observer. Ecoutez cela s'il vous plaît. Si le cerveau enregistre, et par conséquent retient les choses sous forme de mémoire, puis agit à partir de cette mémoire, cette action est née du passé. C'est logique, c'est ainsi. Par conséquent, il y a un intervalle entre l'action et le passé, d'où un conflit, d'où une adaptation, et une impression de combat perpétuel pour les rapprocher. Dès lors, le cerveau - écoutez ceci, je vous prie, prêtez-y deux minutes de concentration, d'attention - le cerveau peut-il n'enregistrer que ce qui est nécessaire et rien d'autre? Ce qui est nécessaire, ce sont vos besoins physiques. Ce qui est nécessaire, c'est le savoir qui permet d'agir dans la vie quotidienne - savoir où vous vivez, utiliser votre langage, conduire, faire les plans d'une maison, etc., concevoir une machine pour tuer d'autres gens - tout cela. Telle est la fonction du cerveau : enregistrer. Et nous avons dit : n'enregistrer que ce qui est nécessaire, et, psychologiquement, ne pas enrigistrer du tout ! Essayez, faites-le ! Car c'est là que les choses se gâtent. Je vous suis attaché psychologiquement, intérieurement, parce que vous me donnez de l'argent, vous êtes ceci ou cela pour moi, vous me procurez satisfaction, réconfort, sexe et tout cela, et je vous suis attaché psychologiquement.
1:17:33 L'attachement est totalement inutile. Alors que le reste est nécessaire. Suivez-vous tout ceci? Voyez-vous combien il importe de maintenir le savoir à sa juste place et psychologiquement de n'avoir aucun savoir? Vous ne comprenez pas tout ceci. Tout ceci est très amusant si l'on s'y intéresse. Donc, votre cerveau est capable d'enregistrer ce qui est nécessaire, et psychologiquement, rien. Alors, le cerveau est libre - vous comprenez - car il a établi ce qui est nécessaire, sans extravagance, juste le nécessaire. Et psychologiquement il n'a pas de contenu. Vous n'en voyez pas la beauté. Et ainsi, étant libre, le cerveau peut percevoir instantanément et agir, la perception étant elle-même action.
1:19:07 Je vais maintenant vous montrer quelque chose. Vous appartenez probablement à un genre d'organisation religieuse. Votre propre organisation est différente d'une autre organisation religieuse. N'est-ce pas? Il y a donc conflit entre les deux, ou vous vous tolérez, ou vous trouvez un ajustement. Mais il y a toujours les deux organisations. Et par conséquent le conflit est inévitable. Toutes les organisations religieuses comportent cet élément. Donc, avoir un 'insight' de cela et ne jamais appartenir à quelque organisation religieuse que ce soit. Vous comprenez ce que je dis? Ainsi cet 'insight' dissout de lui-même l'illusion d'appartenir à quelque chose - l'organisation religieuse. L'insight, c'est cela. Observer en totale liberté. Toute la nature des organisations se révèle, et c'est terminé. Vous n'appartenez jamais plus à la moindre organisation religieuse ni même peut-être politique, qui a une importance plus grande, de nos jours. Car nous traitons de l'homme comme un tout, c'est un problème global, non le problème spécifique à l'Inde, ou à l'Amérique ou à la Russie, il s'agit d'un problème global c'est-à-dire du problème humain.
1:21:06 Maintenant, si j'ai pu vous transmettre cela, si l'orateur a réussi à vous transmettre la réalité de cet 'insight' - faites bien attention, il ne s'agit pas d'une chose continue, que vous entretenez, sinon cela devient mémoire, et alors vous êtes fichus, c'est fini. Vous ne pouvez vous en servir à des fins personnelles. Vous comprenez? Avoir un 'insight' dans vos peurs, ce que nous verrons bientôt à mesure que nous avançons. Avoir un 'insight' dans le plaisir, dans la mort, afin d'en voir la vérité, non votre croyance, vos préjugés, vos conclusions, vos projections imaginaires et illusoires, mais la vérité fondamentale de la chose. Telle est donc la façon d'apprendre, c'est-à-dire apprendre d'instant en instant. Vous comprenez? L'amour, c'est cela.
1:22:41 Cela fait une heure et 25 minutes que nous parlons. Cela suffit, n'est-ce pas? Nous poursuivrons demain après-midi, à 5 heures.