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MA7879T2 - Une action qui n’est pas le produit de la pensée
2e causerie
Madras (Chennai), Inde
1er janvier 1979



1:31 J'espère que vous ne me trouverez pas insolent ou discourtois si je vous demande poliment pourquoi vous êtes ici. Quelle en est la raison? Qu'est-ce qui vous a fait venir écouter cet orateur? Est-ce par curiosité, est-ce par une vieille habitude, ou pour satisfaire un désir illusoire? Ou, si je puis me permettre cette question, êtes-vous venus avec l'intention sérieuse d'entendre ce que l'orateur veut dire et voir si cela a une valeur, une signification dans notre vie quotidienne? Et si vous découvrez par vous-mêmes ce que dit l'orateur, que ce soit vrai ou faux - si c'est faux, naturellement vous l'écarterez, mais si c'est vrai, sain, logique, raisonnable, de deux choses l'une : ou vous l'admettez intellectuellement, c’est-à-dire verbalement, et n'en ferez rien, ou vous ne vous contentez pas d'admettre intellectuellement ce qui est dit, mais l'accueillez de tout votre coeur et votre esprit, de tout votre être, et alors vous ferez naturellement quelque chose, alors naturellement vous changerez radicalement votre vie. Car c'est de cela que nous parlons, de la transformation totale de l'homme, de vous.
5:08 Et c'est important parce que les vieilles cultures meurent partout dans le monde, ou déclinent, ou commençent à dégénérer, et une nouvelle culture ne peut surgir que chez des gens vraiment sérieux, profondément religieux, non sectaires, n'appartenant à aucune société, à aucun groupe, aucun gourou, aucune religion particulière, car les religions, telles qu'elles existent, n'ont aucun sens. Alors puis-je vous demander courtoisement pourquoi vous êtes ici? Je pense que vous devriez savoir pourquoi. Savoir si vous êtes en train d'ajouter une illusion de plus à la vie déjà illusoire que vous menez, vous comprenez? Savoir si vous vous servez de ce que dit l'orateur pour en faire une illusion, un faux-semblant, une théorie, et manier des théories, ce qui n'a pas grande valeur. Donc, si je puis me permettre, pourquoi avez-vous pris la peine de venir écouter l'orateur? Pouvez-vous découvrir de vous-mêmes pourquoi vous êtes ici? Et si vous le découvrez, c'est-à-dire si vous êtes honnêtes avec vous-mêmes, et non légèrement dérangés, légèrement névrosés, espérant qu'un miracle survienne et révolutionne psychologiquement la société, afin de vous y sentir confortables, de belles maisons, tout ce qu'il faut financièrement, la sécurité physique. Si vous êtes venus avec cette intention-là, vous serez déçu. Vous vous serez trompés.
8:07 Tandis que si vous êtes venus mus par une intention sérieuse et cette intention doit marcher main dans la main avec une qualité de scepticisme, qui remette en question, qui exige une réponse, non de l'orateur, mais ce défi que vous vous lancez à vous-même, ce défi exige de vous une réponse. Je crois, alors que le monde s'écroule, qu'il y règne une telle anarchie, que tout autour de nous s'effondre, qu'il incombe à ceux d'entre nous qui sont sérieux de savoir ce que vous voulons, ce que nous cherchons. La plupart d'entre nous cherchent la sécurité physique, l'argent, un emploi, une certaine sécurité physique; et d'autres ne se préoccupent pas tant de sécurité physique que de sécurité psychologique, de sécurité intérieure, et ce type de recherche les amène à tomber dans bien des pièges : faire le bien, le travail social, les chapelles étroites et sectaires, un faux sentiment de méditation, etc. Nous sommes entourés de tant de pièges. Donc, si je puis me permettre, il faut se demander ce que nous essayons de chercher, ce que nous voulons, ce que nos coeurs et nos esprits réclament?
11:31 Comme nous le disions hier, si vous avez bien suivi - et je vais y revenir un peu car nous poursuivons le sujet d'hier - nous disions que l'action fait partie de la vie, le faire. Le faire, l'action dans notre difficile vie quotidienne. Et nous disions que l'action née du savoir est toujours limitée. N'est-ce pas? Car le savoir est le passé, et quand nous agissons avec ce fardeau du passé, ces actions sont incomplètes, limitées, fragmentaires. Et y a-t-il un autre type d'action qui ne soit pas fragmentaire, qui ne comporte pas de regrets, ni de sentiment d'inachèvement? Et nous disions qu'une telle action existe, c'est avoir un 'insight' total au sein du problème. Si vous voulez bien réentendre ceci, nous avons expliqué que toute notre activité quotidienne se fonde, soit sur un principe soit sur un idéal, soit sur un souvenir. Voyez-le en vous-mêmes, je ne fais que décrire la chose, mais la description n'est pas la chose décrite. N'est-ce pas? D'accord, Monsieur? Le mot n'est pas la chose. Je peux décrire, mais la chose décrite n'est pas ce qui a réellement lieu. Alors, ne nous laissons pas tromper par la description. Mais la description pourrait vous aider à observer ce qui a réellement lieu, sachant que le mot n'est pas la chose. D'accord?
15:14 Si la plupart d'entre-nous sont à la recherche de sécurité psychologique, ce qui semble être l'objet de tous les efforts et combats de l'être humain, dans nos relations mutuelles, intimes ou non, ce désir, cete exigence, cet urgent besoin de trouver une sécurité psychologique profonde, durable, inébranlable, intrinsèquement totale et complète, voilà ce que veulent la plupart d'entre-nous. Je ne sais si vous vous êtes examinés, et, si oui, psychologiquement, intérieurement, c'est bien cela que nous voulons. N'est-ce pas ainsi? Et nous n'avons jamais mis en question l'existence d'une telle sécurité. Au cours de sa recherche de sécurité psychologique, la pensée a introduit tous les dieux, dans lesquels nous avons investi notre ardent besoin de sécurité. N'est-ce pas? Les dieux, les rituels, tout ce cirque au nom de la religion, c'est là que nous tâchons de trouver la sécurité. Et y a-t-il sécurité dans toutes les choses que la pensée a construites? S'il vous plaît, c'est un défi pour vous. Vous devez y répondre. Il vous est impossible d'y répondre tous ensemble, mais vous pouvez y répondre en vous-même. Ce défi vous est lancé et vous devez y répondre sans chercher à l'éviter; si vous l'évitez, les conséquences d'une telle fuite entraînent plus d'illusions, davantage de malheur. C'est évident. Alors, pouvez-vous faire face à ce défi et découvrir par vous-mêmes s'il existe une sécurité psychologique, ou toute sécurité psychologique n'est-elle qu'illusion? J'entends par ce mot 'illusion' : au cours d'une perception sensorielle, si cette perception est teintée de croyance, d'espoir, de désir inconscient, ce qu'elle produit n'est qu'illusion. Avez-vous suivi tout ceci? J'en doute.
19:35 Nous avons dit que nos esprits sont pleins d'un grand nombre d'illusions. Nous avons la sécurité physique - certains d'entre-nous, la grande majorité de l'humanité a très peu de sécurité physique - mais c'est une autre histoire, nous n'entrerons pas dans les raisons qui ont fait que l'homme ait créé ce clivage extraordinaire entre pauvres et riches, que toutes sortes de révolutions physiques n'ont pas réussi à résoudre. Il se peut qu'il y ait une façon de le résoudre, nous en discuterons peut-être plus tard, mais pour l'instant nous n'allons pas l'aborder. Nous disons qu'une action née du savoir - le savoir étant ce que nous avons accumulé tant biologiquement que psychologiquement - quand cette action découle de ce qui a déjà été expérimenté, connu, cette action conduit inévitablement à plus d'illusion. Et nous disions qu'existe une action - comme nous l'avons montré hier, et peut-être y avez-vous sérieusement réfléchi - qu'il y a une action qui n'est pas le résultat de la pensée. Bien? Puis-je poursuivre? J'ignore dans quelle mesure vous comprenez. J'aimerais vraiment pouvoir communiquer - non seulement verbalement, intellectuellement, mais vraiment à partir du coeur, de l'être tout entier - communiquer à autrui qu'il existe une façon différente de vivre qui ne comporte aucun conflit, aucune douleur, aucune souffrance, aucune peur, une qualité d'intelligence totalement, complètement sûre. Mais pour découvrir cette façon de vivre il faut s'y consacrer, y prêter son attention.
23:12 Etes-vous tous assis confortablement? Oui? Parce que si vous n'êtes pas confortables vous n'allez pas pouvoir être attentifs. Car nous allons parler de cette qualité d'attention, en développant au fur et à mesure de notre avance. La plupart d'entre-nous savent ce qu'est la concentration. Chaque écolier apprend à se concentrer sur un livre ou sur une chose ou une autre, de sorte qu'il applique son esprit à une chose en particulier, en résistant à toute intrusion, résistant à tout mouvement de pensée pour se concentrer. Vous connaissez ceci, n'est-ce pas? C'est une évidence. Et, plus on parvient à se concentrer totalement sans aucune interférence des autres activités de la pensée, plus on pense avoir réussi quelque chose. Nous disons que l'attention n'a strictement rien à voir avec la concentration. D'accord? Examinez cela, faites la critique ce qui est dit. Ne l'admettez pas. N'avalez pas en bloc l'hameçon, la ligne et le reste. Découvrez si ce que dit l'orateur est juste ou pas, juste, c'est-à-dire exact, précis, et non vague, romanesque, dénué de sens. La concentration met l'accent, donne de l'importance à une certaine activité de la pensée. N'est-ce pas? Tandis que l'attention n'est pas le produit de la pensée. Jouez avec la chose. N'admettez pas, observez simplement. Presque tous, nous connaissons l'inattention. Quand vous écoutez l'orateur, vous écoutez pendant une minute ou deux, peut-être moins, et votre pensée dérive vers autre chose, et vous essayez de la ramener pour écouter. N'est-ce pas ce que vous êtes en train de faire? Grands dieux !
27:35 Donc votre esprit bavarde, et de temps en temps, le bavardage cesse, et vous faites attention, vous écoutez. Mais la plupart du temps l'activité est continue, et dans cette continuité intervient une certaine demande, dictée par les circonstances ou par soi-même, de se concentrer sur une activité particulière et de résister à toute autre activité de la pensée. Vous suivez tout cela? D'accord, Monsieur? Comprenez-vous ce mouvement de la pensée qui veut créer une qualité de concentration alors même qu'elle s'éloigne vers d'autres directions - d'accord? - d'où le besoin, l'obligation de maintenir la pensée dans une certaine direction. N'est-ce pas? Voilà ce qu'on entend généralement par concentration. L'attention, prêter attention, si vous prêtez vraiment attention, il n'y a pas de centre à partir duquel vous faites attention. N'est-ce pas? Vous semblez tous tellement déconcertés. Monsieur, il est important de comprendre cela, car l'attention et l'inattention sont deux choses auxquelles nous avons à faire face. N'est-ce pas? Suivez-vous? Est-ce que je communique quelque chose ou non? Tant pis. Avez-vous jamais prêté attention avec votre esprit, votre coeur, vos nerfs, tout votre être, à quelque chose? Une attention sans rien d'autre, pas de déviation, pas de distraction? Donc trois éléments sont en jeu : la concentration, la distraction, et l'attention. N'est-ce pas? Quand nous nous concentrons, nous craignons la distraction. N'est-ce pas? J'aurais aimé que nous puissions nous parler ainsi tranquillement. Alors, la distraction existe-t-elle réellement? Il se peut que la pensée soit elle-même une distraction. Je vais vous le montrer dans un instant. Quand vous dites distraction, cela implique que la pensée a pris la décision de se concentrer sur un objet particulier. Et quand se produit le moindre mouvement à l'écart de cela on appelle ce mouvement une distraction. Mais est-ce bien une distraction? Nous disons qu'il n'y a pas de distraction. D'accord? Car c'est la pensée - écoutez - c'est la pensée qui dit vouloir se concentrer sur telle chose, et comme cette même pensée part dans une autre direction, on appelle cela la distraction. Mais est-ce bien une distraction, quand la pensée décide d'une certaine direction et qu'elle-même change d'orientation? Et c'est cela qu'on appelle en général une distraction. N'est-ce pas? Pourquoi l'appelez-vous une distraction? C'est toujours le mouvement de la pensée. N'est-ce pas? Donc tout mouvement de pensée est une nouvelle distraction. Je me demande si vous saisissez cela? Non.
33:59 Ce que nous tentons de montrer ici, c'est qu'il y a deux qualités d'esprit, celle qui est dépourvue d'attention - c'est à dire l'inattention - et l'attention. N'est-ce pas? Et être conscient de l'inattention, c'est être attentif ! En cela, il n'y a pas de distraction, vous saisissez? Je me demande si vous comprenez ceci. Car nous bataillons toujours entre les deux, l'inattention et l'attention, ce qui absorbe toute notre énergie. Par exemple, dans la méditation - ce n'est pas le moment d'en parler - il y a cette bagarre permanente, être un moment totalement attentif et, un instant plus tard, être complètement inattentif. Non? Dès lors, nous disons que l'inattention n'est pas une distraction, mais, qu'être conscient de ce manque d'attention, être conscient que l'on n'est pas attentif, c'est suffisant ! Comprenez-vous? Je me demande si vous comprenez ceci. De la sorte, votre esprit n'est jamais en conflit, car le conflit est un gaspillage d'énergie. Reprenons. Nous avons maintenant expliqué ce qu'est l'attention, non pas expliqué, vu le fait de l'attention. Quand il y a attention, il n'y a pas de centre à partir duquel on prête attention, comme c'est le cas pour la concentration, laquelle comporte alors ce que vous appelez des distractions. Alors que, il y a l'attention et il y a l'inattention. Quand on est conscient de ne pas être attentif, cette conscience même est attention, dans laquelle il n'y a pas pas la moindre distraction. Je me demande si vous saisissez ceci. Vous l'avez saisi, Monsieur? Ne serait-ce que verbalement? Intellectuellement? Ce qui n'est rien du tout, mais c'est au moins... un balbutiement.
37:22 Allez-vous prêter cette sorte d'attention, sans concentration, sans effort, à ce qui est dit ici? C'est-à-dire qu'il n'y a pas de distraction. Vous pouvez être attentif, écouter pendant une minute puis vous éloigner et devenir conscient que vous vous éloignez. Cette conscience de vous éloigner est attention. N'est-ce pas? Compris, Monsieur?
38:10 Nous disions hier que toute vie est action, que vous soyez ermite dans une grotte himalayenne ou dans un monastère, ou que vous meniez une vie ordinaire, la vie, l'existence toute entière est action, de même que la vie toute entière est relation. La relation est action. Et aujourd'hui nos actes, politiques, religieux ou de toute autre nature, ces actes engendrent toujours plus de malheur, plus de confusion, plus de souffrance; c'est ainsi en politique, vous pouvez l'observer, c'est ainsi dans la religion, avec toute la structure hiérarchique qui s'y rattache : 'vous parviendrez à l'illumination, faites ceci ou cela et vous l'aurez'. L'âne et la carotte ! Et nous remettons en question toute cette activité qu'on appelle l'action. Vous comprenez? Nous la remettons en question, nous disons que, si elle part d'un principe, d'un idéal, d'un souvenir, du savoir, une telle action est fragmentaire, incomplète, et qu'elle mènera donc inévitablement à plus de malheur, plus de souffrance, plus de confusion, et vous pouvez observer que c'est ce qui a lieu dans notre vie quotidienne. Tandis qu'il existe une autre action - si vous êtes attentifs, attention, je vous prie de l'être ! Sinon, si votre pensée vagabonde, prenez-en conscience, et cette prise de conscience elle-même revient à prêter attention à ce qui est dit. Avez-vous compris?
41:03 Nous disons qu'il existe une action qui ne repose pas sur le savoir. Pour comprendre, bien plus en profondeur que nous l'avons fait hier, il nous faut creuser la question de ce qu'est penser, de ce qu'est la pensée, pourquoi les êtres humains du monde entier ont accordé une importance si extraordinaire à la pensée. Vous accordez de l'importance à la pensée, n'est-ce pas? Tout ce que vous faites se fonde sur la pensée : le travail, le savoir technique, les dieux, les églises, tout est construit par la pensée. N'est-ce pas, Messieurs? Vous en doutez? La pensée est issue de la mémoire, c'est la réponse de la mémoire. N'est-ce pas? Si vous étiez amnésique, vous ne pourriez penser, mais comme vous ne l'êtes pas - je l'espère - votre façon de penser résulte de siècles d'expérience, de savoir accumulé, stocké dans le cerveau - c'est tellement évident. Si vous avez approfondi, observé vos actions, répétitives, occasionnellement libres, constamment prises dans une routine, dans une ornière, et si vous observez votre propre façon de penser, vous verrez que votre pensée est un processus matériel issu du savoir. N'est-ce pas? C'est un processus matériel. Cela n’a rien d'extraordinairement super-spirituel. N'est-ce pas? D'accord, Messieurs?
44:13 La pensée est toujours active. Elle n'est jamais immobile, et l'homme s'est dit qu'il faut l'immobiliser, afin de... - vous comprenez? - découvrir une conscience spirituelle plus élevée - ce dont je doute. Il n'y a pas de conscience spirituelle élevée, il n'y a que la conscience. L'homme a inventé une super, super, super-conscience mais cette invention est le produit de la pensée. Et les gens qui parlent de super conscience sont l'objet de vénération, sont érigés en gourous extraordinaires, car vous aussi vous voulez une super-conscience. Mais vous ne prenez jamais en compte que c'est la pensée qui a produit tout ce territoire de la conscience. Quoi qu'elle pense, elle fait toujours partie de cette conscience. Vous comprenez ceci? Avançons-nous ensemble ou êtes-vous fatigués? Si vous l'êtes, prenons du repos. Je puis continuer à parler tout seul, car j'aime chercher tout en avançant. Si vous êtes fatigués, reposez-vous, je vous en prie, car nous demandons à votre cerveau de penser à neuf, de jeter un nouveau regard sur les choses, plus d'après la vieille tradition, de regarder votre vie, telle qu'elle est, avec un oeil neuf, et c'est un défi dont le cerveau pourrait se fatiguer. Il dit : donnez-moi un peu de temps, de quiétude, que je puisse récupérer.
47:04 Nous disons donc que la pensée a créé notre société et tous les malheurs que celle-ci comporte : la division de classe, le riche, le pauvre, l'homme de pouvoir, l'homme en place, le grand homme et le misérable, l'opprimé, tout cela. Et tous les dieux de la terre sont créés par la pensée; les temples que les dieux sont supposés habiter sont construits par la pensée. Tous les rituels, les dogmes, les croyances, la puja que vous pratiquez chaque jour dans l'espoir de parvenir à une certaine paix, ainsi que toutes les prétendues méditations, transcendentales et autres méditations dépourvues de sens, viennent de la pensée, et la pensée est toujours limitée. N'est-ce pas? Il n'y a pas de pensée sans limite. La pensée peut se croire illimitée, croire qu'elle peut découvrir l'incommensurable, c'est un aspect de son illusion, car la pensée est le produit du savoir, de la mémoire, et par conséquent elle est liée au temps, et donc limitée. N'est-ce pas? Prêtez-vous attention à ceci? Ecoutez-vous? Quand je pose une question, votre pensée entre en activité et commence à s'interroger, à chercher la réponse, et pour trouver la réponse elle se tourne vers la mémoire : où l'ai-je lu, qui m'en a parlé? Vous suivez? L'activité ne cesse pas. Tandis que si l'on vous pose une question dont vous ignorez la réponse et que vous ne pouvez la trouver dans des livres, auprès de votre gourou, ou ailleurs, alors naturellement, votre cerveau répond : je ne sais vraiment pas. N'est-ce pas? Vous trouvez-vous dans cette situation? Vous suivez? Pourriez-vous jamais vous dire 'je ne sais pas'? Car cette qualité d'esprit qui dit 'je ne sais pas' ne cherche pas à savoir, car dès l'instant où il cherche, la pensée fonctionne et il projettera alors ce qu'il désire et dira : 'j'ai trouvé'. Vous comprenez tout ceci? Etes-vous fatigués?
51:08 Ainsi, interroger, c'est avoir un esprit qui ne sait pas. Et notre investigation s'applique à une action dont nous ne sommes absolument pas conscients. Nous connaissons nos actions fondées sur la mémoire, c'est simple, clair. Et nous connaissons l'activité technologique du savoir, la somme de milliers de savants qui travaillent, accumulent du savoir. Et cette accumulation leur a permis de créer des choses extraordinaires, la plus étonnante chirurgie, l'extraordinaire minutie des choses qu'ils réalisent. Et technologiquement, ils préparent aussi les destructions de la guerre, le matériel de guerre. Et la pensée a aussi créé les illusions - d'accord? Je crois en Dieu, je suis nationaliste, j'appartiens à tel parti qui va sauver l'humanité, mon gourou est l'être le plus merveilleux, etc. Tout cela est le mouvement de la pensée. Donc, quelle que soit la pensée en action, elle ne peut être que limitée. Maintenant, avez-vous un 'insight' en cela? Vous comprenez? Si vous prêtez une attention très méticuleuse à ce qui est dit, vous verrez alors tout le mouvement de la pensée, les pensées cachées, les pensées évidentes, les pensées extraordinairement secrètes, cachées, celles qui ne veulent pas se révéler, toute la structure et la nature de la pensée. Quand vous avez un 'insight' en cela, la pensée se met d'elle-même à sa place. Vous saisissez ce que je dis? L'avez-vous saisi?
54:11 Le sens du mot 'art' signifie mettre chaque chose à sa juste place : l'art de vivre, pas la peinture et la sculpture, qui sont des arts particuliers, nous parlons ici de l'art de vivre, et, employé dans ce sens là, le mot art signifie mettre toutes choses à leur place afin d'engendrer l'ordre. Donc l'art de vivre consiste pour la pensée à trouver sa propre place. Avez-vous compris cela? Pouvez-vous le faire? Ce qui signifie mettre le savoir à sa juste place, et, en psychologie, le savoir n'a pas de place. Avez-vous compris, Madame? Non? Voilà au moins quelqu'un qui dit ne pas comprendre. Tant mieux.
55:57 Je pense que, pour la plupart, nous n'avons jamais examiné le mouvement de la pensée. N'est-ce pas? Nous n'avons jamais demandé : qu'est-ce que penser? Pourquoi l'homme a-t-il donné une telle importance au fait de penser? Et le processus même de penser, né de l'expérience, du savoir et de la mémoire emmagasinés dans le cerveau, ce processus est toujours limité. N'est-ce pas? Est-ce clair? La pensée est limitée. La pensée est fragmentaire. Par fragment, j'entends quelque chose de brisé, comme un vase quand vous le brisez il est en morceaux. Donc la pensée est en morceaux, parcellaire. N'est-ce pas? Parce qu'elle est née du savoir, que le savoir est le passé, le savoir n'est pas le tout. N'est-ce pas? Le voyez-vous? Il ne peut jamais être le tout. Donc la pensée, quoi qu'elle fasse, ne peut être que limitée, et toute action née de cette limitation ne peut que comporter regret, confusion, sentiment de culpabilité, anxiété, et conflit sans fin, car la pensée est limitée dans ses actes. N'est-ce pas? Est-ce clair - clair non dans le sens verbal, mais vous le savez en vous-même, comme vous savez votre langue, comme vous connaissez vos yeux, votre visage.
58:16 Donc la pensée ne peut jamais mener à l'incommensurable - ce qui n'est pas mesurable. La pensée est mesurable, n'est-ce pas? Et par conséquent ce qui est mesurable est limité. Il aurait beau mesurer cent mètres, il serait toujours limité. Donc quand la pensée est en quête de l'illumination, qu'elle essaie de méditer, cette méditation, cette lutte, tout ce par quoi vous passez est toujours limité, et par conséquent morcelé, fragmentaire. N'est-ce pas, Monsieur?
59:10 Nous disons donc qu'il existe une action qui n'est pas née de la pensée. Cela vous intéresse-t-il? Y prêterez-vous attention maintenant? Cela signifie qu'il n'y a pas de centre à partir duquel vous écoutez. Si vous écoutez à partir d'un centre, vous avez déjà introduit la notion de distraction. Vous comprenez? Alors, pouvez-vous prêter attention? Nous disons qu'il existe une action qui ne relève pas du temps. Là encore, je ne dois pas aborder le temps pour l'instant car cela nous mène à autre chose dont nous parlerons ultérieurement. Il existe une action qui ne relève pas de la mémoire. Je fais allusion à autre chose. Je reviendrai là-dessus. Dans votre relation mutuelle, intime ou pas, que se passe-t-il quand la mémoire intervient, dans cette relation? Il y a inévitablement division. N'est-ce pas? Ne l'avez-vous pas remarqué? Vous êtes reliés à votre mari, femme, amie, ou qui que ce soit, la pensée entre en action dans cette relation, et fabrique, à partir de constants contacts réciproques, tout un contexte d'images, c'est-à-dire de souvenirs. N'est-ce pas? Et ces souvenirs, ces images introduisent une division entre vous et votre mari, amie ou ami. Donc, il y a toujours une division. N'est-ce pas? Dès lors, ceci nous mène à la question suivante - nous ne creuserons pas davantage ce sujet - ceci nous mène à la question suivante : l'amour est-il un souvenir? Quand l'on dit à son épouse, son mari ou son amie, 'je vous aime', est-ce un souvenir? Ou bien, quand vous dites aimer votre dieu, son image, avec une formidable émotion dévotionnelle, est-ce l'amour? Nous irons bien plus loin dans cette question une autre fois. Ce que nous indiquons est que, là où la pensée est active, comme elle est elle-même limitée, elle ne peut qu'engendrer la division, nationale, politique, religieuse, c'est toute la structure de l'activité de l'homme qui est en train de détruire le monde. Vous allez sur la lune et y plantez un drapeau : c'est un acte limité. Quand vous adorez votre pauvre petit dieu du coin de la rue, fabriqué par la pensée, c'est un acte limité. Donc quand vous avez un 'insight' en tout cela - 'insight' signifiant que l'esprit saisit tout le panorama, toute la structure et la nature de la pensée - celle-ci reprend alors sa propre place, limitée. L'avez-vous saisi? En avez-vous compris une partie? Allons, Messieurs! Alors, quand la pensée a compris sa propre place limitée,
1:04:21 l'action n'est plus le produit de la pensée. L'action est alors le produit de cet 'insight' global de la nature de la pensée. Quelqu'un a-t-il saisi? Avez-vous compris tout ceci? Je devrais probablement vous lire la Gita et vous seriez tous heureux, ou vous lire commentaire sur commentaire sur commentaire. Mais ici, il faut votre coopération active pour cette découverte. Vous devez penser, travailler, c'est-à-dire travailler à découvrir comment vous pensez, que votre vie toute entière repose sur la pensée. Si vous devez prendre le bus, il faut une pensée adaptée, elle est à sa place, mais quand la pensée se mêle de toute la structure psychologique de l'homme, alors la pensée rétrécit le psychisme de l'homme. Vous comprenez ceci?
1:06:07 Messieurs et Mesdames, il nous reste cinq minutes. J'ignore dans quelle mesure vous apprenez, apprendre sans accumulation de savoir et de mémoire, apprendre à découvrir cette qualité d'insight dont surgit l'action. Voyez-vous, ce que nous disons en réalité c'est que l'homme a d'extraordinaires facultés - la femme aussi bien sûr, ce n'est pas le mouvement de libération de la femme ! L'homme a des aptitudes extraordinaires, et celles-ci sont réduites par la pensée. Mais si la pensée est mise à sa juste place, cela libère une formidable énergie, non pour faire davantage de bêtises mais pour vivre une vie qui ne comporte pas l'ombre d'un conflit, une vie suprêmement excellente, une vie qui a cette extraordinaire qualité de compassion, d'amour. Voilà pourquoi il faut comprendre la nature de la pensée. La pensée n'est pas l'amour. Et quand on rend un culte à l'intellect, ce que vous faites tous, vous étudiez, ou vous lisez, ou écoutez des conférences sur la Gita, les Upanishads, les divers commentaires, vous encouragez la capacité intellectuelle et donc vous niez l'amour.
1:09:37 Ne restons pas trop longtemps assis en silence, cela pourrait mener à l'illusion.