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MA7879T3 - La liberté est-elle affaire de temps?
3e causerie
Madras (Chennai), Inde
6 janvier 1979



1:17 J'espère que vous n'avez pas trop chaud, Moi si... Ne prenez pas de photos, je vous prie.
1:36 Pouvons-nous poursuivre ce dont nous parlions les deux dernières fois que nous nous sommes rencontrés ici? Nous disions, n'est-ce pas, que nous devons penser ensemble; pas à quoi penser, mais comment penser. Et, comme nous l'avons dit précédemment, nous faisons un voyage ensemble, partageant les problèmes, les divers incidents et événements de notre vie quotidienne. Et nous ne nous soucions pas de théories, de probabilités, de suppositions, mais de ce qui a lieu actuellement - 'actuellement' : ce qui a réellement lieu, maintenant, non seulement à l'extérieur, en dehors de nous, mais aussi intérieurement. Et nous disions qu'on ne peut examiner correctement ce qui se passe à l'intérieur qu'en comprenant ce qui se passe à l'extérieur, car on peut s'illusionner grandement, en s'examinant soi-même, ses attitudes, ses préjugés. Mais si l'on l'aborde en partant du monde extérieur, on sera peut-être alors à même de s'observer clairement. Nous avons dit également que la société dans laquelle nous vivons est engendrée par nous, par chaque être humain, non par quelque diktat divin. La société dans laquelle nous vivons est l'expression de notre avidité, de notre ambition, de notre goût du pouvoir, de notre violence, etc.
4:28 Alors, s'il m'est permis, je voudrais cet après-midi - nous l'examinons ensemble, évidemment - parler du temps, et étudier la nature de la culture et de la tradition. Et, comme nous l'indiquions aussi l'autre jour, si vous me permettez de le répéter, ceci est une réunion sérieuse. Pour moi, ce mot 'sérieux' signifie dense, pétillant, pas frivole, pas venir passer une soirée agréable, assis sous un arbre, à écouter une causerie, mais bien de partager notre recherche. Comme nous l'indiquions l'autre jour, ce qui nous préoccupe, c'est que notre société est si corrompue, si dangereusement violente et tout ce qui s'ensuit, que, si chaque être humain, chacun d'entre nous, ne suscite pas en lui-même une révolution psychologique, il n'y a aucune chance de produire un changement dans le monde. Voilà de quoi nous parlions, peut-être vous en souvenez-vous.
6:40 Que vous soyez d'accord ou pas avec ce que nous disons, n'a pas d'importance : accord et désaccord sont hors sujet. Spéculation philosophique, opinions, idées, ne sont pas notre propos. Nous traitons de ce qui se passe en fait dans notre vie quotidienne. Car, comme nous l'avons déjà souligné, il faut commencer tout près pour aller très loin. Mais pour la plupart, nous commençons par des théories, des abstractions si distantes qu'elles sont sans valeur, sans objet. J'espère qu'il est bien clair que nous ne faisons pas de philosophie - la philosophie telle qu'on l'entend aujourd'hui, une série de suppositions, théories, concepts et conclusions. En fait ce mot signifie l'amour de la vie, l'amour de la vérité.
8:24 Alors, pour commencer, pourquoi les êtres humains du monde entier se sont-ils laissés piéger par la tradition, la tradition d'un jour, d'une semaine ou de trois mille ans. Pourquoi? Le mot 'tradition' signifie, n'est-ce pas, une chose qui se transmet de génération en génération. Et étymologiquement le mot signifie 'trahison'. Et cette tradition transmet de génération en génération certaines valeurs, certaines croyances, certains idéaux, rituels, concepts, conclusions. Cette transmission se poursuit depuis des siècles, comme un rouleau compresseur, applatissant l'homme dans les plis des valeurs, des conclusions et ainsi de suite. Et, quand ces valeurs, conclusions, concepts, principes, etc., sont rejetés comme c'est le cas actuellement, nous voilà de retour à la case départ. Nous sommes des êtres violents, avides, anxieux, incertains, confus. Voilà ce qui se passe - les faits. N'est-ce pas? Comme la tradition a maintenu les humains dans un certain carcan, quand ces traditions passent par-dessus bord, comme actuellement, nous nous retrouvons... là où nous avons commencé. Peut-être avons-nous plus de confort, de salles de bains, d'automobiles, de moyens de transport et de communication, etc. Mais, en tant qu'êtres humains, nous souffrons, nous sommes envieux, violents, il y a une peur profonde, une totale insécurité. Le monde devient de plus en plus dangereux. Tout cela est un fait. Et cette tradition implique, n'est-ce pas, un processus d'évolution : de la roue à l'avion à réaction, il y a eu une évolution, il a fallu bien des siècles pour passer de la roue à l'avion à réaction. Et cette tradition comporte ce qu'on appelle la culture. Le mot 'culture' veut dire cultiver, croître, fleurir, s'épanouir, pour l'esprit humain et pour le coeur humain. Et, comme des êtres humains vivant dans une certaine tradition, avons-nous fleuri, moralement? Peut-être, intellectuellement, plus ou moins : nous brassons un tas de mots, de théories, de principes, d'idéaux, et nous tentons de vivre à leur hauteur, tout cela étant un processus intellectuel. Comme nous l'avons dit, la culture suppose que l'homme soit libre, pas aplati sous le rouleau compresseur d'une tradition séculaire. Là-dessous, aucune culture ne peut pousser. C'est évident. Quand un esprit suit la tradition, les rituels et tout cela, impossible pour l'esprit humain, pour le coeur humain, de croître, de se développer, vous savez, tout cela. Technologiquement, nous avons considérablement progressé. Cela découle de l'accumulation de savoir. Mais moralement, soi-disant spirituellement, nous sommes presque des sauvages, pleins de superstitions, d'idéaux, de principes sans aucun sens. Non? Tel est l'état de notre vie quotidienne.
15:26 Nous excellons techniquement, tout au moins nous essayons. Et nous ne nous sommes jamais mis au défi de vivre dans la plus haute qualité de conduite morale. Et, quand on voit ce qui se passe dans le monde et en nous-mêmes, c'est notre plus grand défi, que chaque individu, chaque être humain croisse dans la liberté.
16:31 La liberté est-elle une affaire de temps? Le temps étant division en mouvement. Le temps est mouvement. Evidemment. Et ce mouvement est divisé en hier, aujourd'hui et demain. Le hier rencontre le présent, se modifie et se continue dans le futur. Tel est le mouvement du temps, qui implique la division. Il faut du temps pour se rendre d'ici à là-bas. Il a fallu des siècles pour passer de la roue à l'avion à réaction. Le temps. Il y a donc deux sortes de temps : le temps biologique et le temps psychologique. Pour qu'un enfant passe par l'adolescence et devienne un homme, cela prend du temps, cela prend des années, comme pour une graine semée, il lui faut du temps pour devenir un arbre. Nous mettons en question l'existence d'un temps psychologique, d'une évolution psychologique - c'est-à-dire devenir, ou être. J'espère que nous communiquons. Je pense qu'il est important de comprendre cette question. Le temps - c'est extraordinaire, vraiment, quand on y pense - nous avons dépendu du temps, nous avons pensé que tout le progrès humain est un développement dans le temps. Nous avons accompli techniquement une grande variété de prouesses, et, pour y parvenir, il nous a fallu énormément de temps. Toute accumulation de savoir est du temps. Et nous demandons si le temps psychologique existe le moins du monde, c'est-à-dire l'évolution psychologique : 'je serai quelque chose', 'je parviendrai à la bonté'. Le mot 'parvenir' lui-même implique le temps : 'je ne suis pas ceci, mais je serai cela', tant dans le monde des affaires que dans le prétendu monde de l'esprit. Serait-ce qu'ayant vu une graine devenir un arbre et avoir accepté l'idée du temps comme processus de croissance, nous avons appliqué ce concept, cette notion au domaine psychologique? Vous suivez tout ceci?
21:13 Nous pensons qu'il y a croissance, qu'il y a développement psychologique, que nous allons devenir quelque chose. Nous, nous mettons précisément en doute ce concept, cette idée, ce sentiment même de : 'nous allons devenir'. N'est-ce pas? Toutes les organisations sont fondées là-dessus, les organisations matérielles comme les soi-disant religieuses : 'donnez-moi du temps et je parviendrai à l'illumination par les pratiques, les systèmes, les modes mécaniques' - ceux-là fonctionnent dans le monde, le monde mécanique, et vous appliquez cette même attitude cette même approche, vous abordez de la même façon le psychisme. N'est-ce pas?
22:29 L'évolution psychologique n'existe pas, pas du tout ! N'est-ce pas? Je vous en prie, écoutez avant d'admettre ou de nier ce qui est dit. Vous pouvez avoir vos propres opinions, vos propres conclusions, vos propres croyances, votre propre façon d'aborder le problème du temps, mais, puisque vous avez pris la peine de venir ici, vous devez évidemment écouter ce que l'autre a à dire. Ecouter, pas de façon superficielle, pas écouter en projetant vos propres opinions, vos propres valeurs comparatives, simplement écouter. Ensuite, après avoir écouté, vous pouvez commencer à examiner. Mais vous ne pouvez pas examiner avant d'avoir écouté. Cela suppose de prêter attention, pas une attention partielle pendant quelques minutes et ensuite penser à autre chose. N'est-ce pas? Cela signifie que l'attention a besoin de liberté. Votre investigation requiert la liberté d'observer. N'est-ce pas? C'est ce que nous sommes en train de faire en fait, - pas transformer ce qui est dit en théorie, ou en idée - j'espère que vous y prêtez une écoute réelle afin de découvrir par vous-même si l'évolution, la croissance graduelle, existe ou non en psychologie. Et si elle n'existe pas, comment traite-t-on alors un problème - vous comprenez? - une réaction, par exemple la peur? Vous suivez tout ceci? Il faut être très clair sur ce sujet. Le temps est peur. Le temps est plaisir. Le temps est souffrance. Et l'amour, est-il lié au temps? Vous suivez tout ceci? Nous rejetons tout ce qui a été admis jusqu'ici sur l'évolution psychologique, totalement !
26:27 Nous allons donc examiner cela. Pas besoin d'examiner la roue ou l'avion à réaction, c'est assez clair, assez évident. Toute la science est fondée sur l'accumulation de savoir. Et , débarrassé du fardeau d'un savoir, on examine davantage, on acquiert plus de savoir, on accumule constamment de plus en plus de savoir - le savoir étant le passé. A présent, nous demandons : le temps est-il nécessaire, le temps étant un mouvement de division? N'est-ce pas? Prenez la peine de bien comprendre cela. Le temps est un mouvement de découpage : hier, aujourd'hui, demain, ou le temps immémorial, le temps qui n'a pas de commencement, et le temps qui peut prendre fin. L'éternité est hors du temps. Ce qui a une continuité n'est pas l'éternité, cela fait encore partie du temps. Vous suivez tout ceci? Si l'on s'observe soi-même - puisque, en tant qu'être humain, nous représentons l'humanité tout entière, car nous souffrons, nous passons par toutes sortes de tortures comme tout être humain, nous sommes pauvres, riches, avides, nous souffrons, nous sommes dans la solitude, nous n'avons pas d'amour, comme le reste de l'humanité. Donc, en tant qu'être humain, vous êtes le reste de l'humanité, et ce n'est pas un concept intellectuel. Vous pouvez en faire un concept intellectuel mais il n'a alors pas plus de valeur que n'importe quelle théorie. Mais si l'on en voit la vérité, la réalité concrète, avec son coeur, avec son esprit, on devient alors un être humain extraordinaire, sérieux, engagé, pas en tant qu'individu, car nous ne sommes pas des individus. Individu signifie indivisible, non morcelé, non fragmenté. Et la plupart des êtres humains sont fragmentés. N'est-ce pas? Nous ne sommes donc pas du tout des individus ! Il se peut qu'on le croie, parce qu'on a un nom, un compte en banque, une voiture, une femme, une maison, nous prétendons être des individus. Je pense que c'est un mot employé à tort. Nous sommes des êtres humains, comme tous les autres êtres humains vivant dans le monde, avec d'énormes problèmes, nos rapports sont très complexes, nos souffrances n'ont pas de limite, etc.
30:55 Alors, quand nous réalisons que nous sommes le monde et que le monde est nous, 'réaliser', pas en jouant intellectuellement avec les mots, nous avons alors une formidable responsabilité. Et voilà peut-être pourquoi nous évitons cette responsabilité en prétendant être des individus. Et, puisqu'il représente toute l'humanité - comme chaque homme - si un être humain transforme son psychisme cela affecte toute la conscience de l'humanité. Ecoutez tout ceci, je vous prie. Ne l'admettez pas; regardez le. Examinez le. C'est de cela que s'occupe l'orateur, pas de théories, etc. Donc, les êtres humains peuvent-ils changer, non par un processus d'évolution, pas avec le temps, mais radicalement, fondamentalement, totalement? Voilà notre défi, parce que les traditions ont disparu, les religions n'ont plus aucun sens, les institutions ont leur place, limitée, mais il leur est impossible de transformer l'homme, aucun gouvernement ne peut changer l'homme, ils peuvent améliorer les circonstances extérieures mais pas en profondeur, comme cela a été démontré en Russie et ailleurs. Inutile de nous étendre là-dessus.
33:03 Alors, ayant compris tout cela, nous demandons : existe-t-il une possibilité de transformation de l'homme dans laquelle le temps, en tant que mouvement avec ses divisions, n'a pas de place? Avez-vous compris ma question? Car toute notre éthique, notre morale, notre monde prétendument spirituel reposent sur le temps. Malheureusement, le monde des affaires, le monde politique, fonctionnent par hiérarchie, la raison du plus fort. Et dans ce qu'on appelle le monde de l'esprit et du coeur, cette raison du plus fort existe aussi. Ceci est tellement évident. Alors un être humain a-t-il psychologiquement la possibilité de changer fondamentalement, sans que le temps intervienne du tout? Vous comprenez Monsieur? C'est une question très importante, vous ne trouverez peut-être pas la réponse, mais elle doit être posée. N'est-ce pas? Parce que cela fait un million d'année que nous vivons plus ou moins sans changement, psychologiquement. Il y a eu révolution et progrés énormes, en technologie. Alors, découvrons si un être humain peut être totalement délivré de l'idée d'évolution psychologique, donc tributaire du temps. N'est-ce pas?
35:33 Allez-vous, pouvons-nous examiner cela ensemble? Donc, votre tradition vous dit : 'prenez du temps'. N'est-ce pas? Toutes vos écritures, vos religions, tout cela repose sur le temps. Nos cerveaux travaillent dans le temps. Nous sommes conditionnés par le temps, et nous posons une question qui exclut le temps, qui nie totalement l'évolution. N'est-ce pas? Donc, nous allons voir si un être humain peut vraiment susciter ce changement radical dans lequel le temps n'est nullement impliqué. Sommes-nous ensemble? D'accord? C'est-à-dire, partageons-nous cette recherche, sommes-nous profondément intéressés par cette question? Ou attendez-vous que je l'examine, que je l'explore, l'étudie, puis vous direz: 'oui, c'est possible', ou 'ce n'est pas possible, j'ai d'autres opinions et conclusions' et vous en irez? Ce qui impliquerait qu'en réalité vous ne partagez nullement le problème. En effet, cela fait des millions d'années que nous existons, et nous demeurons pratiquement les mêmes, psychologiquement, intérieurement. N'est-ce pas? Alors, inverser tout le processus ! Est-ce possible?
38:05 De quelle façon examinez-vous... ou plutôt quelle faculté faut-il à l'esprit pour être capable d'étudier une chose qui semble totalement impossible, l'esprit si lourdement conditionné par le temps à qui une proposition d'un type nouveau est présentée? Est-il capable, en premier, d'accueillir le problème, d'accueillir la question, ou, si lourdement conditionné, il est incapable même de l'entendre? Alors, qu'en est-il pour chacun de vous? Entendez-vous la question et en faites-vous une abstraction, ce qui revient à l'éviter, ou, étant si lourdement, si traditionnellement conditionnés vous dites 'je regrette, je n'écoute même pas, pour moi, cela ne veut rien dire'. Ou avez-vous la qualité de l'esprit qui dit : 'allons regarder, pas en théorie, pour de vrai'. Par exemple la peur, qui est une des réactions datant de temps immémoriaux, cette peur peut-elle cesser totalement sans du tout impliquer le temps? Est-ce clair? D'accord? - la peur est peut-être un peu complexe, nous y reviendrons un peu plus tard - Voir si un être humain, blessé psychologiquement depuis l'enfance, à la fois physiquement et psychologiquement - écoutez attentivement - voir si cette blessure interne, qui s'exprime extérieurement par un repli sur soi, une résistance, une volonté de violence accrue à l'égard d'autrui parce que l'on est soi-même blessé, voir si cette blessure qui a été accueillie, préservée, choyée, presque aimée, si cette blessure peut être totalement abandonnée, instantanément? Vous comprenez ma question? Sans qu'intervienne le temps. D'accord? C'est amusant, non? Ce n'est pas amusant, c'est vraiment très très sérieux si on veut bien creuser la question. Mais la question elle-même pose un tel défi qu'elle demande votre attention, votre sollicitude, que vous y répondiez totalement.
41:52 Nous sommes blessés depuis l'enfance, intérieurement, psychologiquement, dans notre chair pour ainsi dire. Et les conséquences de cette blessure sont la résistance, le mur dont on s'entoure, le repli sur soi pour éviter toute nouvelle blessure, avec tout le temps la peur d'être à nouveau blessé. Les conséquences en sont la violence, l'absence de véritable relation avec autrui, de peur d'être à nouveau blessé, etc. Les conséquences en sont très visibles. Alors, toutes ces conséquences de la blessure initiale peuvent-elles disparaître? Pour pouvoir découvrir cela - attendez-vous que je réponde? - pour pouvoir découvrir cela, pour le pénétrer en profondeur, qu'est-ce que la peur? Vous répondez : le 'moi'. Le 'moi' est l'image que vous vous êtes créée de vous-mêmes ou que la société vous a imposée. La société est votre relation à autrui, elle est de votre fabrication, non? Vous suivez? Vous êtes donc blessé parce que vous avez une image. L'image est le symbole, l'idée, le nom, la forme, toute la structure du psychisme. N'est-ce pas? C'est ça qui est blessé, et notre conditionnement nous fait surmonter peu à peu cette blessure, la regarder, l'étudier, l'analyser, détecter la cause, et l'action. Tout cela prend du temps. N'est-ce pas? Maintenant, est-il possible de n'avoir aucune image de soi? Dès lors, il n'y a pas de blessure. Comprenez-vous? N'est-ce pas? Est-ce possible? Aussi longtemps que vous avez de vous l'image d'une personne très puissante, dominatrice, agressive, belle, dotée d'un intellect clair, et tout ça, l'image que l'on a construite de soi depuis l'enfance, jusqu'à la vieillesse et la mort, nous disons que, tant que cette image existe la blessure est inévitable, superficielle ou très, très profonde. N'est-ce pas? Alors, au vu de cette vérité - comprenez-vous? - voyant que, tant que vous avez une image de vous, vous êtes fatalement blessé et par conséquent vous êtes violent, vous êtes de plus en plus amorphe, parce que vous vous rétractez, - la peur, etc. Voyant les conséquences, voyant que l'image est blessée, voyant la vérité de la chose et non son seul concept intellectuel, cette perception même est la fin de votre image. N'est-ce pas? La perception. Il nous faut donc examiner ce que nous entendons par perception, vision.
46:24 Nous voyons optiquement des choses qui nous entourent, et nous les nommons, nous avons été formés à cela, conditionnés, dès l'instant où vous voyez ceci, vous l'appelez un arbre. C'est l'action du savoir qui entre dans la perception. Vous suivez tout ceci? Existe-t-il une perception sans l'accumulation du passé? Observer sans le temps. D'accord? Ainsi, quand nous observons, nous observons visuellement, optiquement, mais quand nous nous observons nous-mêmes - si cela vous est jamais arrivé, ce dont je doute, la plupart d'entre vous ne le font guère, j'en suis presque sûr - si vous vous observez, cette observation comporte à la fois l'observateur et l'observé. N'est-ce pas? Le témoin et l'observé, c'est-à-dire le penseur et la pensée. N'est-ce pas? Le penseur est la pensée. Il n'y a aucune division entre le penseur et la pensée. Vous n'allez pas admettre cela - examinez-le, je vous prie. Le penseur est la somme de très, très nombreux incidents de pensée, c'est-à-dire le passé. Le penseur est fabriqué par la pensée. Donc la pensée est le penseur. N'est-ce pas? Il n'y a aucune distinction entre le penseur et la pensée. Cette distinction est créée par le temps, qui est un mouvement en division. Vous saisissez tout ceci, Messieurs? Non, non Madame. Bien Messieurs? Il faut que je voie au moins une personne qui dise 'oui, j'ai saisi'.
49:29 Q:J'ai saisi.
49:31 K:Non, non, vous ne pouvez pas le saisir aussi vite que cela.
49:39 Voyez-vous, nous essayons de montrer que notre conditionnement a consisté pendant des millénaires à faire un effort, d'où conflit. Conflit, effort, impliquent le temps. N'est-ce pas? Bien sûr, puisque c'est un fractionnement de temps. D'accord, Monsieur? Ainsi, de notre enfance à notre mort, il y a donc toujours conflit, lutte, lutte, bataille, à cause de ce découpage du temps. N'est-ce pas? Je suis heureux que quelqu'un voie cela avec moi. Et est-il possible d'agir sans effort, sans le temps? C'est-à-dire percevoir, et cette perception même est action - et non une idée, puis un intervalle, puis l'action, c'est-à-dire le fractionnement du temps. Cette division permet à divers autres incidents de se produire : si je dois me rendre d'ici à là, des choses ont lieu pendant ce temps. Donc, quand il y a division dans le mouvement du temps, d'autres incidents surviennent, que nous appelons problèmes. J'espère que vous saisissez tout ceci. N'est-ce pas Monsieur? Nous demandons ceci : le cerveau, tellement conditionné par les millénaires, les millions d'années, peut-il percevoir... et que cette perception soit action instantanée? Car nous n'avons pas le temps. Nous sommes en déclin, corrompus, en dégénérescence, n'est-ce pas? et si vous admettez le temps, vous devenez de plus en plus dégénérés, ce qui est en train de se produire. Maintenant, si vous dites : je ne vais pas dégénérer, mais je serai régénéré', vous n'avez pas saisi. Nous disons : que signifie percevoir? Vous comprenez ma question, Monsieur? C'est-à-dire, est-il possible d'avoir une perception de l'image qui est blessée, et de voir le danger, tant biologique que psychologique, le danger d'avoir une image, le voir instantanément, pour que le fait même de la voir mette fin à l'image, sans permettre l'intervention du temps? L'avez-vous saisi, Monsieur? L'avez-vous saisi, ne fut-ce qu'intellectuellement? Alors, si vous l'avez compris verbalement - autrement dit par un processus intellectuel - en observant l'intellect, vous voyez ce qu'il fait : dès l'instant où vous l'avez saisi intellectuellement, c'est déjà devenu une idée. N'est-ce pas? Bien évidemment. D'accord, Monsieur? C'est déjà devenu une idée. Vous vous êtes éloignés de la perception. Je me demande si vous voyez ceci? D'accord?
54:13 La perception implique donc que l'on comprenne le mot, le mot a une valeur relative qui est la compréhension de l'intellect, et être conscient du processus pour ne pas le laisser se muer en idée - vous suivez? La perception implique l'opération de l'intellect, l'ensemble des réactions à leur plus haut niveau, et de voir la vraie nature de l'image, - d'où la fin de celle-ci. Etes-vous en train de le faire, ou de jouer avec les mots? Je vous en prie, c'est... vous comprenez? Ce que nous disons va totalement à l'encontre de tout ce que vous avez admis. Ce que vous entendez, ne le laissez pas se changer en tradition, sinon vous êtes perdus. Tandis que, si vous écoutez réellement - car ce que nous disons est la vérité - aussi longtemps que vous avez une image issue de votre société, de vos écoles, de vos universités, de vos rapports avec autrui, aussi longtemps que vous avez de vous une image, cette image va être blessée, et cette blessure s'exprime de diverses façons, en voulant dominer les gens, en se repliant sur soi, etc. Voir, écouter la vérité de ceci avec toutes vos facultés, l'intellect, chaque nerf à l'écoute, alors cette écoute même est la perception qui y met fin, qui n'a pas de temps. Vous comprenez ceci? Ainsi, la violence est une des réactions héritées des temps les plus reculés. N'est-ce pas? L'homme est violent depuis les temps immémoriaux. Et nous avons fait tout notre possible pour nous libérer de cette violence. Nous avons inventé la non-violence, une idée à jeter par-dessus bord. Nous avons essayé toutes les façons d'être gentils, bons, généreux, et pourtant dans nos coeurs, dans nos rapports mutuels, nous restons des gens très violents.
57:59 Et partout, toutes les religions ont dit : 'essayez, appliquez-vous, oubliez-vous, ne soyez pas violent, ne tuez pas'. Mais depuis des temps immémoriaux nous continuons à faire la même chose. Nous disons donc qu'il faudra du temps pour dissiper cette violence. Quelle illusion ! Vous suivez, Monsieur? Un million d'années ont passé et nous n'en sommes pas débarrassés, et nous pensons qu'après un autre million d'années nous en serons débarrassés. Entre-temps, laissez-moi continuer à être violent. Voilà le jeu auquel nous nous livrons. Alors nous disons: peut-on mettre fin à cette violence instantanément? C'est-à-dire comprendre que, psychologiquement, intérieurement, le temps n'existe pas. Vous ne 'devenez' pas ! Vous suivez, Monsieur? Vous ne devenez pas, vous n'obtenez pas l'illumination. Tout cela relève du mouvement du temps.
59:29 Donc : observez la violence, être en colère, haïr, être jaloux - toutes ces formes de violence - et ne vous réfugiez pas dans un mouvement de non-violence, c'est-à-dire dans l'opposé. Ainsi, quand vous observez le fait, il n'y a pas d'opposé. Suivez-vous tout ceci? J'observe la violence, en moi. Je suis violent. Pourquoi la non-violence? C'est mon conditionnement. N'est-ce pas? C'est mon espoir. C'est mon concept intellectuel : un jour, je serai non-violent. Voyons, de quoi parlais-je? De la violence. Le fait de la violence, le fait n'a pas d'opposé. N'est-ce pas? Le voyez-vous? Si vous voyez ça, vous avez fini, vous comprenez? Parce que tout dans notre éducation, dans notre religion, dans notre tradition, nous a dit : travaillez là-dessus, débarrassez-vous en, progressivement - vous suivez? C'est un mouvement dans le temps, c'est-à-dire une division. Le temps est division. Donc quand il y a observation de la violence, seulement de la violence, l'observateur qui observe la violence - vous suivez? - cet observateur lui-même est la violence. N'est-ce pas? Donc l'observateur est l'observé. Etes-vous fatigués? Vous comprenez, Monsieur? Dès que vous avez une division, c'est un mouvement du temps, et il y a donc effort, c'est-à-dire que l'observateur pense qu'il est distinct de la chose qu'il observe, et cette division même engendre conflit, répression et tout le reste. Mais quand l'observateur se rend compte que ce qu'il observe fait partie de lui-même, il n'y a alors ni division, ni la moindre dualité. N'est-ce pas? Alors, pouvez-vous voir ce fait que vous êtes violent, et le fait ne comporte aucune division.
1:03:12 Alors, que s'est-il passé dans l'esprit? Que s'est-il passé dans votre esprit, quand vous vous contentez d'observer le fait sans inventer l'opposé? Vous comprenez? Que vous êtes jaloux, que vous êtes envieux, c'est un fait, et cet observateur est l'observé, c'est-à-dire l'envie. Il n'y a donc ni conflit, ni répression d'une réaction particulière. La réaction est un fait. Alors, l'esprit peut-il observer totalement cette réaction, ce fait appelé jalousie? Vous saisissez, Monsieur? Observer sans le moindre mouvement de temps. Dès que vous avez un mouvement de temps, vous avez amené la division. Est-ce cela qui se passe en ce moment? Parce que nous disons ceci : vous éliminez totalement toute les formes du conflit auquel nous avons été conditionnés pendant des millénaires. Vivre sans le moindre conflit, c'est vivre sans le moindre problème. Je me demande si vous comprenez ceci. Vous pouvez être confrontés à des problèmes techniques : comment aller sur la lune, ça leur a pris très longtemps, 300.000 personnes, je crois, ont travaillé à ce seul objectif, pendant de nombreuses années. Mais si nous comprenons la nature du temps, toute la structure du temps, tant psychologique que physique, nous remettons alors le temps physique à la place qui lui revient. Je dois prendre l'autobus, le train, l'avion, me rendre au bureau, et ainsi de suite - le savoir. Mais psychologiquement, le temps n'existe pas. C'est-à-dire vivre une vie sans le moindre problème. Avez-vous jamais approfondi cette question? Non? La méditation n'est pas un problème, mais vous en faites tous un problème : comment s'asseoir, comment respirer - vous savez, le système les méthodes, les différents trucs que proposent les gourous, et tout ça.
1:07:06 Qu'est-ce qu'un problème? Je vous montre comment faire, mettez-le en pratique, s'il vous plaît. Testez-le dans votre vie et vous verrez que ça marchera. Qu'est-ce qu'un problème? Un problème est quelque chose que vous n'avez pas résolu. Il y a des problèmes mathématiques, scientifiques, biologiques. Nous ne parlons pas de ceux-là. Nous parlons de problèmes psychologiques, entre êtres humains, des problèmes existant dans nos rapports, mari, femme, vous savez, tout ça. Un problème implique une absence de solution. Alors, peut-on résoudre un problème dès qu'il surgit et y mettre fin sans le traîner avec soi, même pour une journée? Car, voyez ce qui se passe, un problème qui perdure inhibe le cerveau, c'est un fait. Vous pouvez l'expérimenter vous-même. L'activité du cerveau s'en trouve ralentie, parce qu'il est alourdi, il perd sa capacité à fonctionner. Il perd son élasticité quand vous traînez un problème pendant de très nombreuses années, ou même une semaine. La question est donc : peut-on mettre fin à un problème dès qu'il se présente? Vous comprenez? Tout ceci vous intéresse-t-il? Faites-le, Monsieur. N'acceptez pas les mots, testez-le concrètement ! Cela en vaut la peine. Mais si vous dites : 'oui, une bonne idée, une belle chose, mais je n'y arrive pas', ou 'dites-moi comment m'y prendre'... Il n'y a pas de comment, car le comment implique une méthode, un système, quelqu'un qui vous dira quoi faire. Si quelqu'un vous dit quoi faire, vous voilà revenu au bon vieux jeu de la tradition. N'est-ce pas? Un esprit clair n'a pas de tradition. Bon, on a un problème. Problème veut dire : ce qui n'a été ni approfondi, ni exploré, ni résolu. Nos problèmes existent dans le domaine de la relation. N'est-ce pas? Entre homme et femme, de nature sexuelle ou non, amicale, inamicale, vous suivez - toute la communication entre homme et femme, femme et homme, tout l'ensemble de ce champ, pas un problème particulier, sexuel ou autre.
1:11:04 Nous traitons du problème de la relation humaine, dans son ensemble, pas d'un problème particulier. Car examiner un problème particulier, c'est ne s'occuper que d'une partie et pas de la totalité. Est-ce clair? Oh, allons Messieurs! Nous traitons du problème global de la relation humaine, avec le patron, à l'usine, de retour à la maison avec votre femme, votre mari, sexe ou pas, domination, désir de posséder, attachement - tout cela sous-entend un problème. N'est-ce pas? Tout d'abord, pourquoi avons-nous des problèmes? Pourquoi vivons-nous avec des problèmes? Vous comprenez? Sommes-nous paresseux? Avons-nous accepté comme normal dans la vie d'avoir des problèmes, ou serait-ce qu'ayant eu des problèmes pendant des millénaires, pourquoi pas maintenant? Ce qui signifie que l'esprit, le cerveau, a accepté les problèmes comme faisant partie de la vie. N'est-ce pas? Refusons donc d'admettre les problèmes ! Vous comprenez? Mettons le cerveau et l'esprit au défi de ne plus avoir de problème ! Non, Monsieur, n'approuvez pas. Vous devez le faire. Le problème surgit - et il le fera inévitablement - si vous n'avez pas au coeur un amour véritable. Pas l'amour sexuel, l'amour du pouvoir, d'une situation et toutes ces bêtises, mais - je ne vais pas aborder cela, nous allons nous égarer. Voyons comment traiter un problème sans permettre la moindre seconde d'intervalle. N'est-ce pas?
1:13:47 Allons-y. Un problème surgit tant qu'existe un centre. N'est-ce pas? Tant qu'il y a un centre, il y a forcément une circonférence, un diamètre, vous suivez? Tout le cercle. Tout ce cercle constitue notre problème. N'est-ce pas? Ne pas avoir de centre, c'est ne pas avoir de problème. Monsieur, voyez ce que ceci implique, ne vous contentez pas d'opiner du chef, et dire 'oui, je suis d'accord avec vous'. Cela n'a pas de sens, voyez plutôt ce que cela implique. Avant tout, la profondeur, la beauté de la chose, sa logique, son bon sens. A savoir que, tant qu'il y a un 'moi' avec un centre, j'aurai des problèmes. N'est-ce pas? Ce pourraient être des problèmes très graves, destructeurs, ou des problèmes superficiels. Et, tant qu'il y a un problème, il ne peut y avoir d'amour. Mais bien sûr, cela n'existe pas, alors passons là-dessus. Nous y reviendrons plus tard.
1:15:42 Alors, est-il possible de vivre en ce monde, dans le monde moderne, en ayant femme, mari, enfants, en se rendant au travail, etc., sans avoir de centre? Vous comprenez Monsieur? Voyez le fait, le fait que tant que vous avez un centre, les problèmes sont inévitables, et si vous dites : 'ma vie est ainsi faite, j'ai des problèmes', continuez comme ça. Mais si vous estimez que les problèmes sont extrêmement destructeurs, non seulement pour le cerveau, mais pour l'intégrité d'un esprit sain, vivant, actif - car chaque problème agit comme une couverture étouffant tout. Si vous voyez ce fait : avec un centre, vous avez des problèmes - d'accord? - Non... Pas seulement l'entendre, mais en voir la justesse, Alors, que se passe-t-il? Vous comprenez? Un esprit, un être dépourvu de centre, qui doit vivre avec une femme ou un mari, et toute la culture - n'appellons pas cela la culture - avec le monde tout entier; cela veut dire que vous agissez à chaque instant ! La vie est action, n'est-ce pas? Mais quand vous agissez à partir d'un centre vous introduisez tout le problème. Je ne sais si vous le voyez. Voyez-en le cadre, la structure, en totalité. Donc, l'esprit qui a fonctionné à partir d'un centre a créé d'innombrables problèmes, politiquement, économiquement, socialement, et dans la relation, intime ou non. Et avoir un problème est la façon la plus destructrice de vivre. Cela détruit la jeunesse du cerveau - vous comprenez? - la jeunesse de l'esprit. Si vous écoutez cela, si vous voyez la vérité, c'est terminé. Il n'y a pas de 'comment'. Il n'y a que l'acte d'écouter.
1:19:37 Le mot tradition signifie transmettre de génération en génération des valeurs, des rituels, des dogmes, des croyances, des dieux, des pujas - tout ce dans quoi l'homme se trouve piégé, et rien ne peut s'épanouir dans cette tradition. C'est comme un rouleau compresseur passant sur les êtres humains. Si vous l'acceptez, parfait, vivez avec, contentez-vous en. Mais vous n'allez pas relever le défi du monde, le défi global que l'homme doit se libérer de toute chose afin de s'épanouir. Et l'épanouissement ne peut avoir lieu que dans le terreau de la relation humaine. N'est-ce pas Monsieur? Et non ailleurs, dans l'Himalaya, ou dans quelque monastère. Même là, on est en rapport avec ses semblables. Et la culture, qui est de croître et se développer vers la plus haute qualité d'excellence éthique, elle n’est pas possible quand votre esprit a été réduit à l'état de machine, ce que fait la tradition. Et la tradition a dit : 'croyez au temps'. Et quelqu'un comme moi vient dire : 'n'y croyez pas, vous ne trouverez pas la lumière, l'illumination, au bout du temps. Vous la trouverez là où vous êtes, maintenant'. Bien, Messieurs.
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