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MA7879T4 - Qu’est-ce qui met le désordre dans la relation?
4e causerie
Madras (Chennai), Inde
7 janvier 1979



0:22 Restons-nous un moment en silence ou voulez-vous que je parle? Je n'ai jamais pris part à des meetings. Je suis allé une fois à un meeting politique dans ce pays et le Dr. Besant m'a dit 'ne vous mêlez pas de cela'.
1:19 Je me demande souvent pourquoi nous nous rassemblons comme ceci, pour écouter un orateur, A moitié sérieux, curieux, sans réelle volonté de changer totalement sa vie. On est devenu assez médiocre, dépourvu de dons et de la qualité du génie. Génie dans le sens, non le talent particulier ou un don particulier, mais le génie d'un esprit qui embrasse la totalité de la vie, de notre vie, une vaste existence compliquée, contradictoire, malheureuse. Et l'on écoute tout ceci, tout ce que va dire l'orateur, et l'on s'en va avec des notions incomplètes, sans atention sérieuse ni réelle intention d'opérer en soi une profonde révolution psychologique. Et l'on se demande souvent pourquoi les êtres humains tolèrent un tel mode de vie. Vous pouvez en blâmer les circonstances, la société, les organisations politiques, mais blâmer les autres n'a pas résolu nos problèmes. Nous sommes à la dérive, et notre vie semble être un tel gaspillage, comme se rendre au bureau du matin jusqu'au soir pendant une cinquantaine d'années et ensuite prendre sa retraite, puis mourir ou végéter, grommeler, ou décliner doucement.
4:32 Et quand on observe sa propre vie, l'extraordinaire beauté, l'ampleur des réalisations techniques de l'homme, on se demande pourquoi il y a eu si peu de beauté dans notre vie. Je ne parle pas seulement de la beauté apparente, la décoration extérieure, mais aussi de cette qualité d'une ample communication avec la nature. Perdre contact avec la nature, c'est perdre aussi sa relation avec les autres êtres humains. Vous pouvez lire des poèmes, si tel est votre penchant, vous pouvez lire tous les beaux sonnets, et la cadence lyrique d'un poème sublime, mais l'imagination n'est pas la beauté. Admirer un nuage, aimer la lumière qui emplit ce nuage, une étendue d'eau le long d'une route sèche, ou un oiseau perché sur une branche isolée - tout cet enchantement, il est rare qu'on le voie, qu'on l'apprécie ou qu'on l'aime car nous sommes absorbés par nos propres problèmes, nos propres soucis, nos bizarreries et nos idées fixes. Nous ne sommes jamais libres. Et la beauté est cette qualité de liberté qui n'a rien à voir avec l'indépendance.
7:40 Quand vous écoutez tout ceci, je me demande ce que vous en retirez. Que l'on voie un chien et qu'on aime ce chien, ou un rocher, ou un nuage perdu qui passe par là, si l'on est dépourvu de ce sentiment d'une extraordinaire communication avec le monde, source d'une grande beauté, on devient de petits humains médiocres, on gaspille cette vie extraordinaire, on perd toute la beauté et la profondeur de l'existence. Mais il nous faut bien revenir aux réalités. Cela aussi est réel, extraordinairement réel : la branche, l'ombre, la lumière sur une feuille, le perroquet qui s'ébroue, tout cela aussi est concret, réel. Et quand nous comprenons le balancement du palmier et toute cette impression de vie, il y a un sentiment de beauté très profond. Mais nous ne sommes nullement intéressés par tout cela. L'êtes-vous? Je crains que non. Nous écoutons et laissons filer la chose. Cela peut sembler romantique, sentimental, mais la beauté n'est ni romantique, ni sentimentale, ni émotionnelle. C'est quelque chose de très, très solide, comme un rocher au milieu d'un torrent impétueux. Laissons donc ceci pour l'instant et revenons-en à ce que nous disions hier, car je pense que certains de ses aspects doivent être répétés, et j'espère que cela ne vous importunera pas.
11:02 Nous disions, n'est-ce pas, que, là où il y a tradition, il n'y a pas de culture. La tradition est transmise de génération en génération, certains concepts, croyances, valeurs, principes, tout cela est intellectuellement défini. Et une tradition aussi enracinée, de 3.000 ans ou de 10 jours, est un sol dans lequel la culture ne peut s'épanouir. Culture signifie croître, développer non seulement le côté intellectuel de la vie, mais la totalité de la vie de chacun. Pas fonctionner totalement dans une seule direction, politiquement, ou faire preuve d'un certain génie dans l'usage de mots, de la pierre, ou de la peinture, mais développer, cultiver son esprit et son coeur. Cela n'est pas possible dans la tradition - ce lot de valeurs transmises - rien ne peut pousser dans un tel sol. Voilà ce que nous disions hier.
13:43 Et nous disions aussi que le temps, qui est un élément très complexe, doit être étudié, doit être pris en compte. Nous avons dit que le temps est un mouvement dans la division. N'est-ce pas? Hier, aujourd'hui et demain, le savoir que l'homme a acquis, scientifique ou soi-disant religieux, et l'expérience, sont le passé. Et ce passé rencontre le présent, se modifie, et continue - le futur. Tel est l'entier mouvement du temps. Et hier, nous disions aussi : nos esprits sont si conditionnés à accepter le temps comme moyen de compréhension, un outil pour devenir, se développer, évoluer. Depuis l'enfance, toute notre vie repose sur cette idée de devenir, de croître, d'évoluer. En un certain sens, biologiquement et physiquement, le temps existe. Le gland, pour devenir un chêne, cela demande du temps. Et nous disions que le temps psychologique n'existe pas du tout. Passer par le temps psychologique, l’éthique, la morale, la spiritualité - si l’on peut dire 'spiritualité' sans paraître romantique ou absurde - pour comprendre réellement l'esprit religieux, le temps est un élément destructeur. Voilà plus ou moins de quoi nous avons parlé hier.
17:02 Si vous le permettez, il faut examiner ce qu'est l'ordre. L'ordre - écoutez simplement, ne soyez ni d'accord, ni en désaccord, comme la brise qui se lève, écoutez ainsi simplement - l'ordre est une suite logique dans l'espace. Vous comprenez cela? Non. Nous avons dit que l'ordre ne peut exister sans suite logique, et l'espace est nécessaire. Nous allons examiner cela - qu'est-ce qui m'arrive aujourd'hui? C'est probablement dû au temps, je n'ai pas l'habitude de cette chaleur. Notre vie est désordonnée, confuse, contradictoire. Nous parlons très simplement. Et là où il y a contradiction, il n'y a pas d'ordre. Là où il y a confusion, conflit, il n'y a pas d'ordre. Et notre vie, telle que nous la vivons quotidiennement, est une masse de contradictions, de confusion, de conflits et de malhonnêteté. N'est-ce pas? C'est un fait. Et l'on se demande si l'ordre peut être amené dans cette confusion. Car sans ordre, il n'y a pas d'efficacité, toute aptitute, intellectuelle ou autre, requiert l'ordre. L'ordre n'a rien à voir avec le sentiment, avec le romanesque. L'ordre est très, très séquentiel, logique, sain. Nous allons donc étudier ce qu'est l'ordre, si l'on peut avoir de l'ordre non selon un plan, non selon la tradition, ou selon un gourou, un leader, ou nos propres petits désirs et pulsions, mais nous allons chercher en quoi consiste un ordre durable. Ceci vous intéresse-t-il? Comment amener l'ordre dans notre vie, de sorte qu'il n'y ait plus d'opposés, de dualité, de contradiction, de malhonnêteté, politiquement, religieusement, ou dans nos rapports mutuels. Ceci vous intéresse-t-il? Ou voulez-vous que je vous parle de la méditation? Vous pourriez vous abandonner à une sorte d'illusion en pensant méditer. Car voyez-vous, si l'on n'amène pas l'ordre dans sa vie quotidienne, on aura beau faire, la méditation est impossible. N'est-ce pas? Nous sommes donc en train de poser les fondations de la méditation.
22:59 Se rend-on compte de quoi est réellement faite notre vie quotidienne, combien elle est désordonnée, contradictoire, soumise aux divers objets de nos désirs, cherchant le pouvoir, la situation, vivant dans l'arrogance et la vanité tout en parlant des gens, de la bonté, lisant des livres, vous voyez, on jongle avec tout cela. Tout cela dénote, n'est-ce pas, une vie terriblement malhonnête, une vie en totale contradiction, comme celle d'un excellent avocat capable de manier les arguments et de battre la partie adverse, qui va ensuite au temple à des kilomètres de là pour s'y livrer aux dévotions. Vous voyez la contradiction? Et ils en sont totalement inconscients. Donc, la première chose est - excusez ma voix aujourd'hui - de prendre conscience du désordre dans lequel est notre vie. En être conscient. Pas comment amener l'ordre dans le désordre - écoutez ceci je vous prie - pas amener l'ordre dans le désordre mais comprendre la nature du désordre. D'accord? Quand je comprends la nature du désordre, alors, de la compréhension même, de ce fait indiscutable, émerge la beauté de l'ordre, sans l'imposition de la discipline, sans répression ni conformisme, mais, de l'investigation du désordre, l'ordre naît naturellement. N'est-ce pas? Vous comprenez ceci? Alors faisons-le.
26:07 D'abord, soyons conscients, en tant qu'êtres humains, qui avons des facultés si extraordinaires - voyez ce qu'ils ont réalisé dans le domaine technologique, c'est immense ce qu'ils ont fait. Et ces êtres humains si extraordinairement capables, qui ont élaboré par la pensée presque toutes les formes possibles de concepts, de principes, d'idées, de projections religieuses, qui ont inventé des rituels dont certains d'une grande beauté mais totalement dénués de sens. Et l'esprit humain - je ne sais si vous avez pénétré vos propres esprits, si vous l'avez fait, vous pouvez observer sa grande qualité. Dieu merci! Alors, lui lancer un défi, exiger de lui qu'il fonctionne au summum de ses capacités. Le ferez-vous pendant que nous parlons, de sorte que votre esprit - votre esprit n'étant pas constitué uniquement des diverses formes d'activités sensorielles mais aussi d'émotions, d'affection, d'amour, d'égards, d'attention, d'aptitude intellectuelle et de ce sentiment d'immense amour, tout cela est l'esprit, la totalité de l'esprit. Le mettre au défi - vous comprenez ce que je dis? - de fonctionner à son plus haut niveau d'excellence. Car sans ce défi, vous vivez dans le désordre. Vous suivez tout ceci?
29:04 Quelles sont les raisons qui ont fait que les humains ont accepté depuis des siècles de vivre dans le désordre, politiquement, religieusement économiquement, socialement, et dans leurs rapports mutuels. Vous comprenez? Pourquoi? Pourquoi avons-nous accepté de vivre ainsi? De qui attendez-vous la réponse? Vous comprenez? A un défi, vous devez répondre ! Répondre en engageant le meilleur de vous-même, et pas attendre que l'orateur réponde, ou qu'il vous montre comment répondre. Vous suivez? Vous comprenez ce que je dis? J'ai lancé un défi à votre esprit. L'orateur a dit : mettez-y le meilleur de vous-même, mettez-y toute votre énergie pour découvrir s'il est possible de vivre, dans un monde dégénéré, corrompu, immoral, de vivre une vie saine, une vie tout à fait complète - c'est votre défi, vous comprenez? Quelle est votre réponse? Le mot 'whole' - complet - signifie d'abord 'intact', physiquement et psychologiquement, avec toutes les facultés de votre esprit, la santé mentale. Mais ce mot 'whole' - complet - signifie également 'holy' : sacré. C'est donc la totalité de la vie.
32:18 Nous demandons donc si l'être humain que vous êtes est conscient du désordre total et de la dégénérescence du monde autour de vous, et, en vous-même, la dégradation qui se produit? En êtes-vous conscient? Conscient, c'est observer ce qui a effectivement lieu, pas imaginer ce qui a lieu, ni s'en faire une idée, voir ce qui se passe vraiment : en politique, en religion, dans le domaine social, moral, la dégénérescence de l'homme. Et aucune institution, aucun gourou, aucun principe supérieur ne vont arrêter cette dégradation. En sommes-nous conscients? Si oui, qu'allons-nous faire? N'est-ce pas Monsieur? Qu'allons-nous faire? Quelle est votre action? - pas à une date à venir - quelle est votre action immédiate? Allez-vous vous adhérer à une secte, ou suivre un gourou, ou revenir à votre vieille tradition, rituels, répétant une chose ou une autre, ce qui revient à fuir le fait de ce cerveau en train de vieillir, de dégénérer. Ou bien allons-nous, vous et moi, étudier, explorer pourquoi les êtres humains sont-ils devenus ainsi? Cela a lieu dans le monde entier, ce n'est pas une spécialité de cette contrée spirituelle. Je regrette de me servir du mot 'spirituel' parce que vous êtes si fiers de votre propre culture. C'est comme un politicien proclamant que notre culture est très ancienne. Cela lui confère un sentiment de dignité, alors que dans son coeur il est - vous savez ce qu'il en est, inutile de vous le dire. Alors qu'allons-nous faire? Je suggérerais que nous commencions par regarder notre vie, ce qu'elle est concrètement, ce qui s'y passe, car notre vie en action est la société. N'est-ce pas, Monsieur? Vous saisissez? D'accord? Notre vie en action est notre société et vous ne pouvez transformer cette société sans vous transformer vous-même. C'est tellement évident. Les communistes, les libéraux, les socialistes ne la changeront pas. Lire la Gita ou des Upanishads ne la changera pas davantage, ni vous passionner pour les préceptes du bouddhisme, ni pratiquer la méditation Zen, rien de tout cela ne la résoudra. Je ne sais ce qui se passe aujourd'hui.
37:23 Voyons ce qui se passe dans notre vie, dans notre vie quotidienne. Notre vie quotidienne est fondée sur la relation. Sans relation, point d'existence possible. N'est-ce pas? En quoi consiste notre relation mutuelle? Pas le fait que vous deux soyez assis ensemble, ce n'est pas cela que je veux dire - mais avec votre femme, votre mari, votre patron, l'ouvrier d'usine, le manoeuvre, quelle est la nature de votre relation? Y a-t-il de l'ordre dans cette relation? Pas une activité égocentrique opposée à à une autre activité égocentrique - vous suivez?- qui se contredisent. Je peux être marié, avoir des enfants, le sexe et tout ça, si je suis centré sur moi, occupé de ma propre réussite, de mon ambition, de mon statut social, très soucieux de tout cela, et qu'elle aussi se préoccupe d'elle-même, de ses problèmes, de sa beauté, de son apparence, vous savez, tout ça, comment peut-il y avoir la moindre relation entre ces deux personnes? Vous comprenez tout ceci? Si vous avez une certaine croyance et l'autre en a une autre ou une autre conclusion, un autre dogme, il ne peut y avoir de relation. N'avez-vous pas remarqué tout ceci? Alors est-il possible d'amener l'ordre dans votre relation avec votre femme, votre mari? Pas avec l'univers, pas avec le cosmos, pas avec Dieu. Dieu est une invention de l'intellect. Vous pouvez bien avoir une relation extraordinaire avec ces choses que vous avez inventées, avec des illusions. Mais avoir une relation avec votre femme, votre mari, avec vos enfants, sans aucun conflit entre vous. C'est là que commence l'ordre. N'est-ce pas? N'est-ce pas, Monsieur? Maintenant, comment créer l'ordre? Nous avons dit que l'ordre - je vous en prie, écoutez, écoutez-en au moins la beauté - l'ordre est une suite logique dans l'espace - nous allons voir ce que nous entendons par espace, par suite, par ordre.
41:25 S'il n'y a pas de relation entre nous, la peur est là.. Soit l'un domine l'autre, soit ils vivent séparés, ne se retrouvent qu'au lit. Ainsi, nous vivons ensemble une vie brutale. N'avez-vous pas remarqué tout ceci? Ne le savez-vous pas? Et comment amènerons-nous l'ordre, afin qu'il soit durable, et pas l'ordre aujourd'hui et demain le désordre? Qu'est-ce qui crée cette contradiction dans la relation? Contradiction entre ma voix et ce que je veux dire - j'aurais dû boire un peu d'eau avant de venir. Avanti. Allons-y. Qu'est-ce qui crée cette division entre vous, votre femme, votre mari et vos enfants? La division est désordre. N'est-ce pas? N'est-ce pas, Messieurs? Entre le musulman et l'hindou, le juif et l'arabe, le communisme, le totalitarisme et la liberté. Ces opposés sont l'essence du désordre. N'est-ce pas? Alors qu'est-ce qui crée le désordre dans notre relation humaine, de la plus intime à la moins intime? Y avez-vous jamais pensé? Allons, Messieurs ! Ou avez-vous peur de regarder ce désordre? Car lorsque vous prenez conscience de ce que votre femme et vous... quand le mari et la femme prennent conscience de ce désordre, soit ils l'acceptent et vivent avec, soit ils l'analysent, l'approfondissent et l'étudient, ce qui pourrait amener un changement considérable, et le changement fait peur. Vous suivez ce que nous disons? Ah? N'est-ce pas, Messieurs? Mon ami est là, au moins quelqu'un à qui parler.
45:07 Qu'est-ce qui produit ce désordre? Je vais dire quelque chose - écoutez attentivement, nous interrogeons, nous ne prétendons pas que c'est vrai ou faux. Est-ce le désir? Par désir, j'entends la réponse sensorielle avec ses images créées par la pensée, et l'action qu'exige ce désir. Vous me comprenez? L'orateur entend par désir - étudiez la chose à mesure, n'admettez pas ce qu'il dit - la perception, la vision sensorielle, le contact, la sensation, avec la sensation arrive l'image créée par la pensée, d'où le désir. Avez-vous compris ceci? Est-ce assez clair? Vous voyez un bel objet. Voir, toucher, sentir, goûter, et la sensation, la sensation qui s'identifie à l'image créée par la pensée, et le désir en découle. N'est-ce pas? C'est clair? Alors, nous demandons ceci : un des facteurs de cette contradiction est-il ce manque de relation - je me sers de 'relation' dans son sens exact : être totalement en contact l'un avec l'autre, non seulement le contact sensoriel, non seulement le contact sexuel, mais un contact holistique, être pleinement avec l'autre. L'obstacle à la relation serait-il le désir?
48:38 Nous enquêtons : le désir est-il l'amour? Car avec le désir arrive la peur, et la peur est l'un des facteurs du désordre. N'est-ce pas? Toutes ces lampes sont-elles nécessaires? Phiuu! Nous disons donc ceci : le facteur du désordre est le désir, et la peur, et la recherche incessante du plaisir. Nous avons expliqué ce qu'est le désir. Le désir va avec la volonté. La volonté est l'action concentrée du désir. N'est-ce pas Messieurs? Examinez simplement. Et notre fonctionnement, notre vie repose sur le désir, la volonté, et la satisfaction, qui entraîne la frustration. Et il en découle la peur, sous ses diverses formes. Peur de ne pas réussir, peur de perdre un emploi, peur de la solitude, peur de ne pas être aimé, ou de ne pas donner d'amour, peur de perdre un attachement, peur de l'obscurité, peur de la douleur physique, etc. Tout ceci vous est familier, n'est-ce pas?
51:27 Nous disons donc que le facteur principal du désordre c'est le fonctionnement du désir, associé à l'image de la réussite, et à la peur. Cette peur qui n'a pas été résolue par les hommes - peur de la mort, peur de la solitude, peur d'être incapable d'agir noblement, etc. Une des causes du désordre est aussi cette recherche incessante du plaisir. Nous allons donc examiner très attentivement ces trois choses car il nous importe de susciter l'ordre, et pour cela il faut comprendre cette confusion dans laquelle nous vivons, et la confusion est l'activité du désir dans ses objets changeants. Quand on est jeune, peut-être, on ne recherche pas un statut social élevé, une situation importante, une grande fortune, mais les choses changent en vieillissant. A l'approche de la mort vous désirez l'illumination, Dieu et tout le reste. Donc, les objets du désir changent, constamment. Et la peur est l'un des facteurs principaux du désordre dans notre relation, intime ou non, ainsi que l'ardent désir, la quête égoïste du plaisir. Tels sont donc les facteurs essentiels et profonds du désordre de notre vie. Nous avons expliqué le développement du désir : voir, toucher, goûter, sentir, la réponse des sens. A partir de cette réponse des sens, une sensation, avec contact, puis la pensée : 'quelle merveille si je pouvais posséder cela'. Par exemple, la pensée crée l'image d'une voiture, et de vous en train de la conduire et d'aimer cela. Voilà donc le mouvement du désir.
54:57 Nous disons : qu'est-ce que la peur? Accompagnez-moi, je vous prie, découvrez-le par vous-mêmes car cela fait des générations que nous vivons avec la peur. Nous avons de bons cerveaux. Nous avons la capacité de résoudre la peur, pas de vivre avec elle. Vivre avec la peur, c'est vivre dans l'obscurité. Vivre avec elle, c'est nier la beauté de l'existence toute entière, la beauté de la terre, la beauté des cieux. Il faut donc la comprendre, pas intellectuellement, mais creuser en profondeur jusqu'aux racines mêmes de la peur.
56:03 La peur est le temps. Regardez cela attentivement : il y a la peur physique, la douleur corporelle, l'évocation de cette douleur et l'espoir qu'elle ne se reproduise pas, donc, une durée de temps. N'est-ce pas? Vous suivez ceci? S'il vous plaît, utilisez votre tête, il est capital que vous compreniez cela. Car l'esprit exige que les hommes soient libres car, quand vous êtes libres, la vie change complètement. Et celui qui subit le poids de la peur ne peut jamais être libre. Et quand l'esprit est enveloppé de peur, il lui est impossible d'accéder à la clarté, à l'insight, à une perception pure et non altérée des choses. Nous disons donc que le temps est le mouvement de la peur. J'ai eu mal la semaine dernière, le souvenir de cette douleur - douleur physique - et la peur qu'elle revienne. N'est-ce pas? N'est-ce pas? C'est une des peurs. La peur physique d'être blessé, de ressentir la douleur, ou, après une maladie, l'espoir que cela ne recommencera plus jamais.
58:35 Alors - écoutez je vous prie - pouvez-vous, une fois la douleur physique passée, ne pas l'enregistrer du tout, l'oublier complètement? Comprenez-vous? Avez-vous compris ce que j'ai dit? Presque tous, nous éprouvons des douleurs physiques, toutes sortes de douleurs physiques variées. Quand elle se manifeste, l'observer et ne pas la laisser s'enregistrer dans le cerveau. Vous le faites pendant que nous parlons? Examinons cela une minute. Le cerveau a la faculté d'enregistrer tout ce qui lui arrive. Il enregistre comme un ordinateur. Vous devez l'avoir remarqué, évidemment. Ce qui touche au physique est enregistré. Il est enregistré comme souvenir, et ce souvenir, ce rappel de la douleur engendre la peur qu'elle ne se reproduise. La question que nous posons est très simple, mais très subtile - réfléchissez-y, vous allez le voir de vous-mêmes. Avoir une douleur physique, et ne pas la laisser se transformer en mémoire. Vous comprenez Monsieur? Suivez-vous ce que je dis?
1:01:04 Maintenant, un instant. Vous me blessez en me traitant de quelque chose, ou vous me louangez, comme quelqu'un me l'a fait hier. Ne pas enregistrer, ni la louange, ni l'insulte, de sorte que votre cerveau reste frais. Quand vous enregistrez, c'est le mouvement du temps. N'est-ce pas? Nous disons donc que la peur est un mouvement dans le temps. Je puis comprendre la douleur physique. Je puis l'observer très attentivement quand elle survient, très attentif, ou bien la laisser agir sans m'associer à elle du tout. Je vous parle d'une chose qui est vraiment arrivée à l'orateur. Je n'invente pas. Alors, la peur est 'ce qui pourrait avoir lieu' ou 'ce qui a eu lieu' qui revient en mémoire, et on projette ce souvenir dans le futur, et l'on dit 'j'ai peur'. Vous comprenez? C'est le mouvement provenant du passé qui traverse le présent, vers le futur. La plupart d'entre-nous ont peur, de quoi ? Regardez-vous, Messieurs, cherchez. De quoi avez-vous peur? Peut-être n'avez-vous pas peur en ce moment, assis là. Evidemment. Mais, quand vous partez d'ici, les peurs reviennent, conscientes, ou profondément cachées. Quelles sont vos peurs? Peur de la mort, peur de la solitude, peur de ne pas parvenir à l'illumination, peur de ne pas bien réussir et d'avoir peu d'argent, peur d'être dominé par un autre, le mari ou la femme - de quoi a-t-on peur? Et pouvez-vous l'analyser? Ecoutez, je vous prie. L'analyse comporte... Merci, Monsieur. Puis-je boire? L'auditoire: oui.
1:05:01 K:Cela pourrait m'aider. Mais j'en doute. L'analyse comporte différentes choses. Il y a l'analyseur et la chose qu'il va analyser. N'est-ce pas? L'analyse implique le temps. Vous suivez? Je dois analyser sans cesse, cela inclut le temps. Et toute analyse doit être complète. Sinon la mémoire se poursuit et, à partir de cette mémoire, vous analysez. Et ce n'est donc jamais complet. Vous comprenez? Cela ne fait rien, vous creuserez la chose. Tout d'abord, dans l'analyse, il y a l'analyseur et l'analysé. L'analyseur est l'analysé. Non? La pensée s'est divisée en analyseur et en objet d'analyse. Donc, elle a créé une scission. La pensée, par son mécanisme même, est limitée, donc elle est fragmentaire, donc elle a un don pour diviser. Ce qui est limité est toujours susceptible de diviser, ce qui est entier ne peut jamais être divisé. Je me demande si vous captez tout ceci? Je vous en prie, ne me voyez pas comme un gourou, c'est tout. C'est la dernière chose.
1:07:32 Nous disons donc que l'analyse ne résoudra pas le problème. Vous pouvez découvrir la cause, et la découverte de la cause et son effet, et l'effet devient la cause de l'événement suivant. C'est une chaîne continue, la cause devenant l'effet et l'effet devenant la cause. N'est-ce pas? Il n'y a pas de réponse dans ce cercle fermé. Il va vous falloir y réfléchir vous-mêmes, ceux qui ont cette tendance, car nous sommes tellement habitués à l'analyse qui interdit la perception directe. Nous demandons donc : quelle est la cause de cette peur extraordinaire qu'éprouvent les être humains, la peur consciente et aussi les peurs profondément cachées? Si vous observez ou examinez la peur, la peur n'est jamais actuelle. Vous comprenez? Ou vous vous la mémorisez quand elle est passée, ou bien : 'ce qui pourrait arriver', dans l'avenir. N'est-ce pas? Je ne sais si vous comprenez ceci. Très bien, laissez-moi l'exprimer autrement. Pourquoi est-ce que je travaille si dur pour vous? L'autre jour, à la fin de la causerie, alors que je sortais, un homme m'a dit : 'vous nous demandez pourquoi nous venons ici, si c'est par curiosité ou pour d'autres raisons'. Et il ajouta: 'et vous, pourquoi parlez-vous?'. Voulez-vous savoir pourquoi je parle? Parce que, Monsieur - oh, n'en parlons plus. Cela n'a pas d'importance.
1:10:43 C'est comme le plaisir : à l'instant du plaisir il n'y a pas mise en mémoire. Ce n'est qu'un instant plus tard que l'enregistrement a lieu, ne l'avez-vous pas remarqué? Le plaisir sexuel ou autre, au moment précis où il a lieu, vous n'avez absolument pas conscience qu'il s'agit de plaisir. S'il vous est arrivé d'être en colère - j'espère que non - si vous avez été très en colère, à l'instant de ce sentiment, ce n'est qu'un sentiment, mais dès lors que vous lui donnez un nom, soit la seconde d'après, cela devient la colère. Et vous dites : 'il faut que je me contrôle, je ne dois pas être en colère' et ainsi de suite. Alors, écoutez seulement : au moment où une chose agréable vous arrive, il n'y a pas d'enregistrement, le cerveau n'est pas en action. Ce n'est qu'un instant plus tard que la pensée survient : 'que c'était merveilleux', 'ce repas était si bon', 'ce coucher de soleil si joli', 'je voudrais encore de cette nourriture', 'je veux revoir d'autres couchers de soleil aussi ravissants'. Vous suivez? Alors, êtes-vous présent à l'instant précis de la peur, à la seconde où elle surgit, et, alors qu'elle surgit, ne pas laisser la pensée y entrer et la reconnaître d'après l'expérience passée, et dire 'voilà la colère', mais en réalisant que la pensée n'a pas sa place au moment de l'action? Vous comprenez tout ceci? Il faut être sur le qui-vive ! Si l'esprit est à l'affût quand surgit cette sensation qu'on appelle peur, il y a prise de conscience et c'est précisemment cette prise de conscience, cette vérité, qui empêche la pensée d'intervenir. Quelqu'un a-t-il compris ceci? Le faites-vous?
1:14:07 Donc peur et plaisir marchent ensemble. Avez-vous aussi pris conscience de cela? Impossible d'avoir l'un et d'éviter l'autre. Il faut aller fouiller dans ces deux choses, voir tout le mouvement de la peur et du plaisir, et du désir qui se trouve impliqué tant dans la peur que dans le plaisir, d'en voir toute la nature et la structure, pas intellectuellement, verbalement, mais aussi concrètement que vous voyez ce micro. Vous en venez alors à ceci : la peur - ou le plaisir - n'est pas distincte de l'observateur. L'observateur est la peur. Ecoutez, je vous prie. Il n'y a pas de penseur sans pensée. La pensée s'est séparée du penseur, et se croit différente de la chose qu'elle a créée. N'est-ce pas? Ainsi le penseur essaie toujours de maîtriser, de modeler la pensée. La peur n'est pas distincte de vous, l'observateur, vous en faites partie. Et quand vous dites : je dois la contrôler, je dois être courageux, je dois m'en échapper, l'esquiver, l'analyser, vous trichez avec vous-même au lieu de reconnaître le fait, la vérité que cette peur, c'est vous. Vous êtes le produit du temps, le produit de la pensée, construite par divers... - je ne vais pas m'étendre là-dessus. C'est assez simple. Donc la peur c'est vous, et quand vous l'avez réalisé il ne vous est plus possible d'agir et par conséquent vous l'observez purement et, quand vous l'observez, la chose même que vous observez subit un changement radical. Etes-vous en train de le faire? Allez-vous le faire? Observerez-vous sans l'observateur, car celui-ci est le passé et l'observateur empêchera une perception claire, objective, directe. Ainsi, ayant compris cela, l'observateur dit : 'je n'ai pas ma place dans l'observation' et par conséquent, l'observation est pure. Quand vous observez la peur sans l'observateur, qui est le passé, cette peur qui est en train d'être observée subit un changement radical. Ce n'est plus la peur. Allez-vous au moins mémoriser cela? Voir intellectuellement ce que cela implique? Cette peur, le fait de l'éviter, de la réprimer, de la transformer, ou de dire 'je dois lutter contre elle' rien de tout cela ne la fera disparaître, car vous avez fait tout cela, et elle est toujours en vous, depuis la nuit des temps. Et nous disons tout autre chose. Nous disons que la peur c'est vous. Vous êtes le produit du temps, et y a-t-il une observation de cette peur sans le temps, sans le souvenir. Simplement regarder. Ainsi, pouvez-vous regarder votre femme ou votre mari, comme si c'était la première fois de votre vie, sans aucun souvenir de plaisir sexuel, de chamaillerie, d'intimidation, de domination - rien de tout cela - Regarder. Le savoir vous empêche de regarder. Et se libérer du savoir mettra fin à la peur - complètement ! - pas à telle ou telle peur, mais à la racine de la peur.
1:20:10 Et, de la même façon, pouvez-vous regarder le plaisir? N'est-ce pas? Vous avez des tas de plaisirs, non? Plaisir sexuel, plaisir d'avoir de l'argent, d'avoir une situation, plaisir d'être quelqu'un politiquement, vous connaissez bien tout cela - plaisir d'avoir du pouvoir, plaisir d'avoir un esprit efficace, d'avoir un corps sain, le plaisir découlant de la comparaison, avec la peur qui s'ensuit, le plaisir de faire mieux que la personne qu'on cherche à imiter. Et toutes ces formes extraordinaires de plaisir, le plaisir de trouver l'illumination, c'est-à-dire, la forme ultime du plaisir de chercher Dieu, un cache-misère en réalité. Pouvez-vous donc étudier en vous-même toute la nature du plaisir? Comme nous l'avons dit, le plaisir est le mouvement du désir, fragmenté, lié au temps. L'observer avec minutie, exactitude, avec une grande précision, l'observer et non l'analyser.
1:22:12 Nous disons donc que la cause du désordre est le désir, la peur, et la recherche sans fin du plaisir. Ce qui ne ne veut pas dire réprimer l'enchantement ressenti à la vue d'une belle chose, l'enchantement et la joie d'un beau ciel, l'étoile du matin, brillante, solitaire, ou la croix du sud, voir les cieux est un grand ravissement. Mais dès l'instant où la pensée dit : 'je dois revenir sur ce balcon pour regarder Vénus, l'étoile du matin', là commence toute la recherche du plaisir. Il suffit de regarder.
1:23:19 Voilà donc les causes fondamentales du désordre. Quand vous avez compris cela, pas intellectuellement, mais y avez concrètement mis fin, la joie habite votre coeur. La joie n'est pas le plaisir, mais dès que où vous vous souvenez de la joie et dites 'j'ai éprouvé un moment de joie merveilleuse, comme j'aimerais le retrouver', cela devient alors un plaisir et vous l'avez perdu. Voilà, dans notre vie, la séquence logique pour établir l'ordre dans notre famille.
1:24:14 Et qu'est-ce que l'espace? Il est 6 heures 25. Je pense que vous êtes trop fatigués. Je ne peux pas traiter de l'espace, cela demande beaucoup d'investigation, de l'espace dans l'esprit, un esprit qui n'est jamais occupé. Par aucun problème. Mais nos esprits sont si occupés, si encombrés de croyances, de recherches, de toutes sortes de choses, de confusion, d'illusion, donc il n'y a pas d'espace. S'il n'y a pas d'espace, il ne peut y avoir suite logique et ordre. Et s'il n'y a pas d'ordre dans notre vie quotidienne - pour l'amour du ciel, prenez-en conscience ! - dans les instants de notre vie quotidienne votre méditation n'est qu'une fuite devant la laideur de votre vie et se réfugier dans la méditation ne peut que conduire à l'illusion. Il faut donc établir les fondements pour découvrir ce qu'il y a au delà de la pensée, ce qui est incommensurable, ce qui est sans paroles. Mais cela ne peut venir en existence s'il n'y a pas ce sentiment d'ordre parfait en lequel est la liberté totale.