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MA7879T5 - Qu’est-ce qu’un esprit religieux?
5e causerie
Madras (Chennai), Inde
13 janvier 1979



1:13 Certains d'entre vous sont arrivés très tôt pour être au premier rang. J'espère que vous trouverez que cela en vaut la peine.
1:33 Si vous le permettez, j'aimerais parler ce soir de l'esprit religieux. Et avant que nous communiquions à ce sujet, je pense qu'il serait sage et nécessaire de revoir un peu ce dont nous avons parlé ici lors des quatre dernières causeries. Il est assez évident pour ceux qui suivent les événements du monde que se produit une dégénérescence générale. En dépit d'une avance technologique incroyable l'homme a bien peu 'avancé', si je puis me permettre ce terme. L'on observe le déclin de l'aptitude humaine à l'affection, à l'amour, toutes ces choses essentielles de la nature humaine sont en déclin graduel. On peut le voir dans tous les pays que l'on visite. Et les problèmes des êtres humains, les problèmes de tous les jours, pas imaginaires, romantiques, sentimentaux, mais concrets, quotidiens, de relation, de faim, de croyances, dogmes et rituels. ces relations, intimes ou non, sont elles aussi sur le déclin.
4:23 Quand on observe tout cela dans diverses parties du monde, ces problèmes ne sont pas spécifiques à un pays particulier, c'est un problème global, le problème de toute l'humanité. Bien sûr, on ne peut pas l'attaquer en sectaire, ni en nationaliste, ni sous l'angle des classes, ni par un dogme particulier, communisme, socialisme ou toute autre action politique. Il nous faut découvrir, maintenant, une réponse globale, une vision globale, une action globale.
5:45 Et nous disions aussi que chaque être humain du monde représente tous les autres êtres humains. Ce n'est pas un concept intellectuel à accepter et à mettre en oeuvre, c'est une réalité, un fait concret, un fait étant ce qui se passe en ce moment. Que chaque être humain passe par d'incroyables angoisses, par la solitude, le malheur, la confusion, par toutes les formes possibles de malhonnêteté politique, religieuse ou autre. Et comme ce n'est pas un concept intellectuel, une idée, mais une réalité qu'il ne faut pas appréhender intellectuellement, mais comprendre avec son coeur, son esprit, son être tout entier. Donc, chaque être humain est le reste du monde, et par conséquent il est le monde. Sa conscience, modifiée, est le reste du monde. Et donc, lorsqu'un certain être humain se transforme radicalement, profondément, fondamentalement, il affecte vraiment la totalité de la conscience de l'humanité. Ceci encore est assez évident. Un Hitler a affecté l'humanité entière : il était fou, ou ce que vous voudrez, mais il a affecté l'humanité. De même Karl Marx, et Bouddha, et ainsi de suite. Alors, si un seul être humain - vous - génère en lui une transformation psychologique, une révolution psychologique, il se produit dans la conscience un changement total, ce qui affecte la conscience de l'humanité. Nous avons exploré tout cela très soigneusement.
8:56 Et nous avons aussi parlé du désir, de la peur et du plaisir qui sont peut-être les causes principales de notre confusion, de nos contradictions et de nos conflits. Nous en avons parlé dimanche dernier, si je me souviens bien. Nous avons dit aussi - s'il est permis de le répéter - que nous pensons ensemble. Nous n'ouvrons pas un débat, en confrontant diverses opinions, divers dogmes, mais plutôt comme deux amis peuvent discuter de leurs problèmes. Nous, vous et l'orateur, nous étudions, examinons, sans accepter ni rejeter, notre existence humaine dans sa totalité. Pourquoi nous, êtres humains, vivons-nous de cette façon, avec nos incertitudes, notre souffrance, nos malheurs et tout le reste; pourquoi acceptons-nous cette vie quotidienne de conflits, de querelles au sein de notre relation, pourquoi nous dominons-nous les uns les autres, etc. Nous avons abordé tout cela.
11:16 Et, si vous le voulez bien, nous devrions cet après-midi considérer ce qu'est la nature d'un esprit religieux. Cela vous ira-t-il? Je me réjouis que vous soyez d'accord. Ce n'est pas une remarque sarcastique, je suis heureux que vous vouliez aborder cela.
11:56 Pour commencer, pour comprendre ce qu'est un esprit vraiment religieux, il nous faut saisir la signification du mot, le sens du mot, et réaliser que le mot n'est pas la chose. Le mot 'arbre' n'est pas la chose réelle qui est là, de même pour la description d'un esprit religieux - ce que nous allons explorer aujourd'hui et demain. Sa description, son explication verbale n'est pas la chose décrite, n'est pas le fait réel. Mais les mots sont nécessaires à la communication. Et probablement nous comprenons tous l'anglais. Nous n'usons pas de slogans, ou de jargon, nous utilisons des mots ordinaires, qui nous sont familiers.
13:35 Donc nous parlons ensemble, nous examinons ensemble, nous cherchons ensemble - pas : moi, je cherche et vous, vous écoutez et acceptez ou refusez les termes de cette enquête, ce qui serait absurde. Si nous pouvions être ensemble pour explorer l'extraordinaire question qui a hanté l'homme à travers les âges : qu'est-ce que la religion, qu'est-ce qu'un esprit capable de recueillir, de saisir, de comprendre la beauté d'un esprit profondément religieux? Car toutes les formes d'organisation politique ont échoué, elles n'ont pas résolu les problèmes humains. Les politiciens sont en quête de pouvoir, de situation, aucunement concernés par nous autres, êtres humains, même s'ils font semblant. Les organisations religieuses non plus n'ont pas mis fin à la douleur de l'homme, à ses angoisses, aux guerres, à l'effroyable chaos qui envahit le monde, une quasi anarchie. Au contraire, les religions ont séparé les hommes avec leurs croyances, leurs dogmes, leurs rituels insensés. Par 'insensé' je veux dire dénué de sens. Et il me semble qu'historiquement une nouvelle culture
16:12 ne peut émerger qu'avec une nouvelle religion - ou plutôt ne peut naître que d'un esprit religieux. Et, dans le monde entier, les cultures sont en train de dégénérer, de disparaître. Donc, la religion - nous allons en étudier le mot et tout le déroulement - la religion prend une importance extraordinaire.
17:01 Encore une fois, les scientifiques n'ont apporté aucune solution à nos angoisses humaines, à nos relations humaines. Alors, quand on observe tout ce que l'intellect a engendré, on voit qu'il n'a fait qu'amener davantage de malheur, de confusion. Là encore, c'est évidemment ce qui se passe.
17:44 Nous allons donc ensemble examiner, cet après-midi et demain après-midi, ce qu'est un esprit religieux. Je ne vais pas faire tout le travail, vous allez m'aider. Vous aussi vous devez travailler. C'est-à-dire que nous lançons un défi, exigeons, demandons... nous lançons au cerveau, à l'esprit dans sa totalité, le défi suivant : qu'est-ce qu'une personne religieuse?
18:42 Le mot 'religion' : on a consulté divers dictionnaires et tous, plus ou moins, disent qu'à l'origine, étymologiquement, - du latin, du grec, etc. - ce mot signifiait 'lier'. Mais ceci est contesté par beaucoup d'étymologistes. Ils disent maintenant que le mot religion veut dire le rassemblement de toute son énergie pour découvrir - ils ne disent pas quoi. Rassembler toute son énergie. Et nous disons : rassembler toute votre énergie pour découvrir ce qu'est la vérité, si la vie comporte quelque chose de sacré - pas les temples, les églises, les mosquées, ce n'est pas sacré, ce sont des illusions créées par la pensée. Mais il faut la liberté, une liberté psychologique absolue pour découvrir ou rencontrer ce qui est pleinement, complètement, irrévocablement sacré, non inventé par la pensée, par l'homme. Voilà donc le sens du mot 'religion'.
21:03 Et le mot 'esprit' comprend les activités sensorielles, toutes les réactions émotionnelles, les images - j'espère que vous suivez - les images, les croyances, les inquiétudes, l'aptitude intellectuelle à raisonner avec logique, avec raison - ou déraisonnablement, à se laisser pièger dans l'illusion, voir que l'on est pris dans l'illusion et s'en libérer - l'esprit, c'est tout cela. N'est-ce pas? N'est-ce pas, Monsieur? Quand nous parlons de l'esprit, cela inclut le cerveau, qui est extrêmement vieux, ancien, immémorial, ce cerveau qui a été conditionné depuis des millénaires - conditionnement génétique et conditionnement culturel, social, religieux. Voilà le cerveau, qui contient l'entière mémoire génétique, les expériences, le savoir de l'existence de l'homme ici-bas. Cela encore est un fait évident.
23:18 Et la tradition, les valeurs, les croyances, les dogmes, les concepts, transmis de génération en génération, font partie de ce cerveau, font partie de cet esprit. Tout le savoir que vous avez acquis récemment ou celui remontant à un passé immémorial, tout cela fait partie de l'esprit. Nous nous servons donc du mot 'esprit' pour communiquer la notion holistique d' un processus global issu du passé avec sa tradition, avec sa culture, ses rituels, avec tout ce que l'homme a moissonné.
24:41 Nous utilisons donc religion et esprit - nous avons expliqué verbalement ce que l'orateur entend par religion et l'esprit. Et nous demandons, ou plutôt lançons le défi suivant : qu'est-ce qu'un esprit religieux? C'est votre défi, pas le mien. Je ne vous accule pas à répondre. Après tout, l'existence, vivre, est un défi constant. Vous pouvez courber le dos ou vous enfuir, ou répondre selon une certaine tradition culturelle. Mais si vous répondez selon une certaine tradition, culture, ou un environnement particulier, cette réponse sera très restreinte. Nous disons donc, nous demandons, nous nous mettons mutuellement au défi de trouver, de découvrir par une observation attentive, par un un examen attentif, par une investigation de 'ce qui est' si 'ce qui est' peut être totalement transformé.
27:09 Révolution signifie collecter certains incidents, concepts, croyances, et engendrer un cycle, c'est-à-dire... suivez-vous tout ceci? Non, non. La révolution physique, française ou communiste, etc., est une résultante d'incidents, d'accidents, de concepts, d'idées, de conclusions, formant un cercle fermé. C'est ce qu'on appelle révolution. Je vais m'expliquer. Tout ceci vous intéresse-t-il? C'est un bon exercice pour nos cerveaux parce que cela fait partie de notre vie, tout le monde parle de révolution. En général, ce qu'ils entendent par révolution : les terroristes, même les idéalistes, et les communistes - pour autant qu'il s'agisse de communistes vraiment sérieux, pas des esclaves du totalitarisme, mais des gens qui proclament, qui étudient la révolution - ils entendent par là travailler selon des concepts, des conclusions tirées d'incidents, de l'environnement social, religieux, politique, et cela revient à former une boucle. On lance quelque chose pour se retrouver au point de départ. N'est-ce pas, vous suivez? Le point de départ - c'est tellement évident, non, faut-il expliquer tout ceci? - est de dire que le capitalisme, ou le socialisme, est dans l'erreur. Vous tirez une conclusion, des concepts, vous les développez, amenez les gens à les admettre, et on revient inévitablement, par la bureaucratie, à ce qui existait auparavant, cela revient à tourner en rond. Pour le cas où tout cela vous intéresse, il fut un temps où j'avais beaucoup d'amis communistes dont l'idée directrice était la thèse, l'antithèse, la synthèse. Synthèse, antithèse, ascension, ascension, changement. Toujours des concepts intellectuels fondés sur des conclusions intellectuelles. En ce cas, l'intellect n'étant qu'une fraction de la totalité de notre esprit, ce genre d'action intellectuelle ne peut être que facteur de division, de contradiction, de destruction. Ce n'est pas du tout dans ce sens-là que nous parlons de révolution. Nous parlons d'une révolution dans laquelle la structure psychologique de l'homme est radicalement, fondamentalement transformée. C'est la seule révolution qui soit. La révolution physique ne peut apporter de solution à la misère absolue de l'homme. Encore une fois, l'examen de toutes les révolutions le prouve. Tourner en rond pour revenir au même point, avec d'autres personnes dans de différentes situations.
32:24 Nous nous interrogeons donc, nous lançant mutuellement un défi et j'espère que c'est vous qui vous lancez un défi, pas moi. Le monde est un défi, votre mari, votre femme. Evidemment, les gourous n'osent pas vous lancer de défi. Le monde vous lance un défi, les choses de ce monde exigent une vraie réponse. Et vous ne pouvez plaquer sur ce défi vos idées personnelles. Bien.
33:16 Commençons donc par examiner ensemble, réfléchir ensemble à ce qu'est la nature d'un esprit profondément religieux, Car la religion est la seule solution. Voyez-vous, il y a tant de choses à étudier qu'on ne sait pas exactement par où commencer. Ou bien... Parfait, je le tiens. Ou vous percevez purement toute la nature et la structure de l'esprit, instantanément - j'entends bien la nature et la structure, le mot 'structure' étant utilisé dans le sens de mouvement. D'après le dictionnaire, structure signifie mouvement. Donc la nature de l'esprit et le mouvement qui se poursuit. Non pas ma description de l'esprit, pas ce que j'en dis, mais le fonctionnement de votre esprit, sa nature, sa qualité, sa profondeur, sa superficialité, s'il vit d'opinions, de paroles, de réactions superficielles, s'il est mené par un motif, que ce motif soit l'illumination, ou le sexe, l'argent, le pouvoir, ou de ne pas lâcher ce que vous possédez. Donc, nous posons le défi suivant : que sont la nature et le mouvement d'un esprit religieux? Bien? Il est évident que pour pouvoir étudier la nature d'un tel esprit, de l'esprit... global, sacré, totalement libre, pour pouvoir l'étudier il faut commencer par être libre, sinon l'étude est impossible. Toute forme de recherche exige que l'esprit observe soit microscopiquement, soit globalement toute l'activité humaine à l'extérieur, ou intérieurement, en pleine liberté de regarder. N'est-ce pas?
37:56 La liberté. Cette liberté n'a pas de contraire. Vous comprenez? Comprenez-vous ce que j'essaie d'expliquer? Un prisonnier qui exige d'être libre quand il est en prison, c'est absurde. Il peut imaginer être libre. La liberté n'existe que quand il quitte la prison. En fait, nous sommes presque tous captifs de notre propre prison. Et pour questionner une des plus anciennes demandes de l'homme, ce qu'est la qualité d'un esprit religieux, pour pouvoir étudier cela il faut la liberté de regarder. Ce qui signifie que vous n'appartenez à aucune religion N'est-ce pas? Vous n’êtes ni hindou, ni bouddhiste, ni musulman ni chrétien, avec tous leurs dogmes, leurs images et tout le reste. Donc, vous ne devez appartenir à rien, si vous voulez examiner ce qu'est un esprit religieux. N'est-ce-pas? Le faites-vous? Vous comprenez, Monsieur, c'est là une chose très sérieuse qu'il faut approfondir, ce n'est pas un jeu, on ne peut en faire une philosophie, - c'est-à-dire un tas de théories, de concepts. Une personne religieuse n'a pas de philosophie parce qu'un tel esprit est en présence de ce qui est éternellement sacré.
40:23 Voilà donc la première condition requise, dans la mesure où vous voulez examiner la question d'un esprit religieux. Ce qui prime dans toute recherche c'est la liberté, elle revêt une importance primordiale. Vous ne pouvez pas étudier la liberté ici puis retourner à votre temple. Impossible de retourner à votre tradition, à vos rituels, à votre puja, à toutes ces choses, à ce cirque énorme qui se produit au nom de la religion. C'est la toute première chose, si vous êtes un peu sérieux : n'appartenir à aucune organisation, aucune secte, aucun groupe, aucune communauté, car pour pouvoir étudier, il ne faut pas être entravé. C'est comme un âne attaché à un piquet ou entravé, il ne peut aller bien loin. C'est la toute première chose, si vous êtes vraiment sérieux, car aucun gourou, aucune Ecriture, aucun rituel, rien ne peut vous aider à découvrir. Ce qui ne signifie pas que l'on sombre dans la solitude. Cela ne signifie pas que vous devez rester tout seul à contre-courant - car l'humanité va dans ce sens-là, la tradition, elle accepte la culture dans laquelle elle vit, les choses épouvantables qui se passent autour d'elle, elle accepte cela. Et, en rompant avec elle, vous pourriez vous sentir isolé. Vous rompez avec elle parce que c'est une illusion qui ne peut d'aucune façon mener à la vérité. Et l'observation elle-même est l'opération de l'intelligence qui dit : ceci est faux ! Quand vous voyez ce qui est faux, la vision, la perception sont l'opération de l'intelligence.
44:08 Nous devons expliquer à nouveau le sens du mot 'intelligence'. Sommes-nous en communication ou vous contentez-vous d'écouter ce que je dis? J'entends par ce mot - je ne vais pas aborder ici son sens étymologique - non seulement lire entre les lignes, entre deux mots imprimés, mais encore voir ce qui se trouve derrière le mot, comprendre ce qui n'est pas écrit, le non-dit, sans déformation. Nous approfondirons cela à mesure que nous avançons. Car l'intelligence est l'essence de la compassion. Et il ne peut y avoir compassion sans fin de la souffrance, nous allons l'examiner à mesure, aujourd'hui et demain.
45:53 Lors de cet examen, de cette recherche, nous aborderons aussi la question de ce qu'est la méditation. Cela fait partie de notre ancienne tradition.
46:18 Nous avons dit que la liberté est nécessaire : liberté d'observer, liberté de découvrir ce qui est faux. Les commentateurs - qui font partie de la tradition hindoue, les commentateurs des Upanishads, de la Gita, il y en a tant - vous les lisez et ils ne vous aident jamais à découvrir le faux. Les commentateurs eux-mêmes pourraient être faux. Donc, comprendre l'esprit religieux passe d'abord par la liberté. La liberté implique qu'on n'est attaché à rien sauf à observer. Vous n'avez aucune opinion, aucune conclusion, aucun concept, seulement l'observation de ce qui a effectivement lieu. N'est-ce pas Monsieur? Allez-vous le faire? C'est dans ce sens là que nous communiquons.
48:12 Qui a créé les dieux, ou un dieu unique, ou son représentant, ou le fils de Dieu, ou les innombrables dieux avec leurs déesses, qui a créé tout cela? Ce que nous appelons religion : le temple, la mosquée, l'église, vous connaissez bien tout cela, qui les a créés? Répondez-y, Monsieur, répondez-y vous-même. C'est l'homme qui les a créés, c'est évident. La pensée a produit tout cela. Dieu, je suis sûr qu'il nous pardonnera - ce n'est qu'une plaisanterie, excusez-moi - Dieu est une invention de l'homme. Il y a les dieux hindous, opposés au dieu chrétien, le dieu musulman, mais les bouddhistes n'ont pas de dieux, même s'ils ont leurs propres Bodhisattvas, etc.
49:50 L'homme a donc créé cela à partir de sa souffrance, de sa peur, de sa mort, de sa confusion, de son incertitude, de son insécurité physique, c'est de cette matrice que les choses que nous avons appelées 'dieux' sont sorties. Et ces dieux ont été transmis de génération en génération. Si vous rejetez tout cela, alors vous inventez votre propre dieu. N'est-ce pas? Suivez-vous tout ceci? Vos propres concepts, vous devenez athées, ce qui est une autre forme de déisme. Ou bien, du fait de votre propre incertitude, de votre souffrance, de votre insécurité totale, vous désirez quelque chose de continu, quelque chose d'intemporel, qui ne connaisse pas la mort et vous créez, à partir de cette aspiration, une merveilleuse image à votre usage. Et vous dites : 'c'est la réalité'. Il faut donc comprendre pourquoi la pensée fait tout le temps ceci.
52:07 Elle le fait depuis des temps immémoriaux. Vous comprenez, Messieurs? Chaque tribu a fait cela. Dès l'instant où l'homme a commencé à penser, il a créé les dieux dans le ciel ou sur la terre et a vénéré une image, un arbre ou une pierre issue de sa main ou de son esprit. Regardez bien cela en vous, car aucune religion particulière, aucune religion tribale particulière ne va donner la réponse, ne va apporter de salut à l'homme. Il faut pour cela une religion globale !
53:28 Donc, liberté d'investiguer dans ce qui est faux. Je ne vais pas vous dire ce qu'est le faux. Observer ce qui a lieu, réellement, ce qui a lieu maintenant, et voir le faux ou le vrai dans ce qui a lieu maintenant, c'est investiguer et voir ce qui est illusoire et l'écarter totalement. N'est-ce pas? C'est le commencement de la liberté.
54:45 Et nous avons ensuite parlé de la peur, du désir, et de l'exigence perpétuelle de plaisir sous ses diverses formes - plaisir de la possession, d'un statut social, plaisir d'être quelqu'un, plaisir de s'identifier à un pays, à un groupe, à une conclusion, le plaisir du sexe, plaisir de sa propre expérience, de vivre cette expérience - et voir et mettre un terme à la peur, car un esprit étouffé par la peur ne peut jamais être religieux. Vous comprenez? C'est évident. Comment un esprit apeuré, qui dit : 'je dois trouver un réconfort pour sortir de mon insécurité, de ma confusion'... tant qu'il est en proie à la peur il ne peut avoir la qualité d'un esprit religieux. N'est-ce pas, Messieurs? Alors, au cours de la recherche, étes-vous délivrés de la peur? Sinon, il vous est impossible d'avoir un esprit qui soit l'essence de la religion. Car le désir, la peur, et la poursuite incessante du plaisir d'abord produisent la confusion, mais ces éléments, ces conditions constituent le moi, le 'je', le centre dont naissent toutes les activités. Cela ne veut pas dire que vous ne pouvez pas apprécier le chant de cet oiseau ou contempler un merveilleux coucher de soleil, ou le ciel à travers les feuillages. Ce n'est pas le plaisir. La contemplation du ciel à travers le feuillage est un enchantement, un sentiment de grande profondeur et de beauté, il se manifeste dans l'instant et, quand c'est fini, la pensée surgit et dit : 'quelle merveille d'avoir éprouvé cela, j'en veux encore'. C'est cet 'encore' qui est le plaisir, et non le moment précis où quelque chose de beau, de merveilleux est perçu. Vous comprenez tout ceci? Ne comprenez pas verbalement, faites-le de tout votre coeur.
58:54 Et pour être à même de comprendre la nature et la structure, c'est-à-dire le mouvement, d'un esprit religieux, il faut évidemment mettre fin à la souffrance. Je ne sais si vous avez un peu abordé cette question. Car cela fait des millénaires que l'homme porte le fardeau de la souffrance. Et c'est encore le cas. Où qu'il se trouve dans le monde, chaque être humain passe par le martyre des larmes, de la solitude, du chagrin, de la fin de quelque chose. Et, piégé là-dedans, chaque être humain ne sait comment s'en défaire, totalement, complètement. Les religions n'ont pas apporté de solution. Elles proclament : 'pensez à Dieu et oubliez-vous', ou 'le fils de Dieu s'est sacrifié, il souffre pour vous et vous épargne la souffrance'. Vous connaissez tous les jeux auxquels se livrent les religions.
1:00:51 Donc nous demandons, vous demandez : la souffrance peut-elle prendre fin, tout comme la peur? Car la peur fait partie de la souffrance. Et le désir fait partie de la souffrance. Et si vous approfondissez toute la question du mouvement du plaisir, vous voyez que celui-ci fait aussi partie de cette souffrance. Mais nous ne voulons que le plaisir, et éviter l'autre. Nous demandons donc: cette souffrance peut-elle prendre fin, pas votre souffrance personnelle mais la souffrance de l'humanité? La souffrance de l'humanité, c'est-à-dire la pauvreté, la déchéance absolue de la pauvreté, la division de classe, l'incertitude constante de la vie, les guerres imminentes, la destruction et la brutalité des guerres, - l'homme n'a jamais arrêté les guerres ! Vous comprenez tout ceci, Messieurs? Pas seulement votre petite angoisse personnelle mais l'angoisse de toute l'humanité, dont vous êtes. Donc, nous devons trouver une solution à ceci. Sans une solution, il ne peut y avoir d'esprit religieux, car quand arrive la fin de cette souffrance, quelque chose d'autre émerge - et ce n'est pas une promesse de ma part.
1:03:24 Nous devons donc chercher si la souffrance peut prendre fin. C'est-à-dire, la peur peut-elle prendre fin? Nous allons maintenant voir cela sans perdre de vue que les mots ne sont pas le fait. Le mot 'souffrance' n'est pas l'angoisse qu'on porte en soi. Et la description, si bien faite, si subtile, si vaste soit-elle n'est pas la réalité factuelle de la peur. Il nous faut aussi comprendre tout le sens de la mort, car elle fait partie de la vie - la fin des cellules cérébrales, la fin de tout ce que l'on a accumulé, moissonné, tout ce à quoi on a tenu.
1:05:48 Attendez-vous tous que je réponde, que j'approfondisse tout ceci? Qu'est-ce que la souffrance? Qu'est-ce que votre souffrance? Pouvez-vous répondre? Ne me donnez pas de réponse. Pouvez-vous découvrir la nature de votre souffrance? Est-ce la solitude? Serait-ce que vous avez été incapable de vous identifier à une chose ou une autre? Serait-ce que vous avez perdu quelqu'un que vous aimiez, l'objet d'une grande affection, une compagnie? Serait-ce que vous ne pouvez obtenir le pouvoir, le prestige qu'un autre possède? Examinez tout cela par vous-même. Serait-ce que vous désirez le bonheur et ne pouvez le trouver? Que vous voudriez être aimé et que personne ne vous aime? Monsieur, vous comprenez? Serait-ce que vous voudriez parvenir à un statut extraordinaire en sachant que vous n'en avez pas la capacité mentale, le cerveau, l'énergie nécessaire, et cela vous fait pleurer?
1:08:05 Maintenant, écoutez je vous prie. Ou bien vous prenez une souffrance après l'autre, un chagrin après l'autre, vous trouvez une solution à un chagrin particulier mais de cette solution même surgit un autre chagrin - vous comprenez? - ou pouvez-vous observer la nature de toute cette souffrance - comme un tout? Vous comprenez? Pas une souffrance particulière, le particulier ne peut jamais mener au tout, le particulier est une pièce détachée et la pièce détachée n'est pas le tout. Pouvez-vous voir la vérité que ceci comporte : le particulier ne peut absolument pas mener au tout. Et vous pouvez bien étudier chaque aspect particulier dans l'espoir de parvenir à la fin de la souffrance, mais c'est chose impossible car une souffrance mène à une autre souffrance. N'est-ce pas? Je me demande si vous comprenez tout ceci?
1:09:41 Alors, pouvez-vous observer toute la nature, tout le mouvement de la souffrance? C'est-à-dire, l'observer totalement. Par 'totalement' j'entend avoir un esprit très clair, logique, sain, une observation saine, logique, claire, précise, cette précision n'étant pas diluée par vos préjugés, vos aspirations, vos motifs, de sorte que vous pouvez observer sans aucune déformation. Autrement dit, pouvez-vous écarter vos opinions, vos conclusions ou les conclusions du commentateur, ou celles de la Gita, des Upanishads, de la Bible, ou du Coran, écarter toutes ces conclusions, ces concepts, et observer complètement tout le mouvement de l'angoisse et de la souffrance de l'homme? Vous comprenez? Parvenir au tout par le canal du particulier, c'est faux ! Non? Et, quand vous voyez que c'est faux, le faux s'écroule ! Cet effondrement, cette disparition ou cette non-existence, cette perception même du faux est le commencement de l'intelligence. C'est cette intelligence - qui n'est ni à vous, ni à moi, qui n'est pas une intelligence particulière - c'est cette vision de ce qui est vrai et de ce qui est faux. Pas ce qui est vrai selon vos conclusions, selon vos préjugés, selon vos traditions. Il faut être libre de tout cela.
1:12:45 Pouvez-vous donc observer non seulement votre propre souffrance, mais celle de l'humanité dont vous faites partie, comme un tout - la souffrance d'une personne physiquement malade et la souffrance d'une personne qui ne croit en rien? Et cette personne qui ne croit en rien est identique à celle qui croit. Ne soyez pas d'accord avec moi, s'il vous plaît, ceci est très, très sérieux. Il s'agit de votre vie.
1:13:52 Peut-on, comme nous en avons parlé l'autre jour, observer non pas une certaine peur, mais la racine de la peur? Nous avons dit que la racine de la peur est le temps, le temps est la pensée, la pensée est la peur. N'est-ce pas? Nous avons approfondi cela avec grand soin l'autre jour. De même, cet énorme fardeau de l'homme qu'on nomme la souffrance, peut-il jamais prendre fin? Dès l'instant où vous avez le motif d'y mettre fin afin d'obtenir autre chose, vous êtes perdu. Il n'y a donc pas de motif dans l'observation de la souffrance. Vous comprenez? Quand il y a un motif - motif signifiant mouvement - quand il y a un mouvement d'intérêt pour soi, l'observation est déformée. N'est-ce pas? Quand aucun motif n'entache votre examen de cet énorme fardeau qui pèse sur l'homme, cette souffrance est-elle distincte de vous? Vous comprenez? Non, je vous en prie, Monsieur, regardez la chose, pénétrez la. Vous comprenez? Comme vous êtes la peur, vous êtes la colère, vous êtes la jalousie - la jalousie n'est pas distincte de vous, votre avidité n'est pas distincte de vous. C'est notre tradition - pas la mienne ! - c'est la tradition qui dit : 'vous êtes distinct de votre avidité, alors luttez, battez-vous, maîtrisez-la'. Nous disons tout le contraire : la colère est vous. Dans un accès de colère - la colère étant la violence et tout cela - à l'instant de cette colère il n'y a pas de vous, mais seulement cette réaction. Puis, la pensée s'identifie à cette réaction en disant : 'c'est de la colère, j'ai été en colère'. Par conséquent la pensée se sépare de cette chose appelée colère. J'espère que vous suivez tout cela. Nous l'avons approfondi.
1:17:37 Nous disons que l'observateur est l'observé, le penseur est la pensée, l'expérimentateur est l'expérience, et la souffrance n'est pas distincte de lui-même. Vous comprenez? Quand il arrive qu' il n'y ait pas de division entre vous et ce que vous observez, c'est-à-dire que l'observateur est l'observé, l'homme qui verse des larmes ou la femme qui pleure sont eux-mêmes cette souffrance. Vous comprenez? Cette souffrance n'est pas distincte de lui ou d'elle. En l'absence de toute division, l'observation de la chose observée provoque un changement radical dans ce qui est observé. Y a-t-il une observation de la souffrance sans l'observateur?
1:19:03 Vous comprenez ce que je dis? Je perds mon fils et je suis égaré. C'est un choc, j'en suis paralysé pour l'instant. Puis je prends conscience que j'ai perdu quelque chose que je chérissais, que j'ai tenu dans mes bras, avec lequel je me suis identifié, mon fils. La souffrance est donc la perte de cela. Alors je demande : 'je vous en prie aidez moi à me débarrasser de ma souffrance'. Ou : 'je reverrai mon fils dans ma prochaine vie'. Vous suivez? Eviter ou fuir ce qui se passe en réalité. L'observation de ce qui est en train d'avoir lieu - quand on a perdu un fils, un mari, une femme, ce qui se passe en réalité - s'il n'y a dans cette observation aucune division, quand l'observateur est l'observé, alors, dans cette observation, l'observé subit un changement radical, fondamental. Faites-en l'essai !
1:20:55 Car dans notre recherche sur ce qu'est une vie religieuse, toute forme de peur, toute activité de volonté - laquelle est l'essence du désir - toute forme de quête de plaisir déformera votre observation - déforme non pas votre observation mais l'observation.
1:21:32 Nous disons donc qu'il y a une fin à la souffrance. Et quand il y a une fin à la souffrance il en émane la passion - pas la passion amoureuse - la passion qui est compassion. Donc un esprit religieux - nous interrogeons, nous n'apprenons pas, ne mémorisons pas, vous comprenez. Vous comprenez? Les livres sacrés - non, pas sacrés - les livres disent, votre livre traditionnel dit : 'L'homme parfait qui est parvenu à l'illumination est comme ceci ou cela, il a tel caractère ou tel autre caractère' etc., il donne une description complète de ce qu'est l'homme illuminé. Mais la description n'est pas la chose décrite, par conséquent vous pouvez jeter tous ces livres. Pour découvrir par soi-même, il faut qu'il y ait liberté, liberté à l'égard de la peur. Et le plaisir est toute autre chose que la perception de quelque chose de beau, de merveilleux, d'un ciel splendide, ou d'une étoile solitaire dans les cieux, ou d'un arbre solitaire dans un champ. Il y a là une grande beauté, un grand amour, une grande joie. Mais quand la pensée s'en empare, cette joie devient plaisir.
1:24:07 Nous disons donc que la peur peut connaître une fin totale et, quand la peur arrive à son terme, il n'y a plus la moindre illusion. Et cette fin de la souffrance il y a la passion, ce sentiment extraordinaire d'une énergie phénoménale. Pas l'énergie de faire davantage de bêtises, mais l'énergie de cette intelligence illimitée de la compassion.
1:25:03 Il est temps d'arrêter maintenant, c'est l'heure. Nous devons également approfondir toute la question de la mort et ce qu'est la méditation, parce que la compréhension de ces choses donne lieu à l'esprit religieux. L'esprit religieux survient quand nous comprenons toute l'existence humaine, la relation qui ne comporte ni peur, ni domination, ni contrôle, quand nous savons ce qu'est l'amour, quand il y a amour - nous aborderons tout cela demain - car l'amour n'a aucun souvenir, l'amour n'est pas le mouvement du désir, l'amour n'est pas l'activité du plaisir. Voilà pourquoi il est tellement essentiel de comprendre tout ceci parce que nous avons perdu cette chose, nous ne l'avons probablement jamais eue, cette chose appelée l'amour. Bien, Messieurs.