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OJ80T6 - L'action, l'observation, et mourir tout en vivant
6e causerie
Ojai, Californie, USA
18 mai 1980



0:36 J'espère que l'on se rend compte que cette réunion de dimanche matin n'est pas un amusement ou un divertissement, ni une sorte de soi-disant renaissance spirituelle. Nous sommes plutôt sérieux, et avons surtout parlé durant ces entretiens et ces séances de questions-réponses du problème complexe de la vie dans sa totalité. Et ensemble, avec l'orateur, nous essayons de résoudre tous nos problèmes. Pas seulement le problème de la peur, de l'avidité et de l'attachement, mais aussi, la question dont nous avons parlé hier, à savoir que l'amour n'est pas le désir. L'amour n'est pas l'expression d'un plaisir permanent.
2:33 Et nous voudrions ce matin, comme c'est le dernier entretien, explorer la question de savoir ce qu'est l'action, de la signification de la mort, et aussi ce qu'est la méditation, un mot très galvaudé. Parce que cela concerne l'essentiel de notre vie. Nous n'essayons pas de prouver quoi que ce soit, ni de vous convertir à un nouvel ensemble de croyances ou d'idéaux, ni de nous livrer à une quelconque propagande. L'orateur a tout cela en horreur. Mais ensemble, avec l'orateur, si vous le voulez et si vous êtes sérieux, nous allons explorer toutes ces questions.
4:00 Même si, pour la plupart, vous avez probablement été présents ici ces deux dernières semaines, nous allons maintenant examiner ce qu'est l'action. Parce que l'essentiel de notre vie est action : toutes nos relations sont action, nos attitudes, notre comportement, nos particularismes personnels, notre retenue ou notre liberté d'exprimer ce que nous aimons ou n'aimons pas. Nous sommes violents, agressifs, disposés à obéir, à croire. Tout cela est action. Cela ne se limite pas à aller tous les jours au bureau pendant cinquante ans d'affilée - je ne sais pas comment vous tolérez cela - ou à effectuer un certain travail, jour après jour, pour le restant de la vie. Tout cela est aussi de l'action. Et tous ces modes d'action sont fondés sur le savoir passé modifié par le présent, et se prolongeant dans le futur.
6:12 Je vous en prie, comme nous l'avons dit, nous discutons ensemble. Nous n'essayons pas de communiquer ou de dire quelque chose qui ne soit pas clair. Ensemble, vous et l'orateur, devons explorer cette question de l'action, tachant de découvrir s'il existe une action complète, ne comportant ni regrets, ni le sentiment d'une action partielle, non aboutie, et par conséquent source de conflit, de division, et ainsi de suite.
7:24 Voilà donc ce que nous allons faire ce matin, par cette belle journée, si vous êtes sérieux, et désireux d'explorer cela, comme nous l'avons fait des les autres problèmes de la vie. Nous traitons de la vie, c'est-à-dire de notre vie quotidienne : nos conflits, notre confusion, nos jalousies, notre agressivité, nos attachements, nos croyances, notre lutte incessante contre la douleur et la souffrance. Telle est notre vie. Et pour fuir ce tourment, nous nous tournons vers diverses philosophies et sujets psychanalytiques, dans l'espoir de résoudre au quotidien nos conflits, malheurs et confusions. Apparemment, nous ne les affrontons jamais. Nous avons très soigneusement cultivé diverses formes de fuites, tout un réseau, religieux, sensasionnel, vulgaire, etc.
9:17 Donc ce matin, comme pour les matins précédents, nous allons considérer ensemble - l'orateur ne vous dit pas ce qu'est l'action - nous allons comprendre ensemble la nature de l'action, et s'il existe une action si complète, si totale, qu'elle ne laisse aucune cicatrice dans notre vie quotidienne qui soit de nature à engendrer le conflit. Qu'est-ce que l'action, le faire? Pour la plupart d'entre nous elle est fondée sur le savoir accumulé, sur l'expérience et de là, l'action. Bien? J'espère que nous suivons. Autrement dit, passer des années à étudier, à s'exercer et acquérir beaucoup de savoir, et à partir de là, agir avec compétence ou pas. C'est ce que nous faisons tout le temps. Un charpentier, un scientifique, un astrophysicien ont la même démarche qui consiste à acquérir du savoir, à enrichir ce savoir en le modifiant, en le changeant, mais la base est d'acquérir du savoir, et d'agir à partir de ce savoir. L'alternative étant d'agir, puis d'apprendre de cette action. De faire immédiatement la chose qui vous plaît, d'apprendre de cela, d'acquérir du savoir en agissant. Les deux sont donc semblables. J'espère que nous saisissons tous cela. Ainsi, l'acquisition du savoir se fait soit par l'étude en apprenant progressivement par l'expérience et en agissant sur la base de ce savoir, soit en agissant à travers l'action et acquérant ainsi plus de savoir. Les deux choses sont semblables. Vous comprenez? Notre action se fonde donc sur le savoir et sur une grande quantité d'informations, d'où résulte la compétence. N'est-ce pas? Et comme nous l'avons dit, le savoir est toujours incomplet. Je pense qu'il faut le comprendre très clairement. Le savoir ne peut jamais être complet. Que l'on soit astrophysicien, scientifique, peintre, musicien, pianiste, charpentier ou plombier, le savoir ne peut jamais, jamais être complet. Et ainsi, le savoir va toujours de pair avec l'ignorance. Donc quand notre action repose sur le savoir, elle est forcément incomplète. Il faut voir cela très clairement.
14:07 Et, dans la vie quotidienne, dans nos relations mutuelles, intimes ou pas, l'action se fonde sur des souvenirs antérieurs, des images que nous nous sommes faites l'un de l'autre et d'où nous agissons. Voyez tout cela clairement, je vous prie. Parce que la question qui suit risque d'être plutôt difficile si vous ne comprenez pas vraiment ce point. A savoir que l'action fondée sur le savoir, sur l'image, dans nos relations mutuelles, ne peut qu'engendrer division, conflit, partialité. Et dans cette relation mutuelle, ou bien il n'y a pas d'images du tout, auquel cas la relation est réelle, ou s'il y a une image, celle-ci est le produit du savoir et l'action découle de cette image. Notre relation, intime ou autre, est alors partielle, fragmentée, cahotique. Et donc l'amour ne peut jamais exister dans cette relation. L'amour n'est pas un souvenir, comme la Fête des Pères, des Mères et toute cette affaire. C'est bien une affaire commerciale.
16:19 Alors, existe-t-il une action qui ne soit pas issue du temps? Je vais l'expliquer soigneusement. L'acquisition du savoir, dans n'importe quel domaine, demande du temps. Il faut du temps pour se connaître mutuellement, d'autant plus pour une relation intime. Toute notre action résulte donc du savoir et du temps. N'est-ce pas? Non seulement le temps de l'horloge, du lever et du coucher du soleil, mais aussi le temps psychologique. C'est-à-dire : 'je suis, je serai'. 'Je n'ai pas, mais j'aurai'. Ou, 'je suis avide, coléreux, violent, mais le temps m'aidera à résoudre cela'. Ainsi, notre esprit est une construction de la pensée, du temps et du savoir. Donc notre action est la résultante de cela. Si vous l'examinez attentivement, toute notre action repose là-dessus. Et donc, puisque le savoir est incomplet, que la pensée est incomplète, le conflit est inévitable entre deux personnes, que ce soit entre l'homme et la femme, ou entre l'homme et l'homme, - toute l'histoire de la relation. Comprendre cela ou en être conscient intellectuellement... La prise de conscience intellectuelle est partielle, car l'intellect n'est qu'une part de notre vie. La prise de conscience émotionnelle est tout aussi partielle. Il s'agit donc d'en être complètement conscient, avec tout ce que cela implique. N'est-ce pas? Nous avançons ensemble, je l'espère? Vient alors la question suivante : y a-t-il une action
19:24 - doucement, je vous prie - y a-t-il une action qui ne résulte pas du savoir? Vous suivez? C'est une question; nous n'y répondons ni par oui, ni par non. Pour apprendre une langue, une technique, pour devenir techniquement compétent en informatique, etc., il faut une compétence basée sur le savoir. Là, c'est nécessaire. N'est-ce pas? Ce que nous demandons est très différent : nous agissons psychologiquement à partir du savoir. Je vous connais depuis quelques années, j'ai construit une image de vous et j'agis avec vous sur la base de ce savoir. N'est-ce pas? Notre recherche porte sur la mémoire psychologique, d'où surgit l'action. N'est-ce pas? Avançons-nous ensemle? Je vous en prie, nous explorons quelque chose de très, très subtil et difficile, et si vous ne suivez pas, je n'y peux rien. C'est très simple si vous vous y appliquez. Si vous écoutez attentivement, non seulement ce que dit l'orateur, mais aussi ce qui se passe dans votre propre esprit. A moins que vous ne préfériez dormir, prendre un bain de soleil ou vous restaurer. Vous devez donner un peu d'attention à cela. Psychologiquement, nous avons échaffaudé tout un savoir
21:29 à partir duquel nous agissons. Autrement dit, notre savoir est égocentrique. N'est-ce pas? 'Je veux, je ne veux pas, je suis avide, je dois m'accomplir, la sexualité m'est nécessaire', etc., etc. C'est ainsi que, psychologiquement, nous avons construit une image de nous-mêmes et des autres. Cette image, ce symbole, ce mot constitue le savoir. N'est-ce pas? Donc, ce savoir egocentrique à partir duquel nous agissons, est essentiellement égoïste. N'est-ce pas? Et quand l'action provient d'un état égocentrique, une telle action ne peut qu'être nuisible, blessante, violente, cause d'isolement. N'est-ce pas? Je ne sais si vous avez remarqué, si vous avez étudié votre propre vie, que, pour la plupart, nous sommes si égotistes si enracinés dans notre vanité égocentrique que nous construisons un mur autour de nous. N'est-ce pas? Si je suis agressif, j'ai déja construit ce mur autour de moi, et à partir de cet état, je veux agir. N'est-ce pas? Voyez tout cela en vous, Monsieur. Vous êtes réellement en train de vous observer, si vous le voulez, dans le miroir que l'orateur vous présente. C'est votre miroir, pas mon miroir. Ainsi, nous autres, êtres humains, partout dans le monde, bougeons, agissons à partir de ce centre. N'est-ce pas? Et tant que nous agissons à partir de ce centre, il y a forcément conflit. Comme nous l'avons souligné depuis le début de ces entretiens, notre préoccupation est d'éliminer le conflit, qu'il soit national, économique, social, les guerres, les conflits entre religions, doctrines, croyances, superstitions et rituels qui font partie de la superstition. Tant qu'existe cet élément de division dans l'esprit il y a inévitablement conflit. Et cet élément facteur de division existe tant que notre action est égocentrique. N'est-ce pas? Et cet état égocentrique est l'accumulation du savoir et de l'expérience emmagasinés dans le cerveau, et dans cet état, il y a cette quête constante de 'moi et mon expression'. N'est-ce pas? D'où la question suivante :
26:12 est-il possible d'agir, de vivre sans cet égocentrisme? Il s'agit donc d'une question très sérieuse, pas d'un délire évangéliste dominical, c'est une chose qu'il nous faut explorer avec très grand soin. Parce que les êtres humains, depuis l'aube des temps, ont vécu dans le conflit. Et nous vivons toujours dans cet état après des millions et des millions d'années. Il y a donc quelque chose de radicalement faussé : en dépit de toutes les philosophies, religions, croyances, nous sommes encore dans l'animalité, nous avons encore ce centre terriblement destructeur d'où nous agissons. J'espère que nous ne nous bornons pas à écouter un tas de mots et que vous observez votre esprit en étant conscient de votre propre esprit travaillant, regardant, questionnant, demandant s'il existe une tout autre façon de vivre sans être captif du même schéma vieux d'un million d'années. N'est-ce pas? Veuillez vous poser cette question avec le plus grand sérieux, parce que nous nous détruisons, nous détruisons la terre, l'air et nous détruisons les êtres humains. Notre responsabilité est donc énorme.
28:47 J'utilise ce mot 'responsabilité' sans connotation de culpabilité. Si vous vous sentez responsable, vous agissez. Mais si vous n'agissez pas, vous ne vous sentez pas coupable. Vous n'êtes simplement pas responsable. Qu'est-ce donc que ce centre?
29:18 N'est-ce pas? Comment est-il apparu? Et nous avons dit que nous parlerions aussi de la mort. Quand la mort survient, le centre de cette action prend fin. Vous suivez ce que je dis? Je vais l'expliquer, l'explorer avec soin. D'abord, nous demandons : ce centre peut-il prendre fin tout en menant cette vie, sans se rendre dans un monastère, sans s'identifier à une utopie ou idéologie quelconque, et dire 'je n'ai plus de centre', ce qui serait absurde. Parce que vous n'avez fait qu'identifier le centre à autre chose. N'est-ce pas? Je ne sais si vous voyez cela. Autrement dit, cette activité egotiste, avec ses plaisirs, peurs, anxiétés, etc., ce centre, cet ego croit à quelque chose et s'identifie à ce quelque chose, à une image, à une doctrine et ainsi de suite; il peut changer de nom, mais le centre est toujours là. Vous suivez cela? Bien ! D'où notre question : peut-on mourir à cela
31:12 et cependant vivre, être actif, travailler, aller de l'avant? C'est-à-dire, aller de l'avant sans créer de conflit. Vous suivez? Il faut donc se demander ce qu'est ce centre auquel l'esprit, le cerveau, la forme, le nom se cramponnent? Vous comprenez? Je ne sais si vous suivez tout cela? Nous demandons : quelle est la nature et la structure du moi? N'est-ce pas? Qu'êtes-vous? On ne peut le découvrir qu'en absence de toute présomption. N'est-ce pas? Si l'on dit, 'et bien, je suis ce que je suis', on ne peut alors découvrir ce que l'on est. Ou, 'Je crois être une entité spirituelle', là encore, on ne peut le découvrir. Ou si son approche comporte un préjugé, c'est impossible. Donc pour explorer cela, il faut être libre d'observer. Sachant que l'observation n'est pas l'analyse. Il vous faut aussi bien comprendre cela. Notre esprit et notre cerveau sont entièrement formés à l'analyse. Tel a été notre schéma de vie. Et quand on voit que vivre selon ce schéma n'a pas mis fin au conflit, il faut regarder dans d'autres directions. N'est-ce pas? L'autre direction, c'est l'observation. L'observation sans direction, ce qui veut dire, pas d'analyse. Désolé s'il y a des analystes ici, qu'ils me pardonnent ! Si vous n'êtes pas d'accord, pas de problème, mais accompagnez-moi, l'orateur. Lorsque vous observez,
34:08 quand la pensée intervient dans cette observation, vous l'orientez dans un certain sens en fonction de votre mémoire, motif, désir. N'est-ce pas? Il n'y a alors pas d'observation. Votre désir, votre motif, votre plaisir dirigent l'observation. N'est-ce pas? Ainsi, pour observer effectivement ce que vous êtes, votre approche doit être libre. Et c'est là notre difficulté, parce que nos esprits sont conditionnés. Et du fait de ce conditionnement, notre approche est toujours limitée. N'est-ce pas? Alors, assis ici ce matin, parlant ensemble, pouvez-vous être libre de cela? Libre de vos préjugés, de votre analyse, de l'agressivité que comporte votre analyse, de tout cela. Simplement observer, comme on observe son visage dans un miroir quand on se coiffe, quand on se rase. N'est-ce pas? Dès lors, qu'est-ce que ce 'je', cet ego, ce 'moi'
35:56 auquel nous donnons une si formidable importance? Car on doit découvrir si c'est quelque chose de réel - pas une illusion, vous comprenez? - une chose que l'on peut toucher, ressentir, regarder, et pas une sorte d'illusion qu'on a créée. Il faut alors découvrir quelle est la nature de ce 'moi'. Parce que nous allons discuter aujourdhui non seulement de ce dont nous avons parlé auparavant, mais encore de ce qu'est la mort. Tout cela est lié. A coup sûr, le 'moi' s'est construit par l'éducation, la comparaison, la soi-disant culture, la prétendue idée d'individualité; tout cela est le mouvement de la pensée qui a créé le 'moi'. Vous comprenez? C'est bel et bien ainsi; le 'moi' qui est agressif, le'moi' qui croit fermement à quelqu'idée grotesque, qui est romantique, terriblement esseulé, et fuyant cette solitude à travers toutes sortes d'idioties. Ainsi, tout cela est ce 'moi', élaboré par la pensée. N'est-ce pas? Quand vous parlez 'd'âme' et de toute cette affaire, c'est encore la pensée. Et nous disons : c'est de cela qu'émane l'action, n'est-ce pas? Existe-t-il une action qui ne soit pas égocentrique?
38:49 N'est-ce pas? Pour l'exprimer très simplement. Qui n'est pas motivée, orientée de manière égoïste. Parce que cela a fait des ravages dans le monde. N'est-ce pas? Pas seulement dans nos relations personnelles, mais avec nos voisins, proches ou éloignés. Alors, ce mode d'existence égocentrique peut-il prendre fin, alors qu'on est vivant, actif, pensant, sensible dans ce monde? Autrement dit, nous avons bâti psychologiquement, un grand savoir à notre sujet. Peut-on mourir à tout ce savoir psychologique? N'est-ce pas? Et, est-ce cela la mort? Vous suivez? Vous savez, nous avons si peur de la mort.
40:18 Nous n'avons jamais ni cherché à comprendre un esprit qui n'a pas peur - ce dont nous avons parlé l'autre jour - ni étudié ce qu'est la mort. N'est-ce pas? Voyez-vous, nos esprits s'accrochent à une continuité. N'est-ce pas? Il y a une sécurité dans la continuité : 'j'étais, je suis, je serai'. Ce concept, cette idée procure une force énorme. N'est-ce pas? Je me sens en sécurité, à l'abri. Et la mort est la négation de tout cela. N'est-ce pas? Ma sécurité, mon attachement à tout ce que j'ai rassemblé. Et nous avons peur de perdre cela. C'est-à-dire de pénétrer quelque chose d'inconnu. N'est-ce pas? Parce que nous avons toujours vécu avec le connu. Vous suivez tout cela? Suivez, je vous prie, c'est votre vie : votre accablement, vos malheurs, vos dépressions, votre solitude, c'est votre vie. Tôt ou tard vous devrez l'affronter. Du moins si vous voulez comprendre et vivre différemment, sans le moindre problème, sans l'ombre d'un conflit, avec beaucoup d'affection et d'amour. Du moins si c'est ce que vous voulez. Mais sinon, continuez comme vous le faites, maintenez le vieux schéma, amenant beaucoup de malheur, aux autres et à vous-même, la guerre et tout le malheur qui a lieu dans le monde. Cela dépend de vous. Donc notre vie, notre vie quotidienne, telle que nous la connaissons,
43:22 telle que nous en sommes conscients, est une succession de luttes incessantes, de conflits entre personnes, si intimes soient-elles, tout cela, dans un climat de confusion : un politicien disant une chose et un autre son contraire, un économiste éminent contredisant un autre économiste, un scientifique... vous connaissez la chanson. Cette lutte constante les uns contre les autres et en nous-mêmes. Telle est notre vie. N'est-ce pas? C'est une réalité, pas une théorie, ni une chose imposée par un autre, vous êtes cela ! Est-ce donc cela qui nous fait peur : tout perdre?
44:34 Vous comprenez ce que je dis? Permettez que je prenne peut-être un bon exemple, à savoir l'attachement - désolé de le répéter pour ceux qui l'ont déja entendu. On voit la nature et la structure de l'attachement, les conséquences de cet attachement : la douleur, la jalousie l'anxiété, la haine, le plaisir, ainsi qu'une fine couche, un vernis de soi-disant amour. Aller à l'usine ou au bureau, être secrétaire sténodactylo, vous suivez, jour après jour, sans interruption pendant cinquante ans. Quelle manière tragique de vivre ! Ou vous fuyez tout cela vers une autre idiotie. Avec, là encore, le conflit, l'agressivité, le plaisir, et vous répétez le même schéma sous une autre forme. Et c'est ce qu'on appelle vivre. Et il y a tous ces prêcheurs, ces prêtres,
46:21 les autorités soi-disant religieuses, la hiérarchie, qui disent : 'le paradis n'est pas ici-bas, il est là haut. Il faut avoir la foi.' N'est-ce pas? Pour comprendre, pour éviter tout cela, il faut avoir la foi. Je me demande si vous avez remarqué que les religions se fondent sur des livres. N'est-ce pas? Ici, dans la chrétienté, c'est la Bible. N'est-ce pas? Et dans le monde islamique, c'est le Coran. Dans le monde bouddhiste et hindou, il y a de très nombreux livres. Il n'y a pas de livre unique avec ses commandements. Ainsi, ces religions fondées sur les livres refusent le doute. Explorez cela avec moi. N'est-ce-pas? Si vous doutez, c'en est fini de toute la structure religieuse dans le monde occidental, comme d'ailleurs dans le monde bouddhiste et hindou. La foi a donc remplacé le doute. Je ne sais si vous avez exploré cette question du doute. L'extraordinaire effet nettoyant qu'il a sur l'esprit ! Bien sûr, si vous doutez de tout, vous finissez dans un asile psychiatrique ! Mais il faut savoir quand douter. C'est-à-dire : si vous avez un chien, vous savez quand il faut le tenir en laisse et quand il faut le détacher, pour lui donner un peu de liberté; on ne peut tout le temps le tenir en laisse, pauvre chien ! De même, il faut tenir le doute en laisse et parfois le détacher. Ce qui veut dire commencer avec l'incertitude - vous comprenez? - pas avec la certitude - suivez cela, je vous prie ! Les livres vous donnent une certitude. N'est-ce pas? La Bible, celui-là ou un autre. Vous devez y croire. Cela démarre donc dans la certitude, puis l'on commence à examiner, et cela finit dans l'incertude. Tandis que si l'on démarre dans l'incertitude on peut aboutir à quelque chose au-delà de la certitude, au-delà de tout le reste. Nous allons examiner cela présentement. Alors, pouvons-nous, dans notre vie intime ou autre,
50:18 nous libérer de l'attachement, immédiatement, ce qui est la mort ! Vous comprenez ce que je dis? Vous comprenez? On ne discute pas avec la mort. Vous ne pouvez dire à la mort : 'Laissez-moi un peu de temps, attendez s'il vous plaît'. Mais vous savez ce qu'est la mort, c'est la fin - n'est-ce pas? - finir tandis que l'on vit, mettre fin à l'attachement. Vous suivez maintenant? C'est ce que la mort va vous dire : 'Vous devez tout laisser derrière vous'. Mais une telle fin est effrayante. N'est-ce pas? Alors vous croyez en la réincarnation - un espoir et tout le reste - ou au ciel, en la résurrection, etc. Maintenant, pendant que vous vivez, pouvez-vous mettre fin à quelque chose? Pas au tabac ni à toutes ces sottises, mais bien plus profondément, psychologiquement : mettre fin à votre avidité, à votre agressivité, à vos croyances dogmatiques et expériences, vous suivez, y mettre fin. La fin de quelque chose donne lieu à un tout nouveau commencement. Bien? Je me demande si vous le voyez. Mais y mettre fin au moyen de l'analyse, de la volonté n'est pas y mettre fin. N'est-ce pas? C'est difficile. Bien, je vais l'expliquer. S'il y a un motif à vouloir mettre fin,
52:50 alors ce motif est érigé par la pensée, le désir, et quand vous passez par l'analyse pour y mettre fin, c'est encore le processus de la pensée - n'est-ce pas? - qui continue sous d'autres formes, mais vous y avez mis fin dans une direction déterminée. N'est-ce pas? L'avez-vous compris? Bien. Nous disons donc d'observer sans direction
53:34 l'attachement, l'agressivité ou votre violence. L'observer sans aucun motif, aucune direction, aucun désir, l'observer, c'est tout, et cette observation met fin d'elle-même à la chose. Et vous invitez donc la mort de votre vivant. Vous suivez? Je me demande si vous le comprenez? Ce n'est pas se suicider, cela, c'est autre chose. Mais l'esprit vivant dans le conflit, la peur, la souffrance, sans aucun sentiment d'affection, d'amour, parce qu'il est égocentrique - et qu'une des nombreuses facettes de cet égocentrisme est l'agréssivité, la compétition, l'avidité - [peut] mettre fin à un ou à plusieurs de ces facteurs, instantanément, facilement. Vous vivez alors une vie d'un genre bien différent dans ce monde. La mort est alors présente pendant que l'on vit. Vous comprenez?
55:05 Comprenez-vous cela? Pas à la fin de la vie, quand vous êtes vieux, gaga, malade, inconscient, passant par tout ce malheur, vous comprenez? Mais mettre fin à toutes les choses accumulées par l'esprit avec aise, avec une certaine grâce, afin que l'esprit ait une qualité différente. Vous comprenez? Un tel esprit n'a pas cette continuité et cette ténacité. Et puis, nous devrions aussi nous entretenir, comme deux amis,
56:22 d'un problème très, très complexe - notre vie est un problème complexe, malheureusement - celui de la religion, de la méditation, et voir s'il y a quelque chose au-delà de toute matière. Vous comprenez ma question? Les religions, ou plutôt l'homme s'est toujours demandé
57:05 s'il y a quelque chose de plus que cette existence matérielle : la routine quotidienne, le travail, cette solitude, la douleur et la souffrance incéssantes. L'homme, depuis des temps immémoriaux, s'est demandé s'il y a quelque chose au-delà. Il a toujours été en quête de cela, et les prêtres et les esprits qui veulent institutionnaliser cela - la quête, l'interrogation - en ont fait une religion. N'est-ce pas? Ils en on fait une organisation, une institution. Et l'homme qui cherche s'y laisse prendre. Je ne sais si vous voyez. Il faut donc découvrir si l'on est pris là-dedans. Ou vous poursuivez votre recherche - n'est-ce pas? - sans croyance, sans foi, mais cherchant, observant, questionnant. N'est-ce pas? C'est-à-dire, vous vous demandez s'il y a quelque chose de plus que cette existence, ce bien-être matériel, pour savoir s'il y a quelque chose bien au-delà de l'existence limitée de l'homme. N'est-ce pas? Nous allons explorer cela ensemble, pas juste moi, et vous, vous contentant d'écouter, ce qui est très facile. Une fois parti, vous oubliez tout ce que vous avez entendu. Mais si c'est votre vie, votre souci quotidien, alors cela vous appartient. Comment vous... Non, pas comment.
59:42 De quelle manière explorez-vous cette question? Vous comprenez? Nos esprits, nos cerveaux sont le produit du temps. N'est-ce pas? Pendant des millions et des millions d'années le cerveau a évolué, s'est développé, accumulant des savoirs de toutes sortes à travers l'expérience, la douleur. Voilà ce qu'est notre cerveau. Toujours en quête de sécurité, tant physiquement que psychologiquement. Son essence même est : 'donnez-moi la sécurité'. Parce que, quand le cerveau et l'esprit sont en complète sécurité, il règne alors un tout autre état d'esprit. Mais hélas, nos cerveaux, nos esprits, nos réactions et ainsi de suite, n'ont pas trouvé la sécurité tant dans le monde physique qu'intérieurement, dans le monde de la psychologie, de la psychée. Y a-t-il une sécurité?
1:01:42 Vous comprenez? Je vous en prie, interrogez-vous. Y a-t-il une sécurité dans votre relation à un autre? - pour être terre à terre. Evidemment pas, mais vous aimeriez l'avoir. Et cette sécurité implique une ténacité, une continuité - n'est-ce pas? Y a-t-il cela dans votre relation? Evidemment pas, si vous êtes honnêtes. Mais c'est ce que l'esprit recherche. S'il ne le trouve pas, il invente une illusion espérant le trouver dans cette illusion? N'est-ce pas? Vous comprenez? Donc la pensée, qui fait partie de l'esprit et du cerveau, recherche constamment ce mouvement de sécurité. N'est-ce pas? Et ne le trouvant pas, il lui faut inévitablement inventer quelque chose qui devient une illusion. Cela aussi est une réalité. N'est-ce pas? L'illusion est une réalité. Donc, l'esprit doit être libre dans sa quête pour comprendre
1:03:26 s'il existe quelque chose au-delà de la matière. L'esprit doit être libre de toute forme d'illusion. N'est-ce pas? L'illusion est la croyance, l'illusion est la foi, l'illusion est la dépendance. Vous suivez? Donc, l'esprit peut-il être libre de toute forme d'illusion, faute de quoi il ne peut pas aller plus loin? Pas vous, le cerveau, l'esprit ne peut plus aller de l'avant. C'est être conscient que vous avez des illusions et y mettre fin, sans les garder à l'arrière-plan tout en essayant d'explorer, car alors vous vous abusez. L'esprit peut-il donc être libre du désir de créer des illusions? N'est-ce pas? Cela fait partie de la méditation, qui n'est pas de s'asseoir quelque part en silence pendant dix minutes, matin, midi et soir, peu importe, et le reste de la journée être malfaisant, égocentrique. N'est-ce pas? Ainsi les scientifiques, les astrophysiciens ne cessent de poser cette question
1:05:26 - du moins s'ils sont sérieux et pas seulement inventifs et commerçants - de savoir s'il existe quelque chose au-delà de la matière. Y a-t-il quelque chose au-delà de la pensée? Parce que la pensée est matière. N'est-ce pas? Parce qu'elle siège dans les cellules cérébrales, dans la mémoire, l'expérience et le savoir contenus dans les cellules cérébrales; par conséquent, c'est toujours de la matière. Et la pensée est matière. Vous suivez? Vous pouvez ne pas l'admettre, mais explorez, examinez la chose. Donc, existe-t-il quelque chose au-delà de la matière? Comment allez-vous le découvrir? Les scientifiques entre autres, les astrophysiciens, etc., regardent là-bas. N'est-ce pas? A l'extérieur d'eux-mêmes. N'est-ce pas? Nous disons que si vous savez comment vous regarder, - ce qui est aussi de la matière - comment vous comprendre, vous regarder vous-même, là où vous êtes, cette démarche est beaucoup plus réelle que l'autre. Vous pouvez le vérifier - vous comprenez? le vérifier dans vos actions quotidiennes. Sinon, ce n'est qu'une théorie. Je ne sais si vous suivez tout cela? Qu'en dites-vous, Monsieur? J'espère que vous profitez de ce beau soleil. Si cela ne vous intéresse pas, regardez les arbres, la beauté des arbres, le soleil à travers les feuilles, la chaîne de montagnes au loin, la beauté du ciel. Car si vous êtes sensible à cela vous serez alors sensible au sens de ces paroles. Quel est donc l'état de l'esprit, de la conscience,
1:08:19 qui a la capacité de découvrir?... J'utilise le mot 'savoir' dans un sens plutôt large. Vous savez, le 'savoir-connaître', est très limité, n'est-ce pas? Vous pouvez dire à votre femme, 'je te connais' mais connaissez-vous vraiment votre femme ou votre mari, ou votre petit ami? Non. Vous ne les connaissez qu'à travers l'image que vous vous êtes faite d'eux. Ici, le mot 'savoir' devient... Quand vous dites, 'je sais qu'il y a quelque chose au-delà', vous l'avez détruit. Vous comprenez ce que je dis? La méditation n'est donc pas quelque chose que l'on pratique.
1:09:39 C'est la compréhension du mouvement total de la vie. N'est-ce pas? La souffrance, la douleur, l'anxiété l'agressivité, la solitude. Sinon, si l'esprit n'est pas libre de tout cela, votre méditation est sans valeur. Vous comprenez? Vous savez, ces gourous qui sont venus d'Inde, ont amené avec eux leurs très nombreux systèmes, leurs superstitions et leurs concepts. Il y a la méditation tibétaine, zen, la méditation en vue d'éveiller - c'est leur phraséologie, ne vous en prenez pas à moi - la méditation en vue d'éveiller leur kundalini, différentes formes de yoga. Yoga : la signification réelle de ce mot est joindre. N'est-ce pas? C'est-à-dire, selon eux, joindre l'existence matérielle inférieure à la supérieure. Les pratiques du yoga, vous savez, la respiration, les différentes postures, tout cela fut inventé autour du 18ème, ou du 17ème siècle par un homme ou un groupe à la recherche de pouvoirs occultes. C'est-à-dire par la maîtrise, par l'effort - vous suivez - par l'effort dirigé, ils disaient pouvoir éveiller la perception extrasensorielle - cela en langage moderne ! Et depuis ce temps là, ils l'ont pratiqué. Mais il n'y a qu'un yoga, appelé Raja Yoga, qui n'exige aucune de ces pratiques. Aucun exercice artificiel, simplement marcher, nager, mener une vie naturelle et extraordinairement morale, qui soit intègre. Vous suivez? Voilà le vrai yoga, pas toutes ces choses qui ne font que vous distraire. Et quand vous comprenez
1:13:12 la nature d'un système de méditation, vous comprenez tous les systèmes. N'est-ce pas? Qu'il soit tibétain, zen, ou celui de votre propre gourou indigène, pas un gourou importé mais un gourou bien de chez vous, si vous comprenez un de leurs systèmes vous avez compris tous les systèmes de méditation. A savoir qu'ils se fondent essentiellement sur la maîtrise, la concentration, la pratique. N'est-ce pas? Faites ceci et cela chaque jour. Ce qui - le Zen compris - rend l'esprit de plus en plus morne à force de répéter, répéter répéter. Vous comprenez? J'espère que vous comprenez tout cela. Et ces gourous viennent à vous et vous donnent
1:14:29 ce qu'ils appellent des mantras. Vous en avez entendu parler. Je suis navré que vous soyez encombré par tout cela. La racine du mot 'mantra' se compose de deux mots différents : 'man' et 'tra'. Le premier mot,'man', signifie méditer - écoutez bien - méditer ou réfléchir au non-devenir. Vous comprenez? Ne pas devenir quelque chose. 'Tra' signifie - tout cela me fatigue ! - 'Tra' signifie écarter toute activité égocentrique. Vous comprenez? Mantra signifie méditer ou réfléchir, se préoccuper du non-devenir. Vous comprenez? Vous comprenez cela, Monsieur? Ne rien devenir. Vous pourriez devenir quelque chose dans le monde matériel, mais ne devenez rien intérieurement. Et si vous avez des activités égocentriques, écartez-les. Telle est sa vraie signification. Et voyez à quoi ils ont réduit cela ! Ainsi, dans tout système, qu'il soit tibétain, birman, zen
1:16:18 hindou ou chrétien, dès lors qu'il y a répétition, cela signifie que vous répétez, espérant accomplir quelque chose. Et ce système est l'invention de votre gourou ou super gourou etc., et vous ne faites que suivre. N'est-ce pas? Suivre une autorité. Par conséquent, votre esprit devient infantile, étroit, mécanique et vide de toute substance. Quand vous comprenez un seul système, cela suffit. Vous comprenez? Inutile d'aller au Japon pour comprendre le bouddhisme Zen, ou aller en Inde et tout le reste. Le mot Zen vient du mot sanscrit 'Dhyanam'. Il apparut après la période bouddhiste, ou pendant la période bouddhiste, un moine l'importa de Chine, et comme les Chinois et les Japonais semblent incapables de prononcer le mot 'Dhyan', ils le changèrent en 'Zen'. Et ce mot est devenu quasiment sacré ! Ainsi, la méditation, c'est mettre fin :
1:18:01 mettre fin à votre avidité, à votre attachement. N'est-ce pas? Car seulement alors l'esprit est libre, c'est seulement alors que l'esprit n'a pas de problèmes. Seul un tel esprit peut aller au-delà. C'est-à-dire, l'esprit avec sa conscience, laquelle est faite de tout ce qu'elle contient; vous comprenez, le contenu fait la conscience : votre avidité, votre envie, votre anxiété, votre solitude, vos croyances, vos attachements, votre soif de sécurité - vous suivez - tout cela, votre violence est le contenu de notre conscience. Et pour aller au-delà, pour découvrir ou plutôt voir, observer s'il y a quelque chose au-delà de tout cela, l'esprit doit être complètement libre de tout son contenu. C'est rationnel, ce n'est pas illogique. Vous comprenez? Alors, l'esprit est vide. Le vide est plein d'énergie. Ce que disent aussi les scientifiques. N'est-ce pas? Quand l'esprit est vide, il n'y a rien, rien, ce qui signifie : pas une chose créée par la pensée. Un tel esprit étant vide, il est plein d'énergie. N'est-ce pas? Vous ne savez rien de cela, n'allez pas vous y plonger; à moins d'avoir accompli le reste, ce ne sont que des mots. Alors, y a-t-il quelque chose au-delà de l'énergie?
1:20:39 Quelle est l'origine de l'énergie? Vous comprenez? Pas Dieu, tout cela a été complètement écarté. Y a-t-il quelque chose au-delà de cette énergie, quelle en est l'origine? Il y en a si l'esprit est complètement vide : connaissant compassion et amour, un tel esprit viendra à sa rencontre. Quelle heure est-il Monsieur?

Q:Une heure moins cinq.
1:21:22 K:Oh, je suis navré, il est une heure moins cinq.
1:21:27 Désolé de vous avoir retenu si longtemps.
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