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OJ82Q2 - 2nd Question & Answer Meeting
2ème session de questions & réponses
Ojaï, Californie, USA
Le 6 mai 1982



1:12 Nous sommes très ponctuels.
1:34 Nous contribuons tout deux aux réponses apportées à ces questions, vous et l'orateur. Nous allons donc aborder cela ensemble, et je pense que ce qui importe, c'est comment nous abordons le problème. Nous avons beaucoup parlé l'autre jour de la façon dont on approche un problème. S'il s'agit d'un préjugé, d'un point de vue biaisé ou fixe, la question sera alors orientée ou modelée par notre motif. Pouvons-nous aborder le problème sans motif, sans direction, afin que le problème révèle de lui-même l'ensemble de son contenu et par conséquent il y est déjà répondu quand tout son contenu est exposé.
2:59 1ère question : 'nous avons presque tous du mal à soutenir l'attention. Seule une petite part de soi y est prête et sérieusement intéressée. Que peut-on faire pour nourrir cette attention ?'
3:18 'Nous avons presque tous du mal à soutenir l'attention. Seule une petite part de soi y est prête et sérieusement intéressée. Que peut-on faire pour nourrir cette attention ?'
3:42 Je me demande si nous pouvons aborder cette question ensemble : qu'entendons-nous par attention ? Quelle différence y a-t-il entre vigilance, concentration et attention ? Pourrions-nous aborder cela ensemble ? Etre vigilant/conscient. Assis sous ces arbres magnifiques par une belle journée agréable et fraîche, pas trop chaude, on est conscient de ce pivert qui martèle tant qu'il peut, on est conscient de cette verte pelouse, du soleil éclatant, de la beauté des arbres, des taches de lumière, et si l'on regarde dans cette direction, on est conscient de ces montagnes. Comment les regarde-t-on ? Comment contemplez-vous cette merveilleuse vue ? La beauté de cet endroit. Que cela signifie-t-il pour vous ? L'observez-vous, en êtes-vous conscient sans aucun choix, sans aucun désir, ou vous seulement seulement la beauté extraordinaire du lieu. Et quand vous observez si facilement, conscient de tout cela, la lumière et l'ombre, les branches, l'aspect sombre des troncs et la lumière sur la feuille, et l'étendue de cette merveilleuse terre, comment réagit-on à tout cela ? Quel sentiment se cache derrière cette conscience ? Cette beauté du lieu, des collines et des ombres, est-elle reliée à notre vie ? Fait-elle partie de notre vie, ou est-elle là pour être observée ? Si vous êtes un poète, vous écrivez à son sujet, si vous êtes un artiste, vous la peignez, ou si vous êtes doué pour la conversation ou la description, vous mettez cela en mots, mais cette beauté, la conscience que l'on en a, quel rapport a-t-elle avec notre vie ? Cela fait partie de la vigilance, la conscience de l'extérieur et la conscience de ses propres réactions à l'extérieur, et il s'agit d'être conscient de ce mouvement. Assis là, êtes-vous conscient des couleurs des chemises, des robes, des habits ou de ce que portent ces dames, êtes-vous conscient de tout cela ?
7:40 Ou quand on est vigilant, y a-t-il toujours un choix ? 'Je préfère ce paysage à tel autre', 'je préfère cette vallée à d'autres', d'où l'intervention continuelle de la mémoire et du choix. Peut-on être vigilant sans le moindre choix, être simplement conscient de cette sensation extraordinaire de ciel bleu à travers les feuilles, et se laisser porter par tout cela ? Est-on conscient de ses propres réactions, et quand on en est conscient, y a-t-il une préférence ? L'une est préférable à l'autre, plus urgente que l'autre, plus durable, plus habituelle, et ainsi de suite, procèdons donc du dehors vers le dedans, – vous comprenez ce que je dis ? – pour qu'il n'y ait aucune division entre le dehors et le dedans; c'est comme la marée qui se retire et remonte. C'est là une conscience de ce monde qui nous est extérieur et une conscience du monde au fond de nous, à la fois du conscient et de l'inconscient. Quand on est vraiment, profondément conscient ou vigilant, il n'y a aucun mouvement inconscient rémanent ou caché. J'ignore si vous avez approfondi tout cela, si vous l'avez fait sans vous contenter d'écouter un tas de mots. Donc la conscience est ce mouvement du dehors et du dedans, et il s'agit de découvrir soi-même s'il existe une division entre le dehors et le dedans. Bien sûr, il y a une division entre l'arbre et moi, je ne suis pas l'arbre, j'espère. Mais en observant cet objet que l'on nomme 'arbre' nous découvrons nos réactions, comment nous réagissons à la beauté, à la laideur, la brutalité, la violence, la compétition, la quiétude, etc.
10:59 Et qu'entend-on nous par concentration ? Car tout cela se relie : la conscience, la concentration et l'attention. Qu'est-ce que la concentration ? Se concentrer sur une page, sur une image, concentrer toute son énergie sur un point particulier. Cette concentration ne nécessite-t-elle pas un effort ? L'effort pour se concentrer quand par exemple on s'efforce de lire une page et, apercevant par la fenêtre un merveilleux rayon de lumière sur une fleur, la pensée s'évade vers cela, mais l'on essaie alors de ramener cette pensée pour se concentrer sur quelque chose. Il y a donc cette lutte continue pour focaliser son énergie visuelle ou autre, et donc une résistance, une lutte, s'efforçant tout le temps de se focaliser sur un certain point. Nous rencontrons-nous ? Ce que nous disons de l'attention et de la concentration est exact, n'est-ce pas.
13:02 L'auteur de la question demande : l'attention a lieu occasionnellement et que peut-on faire pour nourrir cette attention de sorte qu'elle soit continue et non fortuite ? Nous demandons donc : qu'est-ce que l'attention, que prêter attention ? Cette question vous intéresse-t-elle ? Faire attention. Prêter attention à ce pivert. Ecoutez-vous ce pivert ? Tiens, le voilà !
14:03 Dans la concentration il y a toujours celui qui essaie de se concentrer, et cette concentration comporte effort et maîtrise. Il y a donc dans la concentration celui qui maîtrise et ce qu'il maîtrise. J'espère que vous voyez cela de vous-même. Il y a celui qui maîtrise s'efforcant de focaliser sa pensée sur un certain sujet, mais la pensée est sans cesse en mouvement, errant de-ci de-là, donc il s'efforce de la maîtriser et il y a dans cette maîtrise une forme de résistance. Il y a division entre celui qui maîtrise et ce qu'il maîtrise, d'où effort et sentiment de division. Là où il y a division, il y a inévitablement conflit entre celui qui maîtrise et la chose maîtrisée. C'est ce qu'on appelle en général la concentration. Y a-t-il une telle division dans l'attention ? Vous suivez ? Celui qui maîtrise essaie de prêter attention et il y a donc une division entre la pensée qui dit 'je dois prêter attention, apprendre comment maintenir l'attention ou la nourrir'. J'espère que vous suivez tout ceci.
16:09 Y a-t-il dans l'attention un centre à partir duquel vous faites attention, ou bien quand vous écoutez ce pivert, vous ne faites qu'écouter. Alors y a-t-il dans l'attention une entité qui prête attention, ou n'y a-t-il qu'attention ? C'est-à-dire prêter attention par votre écoute, votre perception, voir et mettre toute votre énergie à faire attention à quelque chose. Ecoutez-vous attentivement en ce moment ? Ecoutez-vous ce que dit l'orateur à propos de l'attention ? Ecoutez-vous effectivement ? Et quand vous écoutez vraiment, il n'y a pas de centre en tant que 'moi' qui écoute. Vous suivez cela ? Est-ce juste ? Tandis qu'il y a toujours un centre dans la concentration. Nous disons que l'attention n'a pas de centre et est donc étendue. Et elle ne peut être nourrie – vous prêtez attention si vous écoutez, et s'il y a de l'intensité – il y a attention. Est-ce bien clair ? Peut-on poursuivre ?
18:20 Alors, il s'agit donc en réalité d'une conscience sans choix, de concentration, et de ce sentiment d'attention étendue, vaste. L'attention n'a pas de périphérie, tandis que la concentration en a une, elle est limitée.
19:10 2ème question : 'qu'est-ce qu'une action et un état d'être complètement pur ?'
19:18 'Qu'est-ce qu'une action et un état d'être complètement pur ?'
19:41 Je me demande ce que nous entendons par action. Qu'est-ce pour vous que l'action ? Agir. Est-ce que l'on agit selon un principe, selon un prototype ou un idéal, selon une certaine idée préconçue et agissons pour s'approcher de cet idéal, de ce prototype, de ce concept ou d'une conclusion. Suivez tout ceci, je vous prie, si cela vous intéresse. Quand nous parlons de l'action, il n'est pas question d'agir soit avec un motif, soit avec une conclusion à laquelle nous sommes parvenus par expérience, et d'établir un modèle d'après lequel on agit, ou d'agir selon un idéal, un idéal projeté – tout idéal se situant toujours dans le futur – ni d'agir selon un quelconque parti pris, préjugé ou schéma établi par une autorité, par un spécialiste, etc. C'est en général ainsi que nous agissons, et nous demandons : est-ce cela l'action ?
22:07 Action signifie faire maintenant. Non selon une chose dont vous vous êtes souvenu, ou avez projetée, car alors vous agissez selon un modèle établi par une autorité, par votre propre expérience, etc. N'est-ce pas ? Sommes-nous clairs là-dessus ? Ceci s'apparente alors toujours à un acte guidé par une chose ou l'autre. J'agis : je fais quelque chose par habitude, d'après mon conditionnement, d'après l'accumulation de mes divers préjugés que je qualifie de savoir, et pour la plupart d'entre nous, c'est cela l'action. Mon père, mon pays m'a dit ce que je dois faire, et j'agis conformément à cela, ou me révolte contre le modèle, j'établis mon propre modèle et agis en, conséquence – tous les modèles sont identiques, qu'ils m'aient été donnés ou que je les aie faits moi-même – un modèle est un modèle. Une norme est une norme. Ce n'est pas une norme chrétienne, indienne ou bouddhiste, c'est une norme, un cadre dans lequel j'agis. N'est-ce pas ? Alors nous demandons – nous explorons ensemble, je ne vous dis pas comment agir, ce serait trop stupide.
24:25 Qu'entendons-nous alors par action ? L'action varie-t-elle selon les circonstances, selon le climat, la pression ? Toutes ces choses sont comprises dans ce seul mot 'action'. Je ne sais si vous explorez cela avec l'orateur. Donc y a-t-il – nous cherchons – y a-t-il une action qui soit correcte, précise, qui ne change pas selon notre humeur, selon notre tempérament, notre plaisir, etc., une action qui soit vraie, qui ne dépende pas du passé en tant que mémoire ou du futur en tant qu'idéal. Vous suivez tout ceci ? Ce mot comporte à lui seul toutes ces choses. Nous demandons donc : existe-t-il une action totalement libre de tout conditionnement ? Le conditionnement, c'est avoir un idéal qui dicte ou cherche à s'imposer à 'ce qui est'. N'est-ce pas ? Je suis avide et j'ai l'idée de ne pas être avide, et j'essaie d'agir selon 'ce qui devrait être', pas 'ce qui est'. Ou j'ai été tellement conditionné par le mercantilisme, la télévision, – il ne s'agit pas d'avidité – je veux acheter, acheter. On me dit d'acheter ceci ou cela, et j'achète.
26:53 Alors peut-on découvrir ce qu'est le comportement juste c'est-à-dire l'action, ce qu'est le mouvement juste qui ne changera pas selon les circonstances. C'est vraiment un des problèmes que comporte cette question. Vous avez compris ? On a exposé tout le sens de ce mot. N'est-ce pas ? L'implication de ce mot, le sens étendu de ce terme. Alors est-il possible d'agir sans motif, sans idéal, sans aucune forme de conditionnement ? Le conditionnement est environnemental, religieux, le conditionnement repose sur ce qu'on a lu, sur son éducation, etc., – le conditionnement. Alors le problème ici est le suivant : l'esprit, le cerveau – gardons le mot 'esprit' pour l'instant – l'esprit peut-il être libre de tout conditionnement, en sorte qu'il agisse ? Cela demande énormément d'attention, énormément d'observation : être conscient que l'on a des idéaux sur lesquels reposent nos actes. Je suis ceci, je devrais être cela, ce qui s'appelle l'amélioration de soi. Quelle belle phrase ! C'est-à-dire que le 'moi' qui est égoïste cherche à s'améliorer, et devient ainsi encore plus égoïste. Peut-on donc écarter tout cela et voir effectivement 'ce qui est' et agir. Vous comprenez ? Je ne veux pas m'étendre davantage là-dessus – le faudrait-il ?
30:02 Y a-t-il une action qui ne soit pas née du savoir ? Attention ici. Il y a une action technique, une action physique qui demande de ma part beaucoup de savoir pour être un bon ingénieur, un spécialiste en informatique, il me faut énormément de connaissances sur le sujet, ou un bon menuisier, un bon bâtisseur – là, le savoir est nécessaire. Et si j'agis psychologiquement en me servant du savoir, j'accumule du savoir et j'agis d'après un savoir incomplet, d'où perpétuation du conflit. N'est-ce pas ? Le voit-on, ou je vais-je trop ... Ce qui est incomplet est forcément toujours fragmentaire dans ses effets; évidemment. Est-ce exact ? Peut-on poursuivre ?
31:36 Alors, il y a-t-il une action – je vous en prie, cherchez avec moi, n'admettez pas, soyez un peu sceptique à ce sujet, rationnellement sceptique – y a-t-il une action qui ne soit pas née de la mémoire psychologique ? Si j'agis d'après le savoir psychologique que j'ai acquis sur moi-même, sachant que ce savoir est toujours limité, mes actions seront alors limitées. N'est-ce pas ? Et donc toute action limitée engendre invariablement sa propre contradiction. N'est-ce pas ? Donc mon action engendre forcément regret, douleur, elle sera contredite le lendemain et ainsi de suite. Alors y a-t-il une action qui soit libre – à vous de le découvrir, ne l'admettez pas – y a-t-il une action qui soit libre de remémorations, de souvenirs passés, de l'accumulation d'informations psychologiques passées ? Et ce savoir est 'moi', ce 'moi' qui est donc limité; quand je dis 'je vais faire ceci et agir de telle manière', cet acte sera invariablement limité et contradictoire, et par conséquent confus, etc. N'est-ce pas ? Si ceci est clairement compris, il y a alors une action – hormis le domaine technologique et tout le reste – y a-t-il une action qui soit totalement libre de l'expérience accumulée du passé en tant que 'moi', en tant que souvenirs, que remémorations ? Personne n'a peut-être posé cette question. Non que j'en sois le premier, mais nous ne l'avons peut-être pas posée. Et nous la posons maintenant. C'est une question très intéressante, vraiment, parce qu'elle implique... Voulez-vous que j'aborde tout cela ? Cela vous amuse-t-il ? Comme je le disais, si cela vous intéresse, je l'aborderai. Si cela vous intéresse. Le cerveau accumule continuellement, enregistre, chaque expérience est enregistrée, un accident ou un événement quelconque est enregistré et vous agissez selon cet enregistrement, naturellement. Si j'ai eu un accident, je serai très attentif la prochaine fois. Là, c'est nécessaire. Mais nous demandons ceci : y a-t-il une action qui n'ait pas été précédemment enregistrée ? Vous comprenez ? Vous voyez ? Cela vous intéresse-t-il ?
35:58 Posez-vous cette question, Monsieur. Nos actes reposent sur les enregistrements passés, c'est comme un phonographe, vous passez le disque encore et encore, c'est votre disque; l'enregistrement et l'action selon ce bruit du passé. Alors, y a-t-il une action qui ne naît pas de l'enregistrement psychologique ? Vous suivez tout ceci ? Comment le découvrez-vous ? C'est un problème qui vous est posé. Vous pouvez le rejeter, dire que c'est insensé, inconcevable. C'est une possibilité. Et l'autre possibilité est que cela peut arriver. Bien ? Que ce soit vrai ou faux, il faut étudier la question. Mais pour l'étudier, il ne faut se prononcer ni dans un sens ni dans l'autre. On doit donc les laisser toutes deux tomber : la déclaration péremptoire que c'est impossible et la déclaration négative que c'est possible. Elles sont donc toutes deux écartées. Alors dans quel état est votre esprit – tout ceci vous intéresse-t-il – ? dans quel état est votre esprit une fois délivré des traces d'enregistrements passés et des actes qui en découlaient ? Il est libéré. S'il est libre, dans la mesure où c'est possible, quelle est alors la qualité de la perception, de 'l'insight', c'est-à-dire l'action instantanée ? Vous suivez ? Vous comprenez ? Ecoutez seulement et je vais m'expliquer un peu plus, s'il est permis et si cela vous intéresse, si vous en avez la patience.
38:47 Je me promène sur la montagne, et tout d'un coup j'arrive à un précipice. Là, l'action est instantanée. L'action est engendrée par l'instinct de préservation, c'est-à-dire l'intelligence. N'est-ce pas ? L'instinct de préservation est une réponse naturelle du corps qui l'enjoint de se protéger. Là aussi, c'est cultivé, l'expérience humaine a conduit à ne pas tomber dans un précipice. Ce motif d'auto-préservation qui continue depuis le passé est enregistré, inconsciemment ou consciemment, et là, la réponse relève d'une intelligence naturelle. Alors, nous avons de même enregistré la préservation psychologique. Est-ce que vous suivez cela ? C'est-à-dire, que suis-je sans aucune mémoire ? Sans aucun enregistrement ? Je ne suis personne. Donc la peur de n'être personne et ce savoir procure le sentiment fondamental qu'il faut se protéger. N'est-ce pas ? Vous suivez tout cela ? Et vous agissez à partir de là. Ainsi, la mémoire, le savoir sont nécessaires, et c'est ce même mouvement qui est étendu au domaine psychologique. Est-ce clair ou est-ce que je l'embrouille ? Je crains de l'embrouiller. Plutôt vaseux !
41:28 Je veux maintenant découvrir – je suis très sérieux là-dessus – je vais méditer pendant des heures, penser, travailler, je dois découvrir s'il existe une action n'émanant pas d'enregistrements préalables. Si telle est votre soif intense, si c'est ce que vous voulez découvrir, il faut alors observer très attentivement tous les enregistrements qui ont lieu. Et aucun enregistrement n'aura lieu s'il y a attention totale. Ce n'est que l'inattention, le manque d'attention qui crée – qu'allais-je dire ? – qui crée l'enregistrement. Ne l'avez-vous pas remarqué ? Quand vous contemplez ces montagnes ou ce paysage avec tous les arbres, le soleil, et que vous y prêtez une attention totale, c'est-à-dire que vous observez chaque arbre, chaque mouvement de feuille, la lumière sur les feuilles et les ombres, – l'attention totale – il n'y a pas d'enregistrement. L'avez-vous remarqué, ou est-ce l'effet de mon imagination ? Faites-en l'expérience pendant que vous êtes assis là.
43:31 Il est donc possible de ne pas enregistrer : pas une action née du souvenir, mais une action née d'un 'insight', un 'insight' dont découle l'action. Prenons un exemple qui j'espère aidera. Je n'aime pas me servir d'exemples, mais allons-y.
44:08 On perçoit logiquement que les religions organisées du monde entier, avec leurs croyances, leurs dogmes, leurs rituels, leurs superstitions, chacun avec ses propres modes d'idolâtrie, etc., sont tout simplement nées de la peur, de la propagande, de la menace qu'exerce la société – si vous êtes protestant dans un pays catholique, ce sera assez difficile pour vous. N'est-ce pas ? Il s'agit donc d'avoir un 'insight' au sein de toute la nature de la structure des religions organisées. En avoir un 'insight' complet signifie que vous n'êtes ni hindou, ni catholique, ni protestant, etc. Vous voyez instantanément le contenu de cette structure, et cette perception immédiate vous libère de toute structure religieuse organisée. N'est-ce pas ? A savoir qu'aucune soi-disante structure spirituelle, autorité spirituelle ne libérera jamais l'homme de la souffrance. Avoir un 'insight' de cela signifie que vous n'appartenez à rien. Il y a liberté immédiate à l'égard de tout cela, comme à l'abord d'un précipice, il y a action instantanée. Vous saisissez tout cela ? Nous rencontrons-nous quelque peu ? 'Quelque peu' ne convient pas, il faut que ce soit entièrement compris.
46:23 Il y a donc une action qui ne provient ni des souvenirs passés, ni des espoirs et idéaux futurs : c'est être entièrement conscient de 'ce qui est', et avoir un 'insight' dans 'ce qui est' met fin à 'ce qui est'. Je me demande si vous le voyez ? Puis-je aborder la question suivante ?
47:07 3ème question : 'étant donné que le mot n'est pas la chose, peut-on être véritablement illuminé par des paroles ? Les symboles peuvent-ils effacer les dégâts causés par les symboles, ou est-on abusé par des illuminations illusoires ?'
47:37 'Etant donné que le mot n'est pas la chose, peut-on être véritablement illuminé par des mots ? Les symboles peuvent-ils effacer les dégâts causés par les symboles, ou est-on abusé par des illuminations illusoires ?'
48:05 Je me demande si la plupart d'entre nous réalise que le mot n'est jamais la chose. Ma femme n'est jamais ma femme, de même pour mon mari. Le mot – vous savez, si vous voulez aborder ce problème du mot... voulez-vous aborder tout cela ? Si l'on réalise que le mot n'est pas la chose véritable, que la description n'est pas la réalité, que le symbole n'est jamais le fait, que l'idéal n'est jamais 'ce qui est', et si l'on observe bien, si l'on est vigilant, [on voit que] notre cerveau est captif des mots. Un réseau de mots. Je suis catholique, je suis protestant, je suis Américain, ce sont là tous des symboles, tous des mots, des images, et le cerveau est pris au piège de tout cela. Ainsi, penser est un mot. Penser, est-ce possible sans un mot ? Je ne veux pas aborder tout cela.
49:43 Que vous découvriez toutes ces choses est très intéressant, car votre esprit devient alors extraordinairement éveillé, naturellement. Il s'agit d'être libre du mot, tout en s'en servant avec précision. Donc le mot n'est pas la chose, et le symbole n'est jamais le réel. Le mot 'peur' n'est pas la réaction. N'est-ce pas ? Mais le mot 'peur' façonne notre action. Pas la sensation de peur, mais ou bien le mot 'peur' crée la peur ou il la façonne. Alors est-il possible de regarder cette réaction sans le mot. C'est très simple.
51:06 Pouvons-nous être vraiment illuminés par les mots ? Bonté divine ! Je me demande pourquoi nous nous servons du mot 'illumination'. Nous allons examiner ce mot 'illumination', il est très intéressant d'examiner ce que l'on entend par illumination, ce dont parlent tous les gourous. Pour certaines personnes, ce mot est sacré. Etre illuminé, pas par les livres, le savoir, le temps. Vous comprenez ? Ce n'est pas une chose à laquelle on s'exerce peu à peu par la pratique, la méditation, par toutes sortes de stratagèmes. Ainsi, il est évident que le mot 'amour' n'est pas l'amour. De même, qu'est-ce que l'illumination ? Qui est illuminé ? Illuminé par quoi ? Illuminé à quel sujet ? Vous suivez ? Illuminé – ne plaisantez pas là-dessus. Assurément, un esprit illuminé est libre de tout conditionnement. Un hindou, avec ses superstitions, avec toute cette affaire de conditionnement, tant religieux que psychologique et environnemental, s'est défini en tant qu'hindou. Comment un tel esprit, aussi conditionné, peut-il jamais être libre ? L'illumination, est-ce la liberté totale à l'égard du conditionnement ? Un catholique – et j'espère ne marcher sur les pieds de personne – un catholique, avec toutes ses superstitions, ses sauveurs, ses rituels, et l'autorité hiérarchique, etc., peut-il jamais être illuminé ? Avec son conditionnement, le baptême, vous connaissez toute cette affaire intellectuelle, rusée, qui maintient les gens dans un certain schéma. Répondez-y vous-même. Un esprit – un être humain peut-il être illuminé quand il a peur, en quête de pouvoir, de situation, cumulant de l'argent au nom de l'illumination, ce que font certains gourous – d'énormes sommes d'argent – tout en parlant de l'illumination.
55:15 Donc le mot n'est pas la chose. Et l'auteur de la question demande : les symboles ont-ils causé des dégâts au psychisme humain ? Evidemment. Si je suis un hindou – personnellement je ne le suis pas. je suis né en Inde, mais cela ne veut rien dire – si je suis un hindou, ils ont d'innombrables symboles, comme dans le monde chrétien : leurs déesses, leurs dieux, divinités tribales, des dieux mineurs et des dieux majeurs. J'ai été conditionné là-dedans – si... Ces conditionnements, ces symboles ont endommagé la clarté d'un esprit, du psychisme. N'est-ce pas ? C'est évident. Les symboles ont évidemment causé des dégâts, parce que cela empêche l'être humain d'aller directement à la vérité, au fait, sans adorer les symboles.
57:03 L'auteur de la question demande aussi : somme-nous abusé par l'illusion de l'illumination ? Evidemment. Cela sonne bien. Mais l'illumination ne relève pas du temps. Ce n'est pas un processus. On n'y arrive pas graduellement. Etre libre de tout conditionnement implique aussi que l'on soit sa propre lumière, complètement, et qu'on ne dépende de personne, d'aucune idée, d'aucun maître – être sa propre lumière. Si totalement, que de cette lumière découle l'action. Ah, voilà une merveilleuse question, la suivante.
58:12 4ème question : 'pourquoi ne changeons-nous pas ?'
58:18 Oui Monsieur. J'allais moi-même poser cette question.
58:29 Je vois ici des personnes que je connais depuis des années, qui viennent chaques année, et je leur ai aussi demandé pourquoi ne changeons-nous pas ? Qu'est-ce qui va nous faire changer ? Posez-vous cette question. Quelle énergie, quelle force, quelle intensité nous poussera à changer ? Changer – qu'entendons-nous par ce mot 'changer' ? Changer de cet état-ci à celui là. N'est-ce pas ? Ceci est préconçu, par conséquent, ce n'est pas un changement du tout. Je me demande si vous le voyez ? Le voyons-nous ? Si je change selon un certain schéma que j'ai établi avec soin, ce n'est pas un changement. C'est une continuation de 'ce qui est', modifié, qui, j'espère, me mènera plus loin, à d'autres modifications, mais c'est la même chaîne. Le même mouvement. N'est-ce pas ? Alors qu'entendons-nous par changement ? Pour l'orateur cela signifie la fin et non la poursuite de 'ce qui est' modifié. Vous comprenez ? Prenez par exemple la révolution physique, celle des communistes, des léninistes, des trotskyistes. Pour eux, la révolution c'est changer toute la structure de la société, l'environnement extérieur, espérant par là faire naître un être humain différent. La pression extérieure pour passer du tsar au communiste, au bolchevik, etc., aura pour effet ultime ou dès que possible, de rendre l'homme différent. Ils n'y sont pas parvenus, au contraire, ils ont fait des choses terribles.
1:01:10 Nous parlons ici de changer psychologiquement, de changer complètement le contenu de notre conscience.
1:01:29 N'est-ce pas ? Pas de changer la conscience en une conscience meilleure, en une conscience mieux polie, moins violente, bien qu'occasionnellement violente, etc. La fin du contenu de la conscience est un changement radical – 'mutation' radicale, j'éviterai ici le mot 'changement'. Alors pourquoi ne changeons-nous pas ? Ecartons-nous totalement de cela. Avons-nous clarifié la question ? Pourquoi, après tant de millions d'années, nous autres êtres humains en sommes réduits à cette affreuse condition actuelle; elle est affreuse, effrayante, la violence, la brutalité, la tuerie pour un lopin de terre, juste ciel ! Pourquoi ? Et la question est : pourquoi ne mettons-nous pas un terme à tout ceci ? Répondez-y, je vous prie. Vous êtes tous instruits, travailleurs, intelligents dans un certain sens, gagnant de l'argent par le travail et tout le reste, mais vous n'avez pas résolu le vrai problème. Pourquoi ? La pression extérieure vous changera-t-elle, amenant une mutation du psychisme ? Mutation signifie changement total : ce qui fut n'est plus. Ne pas changer en autre chose. Ce qui fut, c'est-à-dire ma colère, ma violence, ma stupidité, la façon dont je m'accroche à quelque illusion idiote, à quelque symbole qui me sauvera peut-être d'une chose ou d'une autre. Qu'est-ce qui nous fera changer ? La pression extérieure ne l'a évidemment pas fait. N'est-ce pas ? C'est très clair. Est-ce clair pour vous ? Ce n'est pas en changeant la société que vous allez changer. Car c'est vous qui avez créé la société. C'est clair ? Nous avons fait cette société telle qu'elle est : les guerres, nous entre-tuant pour une question de prestige national, d'honneur, pour un bout de terre. Vous comprenez tout ce que cela signifie ?
1:04:54 Et après des milliers d'années nous ne sommes pas délivrés de la peur. Qu'est-ce qui nous fera changer ? Davantage de savoir sur soi ? Davantage de savoir sur le monde extérieur ? Savoir qu'il ne faut pas tuer, et pourtant on tue ? Nous avons accumulé des milliers d'années de savoir lequel nous a aidé à tuer des gens. Et nous savons aussi qu'il ne faut pas tuer; où cela nous mène-t-il ?
1:05:50 Alors la souffrance, la douleur, l'attachement, la pression, la carotte – récompense et punition ? – tout cela nous changera-t-il ? Apparemment, cela ne l'a pas fait. Alors qu'est-ce qui nous fera changer ? Pas changer, qu'est-ce qui nous fera nous transformer, qui nous fera mettre fin à cette terrible confusion, souffrance, douleur, anxiété, solitude – tout cela – finir ? Des larmes ? Nous avons suffisamment pleuré. La souffrance ? Rien d'extérieur. Je me demande si nous nous en rendons compte. Aucun dieu, aucun sauveur, aucune force ni agent extérieurs ne vont jamais nous changer. Nous sommes bien trop malins pour tout cela, bien trop rusés.
1:07:29 Je pense que c'est une question très sérieuse qu'il faudrait se poser : le temps amènera-t-il cette mutation ? Vous avez eu le temps, des millions d'années, le temps ne le fera certes pas. Donc rien d'extérieur ne nous changera, n'amènera une mutation. Seule nous changera notre propre conscience de la confusion dans laquelle nous vivons, en observant cela, restant totalement avec cela, sans essayer de le modifier, de faire quoi que ce soit à cet égard. Vous comprenez ? C'est très intéressant. Nous rejetons entièrement, si nous le voulons, tout agent extérieur – dieux et tout – le rejetons, tout homme intelligent le rejette. Mais il ne rejette pas l'opérateur interne. Vous comprenez ? L'acteur qui dit : je vais faire cela, cet acteur est la mémoire du passé, le souvenir passé, le savoir passé. Si cela peut être complètement transformé, vous observez alors 'ce qui est' tout à fait librement, et quand vous observez si totalement, avec une complète attention, 'ce qui est' a complètement pris fin. C'est donc sa propre perception de son propre malheur, sa confusion qu'il faut vivre pleinement, sans essayer d'agir dessus.
1:10:03 Il est une heure dix, pouvez-vous en supporter encore un peu ?
1:10:09 Q: Oui.
1:10:17 K: Vraiment ?

Q: Oui.
1:10:24 5ème question : 'pouvez-vous creuser davantage le sens de la sainteté, et surtout la place qu'elle occupe dans le monde moderne ?'
1:10:35 'pouvez-vous creuser davantage le sens de la sainteté, et surtout la place qu'elle occupe dans le monde moderne ?'
1:10:55 Le mot 'saint' n'est pas la réalité. N'est-ce pas ? La pensée est-elle sainte, H-O-L-Y, sacrée ? Allons Messieurs, cherchez. La pensée, l'acte de penser qui a créé l'architecture, les plus belles cathédrales du 10ème au 12ème siècle, d'une beauté extraordinaire. Si vous avez été voir certains de ces anciens temples, de ces anciennes cathédrales en Europe, vous ressentez la vitalité extraordinaire de ces piliers, la beauté des hautes voûtes. La pensée a produit tout cela. Et la pensée a aussi créé tout le contenu de ces structures, de cette merveilleuse structure en pierre. N'est-ce pas ? C'est évident, n'est-ce pas ? Alors qu'est-ce qui est sacré ? C'est-à-dire, qu'est-ce qui est saint, intégral ? Si la pensée est sacrée, alors tout ce qu'elle crée est saint : le canon, la bombe atomique, s'entre-tuer, l'ordinateur, le sauveur – votre sauveur, pas le mien – les rituels, l'acte de battre quelqu'un – vous suivez ? – et une fois admis que la pensée est sacrée, tout ce qu'elle fait est sacré. N'est-ce pas ? Et la pensée a inventé ce qui n'est pas sacré et ce qui est sacré. Elle a divisé le monde en monde temporel et en ce qui est sacré, qui n'est pas le monde. Le saint et le pécheur.
1:14:31 C'est là une question très sérieuse, et pas une simple question légère à la fin d'une série d'autres questions. Elle est très, très sérieuse, parce que la pensée est en train de démanteler l'homme : le Britannique, le Français, l'Américain, le Russe, l'Argentin. Vous suivez ? Dès lors que vous admettez, acquiescez ou acceptez que la pensée, quoi qu'elle fasse, est sacrée, vous n'avez alors pas de souci à vous faire. Vous continuerez à vous entretuer, à être ce que vous êtes. C'est peut-être ce que vous voulez, ce que veut l'humanité.
1:15:32 Si vous voulez découvrir ce qu'il y a de plus sacré, cela ne peut se mesurer par des mots. Mesurer l'incommensurable par des mots n'a aucun sens. Mais venir à la rencontre de ce qui est saint, sacré... L'amour est-il pensée ? L'amour est-il alors désir ? Sans amour, ce qui est sacré ne peut exister.
1:16:32 Donc toutes ces explications ne sont pas ce qui est. Ce qui est éternel ne peut être traduit en mots. Mais quand le temps et la pensée ont pris fin, ce qu'il y a de plus sacré est là. Mais si vous dites : comment mettre fin à mes pensées, comment arrêter le temps, vous êtes alors revenu au bon vieux… Mais il faut découvrir, pénétrer la pensée, voir si elle peut prendre fin. Elle ne peut finir quand je vais de cet endroit-ci à cet autre, quand je conduis une voiture ou me sers du langage pour communiquer. Mais intérieurement, le temps peut-il s'arrêter ? La pensée peut-elle prendre fin ? Ni par maîtrise, ni par volonté, mais par nécessité de découvrir ce qui existe depuis l'origine, qui n'a pas de fin. Pour pénétrer cela, pour le découvrir, il faut… c'est la vraie méditation, c'est-à-dire le mouvement global de la vie.