Krishnamurti Subtitles home


OJ82T2 - Quelle place occupe le savoir dans nos vies ?
2ème causerie publique
Ojaï, Californie, USA
Le 2 mai 1982



1:10 Pouvons-nous poursuivre ce dont nous parlions hier matin ? Pour ceux qui n'étaient pas ici hier, pouvons-nous répéter un peu de ce que nous disions ? Nous disions hier matin combien le monde est morcelé, divisé par le nationalisme, qui est en réalité une forme de tribalisme. Combien les religions ont divisé l'homme, avec leurs dogmes, leurs croyances, leurs superstitions, leurs illusions; la façon dont les êtres humains ont créé des sectes, chacun croyant qu'elles vont mener l'humanité à un monde physique différent, soi-disant spirituel. Il y a eu divers gourous, tant en Occident qu'en Orient, avec leurs propres croyances et méditations, et toute cette affaire. C'est vraiment une bonne affaire ! Nous avons aussi vu comment l'homme a créé des armées avec tous l'attirail de guerre pour s'entre détruire au nom de la patrie, de l'honneur, du prestige, de la liberté – n'importe quoi, une idée – pour s'entre détruire. L'homme s'est aussi idéologiquement divisé en groupes totalitaires et démocratiques. Tandis qu'un pays est totalement dépourvu de liberté – comme si l'on y vivait en prison – les autres sont libres de faire tout ce qu'ils veulent. Et l'homme s'est aussi divisé par ses croyances. Prenez par exemple cette petite vallée : si vous observez ou si vous l'avez parcourue, il y a tant de petites sectes, tant de congrégations, de croyances diverses, d'idéaux différents, de préjugés, de partis pris, etc. Tout cela reflète le reste du monde, qui est semblable, avec ses mêmes partis pris, conclusions, idéaux, credos, suivant telle personne, vénérant telle personne, tel ou tel symbole de l'Orient ou de l'Occident. Où que vous alliez, vous constatez ce phénomène extraordinaire, à savoir que tout au long de sa vie, l'homme n'a pas seulement morcelé la terre en terre américaine, terre anglaise, le monde français, russe, asiatique, mais tout ce qu'il a touché a engendré le malheur. Il a aussi généré de grands bienfaits dans le domaine technologique, mais a aussi usé de cette technologie pour créer des guerre.
6:11 Et nous dision aussi hier que les scientifiques n'ont pas aidé l'homme; s'ils l'ont aidé technologiquement, ils l'ont aussi aidé à développer les guerres, – la bombe atomique et la guerre conventionnelle. Les scientifiques n'ont donc pas fondamentalement amené une mutation dans le conditionnement de l'homme. Pas plus que les politiciens, que les chefs religieux, que la croyance organisée, que la foi organisée, que l'idolâtrie conventionnelle organisée d'un symbole, d'une personne, ou d'un sauveur. Aucune de ces personnes n'a aidé l'homme à mettre fin à sa souffrance, à sa solitude, à son désespoir et son anxiété, pas plus que les prêtres ou les gourous. Il semble que l'homme se soit laissé guider à travers les âges. Il y a toujours eu des leaders politiques, religieux, et bien sûr des héros nationaux – les plus meurtriers de tous.
8:10 Quand on observe tout cela, et c'est un phénomène qui affecte autant l'Occident que le monde asiatique, quand on observe tout cela, pour autant que l'on soit un peu sérieux, que l'on se préoccupe tant soit peu de l'esprit de l'homme, de son coeur, de toute son existence, on voit qu'il lui faut soit fuir tout cela en adoptant une autre forme d'isolement, dans une communauté, soit devenir moine, soit fuir à travers diverses sortes de divertissements, d'amusements. Ou s'il est tant soit peu sérieux, il lui faut répondre de tout ceci, il en est responsable. J'ignore dans quelle mesure les auditeurs le sont, mais si vous êtes sérieux, quelle est votre responsabilité à cet égard ? Jusqu'où vous mènera votre responsabilité, à quelle profondeur, de quelle amplitude ? Ou se limitera-t-on à sa propre petite vie, à sa propre petite expérience, à ses plaisirs, oubliant l'immense souffrance humaine, la pauvreté, – sans se préoccuper ou se préoccupant de telle ou telle guerre, de la fin de toutes les guerres, non seulement de la guerre extérieure, mais aussi de la lutte interne de l'homme, du conflit incessant qui l'oppose à lui-même et à son prochain. Telle a été l'histoire de l'homme. Malgré des milliers et des milliers d'années d'évolution, l'homme demeure tel qu'il était, probablement un peu modifié, mais fondamentalement cruel, violent, antagoniste, compétitif, et ainsi de suite.
11:40 Et comme nous le disions aussi hier, chacun de nous se croit un individu indépendant, avec ses propres problèmes étriqués et points de vue limités. Mais quand on entreprend une recherche profonde comme nous le faisons maintenant, et j'espère que nous pouvons le faire ensemble, nous cherchons en profondeur la raison pour laquelle, après tant de millions d'années, les êtres humains sont devenus ainsi : divisés, fragmentés, contradictoires, confus, éternellement en quête de plaisir, ne mettant jamais fin à leur souffrance, ne comprenant jamais la nature de leur rapport au monde et entre eux, pourquoi il y a ce conflit sans fin entre homme et homme.
13:23 Nous disions aussi hier matin que notre conscience – c'est-à-dire ce que vous êtes, ce que vous pensez, ressentez, vos réactions, vos croyances, vos conclusions, vos expériences, votre savoir, vos peurs, anxiétés, votre solitude, désespoir, souffrance et la peur de la mort – est commune à toute l'humanité. Où que l'on aille, l'homme est conditionné à cet état. Où que l'on vive, que ce soit dans une société nantie ou dans un pauvre village, un hameau loin de toute civilisation, là aussi l'homme souffre, vit dans une solitude désespérée, dans l'anxiété, l'insécurité, comme le reste de l'humanité. Et nous disions aussi qu'au vu de tout ceci, on commence à se demander si l'individualité existe le moins du monde. Ou il n'y a que l'humanité, et vous êtes cette humanité. Essentiellement, profondément, vous êtes le reste de l'humanité. Mais malheureusement nous avons été éduqués, conditionnés, tant religieusement qu'environnementalement à l'idée que nous sommes des individus distincts, chacun recherchant son propre salut, son propre bonheur, son propre plaisir de vie. Et ceci a procuré un grand sentiment de liberté, chacun faisant ce qu'il veut. C'est le choix. Il pense qu'il est libre parce qu'il peut choisir. Mais le mouvement du choix se situe dans un même champ, d'un coin à l'autre. Ceci n'est pas la liberté. Nous disions donc hier que notre conscience, c'est-à-dire notre existence humaine quotidienne, est celle du restant de l'humanité. Et cette conscience est contradictoire, intrinsèquement morcelée, fragmentée.
17:22 Comme nous le disions aussi, ceci n'est pas une conférence. Une conférence a pour but de traiter un sujet particulier en vue de fournir davantage d'informations sur ce sujet. Dans ce sens là, il ne s'agit pas ici d'une conférence. Mais nous pensons ensemble, pour autant que ce soit possible. Nous pensons ensemble, observons ensemble ce phénomène extraordinaire qu'est devenu l'homme et ce qu'il a fait du monde, de sa propre vie, et de la vie autour de lui. Nous observons donc très attentivement, impartialement, sans passion, ce que nous sommes et ce que nous avons fait du monde. Alors, je vous en prie, si vous êtes tant soit peu sérieux – et il faut l'être, car le monde est dans un état terrible, nous courons, chacun de nous, un terrible danger – il nous faut donc penser ensemble, observer ensemble, sans être d'accord ensemble, sans voir les choses telles que vous et moi les voyons, avec nos propres préventions nos propres préjugés, notre propre point de vue stupidement nationaliste, mais plutôt être libres d'observer. Etre libre d'observer implique de ne pas avoir la moindre prévention, de voir exactement ce qui a lieu extérieurement. Si l'on ne voit pas précisément cela, on sera alors incapable de se relier à la chose avec justesse, précision. Si l'on observe clairement, sans aucun motif, sans aucune direction, on se contente d'observer comme on observerait une montagne : elle est là, majestueuse, silencieuse, immuable. De la même façon, il faut observer ce phénomène extraordinaire qu'est l'homme.
21:34 Nous observons donc ensemble de près, avec hésitation, attentivement ce mouvement de flux et de reflux, c'est-à-dire : ce que nous sommes, nous créons le monde et puis nous sommes piégés par ce monde. Nous avons créé cette société, non pas vous et moi, mais nos générations précédentes qui, avec nous, ont créé cette société actuelle immorale, destructrice. Et nous sommes piégés par cette société. Cette société est l'œuvre de chacun de nous. Nous en sommes donc responsables. Il s'agit de savoir s'il est possible non pas de changer la société, mais de transformer profondément, radicalement notre conditionnement, autrement dit de comprendre en profondeur notre conscience, c'est-à-dire ce que nous sommes. Est-il possible non pas de la transformer en quelque chose, mais de changer, de susciter une mutation dans la structure même et la nature de notre conscience ? Tel est le problème. Telle est la crise. Ce n'est pas une crise politique, économique, ou une crise de guerre, mais une crise en nous-mêmes. Et nous ne pouvons apparemment pas faire face à cette crise, ou nous ne voulons pas la confronter. Et nous essayons ainsi d'esquiver ce fait à travers diverses formes de divertissements – religieux, politiques, du football et tout le reste.
24:31 Et comme nous le disions aussi hier matin, le contenu de notre conscience, ce contenu étant ce que vous pensez, ressentez, vos réactions, vos aspirations, vos désespoirs, vos plaisirs, vos dépressions, votre foi, vos dogmes, votre souffrance, vos croyances, votre solitude désespérée, et la peur ultime de la mort, tout cela est votre conscience. C'est ce que vous êtes. Et nous demandons ensemble si le contenu peut cesser d'exister. C'est-à-dire, le conditionnement de l'esprit humain, de l'existence humaine, peut-il être transformé ? Nous avons donc traité hier de toute la question de la croyance, laquelle fait partie de notre conscience : les idéaux, les credos qui opposent l'homme à l'homme, l'idéologie totalitaire et l'idéologie démocratique, l'idéologie catholique et l'idéologie protestante, leur croyance, leurs dogmes, leur violence de même que dans le monde asiatique. Cela fait partie de notre conscience, de même que le nationalisme fait partie de notre conscience tribale. Il s'agit de voir si cette croyance peut totalement, complètement finir, que l'on n'ait plus la moindre croyance, le moindre idéal, mais de confronter les faits tels qu'ils sont, pas tels qu'ils devraient être. Que chacun de nous, voit le fait de la chose, sa vérité, sa réalité, sa logique, voit si l'on peut être totalement délivré de toute croyance, idéaux, idéologies. Ceci requiert énormément d'investigation, d'attention, d'énergie pour découvrir si nos esprits sont altérés par les croyances et idéologies qui constituent en fait une fuite devant 'ce qui est'. Et étant incapable de confronter 'ce qui est', on essaie de se réfugier dans un idéal quelconque, ce que nous verrons plus en détail quand nous avancerons.
28:25 Et nous avons aussi abordé hier la question de la blessure, la blessure psychologique interne des êtres humains; comment chacun d'entre nous, de la naissance à la mort, est toujours blessé par une chose ou l'autre. Tout en étant assis là, confortablement j'espère, est-on conscient que l'on est blessé, profondément, par les parents, par l'école, pour cause de comparaison, d'une parole désobligeante, d'un geste. Et alors que l'on vieillit, on porte cette blessure, consciemment ou inconsciemment, profondément. Et les conséquences de cette blessure sont incroyablement complexes, car quand on est blessé, on a peur de l'être encore davantage, et il en découle des actes névrotiques, défensifs, pour tenter de se préserver d'autres blessures et cette blessure comporte donc de la peur. Cela fait partie de notre conscience.
30:39 Comme nous l'avons dit, cette peur est l'image que nous avons bâtie de soi. Chacun a une image de soi : une variété de masques, diverses qualités et images qu'il s'est bâties ou que la société lui a attribuées, et c'est une de ces images qui est blessée. L'image est moi, l'image n'est pas distincte de moi. Nous avons abordé cela hier. Il s'agit de savoir si l'on peut être totalement, complètement délivré de toute blessure, sans jamais être blessé. Alors seulement l'esprit peut-il fleurir, peut-il y avoir une relation humaine valable entre les uns et les autres. Il est donc très important de découvrir s'il est possible d'être entièrement délivré de l'image de soi; et c'est cette image qui se blesse. Nous avons quelque peu vu cela en détail hier.
32:29 Nous devrions aussi aborder l'examen du reste du contenu de sa propre conscience, c'est-à-dire la relation que nous avons avec notre prochain, avec autrui, avec la personne qui nous est la plus intime. Cette relation, comme on peut l'observer dans la vie quotidienne, comporte énormément de conflit. Il y a énormément de lutte, de malheur pouvant mener au divorce et à la recherche d'un autre partenaire, pour reprendre le même schéma. Ce conflit perpétuel entre homme et homme, entre homme et femme; pourquoi ? Nous admettons ce conflit, ou si nous ne l'admettons pas et voulons le résoudre, nous nous adressons aux professionnels pour de l'aide : au psychologue, au prêtre, à une autorité quelconque, un spécialiste qui nous aidera à résoudre le conflit qui nous oppose à autrui. Et comme vous l'avez peut-être vous-même observé, ce conflit ne prend pas fin. On aura beau le dissimuler, le fuir, l'avoir peut-être oublié et accepté, il y a ce conflit intérieur dans nos rapports avec tous les êtres humains, si intimes ou distants soient-ils. On se s'est jamais demandé pourquoi. Si ce conflit entre êtres humains intimes ou non, peut jamais prendre fin. C'est une question qu'il importe de poser, parce que toute vie est relation; que l'on vive dans un monastère, dans une communauté ou seul dans un petit appartement, on est toujours en relation. La vie est un mouvement dans la relation. Et ce mouvement semble comporter énormément de conflit et de malheur. Ceci fait partie de notre conscience, que ce soit caché ou en surface. Pourquoi, après des millions d'années, avec toute l'information que nous avons, toute l'information qui est devenue notre savoir, cela ne nous a-t-il pas protégés de cette souffrance, du conflit dans la relation ?
36:34 Posez-vous cette question s'il vous plaît. Je ne vous demande pas de vous poser cette question, c'est une question naturelle. Nous devons confronter ce problème et le résoudre. S'il n'est pas résolu, si nous vivons dans le conflit, nous créerons inévitablement une société qui perpétuera ce conflit. Alors soyez sérieux s'il vous plaît, au regard de cette question, car elle est très importante. Nous confrontons des guerres; la guerre est le produit ultime de notre conflit qui perdure intérieurement, du conflit avec nos intimes. C'est donc une question très sérieuse à laquelle il faut trouver une réponse, et la résoudre. Ce n'est pas une question académique, une question théorique. C'est une question humaine qui nous implique tous, chaque jour de notre vie. Pourquoi vivons-nous en conflit avec notre voisin, que celui-ci soit éloigné ou proche. Pourquoi avons-nous cette lutte, ce conflit entre homme et femme, luttes de nature diverses, – sexuelles, luttes de chacun ou chacune poursuivant ses propres désirs, sa propre ambition, son propre accomplissement, chacun s'efforçant d'être différent des autres. C'est un fait quotidien évident. Vous aurez beau vous retrouver au lit, chacun poursuit des modes de vie différents, comme deux lignes parallèles qui ne se rencontrent jamais et c'est ce qu'on appelle la relation, dans laquelle il n'y a pas de véritable amour, ce que nous allons voir.
40:05 L'amour n'est pas le plaisir, l'amour n'est pas le désir, l'amour n'est pas une quête d'accomplissement, mais nous avons fait de notre relation réciproque un sentiment d'accomplissement, de plaisir, de désir. Pourquoi les êtres humains qui sont si techniquement intelligents, qui ont une aptitude et une énergie si extraordinaires, n'ont-ils pas résolu cette question si essentielle, ce problème. Vous aurez beau méditer, chercher l'illumination, suivre le gourou dernier cru, ou l'expression ultime de votre recherche, si vous n'avez pas résolu ce problème, tous vos aboutissements techniques et réalisations spirituelles n'ont pas la moindre valeur. Du fait que notre vie est relation, elle ne peut par nature se vivre dans l'isolement, et du fait que nous vivons ou tentons de vivre dans l'isolement, nous préparons une grande catastrophe : en tant que groupe, en tant que nations qui s'isolent – l'Américain, l'Anglais, le Français, le Russe, l'Indien, et ainsi de suite. C'est là une forme d'isolement, dans laquelle chacun essaye de trouver sa sécurité. Il n'y a aucune sécurité dans l'isolement, car les êtres humains sont en train de se détruire. De même, si l'on n'a pas résolu cette question essentielle, fondamentale de la relation qui nous isole à présent les uns des autres, cet isolement engendre inévitablement toute sorte de malheur, de confusion, de haine, de colère. Alors est-il possible d'avoir une relation qui ne comporte pas le moindre conflit ?
43:55 Qu'est-ce que la relation ? Que signifie être relié à autrui, non seulement physiquement, mais bien plus, psychologiquement, profondément, ce qui conditionne notre activité physique. Nous oublions toujours ceci : nous voulons améliorer l'environnement de la société, et nous promulguons toutes sortes de textes législatifs, de lois, etc. Nous ne réalisons jamais que si nous ne sommes pas psychologiquement clairs dans nos actes, nous engendrerons une société pourrie. Psychologiquement, il est plus important de transformer nos propres conflits, que de se borner à mettre fin aux conflits extérieurs. J'espère que nous comprenons ceci en profondeur. Les conflits psychologiques produiront inévitablement un conflit mondial. Mais nous tachons de changer la structure extérieurement, pas fondamentalement, psychologiquement, spirituellement, si je puis me permettre ce terme tellement galvaudé – disons qu'en l'absence de toute transformation fondamentale du psychisme, faites ce que vous pouvez extérieurement, ce que vous aurez fait sera toujours dominé par le psychisme, comme cela se constate dans la récente révolution communiste. Ils espéraient qu'en changeant la structure extérieure de la société ils changeraient l'homme. Et c'est tout le contraire qui a eu lieu, de toute évidence.
46:38 La relation est donc extraordinairement importante. Et pourquoi y a-t-il cette division entre l'homme, la femme, en lui-même et avec son voisin, tout ce processus de la relation ? Attendez-vous de l'orateur qu'il vous donne l'explication ? Pourquoi vit-on en conflit les uns avec les autres, l'homme, la femme, etc. Ou sommes-nous ensemble en train d'observer ce phénomène, l'observant sans essayer de le résoudre. D'observer d'abord et de comprendre comment observer, pas comment résoudre le problème, vous comprenez ? Voici le problème : je ne suis pas marié, mais supposons que j'ai une épouse, je poursuis mes propres désirs, ma propre ambition, ma propre réussite etc., et elle en fait de même, sous une autre forme, tout en étant liés sexuellement et tout cela, avoir des enfants, mais nous n'en sommes pas moins deux entités distinctes, poursuivant nos propres buts, nos propres voies, notre propre accomplissement, chacun étant à sa propre affaire, comme on dit. Et bien sûr ma femme et moi sommes en contradiction, d'où disputes, irritation, incapacité de nous adapter, ou ne le voulant pas. Car en vérité, là où il y a amour il n'a pas à s'adapter. Alors que vais-je faire ? Comment vais-je agir, ou ne pas agir – veuillez écouter attentivement – l'agir ou le non agir, car le non agir sera bien plus important que l'agir. La négation est l'action la plus positive qui soit. C'est-à-dire voir le faux, et voir le vrai dans le faux, c'est mettre fin au faux. Se contenter d'observer. Mais nous sommes tous si désireux d'agir, de faire quelque chose à ce propos. Ma femme et moi nous disputons, sommes en désaccord – et toute la suite de cette vilaine affaire qui se poursuit. Vous en êtes probablement bien plus conscients que moi-même. La terrible tension, la solitude, la laideur que tout cela implique !
50:56 A présent, nous allons ensemble observer, non pas résoudre le problème – écoutez attentivement – pas le résoudre, pas le terminer, ni essayer d'y trouver une solution; mais nous allons observer ensemble. A savoir, comment vous abordez le problème, c'est-à-dire comment vous le regardez. L'approche est bien plus importante que le problème lui-même, n'est-ce pas ? Si j'ai peur de perdre ma femme, – vous connaissez tout cela, inutile d'entrer dans les détails – mon approche est alors conditionnée par ma peur. Et la solution du problème est alors conditionnée par ma peur, il n'y a donc pas de solution. Vous comprenez ? Donc l'approche est bien plus importante que le problème lui-même. Si nous pouvions seulement comprendre cette chose si simple ! Nous nous préoccupons toujours du problème, de sa complexité, de son analyse. Notre esprit est orienté vers la solution du problème. L'orateur dit, ne vous souciez pas de la solution; la façon dont vous abordez le problème, dont vous l'observez, importe bien plus que le problème lui-même. L'avez-vous saisi ? Voyez-le même intellectuellement, verbalement, à savoir que peu importe la solution, l'important est comment vous abordez le problème, comment vous le regardez. Le problème se situe-t-il là-bas, et vous vous en approchez, ou bien – écoutez je vous prie – ou bien le problème est vous. Vous comprenez ?
53:52 Laissons cela pour l'instant, car cela nous mènerait ailleurs. Donc, comme nous le disons, l'approche du problème est essentielle. Bien ? Peut-on procéder à partir de là ? C'est vous qui procédez, pas moi. Nous disons : comment abordez-vous le problème, comment le regardez-vous, comment rassemblez-vous votre énergie pour l'examiner. Votre approche est-elle orientée, ce qui signifie que vous essayez de le résoudre, ou vous avez un motif, et si c'est le cas, l'abordez-vous avec ce motif ? Ainsi, quand vous abordez avec un motif, celui-ci va décider de la façon dont vous traiterez le problème. Tandis que si vous n'avez aucun motif – attention je vous prie ceci demande une observation précise – quand vous n'avez aucun motif, et donc aucune direction, vous observez alors purement le problème, sans aucun détour, sans aucune décoloration. Vous l'observez simplement. Bien ? Est-ce ce que nous faisons en ce moment ? Je vous en prie, il ne s'agit pas pour nous d'un jeu. Ce n'est pas un amusement intellectuel du dimanche matin. C'est très, très sérieux, car la vie est relation. Si nous ne comprenons pas cette relation, nous provoquons alors des ravages dans le monde, nous détruisons nos enfants, nous nous détruisons mutuellement, – ce que nous sommes en train de faire, par la compétition, par les guerres, par toutes les horreurs que l'homme commet.
56:29 Nous observons donc ensemble la raison pour laquelle les êtres humain ne peuvent vivre en paix les uns avec les autres. Tel est le fait, c'est une affirmation véridique non exagérée, et notre façon de l'aborder découle soit d'une observation pure, objective, impersonnelle, soit vous l'abordez avec une réaction personnelle. Si vous l'abordez avec une réaction personnelle, le conflit se poursuivra à jamais. Mais si vous l'abordez objectivement, sans passion, sans direction aucune, vous comprenez, quel est alors votre état d'esprit – suivez ceci, je vous prie – quel est alors l'état de votre esprit qui examine le problème ? Vous avez compris cela ? Quelqu'un a-t-il compris ? Bien, exprimons cela autrement. Pourquoi y a-t-il conflit entre homme et femme, homme et homme, vous savez, tout le sujet de la relation, pourquoi ? Regardez la chose je vous prie, répondez-y, creusez-la vous-même, ne dépendez pas de l'orateur, il n'en vaut pas la peine. Il n'a pas de valeur. Il n'est qu'une entité verbale, un téléphone. Mais il vous faut découvrir la réponse, pourquoi. Nous observons ensemble, donc vous ne l'apprenez pas de l'orateur, il ne vous enseigne rien. Comprenez cela, je vous prie, il ne vous enseigne strictement rien ! Par conséquent vous n'êtes pas ses disciples, il n'est pas votre autorité, il n'est pas votre gourou. Ils vous ont tous égarés. Car ils n'ont jamais été capables de résoudre ce problème, ils ne s'y sont même pas attaqués.
59:40 Nous allons donc, en observant ensemble, découvrir pourquoi ce conflit existe et s'il est possible d'y mettre totalement fin, pas théoriquement, pas pour un jour – y mettre fin. Ce conflit existe, inévitablement – je ne veux pas vous le dire, ce serait trop stupide. Si je vous le dis, vous direz : oui, c'est exact, et vous voilà de retour à la case départ. Ce n'est pas une chose que vous avez découverte par vous-mêmes. Savez-vous ce qui se passe quand vous découvrez une chose par vous-mêmes, psychologiquement ? Vous avez une immense énergie. Et il vous faut cette énergie pour libérer l'esprit de son conditionnement. Je me dispute avec ma femme, si j'en ai une, ou avec une petite amie, peu importe qui – je me dispute avec elle parce qu'étant seul je veux la posséder. je veux dépendre d'elle, je veux son réconfort, ses encouragements, sa compagnie. Je veux quelqu'un qui me dise que je suis merveilleux. Donc je me fabrique une image d'elle. Et elle aussi veut être possédée, veut s'accomplir en moi, sexuellement, me voulant différent de ce que je suis. Nous avons donc la chose suivante : chacun, pour une semaine peut-être, ou un jour, ou des années, s'est construit une image qui devient du savoir. Suivez bien ceci , je vous prie ! Un savoir réciproque. Le savoir – puis-je approfondir un peu cela ? C'est un sujet sérieux. Le savoir est destructeur dans la relation. N'est-ce pas ? Si vous compreniez au moins ceci ! Je dis 'je connais ma femme' parce que j'ai vécu avec elle, je connais toutes ses tendances, ses irritations, son impétuosité, sa jalousie, tout cela devient mon savoir : comment elle marche, comment elle se coiffe, comment elle se meut - vous suivez ? J'ai rassemblé énormément d'informations et de savoir sur elle. Et elle en a rassemblé autant sur moi. Ainsi, le passé – vous suivez ? – le savoir est toujours le passé, non ? Il n'y a pas de savoir prévisible sur l'avenir. Nous avons donc du savoir l'un sur l'autre n'est-ce pas ?
1:04:23 Il faut donc se pencher avec soin sur la question du savoir : quelle est la place du savoir dans la vie ? Sommes-nous ensemble dans cette observation ? Le savoir va-t-il transformer l'homme ? Quelle place a le savoir dans la mutation, ou dans la fin du conditionnement ? Voici ce qu'est le conditionnement : je l'ai conditionnée par le savoir, et elle m'a conditionné par le savoir. Vous suivez tout cela ? Sommes-nous ensemble ici ? Nous observons ensemble. Je vous en prie, je ne vous instruis pas. Vous observez avec toute votre énergie, votre aptitude à voir ce fait que là où la relation repose sur le savoir, il y a inévitablement conflit. Le savoir nous est nécessaire pour conduire une auto, pour écrire une phrase, pour parler l'anglais, le français, ou toute autre langue. Ou il me faut du savoir technique; si je suis un bon menuisier, il me faut du savoir sur le bois, sur les outils dont je me sers, etc. Mais dans ma relation avec ma femme ou avec un ami, ou avec qui que ce soit, ce savoir que nous avons mutuellement accumulé, construit à travers des irritations continuelles, des séparations persistantes, des ambitions, ce savoir que j'ai acquis va empêcher que se noue une véritable relation avec l'autre. N'est-ce pas ? Est-ce là un fait, ou n'est-ce qu'une supposition, une théorie, une idée ? Une idée est une abstraction du fait. Bien ? Le mot idée en grec signifie observer, voir, venir très près de la perception, pas de faire une abstraction ce qui devient une idée. Nous ne nous occupons pas d'idées. Mais nous nous occupons du fait de la relation, laquelle est en conflit, et ce conflit surgit quand j'ai accumulé beaucoup d'informations sur son compte et qu'elle en a acquis beaucoup sur moi. Donc notre relation repose alors sur le savoir, et le savoir ne peut jamais être complet sur quoi que ce soit de la vie. Réalisez-le, je vous prie. Le savoir s'accompagne toujours de l'ombre de l'ignorance. N'est-ce pas ? Vous ne pouvez connaître l'univers. Les astrophysiciens peuvent bien le décrire, mais pour prendre conscience de cette immensité, aucun savoir n'est requis au moyen de l'information; il vous faut avoir cet esprit aussi vaste, aussi parfaitement ordonné que l'est l'univers, mais c'est là une autre histoire.
1:08:58 Alors de même, le savoir dans la relation engendre le conflit. Voyez le fait. Ne l'acceptez pas. Voyez le fait que dans un sens le savoir a son importance, et dans l'autre il n'en a pas. La négation est ce qu'il y a de plus positif – vous comprenez ? N'est-ce pas ? Pouvons-nous avancer un peu plus là-dessus ? A savoir : nous faut-il un acte de volonté pour mettre fin au conflit ? Cela revient à chercher si la volonté, c'est-à-dire l'action positive – 'je veux mettre fin à ce conflit' – si cette volonté amènera la cessation du conflit – on l'a déjà fait.
1:10:20 Il est donc très important de comprendre quelle est la place du savoir, et l'obstacle qu'il constitue dans la relation. L'amour n'est pas le savoir, l'amour n'est pas le souvenir. En l'absence de savoir sur son compte, je la regarde à neuf, comme un nouvel être humain, chaque jour renouvelé. Savez-vous ce que cela fait ? Vous êtes trop érudits, trop pleins de savoir livresque, de ce que d'autres ont dit. Et c'est pourquoi ceci devient si difficile à comprendre – une chose aussi simple que cela.
1:11:41 Il est une heure moins le quart. Pardon. Nous continuerons samedi et dimanche prochains, car nous avons affaire à un problème très complexe de la vie. Et cette vie englobe la compréhension du contenu de notre conscience. Tant que nous n'avons pas saisi la totalité de cette conscience, nous serons perpétuellement en désordre. Et ce désordre est la nature même de notre conscience. Et c'est pourquoi nous avons traité de la foi, de la croyance, de la blessure, de la relation : cela fait partie de notre conscience. Et de ce désordre peut naître l'ordre, ce dont nous parlerons samedi et dimanche prochains.
1:12:59 Puis-je me lever à présent ?