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OJ82T3 - Nos esprits désordonnés peuvent-ils créer l’ordre ?
3ème causerie publique
Ojaï, Californie, USA
Le 8 mai 1982



1:22 Pouvons-nous poursuivre là où nous en étions restés dimanche dernier ? Nous parlions de la relation juste. La plupart du temps notre relation comporte énormément de conflit, de lutte, de manque de compréhension mutuelle, etc. Nous avons approfondi cela avec grand soin. Si cela ne vous fait rien, nous n'y reviendrons pas. C'est là que nous en étions restés dimanche dernier. Nous avons indiqué combien il importe d'avoir une bonne relation : entre homme et femme, ou avec des gens qui nous sont éloignés. Car la vie est relation, un mouvement dans la relation; et il semble que nous n'ayons jamais été capables de résoudre le problème consistant à ne pas avoir de conflit dans la relation. Nous nous y sommes penchés avec soin. Et ce matin, nous devrions parler de l'ordre et de la peur.
3:24 Qu'est-ce que l'ordre ? Ce mot a un sens très large – l'ordre d'un général à ses soldats, l'ordre ecclésiastique, l'ordre monastique, l'ordre dans sa maison, l'ordre dans le jardin, etc. Ce mot a un sens extraordinaire. On a essayé d'établir l'ordre dans la société, par des lois, par l'autorité, par le policier et ainsi de suite. La société, cette chose dans laquelle on est pris est créée par nous tous, nos parents, les générations précédentes, et cette société est dans le désordre, la confusion. Cette société est devenue quasiment immorale, elle engendre des guerres, des sommes énormes partent en armements. Cette société comporte la division, le conflit. Il y a la société totalitaire et la société soi-disant démocratique. Qu'elle soit totalitaire ou démocratique, il y règne toujours le désordre, la confusion, chaque individu s'affirmant agressivement contre les autres, d'où un désordre généralisé. Ce désordre est généré par nous tous, car nous vivons dans le désordre. Notre maison est en désordre – pas la maison physique, mais la maison psychologique, c'est-à-dire notre conscience – est dans le désarroi, perturbée, morcelée, contradictoire.
6:29 S'il nous est permis de le souligner, ceci n'est pas un divertissement, intellectuel ou autre. Nous parlons de problèmes humains. Et, si je puis encore le rappeler, ceci n'est pas une conférence; l'objet d'une conférence étant de fournir certaines informations, de discourir sur un sujet particulier en vue soit de convaincre, soit de se livrer à une certaine propagande, etc. Dans ce sens là, ceci n'est pas une conférence. Mais ensemble, nous étudions, nous explorons la question de l'ordre et du désordre. Nos esprits sont dans le désordre; un tel esprit peut-il créer l'ordre, amener l'ordre ? C'est le premier problème auquel nous avons à faire face. Pour la plupart d'entre nous, la vie quotidienne est confuse, incertaine, contradictoire, nous sommes profondément blessés psychologiquement, n'avons pas de bons rapports avec autrui sur le plan psychologique. Et cette relation inclut la contradiction, le désordre, le manque d'harmonie, et ainsi va notre vie; probablement de notre naissance à notre mort, nous vivons dans le désordre. On se demande si l'on en est conscient.
8:57 Nous avons abordé la question de qu'est-ce qu'être lucide, être conscient du fait, reconnaître le fait qu'on est en désordre. Si l'on est tant soit peu conscient de ce fait, tentons-nous de le fuir en recherchant une solution, ou en acceptant un modèle d'ordre, un ordre établi afin de nous conformer à une certaine norme ? Sommes-nous conscients de tous ces mouvements psychologiques nés du désordre ? Et comment ce désordre survient-il ? Pourquoi, après tant de millénaires, vivons-nous psychologiquement dans le désordre, et donc extérieurement dans le désordre ? Extérieurement, notre désordre s'exprime sous de multiples formes, comme la nationalité, la division entre les peuples, les divisions religieuses, les guerres, etc.
10:48 Nous demandons donc s'il est possible d'être délivrés de ce désordre – la fin du désordre – et par conséquent la fin même du désordre est l'ordre. L'ordre est vertu. Il est impossible de discipliner l'esprit pour qu'il devienne ordonné, car l'entité qui désire l'ordre résulte elle-même de la confusion; tout ordre émanant d'elle ne peut qu'engendrer le désordre. J'espère que nous sommes tous sérieux ce matin, car, comme nous l'avons sans cesse indiqué, ceci est une affaire sérieuse. La vie devient si terriblement dangereuse, incertaine. C'est une réalité. Et toute personne sérieuse qui se préoccupe de tout le problème de la vie doit s'interroger sur tout cela : comment naît le désordre, quelle est sa racine ? Quand nous posons une telle question, c'est vous qui la posez et non l'orateur. Vous vous la posez à vous-même, essayant de découvrir la racine de ce désordre. Est-ce le désir ? La nature même et la structure de la pensée seraient-elles le désordre ? Impliquant que la pensée elle-même est désordre. Nous posons cette question. Le désordre émane-t-il du désir ? Le désordre émane-t-il de l'acte même de penser ? C'est-à-dire, la pensée est-elle la source du désordre ? Pour la plupart, on ne s'est peut-être même pas posé une telle question. On accepte de vivre dans le désordre; on dit que c'est notre condition et qu'il faut l'accepter. Et on s'y habitue donc, l'admettant et essayant de le modifier. Mais on ne se demande jamais pourquoi l'on vit dans le désordre, psychologiquement, intérieurement, sous la peau pour ainsi dire et quelle en est la racine, quelle est la substance même qui amène le désordre. Est-ce le désir ? Le désir en lui-même est contradictoire : vouloir telle chose et résister à telle autre, désirer le bonheur, et faire tout ce qui amène le malheur. Rechercher le plaisir – le désir du plaisir – et ce désir lui-même crée un manque d'harmonie.
15:43 Nous demandons donc sérieusement : le désir est-il lui-même la racine, l'origine, le commencement du désordre ? Alors, s'il l'est, – nous n'affirmons pas qu'il l'est car nous cherchons, nous pénétrons très profondément ce problème très complexe du désir. Le désir a beaucoup d'énergie, d'allant : on désire tant de choses : le pouvoir, la situation, la fortune, la liberté, le paradis, le désir de vivre heureux, confortablement, et ce désir s'accumule sous forme de volonté. La volonté est l'essence du désir. Il faut donc chercher ce qu'est le désir, qui pourrait engendrer le désordre. Nous désirons avoir de quoi manger, c'est très naturel. Nous désirons une maison, un abri, cela aussi est très naturel; d'avoir des vêtements, c'est très naturel. Mais les désirs psychologiques – de pouvoir, de situation, d'aller au delà de sa situation du moment, de parvenir à un certain état idéaliste – il y a tant de formes de désirs, parfois se contredisant, parfois se complétant l'un l'autre. Il faut donc aborder très prudemment la question de la raison d'être et de l'origine du désir. Et voir s'il engendre le désordre.
18:51 Nous ne somme pas en train de vous décrire la nature du désir, pour que vous soyez en accord ou en désaccord; nous menons ensemble une conversation, comme deux amis parlant ensemble du problème très complexe du désir. C'est donc vous qui faites la recherche, pas l'orateur. L'orateur ne fait que verbaliser, que formuler la recherche que vous êtes en train de mener. Et si votre cerveau est inactif, se contentant d'écouter ce qui est dit, c'est alors une communication verbale qui ne signifie pas grand chose. Les explications ne sont pas la réalité. L'orateur peut bien prendre la peine de vous en expliquer tous les détails, ces explications sont verbales et n'ont aucun sens. Mais les explications verbales sont les outils de votre propre découverte, que l'orateur formule en paroles. J'espère qu'il est parfaitement clair que l'orateur n'est pas en train de dispenser certaines idées, certaines conclusions, mais plutôt qu'ensemble nous observons tout le mouvement du désir, sa nature, son intériorité, l'origine et le commencement du désir.
21:25 Les religions du monde entier – les religions organisées, consacrées, orthodoxes et autoritaires – ont toutes dit qu'il faut réprimer ou transmuer le désir, identifier son désir à ce qui est vaste, à ce qui se rapporte au Sauveur, à la chose que l'on veut accomplir, à laquelle on s'identifie. Et ainsi progressivement réprimer tout désir contradictoire, sensuel. Tel a été l'édit promulgué par toutes les religions; des monastères se fondent là-dessus, les moines aspirent à cela et les moines asiatiques, les sannyasis, font cela à leur manière. Donc le désir a été condamné. Nous ne le condamnons pas. Nous ne disons pas qu'il doit être réprimé ou transmué, ni n'agissons dessus. Nous allons ensemble creuser ce problème très complexe, l'observer sans motif – c'est bien là toute la question, sans motif – voir tout simplement ce qu'est le désir qui mène la plupart d'entre nous, tant commercialement que psychologiquement. N'attendez pas que je l'énonce, que je l'explique, si vous êtes sérieux, vous allez vous y atteler. Car nous devons découvrir, si nous le pouvons, s'il est possible de vivre une vie ordonnée, saine, rationnelle, sainte; pas cette existence conflictuelle, destructrice, guerrière. Qu'est-ce alors que le désir ? Pourquoi exerce-t-il tant de pouvoir dans nos vies ? Comme nous l'avons dit, l'ordre est une vertu. Devenir vertueux relève du désir; avoir des valeurs établies est une forme de désir. Vous aurez beau avoir des valeurs, des schémas, des idées, etc., si le mouvement du désir n'est pas spécifiquement compris, qu'il soit contradictoire, qu'il soit à l'origine du désordre, nous devons chercher très, très en profondeur ce qu'est le désir. Le désir n'est-il pas issu de la sensation ? Les réponses sensorielles font partie du désir. La sensation : c'est-à-dire par l'observation, par la perception optique, vision, puis contact, et enfin sensation. N'est-ce pas ? On voit une belle maison avec un ravissant jardin; cette vision provoque d'elle-même une sensation; de cette sensation naît un désir de posséder cette maison. Bien ? C'est-à-dire la vision, puis le contact, et de ce contact physique, la sensation. C'est évident. N'est-ce pas ? Pouvons-nous poursuivre à partir de là? Vous voyez une femme ou un homme de belle allure, tels qu'ils apparaissent dans la publicité de ce pays; il y a la vision de la chose, puis le contact, puis la sensation. Ensuite – observez-vous avec soin, je vous prie – ensuite la pensée crée l'image. Quand la pensée crée l'image, le désir apparaît. N'est-ce pas ? Ainsi, on voit une belle chemise, une robe dans la devanture d'un magasin, on entre, on palpe le tissu; ce contact crée de lui-même une sensation; la pensée dit alors : comme cette chemise ou cette robe m'irait bien. Le désir naît à c'est instant. Avez-vous compris ?
29:05 Avons-nous clairement compris que la pensée avec son image crée le désir lorsqu'il y a sensation. Bien Monsieur ? Sommes-nous ensemble ici ? Et si c'est clair – n'admettez pas ce que dit l'orateur, ce pourrait être totalement faux – regardez attentivement ce mouvement du désir pour que vous-même découvriez pour vous-même toute la nature du désir : comment il apparaît, et si le fait de discipliner le désir n'est pas précisemment l'acte de la confusion, du désordre. Comprenez-vous tout cela ? Car c'est là qu'est l'entité qui contrôle le désir, l'entité qui est distincte du désir. Est-ce le désir lui-même, pas l'observateur, qui souhaite changer ce qu'il observe ? Je me demande si vous voyez tout cela ? Puis-je poursuivre là-dessus ? Je vous en prie, ne me regardez pas. Ce n'est pas important. Découvrez par vous-même la réalité du commencement du désir. Pas comment discipliner le désir, nous y viendrons sous peu. Nous nous contentons d'observer tout le mouvement du désir – la vision, le contact, puis la sensation, puis la pensée créant l'image c'est-à-dire le début du désir. Je vois votre belle chemise, elle est faite d'un bon tissu, bien coupée, puis, si vous me permettez de la toucher, il y a une sensation qui émerge de mes réponses sensorielles. Puis je veux posséder cette chemise. La pensée dit, comme elle m'irait bien, cette chemise. Cette pensée qui crée l'image de moi portant cette chemise est le commencement du désir. C'est clair ?
33:04 A présent, la question est : s'il en est ainsi, ce qui est logique, il n'y a pas lieu de le réfuter, c'est un fait, non parce que l'orateur l'a dit, c'est ainsi. Si vous l'observez, c'est un mouvement. Et la question est alors : pourquoi la pensée se mêle-t-elle de la sensation ? Vous suivez ? Je vois que vous avez une superbe voiture, je suis sûr qu'elle vous plairait à tous : une voiture bien astiquée. Vous la voyez dans la rue, vous la regardez, en faites le tour, la touchez; Il en découle une sensation. Puis vous vous imaginez assis au volant, la conduisant. L'imagination est alors l'action du désir. N'est-ce pas ? Est-ce clair ? La question est donc celle-ci : la pensée est-elle capable de ne pas intervenir avec son imagination ? Percevoir cette voiture, la sensation, sans que la pensée ne crée l'image de vous assis au volant. Vous comprenez ? Ceci demande une grande lucidité, vigilence. Il n'est donc pas question de discipliner, de maîtriser le désir, mais au contraire, l'observation intelligente du désir est en elle-même un acte qui libère l'esprit de l'urgence du désir.
35:30 J'espère que vous comprenez tout ceci, car nous devons parler de quelque chose de bien plus complexe. Si ceci est compris, nous devrions poursuivre et demander qu'est-ce que la peur ? Quelle est l'origine de la peur, et si l'esprit, l'état psychologique, peut jamais être totalement, complètement libre de la peur. Il ne s'agit pas de dire que c'est possible ou non. Si vous répondez d'une façon ou de l'autre, cela conditionne l'état de votre propre recherche. Mais si la demande porte intelligemment sur le fait de savoir si l'esprit d'un être humain, son psychisme, sa conscience, peut jamais être libre, complètement – pas partiellement, pas libre un jour et plein de peur le lendemain, c'est du mouvement global de la peur, qu'il s'agit, tant des peur conscientes que des peurs profondément enracinées – s'il est possible que l'esprit humain en soit totalement délivré ? Car la peur est un des facteurs du désordre, pas seulement le désir, mais aussi la peur. Les êtres humains, pour la plupart, ont peur : qu'il s'agisse de peurs physiques ou psychologiques, de peurs compliquées. Peur de ne pas accomplir, peur de ne pas devenir, peur en matière de relation, peur de ne pas avoir d'emploi – surtout aujourd'hui dans ce pays-ci où dix millions de personnes sont sans emploi – peur de l'obscurité, peur de la mort, peur de l'acte même de vivre. Il y a tant et tant de formes de peur. Naturellement, au fur et à mesure que l'on observe la peur, cet état de peur, on peut voir comme la peur crée le désordre : peur d'être en sécurité ou dans l'insécurité, peur du passé, peur du présent, peur du futur, nous les connaissons toutes. Nous avons, pour la plupart, éprouvé une peur ou l'autre, dans l'urgence, très profondément ou superficiellement. Quand on a peur, tout l'état psychologique se contracte, se crispe, vous connaissez tout cela. Et quand la peur se manifeste, tout s'obscurcit et l'on cherche à fuir cette obscurité. La fuite prédomine alors sur la peur proprement dite. Mais la peur demeure toujours.
40:04 Alors on demande pourquoi les êtres humains, qui ont vécu sur cette terre pendant des millions d'années, qui sont techniquement intelligents, pourquoi n'ont-ils pas utilisé cette intelligence pour se libérer de ce problème très complexe de la peur. Ce pourrait être là une des raisons de la guerre, de ce qu'ils s'entretuent. Et les religions du monde entier n'ont pas résolu le problème, pas plus que les gourous, les sauveurs, les idéaux. Donc si ceci est très clair, aucun agent extérieur, si élevé soit-il, quelle que soit la popularité de sa propagande, ne pourra jamais résoudre ce problème de la peur humaine.
41:36 Nous nous permettons à nouveau de répéter ceci : c'est vous qui êtes en train de chercher, d'étudier, de creuser tout le problème de la peur. L'orateur ne peut qu'expliquer, mais l'explication n'a aucune valeur si vous n'approfondissez pas vous-même cette question. Peut-être avons-nous tellement admis le schéma de la peur que nous ne voulons même pas nous en écarter. Qu'est-ce alors que la peur ? Quels sont les facteurs qui contribuent à amener la peur ? C'est comme un réseau de petits torrents, de petits ruisseaux qui forment l'énorme volume d'eau d'un fleuve, alors quels sont ces petits ruisseaux qui amènent la peur, qui ont la formidable vitalité de la peur ? Une des causes de la peur serait-elle la comparaison ? Se comparer à quelqu'un d'autre, psychologiquement. C'est évidemment le cas. Alors peut-on vivre une vie en ne se comparant à personne ? Vous comprenez ? Quand on se compare à un autre, idéologiquement, psychologiquement ou même physiquement, on se démène pour l'égaler, d'où la peur de ne pas y arriver. Il y a le désir d'accomplir et la peur d'en être incapable. Vous comprenez ? Là où il y a comparaison, la peur est inévitable.
44:50 Et l'on se demande alors s'il est possible de vivre sans la moindre comparaison, sans jamais comparer. Que l'on soit beau ou laid, blond ou pas, physiquement, se rapprochant psychologiquement d'un idéal quelconque, d'un modèle de valeur, cela implique cette incessante comparaison. Nous demandons : est-ce là une des causes de la peur ? Evidemment. Et là où il y a comparaison, il y a forcément conformité, il y a forcément imitation, intérieurement. Nous demandons donc : ces facteurs de comparaison, conformité, imitation contribuent-ils à la peur ? Et peut-on vivre sans comparer, sans imiter, sans se conformer psychologiquement ? Bien sûr qu'on le peut. Si ce sont là des facteurs contribuant à la peur, et si vous vous préoccupez de mettre fin à la peur, il n'y a alors intérieurement aucune comparaison, ce qui signifie qu'il n'y a aucun devenir. Bien ? La comparaison – le sens même du mot comparaison est devenir ce que vous pensez être préférable, plus élevé, plus noble, etc. Alors la comparaison, l'imitation, la conformité, c'est-à-dire devenir, est-ce là un des facteurs, ou le facteur de la peur ? Nous ne disons pas que ce l'est. Vous devez le découvrir par vous-même. Si ce sont bien là les facteurs, si l'esprit voit que ces facteurs engendrent bien la peur, la perception même de cela met fin aux causes qui y contribuent. Là où il y a une cause, il y a une fin. J'espère que vous le comprenez. S'il y a une cause physique qui vous donne mal au ventre, ce mal au ventre prend fin par la découverte de la cause de la douleur. De même, là où il y a une cause, il y a une fin à cette cause.
49:04 Et le temps est-il un facteur de la peur ? Le temps étant constitué des choses ou des incidents ou événements qui ont eu lieu dans le passé, ou qui pourraient se produire dans l'avenir, et le présent. Le temps est un mouvement, physiquement d'ici à cet autre endroit, d'un point à un autre; un mouvement d'un point à un autre demande du temps. Il faut du temps pour apprendre une langue. Il faut du temps pour apprendre une technique quelconque. Mais quand on pense au futur, à ce qui pourrait arriver – j'ai un emploi, je pourrais le perdre; ma femme pourrait me quitter – le futur, c'est aussi le temps. Il ne s'agit pas du temps physique, le lever et le coucher du soleil, le mouvement de la pendule, le temps chronologique; nous parlons du temps psychologique : je suis, je serai et je pourrais ne pas être. Alors le temps est-il un facteur de la peur ? Pas comment le suspendre, on ne peut l'arrêter, – on va voir cela – mais commençons par observer le fait qu'un des facteurs de la peur est le temps. Disons que j'ai peur de la mort. Cela se situe dans le futur. Alors le temps est-il un facteur de la peur ? Il l'est évidemment. Alors la pensée est-elle un facteur de la peur ? Comprenez-vous tout ceci ? Nous avons dit que diverses causes contribuent à la peur : la comparaison, l'imitation, l'identification et cet acte de devenir autre chose – je suis ceci, je dois être cela, et je pourrais ne jamais l'être. Alors le temps est-il un facteur intervenant dans le mouvement de la peur ? Il l'est évidemment. Il y a une distance entre maintenant, le fait de vivre, et de mourir, une distance de ce point-ci à ce point-là. Se déplacer de ce point-ci à ce point-là est la peur. Bien ? Le temps est la peur.
53:33 Nous demandons ceci : la pensée est-elle la peur ? Il est très important de le découvrir. La pensée est-elle la racine de la peur ? Le temps est bien la racine de la peur, évidemment, comme la comparaison, etc. Et la pensée l'est-elle aussi ? Alors le temps et la pensée ne vont-ils pas de pair ? Suivez-vous tout ceci ? Cela devient-il trop compliqué ? Etes-vous fatigués ? Cela vous regarde. Nous ne cherchons à vous convaincre de rien. Nous n'essayons pas de vous demander de suivre l'orateur. L'orateur est vous-même, il ne fait qu'indiquer la nature de la peur. Si vous ne le voyez pas vous-même, soit votre esprit est vague car vous avez trop bu hier soir, trop fumé, soit que vous vous êtes complu dans des divertissements, sexuels ou autres, donc votre esprit, votre aptitude, votre énergie sont déficients, et vous vous contenterez d'écouter comme s'il s'agissait d'un divertissement, qui n'affectera pas votre vie. Mais si vous êtes sérieux, si votre cerveau est actif, ne se borne pas à fantasmer devant les arbres et jouer avec les mots, si la nécessité de le découvrir vous tenaille, il faut alors vous y appliquer ! S'appliquer signifie regarder la chose maintenant. Il se peut qu'assis tranquillement sous ces arbres vous n'ayez pas peur. Mais la peur chemine dans l'inconscient, profondément, que vous en soyez actuellement conscient ou non.
56:33 Nous avons donc dit que le temps, le devenir, la comparaison avec tout ce qui s'y implique, sont les facteurs de la peur. Et nous demandons à présent si la pensée elle-même en serait un des facteurs, peut-être même le facteur majeur de la peur. Qu'est-ce alors que la pensée ? La pensée compare, la pensée imite, la pensée dit je suis ceci et je dois être cela. Je dois accomplir, m'identifier, je dois être quelque chose. Tout cela est le mouvement de la pensée. Et la pensée elle-même pourrait être désordre. Nous cherchons, approfondissez cela, je vous prie. Nous n'essayons pas de souligner que la pensée doit être maîtrisée, mais de voir que la pensée pourrait être le facteur principal de la peur. L'année dernière j'étais en bonne santé, et ne le suis plus, mais j'espère être en parfaite santé l'année prochaine. Le fait de penser à la douleur de l'année dernière en espérant que cela n'ait pas lieu dans le futur est le mouvement de la peur – la pensée. Bien ? Alors qu'est-ce que la pensée ? Pas 'la pensée peut-elle jamais cesser, laissant la nature suivre son cours', mais nous cherchons ce qu'est la pensée, qu'est-ce que penser ? Ceci comporte également divers facteurs. Voyez le simplement. Quand on vous demande votre nom, vous répondez aussitôt. Pourquoi ? Parce que vous avez tant de fois répété votre nom, qu'il n'y a pas lieu d'y réfléchir. Vous y avez peut-être pensé à une certaine époque, mais la répétition continuelle de votre nom se fait sans réfléchir. Si l'on vous pose une question compliquée, vous vous mettez alors à chercher, la pensée se tourne dans tous les sens jusqu'à ce qu'elle ait trouvé une réponse. Et quand on vous pose une question très compliquée, ou une question à laquelle vous n'avez jamais pensé, vous répondez 'je ne sais pas'. N'est-ce pas ? Très peu de gens disent je ne sais pas. Vous comprenez ? Ne pas savoir requiert une grande humilité – nous le verrons une autre fois, pas maintenant.
1:00:39 Alors, qu'est-ce que penser ? La pensée a créé les plus merveilleux tableaux, les oeuvres picturales, elle a créé des choses exquises tirées de la pierre : la Pietà de Michel Ange, les grandes cathédrales. Et elle a aussi créé les sous-marins, les missiles, la bombe atomique; la pensée a créé les guerres, les nationalités; la pensée a créé tous les rituels, rituels religieux; la pensée a inventé le Sauveur; qu'il s'agisse du sauveur hindou ou du sauveur chrétien. La pensée a donc fait les choses les plus extraordinaires. L'ordinateur, qui pourrait remplacer le cerveau humain, et que va-t-il advenir de votre cerveau quand l'ordinateur y parviendra ? Là encore c'est une autre affaire.
1:02:16 Nous devons donc découvrir ce qu'est penser. Si la pensée elle-même pourrait être à l'origine du désordre et de la peur. Nous avons accordé tant d'importance à la pensée, aux intellectuels, aux savants, à ceux qui créent ces merveilleux objets technologiques. Mais ceux mêmes qui ont inventé tout cela, les grands savants, vivent eux-mêmes dans le désordre. Il ne leur est jamais venu à l'esprit de se demander pourquoi une place tellement importante est faite à la pensée, la pensée qui pourrait elle-même être à l'origine du désordre et de la peur. Nous allons explorer. Vous allez explorer, pas l'orateur. Il peut expliquer – je dois répéter cela encore et toujours; il peut bien répéter, mais si vous ne vous y appliquez pas vous-même, l'approfondissant, le fait de rester assis là à écouter l'orateur n'a aucun sens. Vous y perdez votre temps et votre énergie. Depuis la nuit des temps, l'homme a fait l'expérience de l'accident, de la sensation, du danger, du plaisir, et cette expérience lui a laissé un savoir. Il retire un savoir de cette expérience. N'est-ce pas ? Ce savoir est emmagasiné dans le cerveau en tant que mémoire. Et de cette mémoire découle la pensée. N'est-ce pas ? La pensée est donc limitée, car l'expérience est limitée, le savoir est limité. Par conséquent la pensée est limitée. La pensée est un processus matériel, car l'expérience est un processus matériel. Il se produit un accident d'automobile, et cette expérience est remémorée, ce qui est le savoir, le souvenir en est douloureux, ce qui est la pensée. N'est-ce pas ? La pensée est donc un mouvement issu de l'expérience, du savoir, de la mémoire, de la pensée. Là encore, il n'est pas question de contester ce fait. Si vous n'avez aucune expérience, aucun savoir, aucune mémoire, vous ne pouvez alors penser, vous êtes dans un état d'amnésie. Mais nous sommes sensés être des êtres humains pensants.
1:06:32 Donc le savoir est toujours limité – sur quoi que ce soit. Il en est ainsi. La pensée a créé les objets situés dans la cathédrale, l'église, les rituels, puis la pensée les vénère. Vous suivez tout cela ? La pensée a créé toutes les choses relevant de l'activité religieuse, la pensée a inventé cela. Et alors la pensée dit, il faut vénérer cela. On se demande alors si la pensée est jamais sacrée. Elle ne peut jamais l'être ! Pourtant nous avons sacralisé certaines choses de la pensée. De même, Dieu est une invention de la pensée. Je sais que cela ne vous plaira pas, mais voilà.
1:08:05 Alors la pensée est-elle à l'origine de la peur ? Penser au futur, penser à un bonheur qui m'échappe, penser à la mort, penser que je pourrais être paralysé, etc., avoir un cancer. Donc pensée et temps sont une seule et même chose. Et les causes contribuant à tout ceci relèvent de la pensée. La question est alors : si la pensée est à l'origine de toute peur, et donc de tout désordre, si la pensée est l'origine du désordre, de la peur, alors que faut-il faire ? On ne peut arrêter la pensée, la pensée a sa place. Quand vous partirez pour aller chez vous, ce mouvement d'ici à là est l'action du temps et de la pensée. Pensée et savoir vous sont nécessaires pour écrire une lettre, apprendre une langue, conduire, mener des affaires techniques, là, la pensée et le savoir sont absolument nécessaires. Mais nous demandons : l'accumulation de savoir sur le psychisme, sur vous, et penser à partir de ce savoir, est-ce nécessaire ? Vous comprenez cette question ? Prêtez y un peu d'attention, je vous prie. Est-il nécessaire d'enregistrer des événements psychologiques ? L'insulte, la flatterie, les blessures, le contenu de votre conscience, à savoir à savoir : nationalité, peur, croyance, foi, rituels, habitudes, – vous savez, le contenu de votre conscience, c'est-à-dire le psychisme, qui est vous.
1:11:45 Peut-il n'y avoir aucun enregistrement psychologique ? Posez-vous cette question s'il vous plaît. Peut-être ne vous l'êtes-vous jamais posée, parce que nous enregistrons. Vous enregistrez une insulte, vous enregistrez une flatterie. Vous enregistrez les blessures reçues depuis l'enfance. Vous enregistrez vos activités agréables, vous enregistrez vos peurs. Alors, un cerveau peut-il n'enregistrer que ce qui est nécessaire, c'est-à-dire apprendre une langue, faire des affaires, être un bon menuisier, un bon ingénieur, etc.; là, il est nécessaire de tout enregistrer très clairement, scientifiquement, etc. Mais est-il nécessaire d'enregistrer les événements psychologiques, comprenez-vous ? C'est-à-dire, porter toute sa vie les fardeaux psychologiques, porter les problèmes psychologiques toute sa vie : le conflit, le malheur, la confusion, l'angoisse, la solitude, le désespoir. Est-il nécessaire de porter toutes ces choses qui sont l'activité de la pensée ? Découvrir cela, c'est-à-dire s'il est possible de ne rien enregistrer psychologiquement, signifie n'avoir aucun problème, vous comprenez, M. ? La peur est un problème pour nous. L'ordre est un problème pour nous. Ne pas être quelque chose est pour nous un problème. Notre vie est un paquet de problèmes, tant psychosomatiques, que physiques, que psychologiques, tout cet ensemble, vivre est pour nous un problème. C'est-à-dire l'enregistrement de tout, plaisir, douleur, solitude, peurs, et ainsi de suite. Nous demandons : le cerveau peut-il ne pas enregistrer les incidents liés à la peur ? C'est-à-dire être attentif à tout le schéma de la peur qui est très complexe; comme nous l'avons souligné, il est très complexe et confus, et il faut l'observer avec une grande subtilité, sensibilité.
1:15:35 Quand vous l'observez ainsi, avec soin, l'observateur est-il distinct de ce qu'il observe ? Quand il s'observe lui-même, l'observateur est l'observé. Quand il y a division entre l'observateur et l'observé, il y a conflit. Si l'observateur, qui est l'accumulation du savoir passé, observe la peur existante, il y a une division, de sorte que le passé cherche à dominer le présent, à le maîtriser. Tandis que la chose observée est l'observateur. Quand ceci est absolument clair, le conflit cesse. Donc quand on observe que la peur et moi ne faisons qu'un – je suis la peur, évidemment – il n'y a pas de division entre moi et la peur, je suis totalement la peur, aucune partie de moi n'est exempte de peur, je suis cela. Et quand il y a une perception totale de cela, ce qui signifie que l'on y consacre toute son énergie, une cessation complète de la peur a lieu. Les peurs psychologiques ont totalement pris fin – complètement, pas pour un seul jour. Mais ce qui a pris fin connaît un nouveau commencement.
1:17:36 Bien Messieurs ! Puis-je me lever maintenant ?