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OJ82T5 - Là où règne la souffrance, il n’y a pas d’amour
5ème causerie publique
Ojaï, Californie, USA
Le 15 mai 1982



1:11 Nous allons poursuivre, s'il est permis, ce dont nous parlions samedi dernier. Certains d'entre vous n'étaient peut-être pas ici, alors je vais brièvement résumer ce dont nous parlions. On aimerait souligner, s'il est permis, que ceci n'est pas un divertissement. La plupart des gens ont l'habitude d'être divertis, d'être soutenus par les paroles, les actes de quelqu'un d'autre, etc. Ceci n'est pas une conférence comme on l'entend habituellement. Nous n'essayons pas de vous diriger ou de vous dire quoi faire, il ne s'agit pas de propagande. Mais nous pensons ensemble, ce qui est assez difficile, car chacun veut penser à sa manière, à partir de son propre point de vue, etc. Alors qu'ici, au cours des quatre dernières causeries, nous disions combien il importe que nous pensions ensemble. L'aptitude à penser – non à quelque chose, ceci viendra un peu plus tard – mais penser consiste à observer ce qui se passe en réalité dans le monde extérieur, et aussi à être conscient de toutes les difficultés, du labeur psychologique qui est le nôtre, et à découvrir pour soi-même le rapport qui existe entre le soi-disant individu avec son activité psychologique et le monde.
4:06 Nous disions aussi que cette société extérieure qui est devenue si dangereuse, si incertaine, résulte de nos propres activités quotidiennes. Les générations passées y ont peut-être contribué, mais nous sommes en fait responsables de tout ce qui a lieu dans le monde. Et nous avons aussi souligné que notre conscience, c'est-à-dire la conscience de chaque soi-disant individu, ce qu'il pense, ce qu'il croit, ses sentiments, ses désespoirs, sa solitude, ses peurs, ses plaisirs, ses jouissances, ses propres modes d'idolâtrie, tout cela est le contenu de notre conscience. Et cette conscience est commune – si l'on peut se permettre ce mot – à toute l'humanité. Où que vous alliez sur cette merveilleuse terre que vous détruisez peu à peu, où que l'on aille – même en tant que touriste – il y a ce problème commun à tous les êtres humains : ils souffrent, passent par de grandes angoisses, ayant peur de la solitude, ne pouvant s'assumer, leur mode d'idolâtrie, leurs croyances, leurs dieux, exactement comme en Occident. Ainsi, comme nous l'avons souligné, quand vous pénétrez cette question très à fond, cette conscience, que chacun de nous considère comme un bien personnel, une propriété privée, est la propriété commune de l'humanité. Ainsi, consciemment, profondément, nous ne sommes pas des individus, bien que toutes les religions, toute la société, toutes les familles, etc. aient soutenu que nous sommes des individus distincts, avec nos tendances, nos aptitudes spécifiques, notre forme extérieure, notre nom etc. Nous sommes le reste de l'humanité, par conséquent nous sommes l'humanité. Nous sommes le monde et le monde est nous. Ceci n'est pas une théorie particulière, exotique, comme un idéal, mais un fait psychologique réel. Que cela vous plaise ou non, c'est un fait. Car vous souffrez et les Orientaux souffrent aussi, vous avez vos multiples problèmes, et eux ont les leurs. Vous êtes nationaliste et eux aussi, vous voulez la sécurité, la permanence, la stabilité, la continuité, et eux de même.
8:24 Donc l'illusion que nous sommes de par notre conscience des individus distincts n'est pas un fait. Et quand on se rend compte de cela, pas en tant qu'idée, pas en tant que concept idéaliste auquel il faut s'efforcer d'adhérer, [on voit que] c'est plutôt la base sur laquelle tous les êtres humains de par le monde reposent.
9:07 Nous indiquions aussi que notre relation mutuelle, intime ou non, entre homme et femme, comporte beaucoup de luttes, beaucoup de malentendus, de contradictions, chacun poursuivant psychologiquement sa propre voie, ses propres ambitions, ses propres réalisations, etc., comme deux parallèles qui ne se rencontrent jamais, sauf peut-être sexuellement. Et nous parlions aussi de la nature de la peur, des diverses formes de peur, en nous demandant si les êtres humains, qui ont subi ce terrible fardeau de millénaire en millénaire peuvent jamais en être totalement délivrés. Nous avons approfondi cela, pas à pas, et vu s'il est possible – non en tant que théorie, que but – s'il est possible d'être effectivement totalement délivré des peurs psychologiques.
10:41 Et nous avons aussi parlé de la recherche du plaisir [qui se développe] toujours plus dans ce monde, extérieurement, sous forme de divertissements variés, à la fois religieux et autres, tel le football, etc. Et nous avons aussi souligné combien nous devenons mécaniques, répétant continuellement la même chose, ce que fait l'ordinateur. Peut-être le fait-il plus rapidement, plus efficacement, plus largement. Mais nos propres esprits, nos propres sentiments sont répétitifs.
11:59 Nous allons donc discuter ce matin, si vous le permettez, de la raison pour laquelle nous, les êtres humains, qui existons sur cette terre depuis plus d'un million d'années, sommes devenus ce que nous sommes : brutaux, violents, contradictoires, nous entretuant au nom de dieu, au nom de la patrie, au nom de la paix. Après la première guerre mondiale, il y avait un slogan qui disait : 'cette guerre est la dernière' – comme d'ailleurs lors de la suivante. Et pourtant ce processus répétitif de meurtres collectifs s'est poursuivi, bien que nous soyons très cultivés, extraordinairement efficaces dans le domaine technique, mais psychologiquement nous sommes très, très primitifs. Et nous disions : pourquoi ne changeons-nous pas ? Pourquoi cette terrible pulsion individualiste et compétitive qui détruit le monde ne prend-elle jamais fin ?
14:06 Et nous allons discuter ensemble de la nature de ce que nous prenons pour l'amour. C'est une question qui existait déjà chez les anciens Egyptiens, les anciens Hindous, et récemment dans le monde chrétien, et dans le concept islamique. Ils ont tous prêché, parlé d'aimer son prochain et ainsi de suite. Cela a été affirmé religieusement dans tous les pays, mais nous ne semblons jamais avoir réalisé ce que cela signifie. Nous en parlons énormément, des livres traitent de cela, nous avons créé un dieu ou des dieux, et nous aimons ce ou ces dieux; nous ne connaissons pas exactement la nature de cette beauté. Bien que nous l'ayons brièvement effleurée l'autre jour, nous devrions aborder cette question très en profondeur. N'est-ce que de simples réponses sensorielles, que plaisir sexuel ? Comme nous l'avons dit, ceci n'est pas un exposé, il ne s'agit pas de l'affirmation d'un point de vue de l'orateur, mais nous allons examiner ensemble – je vous en prie, je le répète à nouveau – ensemble explorer la nature de qu'on appelle l'amour.
17:00 Il faut donc se demander si ce n'est qu'une simple réponse sensorielle, sexuelle, ce qui semble prévaloir de plus en plus dans le monde occidental, et se coule à présent dans le monde oriental, cela a été converti en plaisir. L'amour est-il plaisir ? Une sorte de divertissement ? Une chose qui demande une certaine réalisation sensorielle ? Est-ce le désir ? Nous avons approfondi avec grand soin la nature du désir, la façon dont il surgit et demande à être assouvi. Et son non-assouvissement est cause de frustration et toutes les activités névrosées découlant d'un désir avorté. Nous avons vu cela. Il serait inutile d'y revenir – si vous êtes ici pour la première fois, on espère que vous n'y verrez pas d'inconvénient.
18:50 Alors l'amour est-il désir ? S'il l'est, en résultent alors toutes les complications, frustrations, demandes d'assouvissement, avec tous les conflits qui s'ensuivent. Alors, l'amour est-il conflit ? Je vous en prie, il faut encore le répéter : c'est vous qui posez ces questions, pas l'orateur. L'orateur ne fait que souligner ce que vous examinez vous-même, non seulement verbalement, intellectuellement, occasionnellement, mais comme une chose qui ressort de la vie quotidienne. L'amour est-il un mouvement qui a une continuité dans le plaisir et le désir ? C'est vous qui posez la question. Et pourquoi le plaisir a-t-il pris une telle importance dans le monde ? Toute l'industrie du divertissement, des soit-disant sports, ainsi que – si vous voulez bien me le pardonner – les divertissements religieux qui sont considérés comme sacrés; telles sont les diverses formes de plaisir. On demande alors : l'amour est-il un mouvement, un mouvement sans fin de plaisir ? L'amour est-il attachement ? Attachement à une croyance, à un concept, au savoir, à une personne ou un symbole. L'attachement comporte la peur, avec toute l'angoisse de se retrouver seul. Il faut donc voir les conséquences de l'attachement : on est attaché à son pays, au drapeau, comme cela a lieu dans le monde entier, le drapeau symbolique qui sépare. Les Asiatiques ont leurs propres drapeaux, auxquels ils sont terriblement attachés, comme dans ce pays-ci, et pour lequel on est prêt à s'entretuer, comme cela a lieu aujourd'hui. Et c'est une question de principe, dit-on, le principe selon lequel le pays agresseur doit être repoussé, et nous sommes donc prêts à tuer autrui. Cela se répète depuis la nuit des temps. Et chaque religion, des plus anciennes aux plus récentes datant d'il y a 2000 ans, ont toujours proclamé : aime, ne tueras pas. Mais notre plaisir transgresse cet édit.
24:02 Il faut donc se demander, si l'on est tant soit peu sérieux dans notre relation réciproque, homme et femme, relation au reste de l'humanité, que l'on soit noir, blanc, pourpre, ou de toute autre couleur, pourquoi y a-t-il tant de conflit dans cette relation ? Serait-ce que nous recherchons la sécurité dans cette relation ? Et cette quête de sécurité dans la relation, et l'assouvissement naturel qui en découle, est-ce l'amour ? Alors, cherchez je vous prie. Cherchons ensemble à élucider très profondément cette question. Si tout cela n'est pas l'amour, les attachements, le désir d'assouvir, la peur d'être seul, solitaire, la jalousie, la haine, l'arrogance, la fierté, tout cela n'étant pas l'amour, peut-il y être mis fin ? C'est un problème vraiment sérieux, parce que nous ne mettons jamais fin à quoi que ce soit. Mais nous voulons que ce qui a pris fin soit remplacé. Si je renonce à ceci, qu'aurais-je en échange ?
26:37 La question de mettre fin à un problème particulier est vraiment assez importante – mettre fin. Car après tout, comme nous allons en discuter un peu plus tard, la fin de la vie s'appelle la mort. Impossible d'argumenter là-dessus, rien ne peut être reporté, c'est la fin totale de vos souvenirs, de vos attachements, etc. Il faut donc très sérieusement chercher s'il existe une fin ne comportant ni recherche de substitution, ni exigence d'une garantie que si ceci prend fin ce sera remplacé par cela. Il faudrait donc comme on l'a dit, examiner très sérieusement si tout ce qui est faux, comme la fierté, l'arrogance, l'attachement, et les désirs, les plaisirs, etc., tout cela n'étant évidemment pas l'amour, si tout cela peut prendre fin. Car sans amour dans la vie, sans ce parfum, cette passion, la profondeur de la vie est perdue. La vie devient très, très superficielle, très terre à terre. C'est à cela que tend le monde, de plus en plus. Car nous n'avons jamais découvert pour nous-mêmes ce qu'est aimer autrui. L'amour n'est pas le souvenir d'événements et de plaisirs passés; l'amour n'est pas le savoir. Et pourtant, le savoir a joué un rôle extraordinaire dans notre vie. En effet, tous les scientifiques, les biologistes disent que l'ascension de l'homme n'a lieu que par le savoir. Nous admettons si facilement ce que disent les professionnels, nous ne cherchons jamais par nous-mêmes. Un des malheurs, je pense – je peux me tromper – est que les livres ont pris tant d'importance, ce que d'autres ont dit et écrit, tous les professionnels, les psychologues. Nous ne parlons pas des professionnels du monde technologique, mais des professionnels en psychologie, qui ont accumulé énormément de savoir sur d'autres êtres humains; et ce savoir transformera-t-il l'homme ? Transformera-t-il totalement, complètement la nature de sa conscience pas partiellement, pas ici ou là, un peu moins de peur, un peu plus de bonté, de générosité, moins de conflit, mais ce savoir que l'homme a acquis tout au long des siècles sur le psychisme, sur les différentes divisions de la conscience, ce savoir, c'est-à-dire cette accumulation d'informations et ce cumul d'expériences transformera-t-il la totalité du contenu de l'homme, du contenu de sa conscience ? Posez-vous cette question, s'il vous plaît.
32:41 Vous avez étudié, avez conduit des recherches sur vous-même, ou avez été informé par d'autres psychologues sur ce que vous êtes, et avez accumulé du savoir sur vous-même, peut-être pas trop, mais un peu. Et ce savoir – le savoir se situant toujours dans le passé – ce savoir a-t-il transformé l'homme ? Ou bien, est-ce qu'une toute autre sorte d'énergie, une toute autre sorte d'activité – ou non activité – sera à même de susciter une transformation de la conscience ? Car encore une fois, il importe de comprendre et d'approfondir cela.
33:56 Il y a ceux qui disent que l'homme est conditionné, et qu'il est impossible de transformer ce conditionnement. Il y a toute une philosophie, toute une école qui croit en cela, qui l'affirme, qui écrivent à ce sujet, des gens très, très habiles. Et s'il est impossible de le transformer, nous vivrons alors perpétuellement dans le conflit, dans la contradiction, perpétuant nos multiples névroses. Le savoir dont on dispose sur sa femme va-t-il transformer le conflit qui existe entre l'homme et la femme ?
35:14 Il faut donc demander : quelle est la place du savoir ? Tout ce que vous avez appris à l'école, au collège, à l'université, vos propres expériences, le réservoir de souvenirs accumulés que l'on stocke dans le cerveau, c'est le passé. En rencontrant le présent, il pourrait se modifier et continuer sous cette forme modifiée, dans le temps en tant que futur. Nous demandons donc si ce savoir a suscité un profond changement chez les êtres humains de sorte qu'ils ne tueront pas, qu'il n'y ait plus la moindre peur psychologique, afin que les êtres humains aient cette extraordinaire aptitude d'aimer autrui ? Et le savoir n'est-il pas devenu un obstacle à l'amour ? Penchez-vous sur tout ceci, je vous prie. Ainsi, toutes ces choses qui empêchent ce parfum de se manifester, peuvent-elles prendre fin ? Et ceci ne peut se produire par le conflit, par la lutte, par l'exercice de la volonté. Car après tout, la volonté est le summum du désir, l'essence du désir.
37:57 Nous devrions aussi parler ensemble d'une des questions les plus complexes qui soit et apparemment interminable : la souffrance Non seulement la souffrance séparatrice, individuelle, personnelle, mais encore la souffrance de l'humanité. Il y a eu tant de guerres, presque chaque année, de par le monde au cours des derniers 5.000 ans, ou plus. La guerre, cela signifie meurtres sur meurtres, année après année. Combien de millions d'êtres ont souffert, versé des larmes, ressenti la flamme de la solitude, et malgré cela, nous ne nous servons apparemment pas de notre intelligence pour faire cesser cette cruauté, cette violence bestiale dont nous avons aussi parlé l'autre jour. Il y a donc la souffrance, tant physique que non physique. La compréhension de la souffrance non physique soulagera la souffrance physique.
39:57 Il nous faut donc commencer par se pencher ensemble sur la nature de la souffrance : pourquoi les êtres humains passent-t-ils psychologiquement, intérieurement, par des angoisses. Cette recherche n'est ni cynique, ni sadique, mais il faut chercher si la souffrance psychologique peut prendre fin. Cette question a-t-elle une motivation personnelle ? Est-elle sans objet ? Car les êtres humains infligent psychologiquement énormément de souffrance aux autres. Nous nous sentons blessés, profondément, – ce dont nous avons parlé au début de ces causeries – cela aussi est la souffrance, et les conséquences d'avoir été blessé psychologiquement, nous l'avons vu, est la résistance, l'isolement, les peurs, etc. Et dans le monde chrétien, la souffrance a été évitée par la vénération d'un symbole, mais la souffrance existe toujours. Dans le monde asiatique, ils lui trouvent toutes sortes d'explications, et pourtant ils souffrent. Il semble que la souffrance ne connaisse pas de fin, la souffrance humaine, la douleur humaine, l'affliction, cela semble être sans fin.
42:34 Et nous devrions chercher ensemble – pas verbalement, intellectuellement, ni par romantisme – à découvrir si la souffrance peut prendre totalement fin. Car là où il y a souffrance, il n'y a pas d'amour, là où il y a souffrance, il n'y a pas de compassion, là où il y a souffrance, l'intelligence n'a pas de profondeur. Il faut donc aborder la question suivante : qui est-ce qui souffre ? Ceci se relie également à la question de la mort. Nous verrons aussi cela ce matin, si nous en avons le temps. Qui est-ce qui passe par l'angoisse, les larmes, la solitude et le désespoir absolus, lors de la perte de quelqu'un que l'on pense aimer ? Qui est-ce qui souffre ? Quelle est la nature de ce sentiment ou de cet état de conscience ? Vous comprenez tout cela ? Nous nous rencontrons, n'est-ce pas ? Ou l'orateur parle-t-il tout seul ? Il s'agit de vos problèmes, non de ceux de l'orateur. Alors écoutez je vous prie, cherchez, découvrez, ne laissez pas cela à quelqu'un d'autre, car si vous laissez à autrui le soin de résoudre ce problème, vous dépendez alors des autres et par conséquent vous perdez votre propre aptitude spécifique à résoudre tous les problèmes humains dont vous faites partie.
45:32 Nous demandons donc, qui est-ce qui souffre ? Quand vous versez des larmes, vous sentant absolument perdu, sous le choc de ne plus avoir ce qui vous était cher et qui est parti, qui est-ce qui ressent cette grande douleur ? C'est-à-dire, qui est ce 'je' qui dit 'je souffre' ? Qui est cette entité qui ressent ce choc, la douleur et le désespoir de la solitude ? Je vous en prie, il est important de poser cette question, car lorsqu'on se penche sur la nature du fait de mourir – bien que cela puisse être morbide par une belle matinée, mais ce ne l'est pas – là aussi, qui est-ce qui meurt ? Quelle est la nature du psychisme, du 'moi', du 'je' qui souffre ? Vous savez, nous nous sommes cramponnés à l'idée que le 'je' est permanent, que le 'je' a une continuité – la répétition : ma maison, ma propriété, mon savoir, mon expérience, mon conditionnement, ma peur, mon plaisir qui est dissimulé – alors, qui est ce 'je' ? Les divers psychologues ont interprété cela de différentes façons. Si nous pouvions écarter tous les psychologues et ce qu'ils ont dit, et observer par nous-mêmes – y compris ce que dit l'orateur – observer par nous-mêmes, très clairement, sans aucune orientation, aucun motif, ce que nous sommes effectivement.
49:19 Les anciens Grecs et les anciens Hindous ont parlé de la connaissance de soi, non selon quelque professionnel, mais se connaître soi-même. Qu'est-ce que ce 'soi', et en quoi consiste cette connaissance ? Vous comprenez ? Qu'est-ce que le 'soi' qu'il faut connaître, et en quoi consiste le savoir qui s'accumule après qu'on l'ait connu ? Comprenez-vous la question ? Puis-je me connaître dans le temps ? C'est-à-dire, j'ai appris, je me suis observé, j'ai noté toutes les réactions relatives à ma relation à un autre, intime ou pas; j'ai accumulé énormément de savoir par cette observation. Et quand j'observe encore d'autres réactions, d'autres particularismes et réponses sensorielles, ce savoir passé interprète ce qui a lieu à cet instant. N'est-ce pas ? Suivez-vous tout cela ? Donc en fait, vous ne vous connaissez pas réellement, vous ne faîtes que perpétuer le savoir que vous avez acquis par divers examens et observations, qui sont devenus votre savoir et ce savoir recommence à interpréter les nouvelles réponses, les nouveaux événements et incidents. Vous perpétuez ainsi le savoir que vous avez acquis, le modifiant et le projetant dans le futur. Ce cycle consiste en savoir, action, apprentissage à partir de cette action qui devient davantage de savoir, entretenant ainsi le cycle. J'espère que vous comprenez tout ceci. N'est-ce pas ainsi ? Nous ne vous disons rien que vous n'ayez vous-même observé, pour autant que vous ayez observé.
52:10 Ainsi, dans une véritable et profonde connaissance de soi, souvenir et savoir révolus n'ont pas leur place. Il faut observer chaque incident et chaque réaction, comme si c'était la première fois. C'est-à-dire connaître, observer, pénétrer le champ de cette vie immense qui s'est réduite au 'moi'. Là où il y a le 'moi', la personne, il n'y a pas d'amour. Il est donc très important de découvrir cela par soi même et ne pas éluder cette question. Parce qu'il s'agit de votre vie, c'est votre responsabilité. Si vous vous contentez de l'éviter et vous évader dans des divertissements variés, vous engendrez un grand malheur dans le monde, dont vous portez la totale et entière responsabilité.
53:49 Et lors de la fin de la souffrance il y a la compassion. Mettre fin à la souffrance, c'est avoir la passion. Il y a une grande différence entre la luxure et la passion. Tout le monde sait ce qu'est la luxure. Mais la passion non identifiée à un symbole quelconque, – symboles chrétiens ou asiatiques – c'est une passion que nous n'avons pas. Quant aux missionnaires, les évangélistes, les prédicateurs de Dieu et tout le reste, ce sont des commis voyageurs. Il faut avoir la passion, la passion qui pousse à comprendre la brutalité, la violence, les peurs, l'angoisse, afin de les résoudre. Alors l'esprit est libre de toute la contamination de la lutte. Il vous faut énormément d'énergie pour pénétrer la chose. Mais si l'on est seulement prisonnier de la peur, du plaisir... Le plaisir diffère du ravissement dû à la vue d'une très belle chose, mais le souvenir de la chose et le désir de perpétrer ce souvenir est le plaisir.
56:07 Et si nous en avons le temps et si vous n'êtes pas fatigués ce matin, nous devrions considérer ensemble ce problème immense et complexe qu'est la mort. De même que le plaisir, la peur, l'attachement, la blessure, le conflit dans la relation, sont des réalités quotidiennes, et la mort aussi fait partie de notre vie. Ce n'est pas une chose qui survient à la fin de la vie, au terme de la vieillesse, d'une maladie, d'un accident; cela fait partie de toute cette affaire qu'est la vie. Et nous ne prenons jamais en compte l'importance que revêt la mort, la qualité, la profondeur de ce mot. Les gens, pour la plupart, en ont peur, et de ce fait, ils ont inventé toutes sortes de théories qui leur donneront du réconfort. Dans le monde asiatique il y a le concept – peut-être né en Inde – de la réincarnation. A savoir, le 'moi' qui meurt aura, lors d'une prochaine vie, une occasion d'être plus heureux ou plus avide, et ainsi de suite. Dans le monde chrétien, il y a tout ce concept de la résurrection. On entend cela toute la journée, où que l'on aille, en Asie et ici. Et qu'est-ce qui importe le plus ? Ce qui a lieu après la mort ou avant la mort ? Posez-vous cette question, s'il vous plaît. La plupart d'entre nous, craignant la mort, cherche à la rationaliser, disant qu'elle est inévitable, comme l'arbre qui croît, dépérit et meurt, toute chose croît, vieillit et finit en dépérissant. Ainsi, nous rationalisons notre existence, si l'on est un intellectuel ou si l'on a bien profité de sa vie : popularité, argent, etc., et l'on dira alors 'quelle bonne vie j'ai eue'. Ou comme la plupart des gens du commun que nous sommes, notre vie est superficielle, insuffisante, tout en étant peut-être bons techniquement : argent, situation, statut social. Ou bien nous ne sommes que de faibles être humains, incertains, sans sécurité psychologique, et ainsi notre vie devient morne, dénuée de sens. Ne devrions-nous pas commencer par examiner ce qu'est notre vie ? Et non qu'est-ce que mourir, nous y viendrons.
1:01:30 Qu'est-ce que notre vie ? De notre naissance à notre mort, qui se passe-t-il vraiment dans notre vie ? Vous connaissez tout cela, inutile de le répéter. Si vous êtes un adulte, vous travaillez à l'usine, ou êtes un homme d'affaires, ou un avocat, du matin au soir, répétant, répétant, répétant. Et si vous êtes mère de famille, vous connaissez tout cela, inutile d'entrer dans tous ces détails. Notre vie est donc plutôt superficielle, qu'il s'agisse d'un scientifique, de grands philosophes, de généraux ou de politiciens; hormis leurs titres et leur situation, ils sont comme tous les autres êtres humains : vains, psychologiquement frustrés, en quête de situation – vous savez, tout ce qui s'ensuit. Notre vie quotidienne est donc une routine et une fuite devant cette routine. Notre vie quotidienne, c'est travailler, travailler, sans aucun loisir. Et s'il y a du loisir auquel on donne le nom de vacances, ce n'est que de l'amusement. Notre vie n'est donc que pacotille et toc – excusez ces termes, je ne fais que décrire la réalité – avec des éclats occasionnels de grande beauté, de profondeur et de bonheur. Et mourir est la fin de tout cela. Et l'homme, la femme, partout dans le monde, se préoccupe davantage de la mort que du fait de vivre : vivre sans conflit, vivre avec grande énergie, vivre dans la clarté, vivre sans l'ombre d'un conflit. Et ceci n'est possible que si la peur prend complètement fin, psychologiquement. Il n'y a alors plus besoin de dieux.
1:05:21 Alors qu'est-ce qui meurt ? L'accumulation de connaissance sur soi ? L'accumulation de vos propriétés ? L'accumulation de tout ce à quoi vous êtes attaché. Alors est-il possible de vivre – comprenez bien ceci je vous prie – de vivre continuellement avec la mort ? A savoir, mettre fin à tout pendant votre vie, jour après jour, vous comprenez ? Cela signifie que l'esprit s'incarne à neuf chaque jour. C'est cela la création, c'est cela l'esprit créatif, pas inventif. Il y a une grande différence entre l'inventivité et la création. Tout le monde technologique et les techniciens de ce monde sont inventifs, car ils se servent du savoir. Et ils se meuvent de savoir en savoir, mais ils ne sont jamais libres du savoir, afin de connaître un tout nouveau commencement. Il faut donc vivre avec la mort – pas se suicider, ce serait trop bête – vivre avec la mort, mettre fin à ma blessure, complètement. Mettre fin à son attachement de sorte que la vie et la mort se meuvent tout le temps ensemble. Faites-le !
1:07:56 Si l'on applique son esprit et son énergie à cette recherche et son activité, la vie est alors d'une toute autre qualité. Nous en parlerons demain et verrons la place qu'une telle vie a dans ce monde, et c'est là une vie religieuse. Et la place d'une vie religieuse dans la méditation, etc.
1:08:48 Puis-je me lever, Messieurs ?