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OJ82T6 - Y a-t-il quoi que ce soit de sacré dans la vie ?
6ème causerie publique
Ojaï, Californie, USA
Le 16 mai 1982



0:25 Je me demande pourquoi vous êtes tous venus. Est-ce par curiosité ? Ou, par cette belle matinée, est-ce pour vous une sortie ? Ou sommes-nous suffisamment sérieux pour faire face à tous les problèmes qui se développent, et découvrir par nous-mêmes s'il nous est possible de les résoudre ? Et comme il est impossible de tenir une discussion avec avec tant de monde ou d'avoir un dialogue, nous pouvons avoir une conversation ensemble, de sorte que vous et l'orateur, cheminant ensemble sur une allée ombragée le long d'un cours d'eau, parliez ensemble de leurs propres problèmes, des problèmes que confronte toute l'humanité, pas seulement ceux de chacun de nous, mais ceux que traverse chaque être humain en ce monde. Et comme nous l'indiquions hier, nous avons admis que notre conscience était une chose distincte, personnelle, individuelle. Mais quand on observe profondément cette conscience, qui est le terrain commun à toute l'humanité, la souffrance commune, la douleur, l'anxiété, la solitude, la vaste incertitude et la recherche permanente de sécurité, c'est bien le problème de chaque être humain en ce monde. Il ne s'agit pas de votre problème particulier, mais de celui de tous les êtres humains, qu'ils soient chrétiens, musulmans, hindous ou bouddhistes.
4:00 Nous parlons donc ensemble amicalement, dans un esprit bienveillant, des sujets relatifs à notre vie. Et comme c'est notre dernière causerie, nous ne pouvons reprendre tout ce dont nous avons conversé lors des cinq dernières causeries. Mais nous pouvons en résumer l'ensemble. La plupart d'entre nous peut essayer de résoudre un problème particulier. Ou de venir ici en espérant que quelqu'un l'aidera à dépasser, résoudre ou transcender un problème particulier. Mais un examen plus précis, plus critique montre que tous les problèmes sont liés entre eux. Ils sont indissociables; il est impossible de les séparer et d'essayer de les résoudre individuellement ou distinctement. Lors des cinq dernières causeries nous avons parlé de choses diverses : de la peur, de la nature des êtres humains qui ont été blessés toute leur vie, psychologiquement, intérieurement, et de toutes les conséquences de cette blessure. Nous avons examiné cela avec grand soin.
6:15 Et nous avons aussi parlé de la relation entre les êtres humains : l'homme, la femme, le voisin – que celui-ci soit proche ou très, très éloigné. Et cette relation, si intime, si personnelle qu'elle soit, comporte toujours du conflit, une certaine impression de malaise, de peur, de domination, de possessivité, d'attachement. Toutes ces choses engendrent naturellement une lutte entre deux êtres humains. Le conflit naît; et nous avons abordé la question de savoir si ce conflit peut prendre fin ou s'il est voué à continuer éternellement de génération en génération ? Et nous avons aussi parlé de la peur qui constitue un problème très, très complexe. Les causes contribuant à cette peur sont : la conformité, la comparaison, l'imitation, le désir d'être autre chose que ce que l'on est, et d'autres facteurs qui engendrent la peur. Nous avons vu cela très à fond. Et nous avons aussi parlé de la continuité et de la quête du plaisir, qu'il s'agisse du plaisir religieux ou d'autres plaisirs ordinaires de la vie : sexuel, des formes de réussite, du succès, de la possession, de l'argent, du prestige, du statut social, et tout cela.
8:19 Et hier matin, nous avons abordé la question de la nature de l'amour. Pourquoi les êtres humains nous sommes-nous demandés hier matin ont-ils détruit ce parfum unique, cette nécessité absolue de la vie sans laquelle la vie n'a aucun sens. On aurait beau posséder beaucoup d'argent, profiter des joies de la mer, se rendre dans des tas d'églises, suivre divers gourous, adopter diverses philosophies comme mode de vie, mais sans cette qualité et ce parfum, cette passion – qui n'a rien à voir avec la luxure – cela n'apparaît qu'en présence de l'amour. Nous avons vu cela suffisamment en détail hier matin.
10:21 Et nous avons aussi parlé de la fin de la souffrance : pourquoi les êtres humains, qui sont tellement cultivés, tellement intelligents dans un certain sens – dans le monde technique – pourquoi ces êtres humains qui vivent sur cette merveilleuse terre de millénaire en millénaire, pourquoi n'ont-ils pas compris ou mis fin à la souffrance. Pas seulement la souffrance personnelle, mais celle de l'humanité qui est en proie à la famine en Afrique et en Orient, en Inde, où la pauvreté est destructrice, dégradante, et tous les autres problèmes économiques qui divisent l'humanité. Et nous avons dit que sans nationalisme, seul un mode de relation global pourra résoudre tous nos problèmes sociaux-économiques extérieurs. Nous vivons ensemble sur cette terre, c'est notre terre, pas la terre américaine, russe, hindoue, bouddhiste ou islamique; c'est notre terre, mais nous l'avons divisée en tant qu'Américains, Russes, Chinois, Japonais, Européens, Hindous, etc. Là où existe la division raciale, économique, religieuse, il y a inévitablement conflit, inévitablement guerres, et ces guerres se poursuivent depuis des millions d'années. Et cette intelligence que nous appliquons au monde de la technique, nous ne l'avons pas utilisée pour résoudre ce problème de la souffrance. Nous en avons la capacité, l'énergie, mais il semble que nous soyons pris dans un monde mécanique. Notre culture devient de plus en plus mécanique, c'est une culture dans laquelle une importance primordiale a été donnée à la machine, et de plus, son caractère mécanique consiste à mener un mode de vie répétitif, c'est-à-dire à répéter sans cesse la même chose avec les mêmes problèmes, les mêmes questions, le même conflit.
14:01 Et nous avons aussi parlé hier, et allons y revenir plus à fond ce matin, de la raison pour laquelle les êtres humains sont devenus tels qu'ils sont, peu profonds, superficiels, ayant acquis beaucoup de connaissances sur la vie, beaucoup de savoir, savoir qui n'a apparemment pas résolu notre conflit humain de chaque jour. Le savoir pourrait donc être un des facteurs de la souffrance, dont nous avons parlé hier matin.
14:57 Et nous allons aborder d'autres sujets ce matin. Mais veuillez considérer que ceci n'est pas une conférence, telle qu'on l'entend habituellement. Une conférence consiste à parler d'un sujet particulier, avec pour souci d'en communiquer le propos aussi clairement que possible à autrui. Ceci n'est donc pas une conférence, mais plutôt une conversation entre vous et l'orateur au cours de laquelle tous deux observons, pensons au même problème, regardons la même montagne, les mêmes arbres, le ciel bleu, et sommes donc ensemble; l'orateur l'entend bien ainsi, honnêtement ensemble pour observer ces problèmes et découvrir par nous-mêmes, non selon un certain philosophe, selon un certain prêtre, non selon l'autorité d'un certain gourou, etc. Il s'agit d'écarter complètement cela et d'observer par nous-mêmes pourquoi les êtres humains sont devenus si lamentablement malades psychologiquement. Veuillez donc garder à l'esprit que si l'orateur se sert de certains mots, ces mots ne sont pas la chose réelle, l'explication n'est pas la chose expliquée. Comme nous l'avons aussi dit l'autre jour, on est pris dans un réseau de mots. Et les mots prennent une importance extraordinaire : le mot 'américain' a pris une signification extraordinaire pour les gens qui vivent dans cette partie-ci du monde. De même pour les mots 'communiste', 'socialiste' 'capitaliste' etc., 'baptiste', 'catholique'. Les mots ne sont donc pas la réalité. Le symbole n'est pas le réel. Alors, s'il m'est permis de vous le signaler très respectueusement, ce que nous expliquons, ce que nous approfondissons n'est qu'une simple explication, un usage de certains mots, mais les mots, l'explication ne sont pas la chose réelle.
18:42 Nous devrions parler ensemble de ce qu'est la culture. Communément, ce mot signifie cultiver, comme on cultive des légumes, un jardin, un parterre de roses. Le mot culture implique non pas une existence répétitive, mécanique, mais le fait d'être libéré du connu et d'agir à partir de cette liberté; voilà ce qu'est réellement la culture. En fait, nous vivons toujours dans le connu. Je vous en prie, suivez tout ceci si vous êtes intéressé. Il fait beau et vous pourriez prendre cette réunion pour un divertissement, ce qui serait bien dommage, comme une sorte de stimulation mentale, une drogue. Mais si l'on procède ainsi, on perd alors la réalité de sa propre vie, de sa propre superficialité, de sa propre vacuité, de ses propres peurs, anxiétés et toute la peine de la vie. Alors je vous en prie, pendant que l'orateur s'exprime, examinez vous-même ce qu'il dit. Car le doute, le scepticisme ont une grande vertu de purification. La plupart admettent si facilement les choses, spécialement en matière religieuse et soi-disant spirituelle. Leur autorité présuppose qu'elle sait et que vous ne savez pas. Ils agissent en tant qu'interprètes. Mais pour découvrir ce qu'est la vérité, le doute est nécessaire. Et dans le monde oriental, dans les religions orientales on a mis l'accent sur le doute. Dans le monde chrétien le doute est maudit, parce que si l'on doute de toute la structure de l'église, que ce soit au niveau local, romain ou autre, si l'on met cela en doute, alors tout s'écroule. Le doute a donc été proscrit dans le monde occidental; ceux qui ont douté ont été brûlés pour hérésie, torturés; comme cela se fait aujourd'hui pour les prisonniers politiques dans diverses parties du monde, c'est le même phénomène. Alors je vous en prie, n'admettez rien de ce que dit l'orateur, mais essayez plutôt de découvrir par vous-même, par une écoute attentive, si cela vous intéresse et si vous ne traitez pas tout ceci comme un divertissement. Alors veuillez écouter, douter, questionner et demander. En mettant en doute ce que vous avez vous-même créé, vous mettez en doute vos propres idées, conclusions, vos propres expériences, vos croyances, vos credos. Vous doutez afin de trouver par vous-même la vérité.
23:49 Et c'est très important, car la vérité exige un esprit libre, un esprit totalement libre. Et aucun chemin ne mène à la vérité, alors, comme nous allons aborder ce problème très complexe, écoutons attentivement, s'il vous plaît, avec une certaine qualité de doute. Douter demande de la sensibilité. Si vous doutez de tout, cela devient plutôt stupide. Mais il s'agit de douter avec finesse, rapidité d'esprit, subtilité, et alors ce doute engendre clarté, énergie. Et cette énergie nous est nécessaire pour pénétrer et résoudre ces problèmes.
25:16 Nous demandons donc, qu'est-ce que la culture ? N'est-ce qu'une simple répétition machinale du connu ? Ainsi, nous vivons dans le passé, le passé est notre mémoire, le passé est notre savoir acquis par l'expérience, et nous vivons toujours dans le passé, dans le connu. Et quand nous agissons à partir du connu, c'est répétitif. Il faut bien agir dans certains domaines à partir du savoir : comme un scientifique qui doit posséder énormément de savoir; ou un grand chirurgien à qui il faut de l'expérience, il doit avoir beaucoup opéré, accumulé du savoir, de la compétence et une grande sensibilité manuelle – là, le savoir est nécessaire. Et le savoir, c'est-à-dire tous nos souvenirs, tous les incidents passés, – blessures, peurs, aspirations, désespoirs, solitude désespérante – tout cela fait partie de notre savoir passé. Et quand nous agissons à partir du passé, c'est nécessairement répétitif. Et l'esprit devient par conséquent mécanique. L'ordinateur est une machine répétitive, peut-être plus rapide que le cerveau humain, mais cette machine est répétitive, comme nous autres êtres humains. Et donc nous mettons en doute toute culture née du passé, du connu : de toute évidence, elle est mécanique, répétitive. Et nous allons donc découvrir qu'est-ce qui fait naître une culture toute différente de la culture mécanique que nous acceptons depuis des millénaires. Pour la plupart, nos esprits sont médiocres, à quelques exceptions près; excusez-moi d'user de ce mot. On aurait beau se croire totalement hors de cette catégorie, mais le fait même de croire cela est aussi une forme de médiocrité. Ceci n'est pas insultant. Nous examinons la chose ensemble.
29:07 Qu'est-ce qu'être médiocre ? Le mot 'médiocre' vient du grec, du latin : gravir à mi-hauteur la montagne. C'est le véritable sens de ce mot, 'médiocre' : ne jamais grimper jusqu'en haut, mais de se satisfaire d'avoir gravi la moitié ou un tiers du chemin. Tel est le sens de ce mot 'médiocre'. Et notre éducation, si étendue soit-elle, quelle que soit la somme de savoir que l'on acquiert sur tel ou tel sujet, tous ces facteurs éducatifs limitent l'esprit. N'avez-vous jamais remarqué, particulièrement dans ce pays-ci d'où la chose se répand dans le monde entier, à quel point les spécialistes, scientifiques, médecins, chirurgiens, philosophes, psychologues, etc., nous régentent les uns les autres. Eux sont l'autorité qui vous dicte quoi faire. Eux sont les experts : comment élever un bébé, comment avoir de bons rapports sexuels, comment se maquiller le visage. Eux sont les autorités, et nous leur obéissons. Notre obéissance se révolte parfois, mais cette révolte n'est qu'une réaction et ne constitue donc pas une compréhension de la totalité du fait que tout savoir spécialisé est limité, comme l'est d'ailleurs tout savoir. Et une culture née de cette limitation n'en est d'ailleurs pas une. Il n'y a pas de culture américaine ou européenne. Ils auront beau remonter à la renaissance, à l'histoire passée, la profonde culture de l'esprit ne peut que naître de la liberté à l'égard du connu. Une telle liberté peut-elle exister ?
32:28 Nous allons en parler ensemble car ce n'est que d'une religion que peut naître une nouvelle culture. Religion non dans l'acception autoritaire que l'on prête à ce terme, telle que la religion d'état, la religion de croyance, de foi, de dogme, de rituels, de l'adoration d'un symbole, rien de cela n'est la religion, évidemment. Nous allons donc nous pencher sur ce qu'est la religion. Comprenez-vous ? Nous nous sommes penchés sur la peur, sur la nature de cette chose extraordinaire que l'on appelle l'amour, sur la possibilité que les êtres humains puissent mettre fin à leur souffrance, leur malheur, leur anxiété. Et nous devrions aussi nous pencher sur ce qu'est la religion.
34:08 L'homme vénère. En Orient, il y a encore ces gens qui vénèrent un arbre, qui vénèrent une montagne. En Inde, ils confèrent à l'Himalaya une paix particulière, un nom particulier. Et à une certaine époque ils vénéraient la terre, les arbres, les cieux, le soleil, comme le faisaient les Egyptiens. Mais pour nous, tout cela est illusoire, dénué de sens. Et comme nous sommes terriblement sophistiqués, nous vénérons un symbole, adressons nos prières à ce symbole, à ce sauveur ou, comme en Inde, à la même chose sous une autre forme. La vénération fait partie de la vie humaine depuis la nuit des temps. Vous n'adorez peut-être pas un arbre, mais vous allez à l'église, au temple, ou à la mosquée, où vous priez, vénérez. Il n'y a pas grande différence entre l'adoration d'un arbre solitaire et magnifique dans un champ verdoyant, et le symbole que la pensée a créé dans l'église, dans le temple ou dans une mosquée. Il n'y a pas grande différence, car l'homme souffre, il est dans l'angoisse, il ne sait vers qui se tourner, alors il invente un dieu réconfortant, c'est-à-dire que la pensée invente un dieu, puis adore le fruit de son invention. Ce sont là des faits, que cela vous plaise ou non. Vous inventez tout le rituel de la chrétienté, de même que l'Inde connaît d'autres rituels compliqués. Et c'est l'invention de la pensée. Puis la pensée dit que c'est la révélation divine. Je ne sais si vous l'avez remarqué. En Asie, y compris l'Inde et ici, la révélation divine joue un rôle extraordinaire. Mais cette divinité est engendrée par la pensée. L'interprète de cette divinité est le prêtre. Il pense, et sa pensée a créé les divers rituels.
38:21 Alors nous posons la question : la religion est-elle tout cela ? La religion se base-t-elle sur les livres, sur la parole imprimée ? Là où la religion repose sur un livre, qu'elle soit chrétienne, hindoue, musulmane ou bouddhiste, il y a alors le dogme; l'autorité du livre devient prédominante; il y a bigoterie, étroitesse d'esprit. Les mondes musulman et chrétien sont fondés sur des livres : le Coran et la Bible. En Inde, heureusement pour eux, ils ont des centaines de livres, des centaines de dieux – non, plus que cela, trois cent mille dieux. Ne riez pas. Tout ceci est très sérieux. Cela paraît drôle. Et là, ils sont tolérants, ce qui veut dire qu'ils acceptent n'importe quoi : faux dieux, vrais dieux, toutes sortes d'illusions, toutes sortes d'affirmations proférées par de prétendus religieux. Ici en Occident, de même que dans le monde musulman, le livre joue un rôle extraordinairement important. Et par conséquent, ceux qui croient au livre, profondément convaincus par chaque mot de ce livre, deviennent bigots, dogmatiques, affirmatifs, agressifs, et s'ils ne sont pas un peu civilisés, ils se mettront à tuer. Voilà ce qui a lieu dans le monde. Alors la religion – l'étymologie du mot 'religion' est inconnue. Il vient du latin, mais laissons cela de côté; d'après certains dictionnaires il signifie en fait l'aptitude à rassembler toute son énergie pour découvrir, venir à la rencontre de ce qui est vrai. Tel est le sens originel de ce mot. Nous sommes donc en train de rassembler notre énergie – toute notre énergie et non une énergie spécialisée, l'énergie de la pensée, l'énergie des émotions, une énergie passionnée en vue d'approfondir ce qu'est la vérité.
42:07 Et pour aborder cela en profondeur, il faut aussi aborder la question de la nature de la pensée qui a inventé toutes les religions du monde, tous les rituels, tous les dogmes, les croyances, les credos, tout cela résultant de la pensée. Il n'y a rien de divin dans quoi que ce soit. La pensée peut prétendre que ce qu'elle a inventé est divin. Mais la pensée n'est pas sacrée, elle n'est pas sainte. Il est donc important de se pencher sur la question de ce qu'est la pensée. Nous avons déjà abordé cela, mais plus on l'examine, plus on approfondit la nature même de la pensée, plus c'est compliqué, plus il faut disposer d'un esprit subtile, d'une rapidité d'esprit, pas un esprit machinal, ni un esprit qui accepte, un esprit qui acquiesce, mais plutôt un esprit qui doute, questionne, exige, qui possède cette vaste énergie. Et quand vous exercez cette énergie globale – pas une énergie partielle parce que vous êtes en quête d'une sorte de divertissement, une sorte d'appaisement, de réconfort, il ne s'agit alors que d'énergie partielle. Tandis que si vous exigez de comprendre totalement la nature de l'esprit humain, pourquoi l'on vit d'une telle manière, détruisant la terre, nous détruisant nous-mêmes, les guerres, le malheur, il faut alors y appliquer toute son énergie. Et là où il y a ce summum d'énergie, cette passion absolue de comprendre, de découvrir un mode de vie totalement différent de la vie machinale et répétitive,
45:04 il faut, là encore, aborder en profondeur la nature de la pensée, pourquoi la pensée joue un rôle aussi extraordinairement important dans notre vie, dans notre relation. La pensée est-elle l'amour ? Cherchez avec l'orateur, s'il vous plaît; en vérité, c'est votre question que pose l'orateur, ce n'est pas la sienne. Vous vous posez vous-même cette question. La pensée a créé les merveilleuses cathédrales, ces structures magnifiques en Europe, et ici pour quelques unes. Et la pensée a aussi placé toutes ces choses dans les cathédrales, dans les églises, dans les temples et dans les mosquées. On demande donc : la pensée est-elle sacrée ? Car elle a placé toutes ces choses dans ces constructions et puis vous les vénérez. Je me demande si l'on voit toute l'illusion, l'ironie, la duperie que tout ceci comporte; à savoir que la pensée a inventé le symbole, le rituel, l'hostie, et les autres choses en Inde et en Asie; la pensée a été responsable de tout cela, certaines choses ayant été empruntées aux anciens Egyptiens, à l'Inde, ainsi de suite. Et puis la pensée ayant créé ces merveilleuses structures en pierre, avec à l'intérieur tous les symboles, l'angoisse, et dans le monde asiatique une autre symbolique. La pensée dit alors 'vous devez adorer tout cela'. Notre question est donc : la pensée est-elle en soi sacrée ? Ou n'est-elle que – écoutez je vous prie, peut-être serez-vous en désaccord, ne soyez pas d'accord, mais cherchez – la pensée est-elle un processus matériel ? Si elle n'est pas sacrée, c'est alors un processus matériel. Mais la pensée a inventé ceci : le ciel et l'enfer, les sauveurs du monde, d'après les diverses religions, leurs rituels, tout cela résulte de la pensée. Puis la pensée dit : vous devez adorer cela. Nous devons donc le découvrir par nous-mêmes, pas selon une certaine autorité en matière spirituelle ou religieuse. Il y a l'autorité du chirurgien, là, c'est une toute autre affaire. Mais pour découvrir, venir à la rencontre de ce qui est éternel – pour autant qu'une telle éternité existe – votre esprit doit être libre de tous sujets spirituels, de tous sujets psychiques : ce domaine psychologique qui est vous-même, dont il faut être totalement libre pour pouvoir découvrir.
49:32 Nous allons donc étudier ensemble la nature de la pensée. Si vous n'avez pas la moindre pensée, vous vivez en état d'amnésie, de néant, mais c'est là une forme de maladie rare. Mais chez la plupart des êtres humains de par le monde, hindous, bouddhistes, chrétiens, communistes, etc. le facteur commun est la pensée. Tous pensent, qu'il s'agisse de gens extrêment pauvres, ignorants ou hautement sophistiqués, d'un professeur érudit, d'un politicien rusé ou d'une haute autorité ecclésiastique – tous pensent, comme le fait chacun de nous dans sa vie quotidienne. Et cette pensée domine notre vie. Il est donc très important, s'il l'on peut le souligner, de comprendre tout le mouvement de la pensée. Elle est à l'origine des œuvres majeures en poésie, en peinture, en sculpture, en littérature, et la pensée est nécessaire dans les affaires, pour conduire, etc. Qu'est-ce que la pensée ? Quelle est son origine, comment est-elle née ? C'est vous qui posez la question, pas l'orateur. Je vous en prie, appliquez votre esprit, votre cerveau à cette recherche. Car la pensée domine chaque acte de notre vie. La pensée est le facteur déterminant de la relation. Alors, qu'est-ce qu'on appelle la pensée, le mécanisme penseur et son origine ?
52:14 La pensée n'est elle pas née de la mémoire ? Vous vous souvenez du lieu où vous vivez, de la distance entre ici et l'endroit où vous allez; c'est le savoir, lequel a été acquis au moyen de l'expérience. Donc l'origine de la pensée est l'expérience, le savoir, la mémoire stockée dans le cerveau. N'est-ce pas ? C'est là un fait et non une quelconque illusion exotique ou absurde. Vous vous souvenez d'une chose qui a eu lieu hier, agréable ou pas, et ce souvenir est stocké, enregistré dans le cerveau, et la pensée émerge de cet enregistrement. Donc, quoi qu'elle fasse, la pensée n'est pas sacrée. C'est un processus matériel. Certains scientifiques sont même d'accord avec ce que dit l'orateur depuis des années. Ils l'ont expérimenté sur des rats, des pigeons, des cobayes, des chiens, mais pas sur eux-mêmes. Nous sommes aussi de la matière, et la science se préoccupe de la matière. Et si la pensée est un processus matériel quoi qu'elle fasse, que ce soit dans les domaines de la religion, des affaires, ou encore de la préparation à la guerre par le cumul d'armements, tout cela résulte de la pensée. La pensée a divisé les gens en tel type de personne religieuse, tel type d'être humain vivant dans une certaine partie du monde, etc. C'est la pensée qui a divisé les êtres humains. Et la pensée, du fait de son caractère diviseur, du fait de sa nature jamais complète, du fait de son origine issue du savoir, lequel n'est jamais complet sur quoi que ce soit, la pensée est donc toujours limitée et séparatrice, car... – je ne vais pas aborder tout cela – elle est séparatrice. Là où il y a action séparatrice, il y a inévitablement conflit : entre les communistes, les socialistes et les capitalistes; entre l'Arabe et le Juif, entre l'Hindou et le Musulman, etc. Tout ceci résulte du processus de division de la pensée, et là où il y a division – c'est une loi – il y a forcément conflit. Donc rien de ce que la pensée a construit, que ce soit dans un livre, dans l'église, dans les cathédrales, dans les temples ou dans les mosquées, n'est sacré. Aucun symbole n'est sacré. Et ce n'est pas de la religion, ce n'est qu'une sorte de réaction superficielle et réfléchie à ce qui a été appelé le sacré.
56:40 Nous allons donc découvrir, si possible ce matin, porter toute notre attention sur l'étude de ce qui est sacré, dans la mesure où une telle chose existe. Les intellectuels de par le monde recusent tout cela. Ils sont écœurés par les religions avec leurs illusions, etc. Ils les écartent, faisant preuve d'un certain cynisme sur toute cette affaire, car les religions organisées partout dans le monde ont d'énormes biens, une fortune considérable, un grand pouvoir; rien de cela n'est spirituel, n'est religieux. Comme nous l'avons dit, le mot 'religion', son sens étymologique est inconnu, mais le dictionnaire stipule clairement que pour chercher ce qu'est la vérité il faut rassembler toute l'énergie, toute la capacité nécessaires pour être diligent, agir non selon un certain schéma, mais pour observer avec diligence ses pensées, ses sentiments, ses rivalités, ses peurs et aller bien au delà de tout cela afin que l'esprit soit complètement libre.
58:31 Nous demandons à présent : y a-t-il quelque chose de sacré dans la vie ? Pas inventé par la pensée, car depuis la nuit des temps, l'homme s'est toujourst posé la question suivante : y a-t-il quelque chose au delà de toute cette confusion, de ce malheur, de l'obscurité, des illusions, au delà des institutions et des réformes; y a-t-il quelque chose de fondamentalement vrai, au delà du temps, une chose tellement immense que la pensée ne peut l'aborder ? L'homme s'est penché sur cela. Il semble que très, très peu de gens aient eu la liberté de pénétrer ce monde. Et depuis la nuit des temps le prêtre s'immisce entre le chercheur et la chose que ce dernier espère découvrir. Il interprète, devient celui qui sait ou qui pense savoir. Et il s'égare, se disperse, il est perdu.
1:00:16 Donc, si nous voulons étudier la chose éminemment sacrée, indiscible, intemporelle, il faut évidemment n'appartenir à aucun groupe, à aucune religion, n'avoir aucune croyance, aucune foi, car la croyance et la foi consistent à admettre en tant que vérité une chose irréelle ou qui pourrait ne pas exister. Telle est la nature de la croyance : admettre une chose comme un fait établi, comme une vérité. Quand votre propre recherche, votre propre vitalité, énergie, n'a pas trouvé, vous croyez. Car la croyance comporte une certaine sécurité, un certain réconfort. Mais celui qui se contente de chercher le réconfort psychologique ne rencontrera jamais ce qui se situe au delà du temps. La liberté totale est donc nécessaire. Est-ce possible d'être libre de tous nos conditionnements, pas du conditionnement biologique – ça, c'est naturel – mais du conditionnement psychologique, les haines, les rivalités, la fierté, toutes ces choses qui causent la confusion, c'est-à-dire la nature même du moi, c'est-à-dire la pensée ? Et pour le découvrir, il faut l'attention, pas la concentration. Le mot méditation a été introduit dans le monde occidental très récemment par ces personnes qui ont accepté certaines normes, certains modèles de méditation. Il y a la méditation zen, la méditation tibétaine qui diffère du modèle de méditation bouddhiste du sud, il y a la méditation des hindous, avec leurs gourous particuliers qui, là encore, ont leur propre forme de méditation. Puis il y a la méditation chrétienne, c'est-à-dire la contemplation. Et la signification de ce mot 'méditation' implique l'acte de peser, réfléchir à. De plus, un esprit méditatif doit être affranchi de la mesure. S'il vous plaît, ne vous endormez pas si ceci vous intéresse. L'esprit qui médite nous y reviendrons un peu plus tard si nous en avons le temps.
1:04:33 Donc tous ces gens ont amené ce mot, avec leurs systèmes, leurs méthodes et pratiques, qui sont là encore élaborés par une pensée attentive. Peut-être qu'un gourou ou deux – ces oiseaux asiatiques – ont une certaine expérience; cela est immédiatement traduit en une sorte de statut spirituel, et ils arrivent ici avec leur méditation; et vous êtes assez crédules pour avaler tout cela, moyennant finances, et plus vous payez, meilleure est la méditation.
1:05:25 Nous devrions donc nous pencher sur ce qu'est la méditation, méditer. C'est vraiment important, parce qu'un esprit qui n'est que mécanique, comme l'est la pensée, ne peut jamais venir à la rencontre de la totalité, de l'ordre suprême, et par conséquent d'une liberté totale. L'univers est dans un ordre total, seul l'esprit humain est dans le désordre. Il faut donc avoir un esprit extraordinairement ordonné, un esprit qui a compris le désordre – nous avons vu cela l'autre jour – et donc complètement affranchi du désordre, c'est-à-dire de la contradiction, l'imitation, la conformité, etc. Un tel esprit est attentif, complètement attentif à tout ce qu'il fait, à tous ses actes, à ses rapports humains, et ainsi de suite. L'attention n'est pas la concentration. La concentration est restrictive, étroite, limitée, tandis que l'attention est sans limite. Et cette attention comporte une qualité de silence; pas le silence inventé par la pensée, ni le silence qui suit le bruit, ni le silence d'une pensée qui en attend une autre. Il faut que règne ce silence qui n'est pas suscité par le désir, la volonté, la pensée. Il n'y a dans cette méditation aucun organe de contrôle. Or c'est là un des facteurs présents dans les groupes soi-disant méditatifs : les systèmes qu'ils ont inventés comportent toujours l'effort, le contrôle, la discipline. Discipline signifie apprendre – pas se conformer – apprendre de sorte que l'esprit devienne de plus en plus subtil, sans se baser sur le savoir : apprendre est un mouvement. Donc la méditation est libérée du connu, c'est-à-dire de la mesure. Et il y a dans cette méditation un silence absolu. Et ce n'est que dans ce silence que se trouve l'indicible.
1:09:17 Peut-on se lever maintenant ?