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OJ83Q1 - 1st Question & Answer Meeting
1ère session de Questions & Réponses
Ojaï, USA
Le 17 mai 1983



0:30 Ceci n'est pas une causerie, mais des questions ont été posées et nous en avons sélectionné quelques unes parmi un grand nombre.
0:53 On pense qu'il est juste de poser des questions, mais à qui les pose-t-on ? A soi-même, ou à quelqu'un dont vous espérez qu'il répondra correctement, précisément, peut-être logiquement et sainement ? La question est-elle plus importante que la réponse ? La réponse se trouve-t-elle dans la question ? Je vous en prie, nous en parlons ensemble. La question et la réponse sont-elles de même nature ? Ou la réponse est-elle plus importante que la question ? Nous allons donc le découvrir ensemble. En comprenant la question, en l'approfondissant, nous pourrions aboutir à la réponse. La réponse n'est pas hors de la question. En l'abordant, peut-être en verrez-vous, en verrons-nous ensemble toute la signification. Si l'on pose une question, on attend une réponse d'autrui. Ceci implique tout le problème de quelqu'un qui sait et qui va répondre selon son savoir, selon les informations qu'il possède, ses données, etc. Y a-t-il quelqu'un qui répondra à toutes nos questions humaines, ou il ne faut compter que sur soi-même, sans dépendre de qui que ce soit ?
3:43 Je vous en prie, nous discutons de cela ensemble. Nous ne sommes pas l'oracle de Delphes. Vous connaissez ? Et en approfondissant la question, voyant ce qu'elle implique, cela même nous permettra peut-être de comprendre la réponse. Donc la réponse ne se situe pas hors de la question.
4:28 Et il importe aussi de poser la bonne question. On demande alors quelle est la bonne question ? Une question peut être superficielle comme : qu'est-ce que je devrais manger ? Il y a beaucoup de questions comme celle-là. Dois-je faire de l'exercice physique ? Recommandez-vous le yoga ? A notre avis, ce sont là des questions plutôt superficielles, bien qu'elles correspondent à certaines nécessités. Mais il s'agit de creuser à fond une question, et de découvrir pourquoi on la pose. Comme nous l'avons dit ces dernièrs années, lors de ces causeries, le doute, le scepticisme sont nécessaires : douter de sa propre façon de penser, mettre en question ses propres attitudes, conclusions et perceptions, être sceptique à propos de ce qu'un autre dit, qu'il soit très cultivé, spécialisé et ainsi de suite. Le fait de questionnner, de douter, d'être quelque peu sceptique aide le cerveau à se clarifier. J'espère que nous suivons ensemble ceci. Car nos cerveaux sont plutôt flous et conditionnés. Et l'on peut poser une question dans ce contexte et attendre que quelqu'un l'aborde, l'explique, comme le font l'analyste et l'analysé, et obtenir d'un autre la réponse. Et comme il n'y a ni leaders, ni gourous, ni spécialistes en problèmes humains, il faut comprendre tout ceci soi-même. J'espère que nous sommes clairs là-dessus. Si nous le sommes, pouvons-nous passer aux questions ?
7:32 Je ne les ai pas lues.
7:40 1ère QUESTION: Qu'est-ce qu'un artiste – pardon – quel est le rôle de l'artiste dans la vie et quel sens a la musique, la poésie et l'art en général dans notre relation mutuelle et au monde ?
7:57 Quel est le rôle de l'artiste dans la vie et quel sens a la musique, la poésie et l'art en général dans notre relation mutuelle et au monde ?
8:14 Cette question vous intéresse-t-elle ?
8:20 Avant tout, soyons clairs sur ce que nous entendons par art. Le mot 'art' vient du latin : joindre, ajuster, assembler des choses. Telle est la racine de ce mot. Et en sanskrit il signifie mesure, coutume, usage. C'est du sens originel, étymologique dont nous parlons. Et la question est : quel est le rôle de l'art dans nos vies ? Une fois établis le sens originel, la racine de ce mot, qu'est-ce que la beauté ?
9:41 La beauté n'est pas quelque chose de construit. Nous allons donc étudier ensemble le sens de ce mot, sa signification, son contenu. Je ne suis pas un professeur. Je regrette d'être sur une estrade, je n'aime pas cela, mais il le faut pour des raisons pratiques; assis au niveau du sol, je ne serais pas visible. J'aimerais bien, mais il faut que je sois ici.
10:31 C'est une question très complexe que celle-ci.. Si l'on peut la pénétrer très à fond, elle est très signifiante. L'art implique, n'est-ce pas, un courant mélodieux d'espace, du poids, de l'agrégation et de la profondeur. Y a-t-il des artistes ici ? L'orateur a parlé d'un courant mélodieux d'espace, de profondeur et d'agrégation de mots, de phrases, ou un tableau sur une toile. Est-ce exact ? Un courant mélodieux d'espace et de profondeur, d'agrégation de certaines choses : des arbres, des gens, des mots; tout cela est une forme d'art. Admettez-vous tant soit peu ceci ? Ainsi, si vous voyez quelque chose, mettons un tableau – j'espère qu'on me corrigera si j'ai tort – si vous voyez un tableau peint par des maîtres, classiques ou contemporains – de vrais grands peintres – il y a une sensation d'espace. Les personnages sont regroupés d'une certaine manière; il y a de la profondeur, de la couleur, une sensation de mouvement, et forcément d'harmonie. Et quand vous voyez certaines peintures de paysages, elles peuvent représenter un petit cottage dans un champ, avec quelques arbres, mais il y a de l'espace et une profondeur de couleur, de proportion, un sentiment d'harmonie. N'est-ce pas ? Et ce serait de la grande peinture.
14:16 Et l'on a visité – comme vous l'avez peut-être fait en touriste – la plupart des principaux musées du monde, et l'on voit tous ces grands maîtres de Hollande, d'Italie, d'Angleterre, d'Amérique. On demande donc : qu'est-ce que la beauté ? La beauté obéit-elle à un principe ? A certaines règles ? Vous suivez ? Ou la beauté est-elle tout autre chose, bien que respectant forcément certaines proportions, etc.
15:13 Quand nous regardons ces montagnes, ces collines qui s'étagent, bleues le soir et tôt le matin quand les premiers rayons de soleil les effleurent prématurément, quand vous voyez cela, vous réagissez par un grand silence – vous restez tranquille; il y a cet immense espace entre vous et cela, et au delà. Et en voyant de si merveilleuses, de si belles montagnes, couvertes de neige contre le ciel bleu, le silence vous prend pendant un instant. La beauté même, la grandeur même, la majesté de la montagne vous tranquillisent absolument. Vous pouvez parler du choc de la beauté. J'espère que vous regardez ces montagnes et pas moi. L'orateur n'a pas la moindre importance. Mais ce qu'il dit pourrait ou non être important, mais c'est à vous de le découvrir. Alors, quand vous voyez quelque chose de grandiose, d'une vaste ampleur et profondeur, le choc même que cause cette beauté écarte pour un moment tous vos problèmes. Il n'y a pas de soi qui s'émerveille, qui se soucie, qui bavarde, aucune entité – la personne, le 'moi' – ne regarde. A cet instant, quand le 'moi' n'est pas, la grande beauté existe.
17:50 Et l'auteur de la question demande : quel est le rôle de l'art dans nos vies ? Je l'ignore. Mais nous allons le découvrir ensemble.
18:18 Pourquoi attribuer un rôle à quoi que ce soit ? C'est une question importante. Pourquoi laisserions-nous quoi que ce soit agir sur nos vies ? Le plus grand art est l'art de vivre – le plus grand, pas la peinture, la sculpture, les poèmes et la merveilleuse littérature. Ces choses ont leur place, mais découvrir par soi-même l'art de vivre, c'est le plus grand art qui soit, il surpasse tous les rôles de la vie.
19:26 Certains grands artistes ont des existences très névrosées, très, très perturbées, comme Beethoven et d'autres. Et ces perturbations les aident peut-être à composer de la grande musique. Ou si l'on a mené une vie très esthétique – suivons-nous ? – une vie esthétique, cette vie est basée sur la relation; il n'y a pas de vie sans relation. Et le sens esthétique relève de la capacité de perception – n'est-ce pas ? – Nous rencontrons-nous ou je parle tout seul ? La capacité de perception suppose une sensibilité extraordinaire. Et la sensibilité, ce n'est pas crier, hurler. Mais la sensibilité émerge de la profondeur du silence. Puis-je poursuivre ? Inutile d'aller au collège ou à l'université pour apprendre à être sensible. Ou aller voir quelqu'un pour cela. Comme nous l'avons dit, l'esthétique est la capacité de percevoir, et l'on ne peut percevoir sans une certaine profondeur de silence. Si vous regardez ces arbres en silence, il s'établit une communication non-verbale, une communion avec la nature. Et pour la plupart, nous avons perdu toute relation avec la nature : avec les arbres, les montagnes, avec tout ce qui vit sur terre.
22:33 Et la sensibilité dans notre relation, être conscient des uns des autres, est-ce du tout possible ? C'est l'art de vivre, qui consiste à découvrir un mode de relation sans conflit, c'est-à-dire un flux mélodieux de vie en commun. Vous comprenez cela ? Sans toutes les disputes, querelles, possessivité et être possédé, peur de la solitude – vous suivez ? – tout le cycle de la lutte humaine.
23:38 L'art de vivre est bien plus important que l'art des grands peintres. Il se pourrait que nous nous échappions à nous-mêmes par la musique, en visitant tous les musées du monde et en en parlant sans cesse, en lisant des livres d'art. Et ce pourrait être là une fuite devant nos ennuis, anxiétés, dépressions. Alors, pouvons-nous vivre une vie esthétique de perception profonde ? Etre conscients de nos paroles, du bruit de ce pays, de la vulgarité des êtres humains. Car on apprend beaucoup plus dans le silence que dans le bruit. Tout ceci pourrait passer pour des platitudes, mais ce n'en est pas. Cela requiert énormément d'observation de soi. Cette observation est empêchée par toute forme d'autorité, comme apprendre auprès d'un autre à observer; il s'agit juste d'observer sa démarche, sa parole, le bruit, vous savez tout ce qui a lieu. De tout cela émane l'art de vivre.
26:06 L'art, comme on l'a dit, c'est rassembler harmonieusement les choses, observer nos contradictions, nos désirs qui sont toujours si forts, observer tout cela en n'y créant pas d'opposé, se contenter d'observer le fait, et vivre avec le fait. Voilà, semble-t-il, la façon de susciter une vie de mélodieuse harmonie. Avons-nous répondu à la question ? Ne vous donnez pas la peine d'applaudir. J'ignore pourquoi vous le faites, peut-être sentez-vous que les choses dites sont justes et vous les appréciez, que ce que l'orateur a dit est ce que vous pensez, j'espère, par conséquent, n'applaudissez pas l'orateur.
27:34 2ème QUESTION: L'observation de la pensée, n'est-ce pas un usage continu de la pensée, d'où une contradiction ?
27:46 L'observation de la pensée, n'est-ce pas un usage continu de la pensée, d'où une contradiction ?
28:07 Examinons d'abord la question. Observer la pensée, n'est-ce pas un usage continu de la pensée, d'où une contradiction ? Quand vous observez cet arbre, le regardez-vous avec tous les souvenirs des arbres vus auparavant, avec l'ombre de l'arbre sous lequel vous vous êtes peut-être assis, et le plaisir d'une belle matinée, assis tranquillement sous un arbre, regardant la beauté des feuilles, des branches, le tronc et le son émanant du tronc ? Quand vous observez tout cela, observez-vous par l'intermédiaire de mots, de souvenirs ? Ou les souvenirs de ces soirées agréables quand vous étiez assis sous un arbre ou avez regardé un arbre, alors vous regardez à travers la structure des mots. Vous n'observez donc pas réellement. Est-ce exact ? Alors, sommes-nous conscients de tout regarder à travers un réseau de mots ? – les mots étant la signification passée, l'usage de certains mots avec leur contenu, leurs remémorations, etc. C'est-à-dire, regardez-vous un arbre ou une étoile solitaire dans le ciel, comme hier soir la nouvelle lune et Vénus proches l'une de l'autre ? Regardez-vous cela avec des mots ? Ou vous regardez tout le phénomène d'hier soir sans un mot.
31:10 L'observation est-elle donc une perception, un processus de pensée ? A savoir une communication verbale réciproque, un usage des mots contenant souvenirs et incidents passés, etc., ou il n'y a qu'observation pure hors du temps, le temps étant pensée, mémoire. Découvrez-le s'il vous plaît. Découvrons ce que nous faisons vraiment. Pouvons-nous regarder une personne avec qui nous avons vécu plusieurs jours ou années sans tous les souvenirs passés et incidents, plaisirs et réconforts que l'on a retirés de cette personne, ou des antagonismes – vous en suivez tout le processus ? Pouvez-vous observer cela comme si vous la rencontriez pour la première fois ? Vous pourriez vous souvenir de son visage; bien sûr, c'est nécessaire, sinon ce serait problèmatique. Mais il s'agit de regarder une personne, d'y être sensible, et cette sensibilité est impossible quand la mémoire du passé se projette tout le temps. N'est-ce pas ?
33:24 Se pose alors la question : la pensée peut-elle être consciente d'elle-même ? C'est assez complexe; on espère que vous voudrez bien en examiner la complexité. La pensée, tout le processus de pensée, cette réflexion peut-elle être consciente d'elle-même, ou y a-t-il un penseur conscient de ses pensées ? Vous comprenez la question ? Est-ce trop difficile ? Tout cela vous intéresse-t-il ?
34:13 Q: Puis-je vous interrompre, M. ? Je me demande si notre groupe serait un peu plus intéressé si vous pouviez traiter certaines des affirmations que l'on trouve dans vos cassettes et livres. Je vais vous en donner un exemple qui pourrait être traité assez brièvement, et pourrait être très stimulant.
34:40 Sur une bande, vous qualifiez le mariage de 'terrible institution'. Pourriez-vous développer cela ? Pensez-vous qu'un jeune couple devrait vivre ensemble hors mariage, ou ne devrait pas vivre ensemble ainsi ?
34:59 Et j'ai d'autres choses.

K: Bien M. Amusons-nous. Répondons à cette question, puis reprenons notre sujet. On peut vivre avec quelqu'un d'autre, sexuellement ou en relation avec un autre et en assumer tous deux l'entière responsabilité de façon continue sans changer quand cela ne vous convient pas, quand l'autre personne ne vous satisfait plus pleinement. N'est-ce pas ? Ou vous passez par le mariage, c'est-à-dire un contrat, vous vous rendez à l'église où le prêtre bénit le couple, et là, vous êtes liés légalement. Et ce lien renforce légalement votre sentiment de responsabilité. N'est-ce pas ? Vous êtes liés par la loi. Attendez-vous de moi une réponse ? Vous êtes tenus par la loi, ce qui va avec une responsabilité que l'on pense être durable. Quelle est la différence entre les deux options ? Vous êtes sous le contrôle de la loi et un divorce prend du temps; vous avez des enfants et ceux-ci peuvent vous unir un certain temps, jusqu'à ce qu'ils aient grandi; et quand ils grandissent vous leur dites peut-être au revoir, ou obtenez un divorce, etc. Dans l'autre cas, c'est-à-dire un mariage non légalisé, où la responsabilité de chacun est toute aussi importante et peut-être encore plus, quelle différence y a-t-il alors entre les deux ? Soit c'est une responsabilité reposant sur la loi, soit une responsabilité de convenance, de nécessité, de réconfort, de désir sexuel et toutes les autres exigences; où est la place de l'amour dans tout ceci ? N'est-ce pas ?
38:55 Chacun, l'épouse et le mari, ou la fille et le garçon, peu importe, sont-ils jamais ensemble, à part sexuellement ? Ensemble, qu'ils soient mariés légalement ou pas. Ils ont beau se tenir la main, s'embrasser en public, comme cela se fait dans ce pays, n'est-ce pas ? En Asie, c'est plutôt vu comme étant immoral, impudique, et cela se fait sagement à la maison. Alors quelle différence y a-t-il entre les deux ? Et où se situe l'amour dans tout ceci ? Répondez vous-même à cette question.
40:09 L'amour est-il la recherche du désir ? L'amour est-il le plaisir ? Plaisir sexuel ou autre ? L'amour n'est-il que compagnie, dépendance l'un de l'autre ? L'amour est-il attachement ? Allons M., penchez-vous là-dessus. Et si, pour en avoir vu la raison, on nie intelligemment que l'attachement n'est pas l'amour, ni le détachement, la remémoration des incidents passés de chacun, des pressions, insultes et tout cela, la vie en commun jour après jour, année après année, les souvenirs accumulés, les images, l'imagination – tout cela n'est pas l'amour, sûrement. Quand vous niez tout ceci, cette négation fait que vous accédez au positif. Mais si vous commencez par le positif, vous aboutissez à la négation. C'est ce que vous faîtes tous, n'est-ce pas ? Ce que je dis est-il juste ou faux ?
42:07 Ce Monsieur a posé une question : pourquoi l'orateur ne parle-t-il pas de tout cela ? Monsieur, qu'est-ce qui importe dans la vie ? Quelle est la racine ou l'élément essentiel de la vie ? Comme on l'observe de plus en plus à la télévision, dans la littérature, les magazines, et tout ce qui a lieu, tout devient de plus en plus superficiel, expéditif. En cas de problème, allez chez un spécialiste qui vous dira quoi faire. Tout devient si superficiel et vulgaire – si l'on peut se permettre ce mot sans être dérogatoire ou insultant. Tout devient tellement superficiel et plutôt puéril.
43:39 Et l'on ne demande jamais quelle est la question fondamentale ou la nécessité fondamentale, ou la profondeur de la vie. Certainement pas les croyances, ni les dogmes, ni la foi, ni toutes les fariboles intellectuelles, qu'il s'agisse des théologies communiste, catholique, marxiste, ou de celle de Lénine ou de Saint Thomas d'Aquin : elles sont toutes identiques – théories, conclusions et idéologies, basées sur la croyance, la foi, le dogme, les rituels. Tout cela devient donc de plus en plus superficiel dans la vie, extérieurement. Juste là, au dehors. Et nous vivons ainsi. C'est un fait, je ne dis rien qui n'ait pas lieu d'être.
45:08 Et c'est un monde merveilleux de divertissements, tant religieux qu'en matière de football, n'importe quoi pour fuir : hurler, crier, jamais de conversation tranquille, ne regardant jamais rien paisiblement, admirablement. Alors, quelle est cette chose fondamentale qui revêt tant d'importance dans notre vie ?
46:00 Q: Voulez-vous que nous répondions ?
46:02 K: Vous pouvez répondre si vous le voulez, M.
46:04 Q: La réponse est la compassion.
46:07 K: Je sais, je l'ai bien entendu. Quand vous vous servez de ce mot, le faites-vous superficiellement ou y a-t-il en vous de la compassion ? Vous comprenez ? Quand vous dites 'c'est la compassion', cela devient totalement superficiel, vous l'avez déjà estampillé. Le mot 'compassion' signifie passion pour toutes choses, pas seulement pour votre famille. Et vous ne pouvez avoir de compassion si vous êtes attaché à quelque croyance, quelque dogme que ce soit. Sans liberté totale, il ne peut y avoir de compassion. Et la compassion s'accompagne d'intelligence. Ainsi, si vous dites que la compassion, l'amour sont à la racine de tout dans la vie, dans l'univers, dans toute notre relation et action, ayant découvert cela, l'ayant rencontré, le vivant et agissant à partir de là, alors, mariage ou pas mariage, vous n'êtes plus un individu, il y a autre chose, qui diffère entièrement de son propre petit moi mesquin.
48:17 Bien, Monsieur ? Auriez-vous une autre question à ce niveau ? Ou pouvons-nous poursuivre avec cette question, qui est vraiment très importante si on peut l'aborder sérieusement. Nous avons demandé : la pensée peut-elle être
48:51 consciente d'elle-même ? C'est-à-dire, la pensée a créé le penseur distinct de sa pensée. N'est-ce pas ? Vous avez saisi ? Ainsi, il y a le penseur qui dit : je dois être conscient de ce que je pense; je dois maîtriser mes pensées, ne pas les laisser divaguer. Il y a donc le penseur distinct de sa pensée. Et le penseur agit sur la pensée, n'est-ce pas ? Dès lors, le penseur est-il distinct de la pensée ? Ou l'acte de penser, la pensée, a créé le penseur. Vous comprenez la question ? Il n'y a pas de penseur sans pensée. N'est-ce pas ? Nous rencontrons-nous là-dessus ? Je vous en prie, c'est plutôt important, car il s'agit de découvrir pourquoi il y a en nous la dualité, l'opposé, la contradiction, le 'moi' et la pensée, le 'moi' en tant que penseur, celui qui témoigne, celui qui observe, et la chose à observer. Bien ? Ainsi, le penseur maîtrise alors la pensée – n'est-ce pas ? – façonne la pensée, la place dans un moule; mais le penseur est-il distinct de la pensée ? La pensée n'a-t-elle pas créé le penseur ?
51:13 Q: Je le vois logiquement.
51:15 K: Attendez Monsieur, soyons d'abord logiques. Ou voyons-le intellectuellement; c'est-à-dire ? Verbalement, je vois très clairement qu'il y a cette division entre le penseur et la pensée, et que la pensée a créé le penseur. Donc le penseur est le passé, avec ses souvenirs, avec son savoir, tout cela ayant été assemblé par la pensée qui est issue d'expériences et ainsi de suite; c'est donc là toute l'activité du passé, le penseur. D'accord ? C'est clair ? Puis elle prétend que penser est autre chose que le 'moi', le penseur. N'est-ce pas ? Vous admettez cela logiquement, intellectuellement; pourquoi ? Pas vous M., mais nous le faisons tous, disant 'oui, je le comprends très vite intellectuellement'. Mais pourquoi disons-nous cela ?
52:44 Q: Cela paraît évident.

K: Non, creusez, M., pourquoi dit-on, en première réaction : 'je comprends intellectuellement' ? N'est-ce pas parce que nous ne regardons jamais la chose dans son ensemble ? Nous ne regardons une chose qu'intellectuellement. Bien, l'orateur a expliqué très soigneusement, logiquement, la nature du penseur et de la pensée. Et vous l'admettez logiquement. Et je demande pourquoi fait-on cela ? Serait-ce que l'intellect est très développé chez la plupart d'entre nous, ou s'est bien plus développé que notre sensibilité, notre perception immédiate. N'est-ce pas ? Bien sûr. Car depuis l'enfance nous sommes formés à acquérir, à mémoriser, à entraîner certaines parties du cerveau à retenir ce qui a été dit, annoncé, et à le répéter sans cesse. Donc quand on rencontre du neuf, on dît : je comprends intellectuellement. Mais on ne le rencontre jamais totalement, pleinement, c'est-à-dire intellectuellement, émotionnellement, avec tous ses sens en éveil; vous ne le recevez jamais complètement. Vous le recevez partiellement, non ? Et l'activité partielle est l'activité intellectuelle. Ce n'est jamais l'être tout entier qui observe. Vous dîtes : oui, c'est logique. Et on en reste là. On ne dit pas : pourquoi seule une partie des sens est-elle en éveil ? La perception intellectuelle est de la sensibilité partielle, de l'activité partielle des sens. La création d'une dynamo demande qu'on y pense intellectuellement. La création d'un ordinateur, son assemblage, ne nécessite pas tous vos sens et émotions, vous êtes devenu mécanique et reproduisez cela. Ce même processus a lieu quand nous entendons du neuf et disons 'je comprends intellectuellement'. La rencontre n'est pas totale. Donc la déclaration a été faite, mais nous ne la recevons pas totalement.
56:11 Le problème qui découle de tout ceci est : pourquoi ne rencontrons-nous jamais rien – spécialement à la vue d'un arbre ou des montagnes, ou le mouvement de la mer – avec tous nos sens pleinement éveillés. Pourquoi ? Serait-ce que nous ne vivons que partiellement ? A savoir que nous vivons toujours dans une sphère, un espace intérieur limité. C'est un fait. Alors, si vous le voulez bien, regardez ces montagnes avec tous vos sens. Ce qui signifie que quand cet acte a lieu, tous vos sens – vos yeux, vos oreilles, vos nerfs, la réponse globale de tout l'organisme qui comprend aussi le cerveau – reçoivent, regardent la totalité de la chose. Alors, quand on le fait, il n'y a pas de centre en tant que 'moi' qui regarde. N'est-ce pas ?
57:56 Nous demandons donc : la pensée peut-elle être consciente d'elle-même ? C'est une question assez complexe, car ceci requiert une observation très attentive. La pensée a créé les guerres – n'est-ce pas ? – à cause du nationalisme, de la religion sectaire, catholique, protestante, hindoue, bouddhiste. La pensée a créé tout cela, n'est-ce pas ? En êtes-vous bien sûr ? Dieu n'a pas créé tout ceci : la hiérarchie de l'église, le pape, tous les costumes, les rituels, le balancement de l'encensoir, les bougies, n'est-ce pas ? Tout ce cérémonial qui a lieu dans une cathédrale ou une église est assemblé par la pensée, emprunté, en partie, des anciens Egyptiens, des anciens Hindous, des Juifs. Tout cela est de la pensée. N'est-ce pas ? Donc Dieu est créé par la pensée.
59:50 Celui qui n'a pas la moindre peur, peur de mourir, de vivre, de problèmes, qui n'a aucune peur quelle qu'elle soit, a-t-il besoin de Dieu ? La pensée a donc construit tout cela. On peut voir ce qu'a fait la pensée, pas à pas, n'est-ce pas ?
1:00:24 La pensée peut donc être consciente de sa propre action; vous suivez ? Je me demande si vous suivez tout ceci. Il n'y a donc pas de contradiction entre le penseur et la pensée, entre l'observateur et l'observé. Quand il n'y a pas de contradiction, il n'y a pas d'effort. Ce n'est que quand il y a contradiction, c'est-à-dire division, qu'il y a effort. Ainsi, pour découvrir s'il est possible de vivre une vie sans l'ombre d'un effort, d'une contradiction, il faut étudier tout le mouvement de la pensée. Et on n'en a ni le temps, ni l'inclination; on est bien trop occupé, on a trop à faire. Mais on a tout le temps quand on veut faire quelque chose : pour jouer au golf, vous avez tout le temps qu'il faut.
1:01:51 Donc, découvrir la nature de l'activité de la pensée, l'observer, fait partie de la méditation.
1:02:19 4ème QUESTION : Vous avez dit que la tranquillité, le silence, vient spontanément. Mais peut-on vivre en sorte que cela puisse venir plus aisément ?
1:02:35 Je ne sais pas très bien ce que cela veut dire. Vous avez dit que la tranquillité, le silence, vient spontanément. Mais peut-on vivre en sorte que cela puisse venir plus aisément ? Oh oui, c'est possible, en prenant une pilule. Non ? En prenant une drogue; en s'enivrant. Examinez la question. Il veut du tout-prêt, vous ne voulez pas presser l'orange, mais l'achetez en boîte. Vous suivez ? Du tout prêt, rapide.
1:03:27 N'avez-vous jamais étudié ce qu'est le silence ? Qu'est-ce que le silence ? Qu'est-ce que la paix ? La paix est-elle entre deux guerres ? C'est bien cela : pour nous, la paix c'est l'entre deux guerres; celle-ci, comme la prochaine, doit arrêter toutes les guerres. Le comprenez-vous ? Avez-vous compris cette phrase ? Cette guerre, comme la prochaine, doit arrêter toutes les guerres. C'est-à-dire, la paix est-elle ce qu'il y a entre deux bruits, entre deux guerres, entre deux rixes, querelles ? Qu'est-ce alors que le silence ? Il ne peut certes pas s'acheter dans une boutique, une pharmacie, n'est-ce pas ? On aimerait vite l'acheter et aller de l'avant. Mais le silence, pas plus que la paix, ne peuvent être achetés. Bien ? S'il en est ainsi, qu'est-ce que le silence ?
1:05:22 Silence signifie forcément espace, n'est-ce pas ? Je puis être très silencieux dans un petit espace. M'isoler, fermer les yeux et m'entourer d'un mur, me concentrer sur une petite affaire de rien du tout, et là, il pourrait régner une certaine paix, un certain silence. N'est-ce pas ? Je puis aller dans mon antre, ma bibliothèque ou ma chambre et m'y asseoir, mais quand je le fais, l'espace y est limité. Mais dans ma petite chambre, et aussi dans mon cerveau, l'espace est très limité. N'est-ce pas ? Car la plupart d'entre nous n'a jamais examiné ou réfléchi à tout ceci.
1:06:35 Qu'est-ce alors que l'espace ? L'espace est-il ce qu'il y a d'un point à un autre ? L'espace est-il une dimension limitée ? Ou n'a-t-il pas de centre ? Pas de centre signifie par conséquent pas de frontière. Vous comprenez ? Tant qu'il y a 'moi', mes problèmes, mes exigences égoïstes, mes, mes, mes, c'est très limité. N'est-ce pas ? Cette limitation a son propre petit espace. Mais ce petit espace est une sorte d'enceinte auto-protectrice; on y reste pour ne pas être dérangé, ne pas avoir de problèmes, pour ne pas avoir tous les ennuis, etc., vous suivez ? Ainsi, la plupart d'entre nous ne dispose que de cet unique espace personnel. Et partant de cet espace on demande ce qu'est l'espace. Je me demande si vous suivez tout ceci. Je clarifie bien la question ?
1:08:30 Q: En effet. Vous dites qu'il nous faut de l'espace pour comprendre le silence. Il nous faut de l'espace pour être joyeux, trouver le temps pour le plaisir de la mélodie silencieuse; sans espace, on ne peut apprécier ou comprendre le silence ou être en silence.
1:09:10 K: Bien sûr. L'espace pour comprendre, pour savourer. Mais c'est toujours limité, n'est-ce pas ? Donc là où il y limitation, il ne peut y avoir de vaste espace. C'est tout. Et l'espace implique le silence. Le bruit n'implique pas l'espace. Je ne sais si l'on voit cela. Tout le bruit qui a lieu dans les villes, chez les gens, et tout le bruit de la musique moderne – il n'y a ni espace, ni silence nulle part, que du bruit. Que ce soit agréable ou pas, là n'est pas la question.
1:10:16 Alors que veut dire avoir de l'espace ? L'espace entre deux notes sur le piano; c'est là un très petit espace. Ou le silence entre deux personnes qui se sont disputées, pour reprendre ensuite leur dispute. N'est-ce pas ? Tout cela est un espace très, très limité; alors existe-t-il un espace illimité ? Pas au ciel, pas dans l'univers, mais en nous-mêmes, avoir de l'espace dans toute notre façon de vivre : pas imaginaire, pas romantique, mais la sensation réelle d'un immense espace.
1:11:21 Vous direz alors : oui, je le comprends intellectuellement. Mais il s'agit de recevoir cette question : qu'est-ce que l'espace, quel est son contenu, la recevoir entièrement, avec tous vos sens, et vous découvrirez alors ce que c'est, s'il existe un tel espace, immense, relié à l'univers.
1:12:00 Quelle heure est-il ?

Q: Midi 45.
1:12:05 K: Encore une question ? Vous n'êtes pas fatigués ?
1:12:21 5ème QUESTION : Un vrai gourou, cela existe-t-il ? Y a-t-il un bon usage du mantra ?
1:12:35 Un vrai gourou, cela existe-t-il ? Y a-t-il un bon usage du mantra ?
1:12:50 Je pense qu'il est nécessaire de comprendre le sens de ces deux mots : gourou et mantra. Ce sont deux mots sanskrits. Gourou : savez-vous ce que cela signifie ? La racine du mot, comme me l'ont dit plusieurs érudits en sanskrit, son vrai sens est 'poids'. P-o-i-d-s, vous savez. Et il signifie aussi 'celui qui dissipe l'illusion'. Bien ? Et aussi 'celui qui indique'. Qui indique – pas la voie : indique, c'est tout. Et 'celui qui ne vous impose pas ses illusions, ses stupidités'. Telle est la signification de ce mot.
1:14:14 Et aussi, le sens, l'étymologie du mot mantra vient de 'réfléchir à ne pas devenir'. Et aussi 'dissoudre, écarter toute activité égocentrique'. Vous comprenez ? 'Réfléchir à ne pas devenir' et aussi 'dissoudre, écarter, bannir toute activité centrée sur soi'. Bien ? 'Gourou' signifie tout cela, 'mantra' signifie tout ceci.
1:15:11 Et l'auteur de la question demande : y-t-il un vrai gourou ? En Inde du Nord, un gourou est un éducateur, un maître d'école élémentaire. Ils l'appellent 'gourouji' parce qu'il enseigne, informe. A présent, le mot 'gourou' a été importé ici de ce malheureux pays, et ils en retirent des sommes se chiffrant à des millions. On vous dit quoi faire, vous donnant des mantras pour 500, 100, ou 2 dollars pour que vous les répétiez. Et quand vous répétez constamment une chose, jour après jour, votre cerveau devient ce qu'il est.
1:16:31 Et il n'y a pas de vrai gourou, mais seulement de faux gourous. Car personne d'autre que vous-même ne peut vous enseigner quoi que ce soit. Ils peuvent vous apprendre à lire, écrire, le calcul, la biologie, etc., mais personne ne peut vous apprendre ce que vous êtes, votre nature, et s'il est possible de se libérer de toute cette tradition, de tout l'énorme conditionnement accumulé au cours des siècles. Cela implique que vous êtes à la fois le maître et le disciple : il n'y a ni maître ni disciple en dehors de vous. Vous comprenez ce que tout ceci implique ?
1:17:37 Nous dépendons d'autrui, ce qui est naturel. On est dépendant du postier, du médecin, de l'informaticien, de celui qui assemble un moteur – vous dépendez de tout cela – du pharmacien, du droguiste. Et nous pensons aussi qu'il faut dépendre d'autrui intérieurement; je dépends, bien sûr, de ma femme pour certaines choses, nous dépendons inévitablement l'un de l'autre. Mais cette dépendance devient peu à peu de l'attachement, et toute l'angoisse de l'attachement commence.
1:18:30 Apprendre sur soi est donc un processus sans fin. Vous comprenez ? Apprendre est infini. Pas de livres, cela comporte certaines limites; tout savoir est limité. Evidemment M., n'est-ce pas ? Il n'y a pas de savoir complet sur quoi que ce soit, même les scientifiques l'admettent. Ils y ajoutent toujours plus, mais ce savoir est toujours limité, maintenant ou dans le futur. Le savoir extérieur est nécessaire, et cette même onde se poursuit intérieurement. N'est-ce pas ? Qu'il faut se connaître soi-même. N'est-ce pas ? Chez les Grecs – même avant eux – il était dit 'connais toi toi-même'. 'Connais toi toi-même' ne signifie pas recourir à quelqu'un pour te connaître. Cela signifie : observe qui tu es, à quoi tu penses, ton comportement, tes paroles, tes gestes, la façon dont tu parles, dont tu te nourris; observe seulement, sans corriger, sans dire ceci est juste ou faux. Et pour observer, il faut du silence. Et cette observation comprend l'apprentissage. Par conséquent, en apprenant vous devenez le maître. Vous êtes donc, exclusivement, à la fois le maître et le disciple.
1:20:49 Je ne sais si vous avez remarqué qu'il y a en ce monde de plus en plus d'institutions, de fondations, d'associations dédiées à des objets divers, extérieurement et intérieurement. Fondation pour une action juste, pour une pensée juste; chacun se raccroche à sa propre petite fondation. Vous pourriez dire : pourquoi avez-vous des fondations ? Je vais vous le dire. L'objet de cette fondation-ci est de gérer des écoles – des écoles ordinaires – tant en Inde, où il y en a 6, qu'en Angleterre et ici à Ojaï. Et pour publier des livres, organiser les causeries et rien d'autre ! Aucun contenu spirituel – je n'aime pas ce mot – ou religieux derrière ce mot.
1:22:13 Donc quand on comprend le sens des mots 'gourou' et 'mantra', ceux-ci prennent un sens très, très sérieux. 'Mantra' signifie dissoudre toute la structure du devenir. Ce qui veut donc dire qu'il n'y a pas d'évolution du 'moi', du psychisme. C'est très complexe et je ne vais pas l'aborder. Et il n'y a personne à l'extérieur qui puisse nous libérer, sinon notre intégrité intérieure, la grande humilité avec laquelle on apprend. Bien Monsieur. Puis-je m'arrêter et me lever ?