Krishnamurti Subtitles home


OJ83Q2 - 2nd Question & Answer Meeting
2ème session de Questions & Réponses
Ojaï, USA
Le 19 mai 1983



0:25 Pouvons-nous poursuivre avec les questions ?
0:38 On se demande, s'il est permis, pourquoi vous venez tous ici. Je ne suis pas insultant, je pose seulement la question. Quel est le motif de votre venue ? Quelle est l'origine, ou plutôt quelle intention sous-tend notre rencontre ici ? Est-ce par curiosité, ou cherche-t-on à découvrir par soi-même ce qu'il en est – de la vie, j'entends; ou bien voulez-vous entendre l'orateur, ou voir le genre de personne qu'il est, s'il s'agit d'un d'hypocrite, ou de quelqu'un de sain, rationnel ? Je me demande pourquoi on vient à ces réunions ou à toute autre réunion.
2:04 Si l'on est sceptique, et j'espère que certains d'entre nous le sont, et si l'on met en doute non seulement ce que d'autres pourraient faire, mais nos propres actes, nos propres jugements, évaluations, notre propre cas, cela a alors une importance extraordinaire. Au lieu de se contenter d'écouter ou entendre quelques paroles, en étant d'accord ou pas, si l'on pouvait être très clair sur ce qui motive notre venue ici, alors cette motivation, si elle est juste et honnête, comporte une certaine profondeur. S'il s'agit seulement de rassembler quelques idées, quelques déclarations, j'ai peur que cela ne vaille pas grand chose.
3:42 Alors pouvons-nous passer à ces questions ?
3:50 1ère QUESTION : Pourquoi n'êtes-vous pas plus pratique et moins abstrait dans vos dires ?
3:57 Pourquoi n'êtes-vous pas plus pratique et moins abstrait dans vos dires ?
4:06 Je me demande ce qu'on entend par pratique ? Le mot 'pratique' signifie 'apte à agir'. Et il a aussi un autre sens : action répétée, action habituelle. Et ce mot a d'autres acceptions plus complexes.
4:44 Sommes-nous pratiques ? La succession des guerres de millénaire en millénaire, et la persistance de la guerre, est-ce pratique ? Ou est-ce un fonctionnement habituel ? Cela fait des milliers d'années que l'on s'entre-tue, non seulement avec des fusils et d'autres moyens de destruction, mais aussi par la calomnie, la haine, et toutes les violences qui ont lieu dans le monde. Tout cela est-il pratique ? Ou nous sommes si habitués à ce mode de vie que nous l'acceptons comme l'option la plus pratique. Et l'auteur de la question dit : pourquoi n'êtes-vous pas plus pratique et pas si bêtement abstrait ? Le mot 'abstraction' signifie diviser, séparer, détourner, s'éloigner du fait, se distancer de ce que l'on est effectivement; faire abstraction, se séparer de ce que l'on ressent, de ce que l'on reconnait, et en faire une abstraction distincte de ce que l'on estime devoir être. Voilà ce qu'est une abstraction. Donc l'auteur de la question demande : pourquoi n'êtes-vous pas plus pratique et pas si abstrait dans ce que vous exprimez ?
7:15 Alors, sommes-nous tant soit peu pratiques ? Sauf peut-être dans notre gagne-pain, l'exercice d'une compétence, être un bon menuisier, un bon pharmacien, un bon écrivain ou un excellent penseur. Mais être pratique, c'est-à-dire vivre une vie – nous ne conseillons pas, seuls les idiots le font, mais ne faisons qu'indiquer, car vous et moi réfléchissons ensemble à ce que veut dire être pratique. Nous avons défini le sens de ce mot d'après divers bons dictionnaires anglais, et les dictionnaires couvrent l'usage commun des mots, ainsi que leur signification. 'Pratique' signifie 'faire, agir de façon répétée'. Penser, haïr, calomnier, être violent, tout cela est-il pratique ? Ou l'on y est si habitué que l'on répéte sans cesse cette action et réaction : vous me haïssez et je vous hais; vous êtes violent, je deviens violent. Vous me frappez, je vous frappe. Voilà le schéma que nous répétons depuis des siècles.
9:29 Vous direz peut-être : n'avez-vous pas fait une chose qui ne soit pas pratique ? C'est-à-dire vous, l'orateur, n'avez-vous jamais fait une chose qui ne soit pas une réaction, ce qui est la réponse habituelle, l'action répétitive. Il faut être clair sur ce que nous entendons par action. Supposons que l'on ait un comportement moral, un mode d'action reposant sur certaines valeurs morales, une perception morale, esthétique, si un autre accomplit quelque chose d'incorrect, d'immoral, la relation, la responsabilité spécifique qui en découle vous pousse alors à agir. Cela pourrait ne pas être habituel, une action répétitive.
10:47 Et l'auteur de la question veut aussi savoir : pourquoi parlez-vous par abstraction ? Le faisons-nous ? L'orateur parle-t-il par abstraction ? Ou il ne fait que souligner ce que nous faisons tous, chacun de nous, sans se juger l'un l'autre, sans condamner ni calomnier, mais en observant.
11:49 Si dans cette observation de soi et des autres il n'y a pas cette qualité de silence, vous pouvez alors tirer de cette observation une abstraction de ce qui est pour en faire une idée distincte. Le sens originel des mots 'idée' et 'idéaux' vient du grec 'observer'. 'Idée' signifie observer. Pas faire une abstraction de ce que l'on observe. J'observe cette chose qu'on appelle arbre, et j'en fais une abstraction, la séparant de la perception que j'en ai, en faire une idée, et ainsi, la réalité de l'arbre et l'idée d'un arbre sont deux choses distinctes.
13:15 Supposons que j'ai peur. C'est une réalité, la peur est une réalité. Mais l'abstraire, c'est-à-dire la séparer du fait pour dire 'je ne devrais pas avoir peur' est une abstraction. Ou 'je dois cultiver mon courage', c'est une abstraction du fait que j'ai peur. Ainsi l'idée, que nous acceptons actuellement, est une chose distincte du fait. N'est-ce pas ? Ainsi, quand nous parlons de l'abstraction, nous nous référons au fait d'introduire une division dans le réel pour en faire une idée et poursuivre l'idée et non le fait. Voilà ce que nous faisons sans cesse. Les communistes ont certaines idéologies, très fortes, très brutales, etc. Et les pays prétendument libres ont aussi certains concepts, valeurs, jugements. La pauvreté existe dans le monde. L'abstraction de ce fait est : que faut-il faire. Et chacun de nous, chaque groupe ou chaque parti politique dit : il faudrait faire ceci, il faudrait faire cela. Ce sont donc des idées qui les préoccupent et non le fait. On ne peut se disputer sur un fait, n'est-ce pas ? Le soleil est chaud aujourd'hui; c'est un fait.
15:32 Donc pour résoudre une question telle que la pauvreté, il est vain d'en faire une idéologie, une abstraction. Mais confronter le fait de la possibilité de résoudre la pauvreté dans le monde, pas au moyen d'idées, de concepts, cela n'est possible que s'il y a une relation globale, pas une relation politique. Cette relation globale ne peut exister qu'en l'absence de nationalités. N'est-ce pas ? Evidemment. Et comme la pauvreté augmente dans le monde, celle-ci peut être résolue, non par des partis politiques, socialistes ou autres, mais par la réalisation – qui est un fait et non une abstraction – que tant qu'il y a ces divisions – qui sont des abstractions du fait – ce problème de la pauvreté ne peut être résolu.
17:03 N'est-ce pas ? Alors on dit, que dois-je faire ? En tant que personne vivant dans un pays plein d'esprit nationaliste et patriotique, que dois-je faire ? C'est très simple : ne soyez pas nationaliste. N'appartenez à aucun groupe, à aucune association, et tout le reste. Tant qu'il y a action séparatrice à l'égard d'un problème, celui-ci ne sera jamais résolu. Ou plutôt, de la solution de ce problème en découlera des milliers d'autres. J'espère que c'est clair.
17:55 Ainsi, ce que nous disons semble être plutôt pratique dans le sens de quelque chose qui peut être fait. Pas l'action habituelle répétitive, mais quelque chose de pratique, d'évident, de sain, de rationnel. N'est-ce pas ? A-t-il été répondu à la question ? Passons-nous à la suivante ?
18:40 Les Américains sont sensés être des gens très pratiques et c'est pourquoi ils polluent toutes les rivières, polluent l'air, détruisent les forêts, tous les merveilleux animaux du monde – ce sont tous des gens très pratiques, tuant des bébés phoques – vous savez tout ce qui a lieu. Et nous ne demandons jamais pourquoi les êtres humains tuent. Nous n'en faisons pas une abstraction, mais pourquoi tuons-nous, par des paroles, par un geste, par toute sorte de ruses, etc. Ou nous nous entre-tuons vraiment, et la nature et les animaux du monde. Pourquoi a-t-on fait de tuer un critère de notre vie ? Vous direz peut-être que cela se fait depuis plus d'un million d'années, que c'est un acte répétitif courant. Et nous le qualifions donc de très pratique. Nous ne mettons jamais en doute ces agissements dits habituels, répétitifs, comme aller chaque dimanche à l'église – pour autant que vous le fassiez – ou obéir à une clique, un leader, un petit groupe qui se referme sur lui-même et résiste à tout... Pourquoi faisons-nous tout cela ?
20:49 Est-ce par besoin de sécurité ? Et y a-t-il une sécurité dans la séparation ? Dans la division ? Ce qui a lieu à Beyrouth nous en offre un bel exemple, ou chez les Israéliens et les Arabes. Nous, les êtres humains, ne faisons qu'un et nous nous sommes séparés en races, en religions, et nous nous en tenons à ce modèle, à ce programme. Nous avons été programmés, comme un ordinateur, et nous continuons à répéter cela. Et voilà ce que nous qualifions de très pratique.
21:50 Alors est-il possible d'être quelque peu différent ? J'allais dire 'non pratique' !
22:12 2ème QUESTION : L'essentiel de mon énergie et de mon temps va dans mon gagne-pain. Est-il possible à moi-même et mes semblables d'être profondément altruistes et intelligents ?
22:27 L'essentiel de mon énergie et de mon temps va dans mon gagne-pain. Est-il possible à moi-même et mes semblables d'être profondément altruistes et intelligents ?
22:50 Voulez-vous aborder cette question ? Pourquoi tant d'empressement ? Et pas pour l'autre question qui traitait de la nécessité d'être pratique en évitant les abstractions. Telle est notre vie, notre vie quotidienne. Il y a ceux qui ont la chance d'avoir les moyens et n'ont pas à travailler sans fin. Ils sont très peu nombreux. Et il y a ceux qui ont eu la chance ou la malchance d'accumuler de l'argent qui ne leur appartient pas nécessairement et qui mènent une vie retirée, quelque peu égoïste. Et enfin ceux qui doivent gagner leur pain quotidien de 9 à 17 heures, à l'usine, au bureau, comme ouvrier, menuisier, etc.; tout cela nous demande énormément d'énergie. Ainsi, dit l'auteur de la question, j'ai très peu de temps pour étudier cette affaire d'égoïsme et d'intelligence. Je n'ai pas beaucoup d'énergie. Mon énergie se dissipe dans le travail, dans les occupations. N'est-ce pas ? Est-ce ainsi ?
24:53 La société est structurée de telle sorte qu'il faut travailler pour gagner sa vie. Ou l'on peut vivre d'allocations ou de la Sécurité Sociale. Si nous examinons vraiment la façon dont nous gâchons notre énergie, pas 'toute mon énergie est absorbée par le travail quotidien', mais on devrait plutôt examiner comment on gâche son énergie, s'il est possible de l'économiser pour s'en servir là ou elle est nécessaire, et la contenir là ou elle ne l'est pas. Suis-je clair ?
25:58 Comment gâchons-nous notre énergie ? Veuillez comprendre ma question. Pas comment utiliser l'énergie, ce qui requiert l'étude d'un comportement altruiste et intelligent, mais voyons plutôt cette question sous un autre angle, d'un autre point de vue, c'est-à-dire découvrir comment on gâche l'énergie. N'est-ce pas ? Alors ce sera très clair. Gâchons-nous de l'énergie en bavardages ? En discours incessants ? La plupart d'entre nous le fait – bavardages incessants. Et être constamment en conflit, n'est-ce pas un gaspillage d'énergie, au bureau, à la maison, etc. ? N'est-ce pas ? Le conflit en soi et au-dehors, n'est-ce pas un gaspillage d'énergie ?
27:23 Pas comment se libérer du conflit, pour l'instant, mais observer comment nous gâchons notre énergie : par le conflit, le concept ou l'illusion que nous sommes des individus et donc en lutte avec tout le monde – n'est-ce pas ? – contre tout le monde, nous enfermant dans un petit état névrotique, érigeant un mur autour de nous-mêmes par peur, etc. Cela aussi est un énorme gâchis d'énergie. Non ? Et poursuivre un idéal est un gâchis d'énergie, pas mettre fin à un fait. Je me demande si je suis clair.
28:34 Mettons qu'on soit violent; vous poursuivez la non-violence, donc un non fait. La poursuite de la non-violence est un gâchis d'énergie. Tandis que comprendre la nature de la violence, l'approfondir, voir la complexité de la violence et si l'on peut y mettre fin n'est pas un gâchis d'énergie. Mais poursuivre un non-fait, c'est-à-dire l'idéal, qu'il s'agisse d'un idéal politique, marxiste ou communiste, est un gâchis d'énergie. N'est-ce pas un énorme gâchis d'énergie que fabriquer des armes pour se battre ? Non ? Je ne sais si vous avez écouté certaines émissions télévisées où l'on explique comment la Russie et l'Amérique développent leur armement; quand on écoute attentivement, tout cela paraît si insensé, si extraordinairement irrationnel. On se demande alors si l'on devient fou. Il est probable que la plupart des gens impliqués dans tout ceci est plutôt névrosée de diverses manières. Peut-être le sommes-nous presque tous.
30:27 Il s'agit donc de découvrir pour soi-même comment on gâche son énergie. Et le plus grand gâchis d'énergie qui soit consiste à se soucier de soi. Non ? Car se soucier de soi-même, de son état névrotique et d'en être inconscient, se soucier de ses propres histoires, de ses propres problèmes, de ses réalisations, est très, très réducteur en énergie, très limité. Et donc votre énergie est limitée. Mais quand on est délivré de cela, il y a une immense énergie. Mais il s'agit d'être délivré de ce souci de soi, de ses blessures et de vouloir blesser les autres en retour; ce souci de soi engendre un grand chaos dans le monde. La quête de sa propre illumination, en suivant son propre petit gourou, est un tel gâchis d'énergie. Nous en parlerons un peu plus en abordant la méditation. Alors est-il possible de ne pas gâcher l'énergie de la sorte ?
32:48 Et si vous avez cette énergie, qu'en ferez-vous ? Deviendrez-vous encore plus malfaisant ? Plus violent ? Plus bestial ? A propos de conservation d'énergie – vous suivez ? – qui vient par la compréhension du gâchis d'énergie, ce n'est pas vous qui conservez l'énergie; quand l'énergie n'est pas gaspillée, elle est là. La découverte de la façon dont vous gâchez votre énergie est le commencement de l'intelligence. N'est-ce pas ? Cette intelligence n'est pas un gâchis d'énergie. Cette intelligence est extraordinairement vivante.
34:11 On ne peut être intelligent si l'on est égoïste. N'est-ce pas ? L'égoïsme fait partie de la division, de la séparation : je suis égoïste et vous êtes égoïste; nous sommes égoïstes dans notre relation. Il s'agit donc de comprendre la nature du gâchis d'énergie, non seulement superficiellement, mais très, très profondément. A partir de cette investigation, recherche, enquête, on arrive à une certaine qualité d'énergie qui résulte de l'intelligence, au lieu de se contenter d'écarter le gâchis d'énergie. Je me demande si vous comprenez ceci. Je continue, ou voulez-vous passer à la question suivante ?
35:29 Nous devrions vraiment demander ici : qu'est-ce que l'intelligence ? Ces gens très, très cultivés sont-ils intelligents ? Je ne nie pas qu'ils le soient, je pose une question. Ces gens qui sont dans la politique et lancent la production d'armes, etc., sont-ils intelligents ? L'intelligence se limite-t-elle à l'activité de la pensée ? Si atténuée, si subtile, si complexe que soit cette pensée. L'activité même de la pensée est-elle intelligente ? J'espère que vous questionnez. Espérons que l'on pense tous deux ensemble à ce sujet, à tous ces sujets; non que l'orateur parle et que vous écoutiez, mais qu'ensemble on étudie ce sujet de l'intelligence, comme on l'a fait pour le gâchis d'énergie et ce qui est pratique, ce qui est abstrait. Donc ensemble, nous nous interrogeons sur la nature de l'intelligence. Notre questionnement porte sur la pensée, si subtile, si complexe soit-elle, sur toutes ses activités qui incluent l'invention, l'assemblage d'appareils très complexes tels que l'ordinateur, le robot, le missile, ou ces engins extraordinaires que sont le sous-marin, ou ces magnifiques avions; tout cela résulte d'une formidable activité de la pensée, qui comprend aussi la manière dont nous les utilisons. N'est-ce pas ? Elle se fonde sur nos idéologies, usage, profit et autres motifs divers.
38:22 Nous posons donc une question très fondamentale : la pensée, avec toutes ses activités si extraordinairement complexes et très superficielles, a-t-elle pour racine l'intelligence ? La pensée est limitée, car elle repose sur l'expérience, le savoir découlant de l'expérience en tant que mémoire emmagasinée dans le cerveau, et la réaction de ce cerveau est la pensée. Sans mémoire, sans savoir, sans expérience on ne peut pas penser. N'est-ce pas ? Chaque petite chose sur cette terre, si minime soit-elle, doit nécessairement avoir la faculté de pensée – l'instinct. Mais les être humains que nous sommes sont supposés avoir évolué. Et notre principal instrument est la pensée. Et cette pensée est en fait très limitée, car le savoir, passé, présent ou futur, sera toujours limité. Evidemment. Dans le monde scientifique, biologique, dans le monde de la mécanique etc., etc., tout ce qui est né de la pensée, engendré, construit par la pensée est limité. Cette pensée limitée a beau inventer l'illimité, cela résulte encore et toujours de la pensée. La pensée a divisé le monde en diverses religions, et tout ce qu'il y a dans les églises, les temples, les mosquées est l'invention de la pensée. On ne peut transgresser cela, c'est un fait. Et dès lors, ce que la pensée a créé, nous le vénérons. Une merveilleuse auto-duperie !
41:27 Nous demandons donc : l'intelligence est-elle l'activité de la pensée ? Ou est-elle totalement hors du champ de la pensée, qu'elle peut alors utiliser. Vous suivez ? Pas l'inverse. Je me demande si je suis clair ? Il faut donc examiner la nature de l'intelligence. Examiner très attentivement le seul instrument dont nous disposons apparemment, c'est-à-dire la pensée. La pensée inclut l'émotion, les réponses sensorielles, etc. Tout cela se situe dans le cerveau, c'est-à-dire toute la structure des êtres humains.
42:48 L'orateur n'est pas un spécialiste du cerveau, mais on observe ses propres réactions, réponses, blessures, illusions – on observe. Et quand on observe en silence sans aucun motif, cette observation révèle alors énormément de choses. On apprend bien plus dans le silence que dans le bruit. N'est-ce pas ? Cela, c'est autre chose. Alors, sommes-nous intelligents ? Par conséquent pratiques ? Ne créant par conséquent jamais de division.
44:07 Nous en dirons plus quand nous parlerons du monde entier, de la signification de la mort, de la souffrance, et du vaste sujet de la compassion.
44:31 3ème QUESTION : Vous voyagez beaucoup dans le monde, tandis que je dois rester sur place avec ma famille et vivre dans un horizon limité. Vous parlez d'une vision globale. Comment puis-je avoir cela ?
44:52 Vous voyagez beaucoup dans le monde, tandis que je dois rester sur place avec ma famille et vivre dans un horizon limité. Vous parlez d'une vision globale. Comment puis-je avoir cela ?
45:15 Je regrette, je n'ai jamais parlé de vision globale. L'orateur ne se complait pas dans des visions. Ni dans l'imaginaire. Ni dans un fantasme romantique dénué de sens. Il disait : il ne peut y avoir de paix dans le monde physique si l'on n'a pas de relation globale. Il ne s'agit pas de vision, de fantaisie, d'utopie, d'un idéal donc de non-fait. Le fait est qu'on est divisé en nationalités, en religions, en petits groupes sectaires – divisés. Et il y a cette question de la guerre, qui s'aggrave, menace. Et il faut savoir si l'homme veut comprendre la nature de la paix, ce qui est très complexe. Extérieurement, il faut qu'il y ait une relation globale, ce qui signifie l'absence de nationalités, de divisions religieuses – catholiques, protestants, hindous, bouddhistes et tout cela. Il ne parle pas du tout de visions. Ceci est pratique, le reste ne l'est pas. S'entre-tuer par millions au moyen de bombes atomiques, etc., est ce qu'il y a de moins pratique. Mais nos esprits semblent si conditionnés que nous nous accrochons au non-pratique.
47:42 L'auteur de la question dit : vous voyagez beaucoup, alors que je dois demeurer avec ma famille, et mon horizon est donc limité. Voulez-vous dire que votre maison, votre famille, vous empêchent d'avoir une vision globale du monde ? C'est cela ? Je pose cette question, si vous le permettez. On peut vivre dans un petit village, travailler sans fin, ou vivre là où vos attitudes névrosées, etc., peuvent s'exprimer pleinement, mais vous voulez dire que vivant dans un petit village on ne peut avoir une attitude globale, une approche holistique de la vie ? Je pose cette question avec grand respect : faut-il parcourir le monde pour avoir une attitude globale ? Beaucoup d'entre vous ont sans doute parcouru le monde; les touristes le font et où qu'ils aillent, ils saccagent le lieu où ils sont. Je sais qu'avant l'arrivée des touristes, il y avait de ravissants villages et bourgs, sans ces énormes hôtels. Et vous savez ce qu'il arrive à la venue des touristes. La nourriture se renchérit, les touristes sont exploités – vous connaissez toute cette affaire. Alors : qu'est-ce qu'avoir un regard ou plutôt un sentiment d'humanité ? Que signifie éprouver le sentiment que le monde entier, le monde humain est vous ?
50:47 Le monde humain subit de grands malheurs, de grandes angoisses, misères et confusions, des activités bestiales et névrosées. Et l'on réalise que ce que vous êtes est le reste de l'humanité. C'est un fait, si on l'approfondit, simplement, pas théoriquement, pas de façon abstraite, intellectuellement, mais même si on l'aborde intellectuellement, il est un fait que nos cerveaux ne sont pas des cerveaux individuels. Ils évoluent depuis des milliers d'années. Et quand on observe cela de son petit village et y travaille, on peut voir ce qui a lieu dans le monde : guerres sur guerres, haines, l'homme s'opposant à l'homme, querelles sans fin entre personnes, s'accusant et se traînant mutuellement au tribunal ou divorçant, etc. Tout cela peut se régler si l'on est un peu conciliant, intelligent. Mais nous ne le sommes pas. Et ce que nous sommes est très, très limité.
53:12 Et l'on ne peut pas demander : comment puis-je passer outre cette limitation afin d'avoir la sensation d'être la totalité de l'humanité ? Il n'y a pas de 'comment'; c'est une de nos questions les moins pratiques. Il y a un 'comment' quand vous voulez apprendre à conduire, apprendre les mathématiques ou une langue étrangère, mais psychologiquement, il n'y a pas de 'comment'. Un 'comment' signifie un système, une méthode, et quand vous pratiquez un système, une méthode, vous voilà repris par le vieil esprit limité, étroit, engourdi. Il n'est donc pas question de comment se sortir de ce mode de vie limité pour comprendre la globalité, le mode holistique de la perception, mais d'observer la limitation, ses propres limites, la laideur et l'étroitesse de ses propres préjugés, ses conclusions sur autrui, ou ses propres conclusions auxquelles on s'accroche. Le mot 'conclusion' lui-même signifie la fin. Nous avons conclu une paix, nous avons conclu une guerre. Il n'y a donc pas de conclusion, mais recherche, exploration, questionnement, doute. Et les murs dont nous nous entourons, voilà le vrai problème : murs religieux, murs personnels, murs névrotiques; tel est le problème; il s'agit d'en être conscient. D'observer sans motif; et c'est très difficile pour une personne névrosée, ou pour une personne qui a conclu qu'elle est ceci ou cela, ou que l'autre personne est ceci ou cela. Seule la relation globale peut résoudre nos problèmes humains, comme la guerre, la pauvreté. Et il s'agit d'être conscient de ses propres limites.
56:41 4ème QUESTION : Vous avez dit que si l'on reste avec la peur sans essayer de la fuir et qu'on réalise qu'on est la peur, alors elle s'en va. Comment cela se fait-il, et qu'est-ce qui l'empêchera de revenir à une autre occasion sous une forme différente ?
57:04 Vous avez dit que si l'on reste avec la peur sans essayer de la fuir et qu'on réalise effectivement qu'on est la peur, alors celle-ci s'en va peut-être. Comment cela se fait-il, et qu'est-ce qui l'empêchera de revenir à une autre occasion sous une forme différente ?
57:35 Avez-vous compris la question ? Voulez-vous que je la répète ? Puis-je la répéter ? Vous avez dit que si l'on reste avec la peur sans essayer de la fuir, mais qu'on réalise effectivement qu'on est la peur, c'est-à-dire qu'on n'est pas distinct de la peur, alors apparemment, d'après vous, la peur s'en va. Comment cela se produit-il, et qu'est-ce qui l'empêchera de revenir lors d'une autre occasion sous une forme différente ? Désormais cette question est claire.
58:34 N'admettez pas, je vous prie, ce qu'a déclaré l'orateur. Voilà pour commencer. Mettez-le en doute, en question. Ne l'érigez pas en une sorte d'autorité stupide, si je puis me permettre de vous le rappeler.
58:58 Vous avez entendu quelqu'un dire que si l'on reste effectivement avec la peur, alors celle-ci s'en va. Rester avec la peur implique... Nous en discutons ensemble, l'orateur ne déclare rien. Si nous restons avec la peur, cela signifie ne pas la fuir, ne pas en rechercher la cause – pour l'instant nous verrons cela, je le ferai avec précaution. Rester avec la peur signifie ne pas la fuir, ne pas en rechercher la cause, ne pas la rationaliser ou la transcender; rester avec une chose, c'est cela. Quand vous regardez la lune, vous la regardez simplement, sans dire 'comme elle est belle', ceci ou cela; vous vous contentez de la regarder, d'être avec elle. Alors, il est dit que la peur s'en va. Et l'auteur de la question dit : est-ce ainsi ? Il veut creuser cela davantage.
1:00:49 Vous et l'orateur faites la recherche. L'orateur a beau exprimer cela en paroles, nous voyageons tous deux ensemble, pas verbalement mais effectivement.
1:01:04 La question est : qu'est-ce que la peur ? La peur ne peut se manifester qu'en présence du temps et de la pensée. Le temps relatif à une chose qui a eu lieu hier, il y a un an ou quarante ans, et une chose que vous auriez ou n'auriez pas dû faire, ou à propos de laquelle quelqu'un vous fait du chantage – observez-le. Le temps est ce qui a eu lieu, qui vous menace, et cette menace vous fait peur parce que vous vous protégez, et souhaitez ne pas avoir peur à l'avenir. N'est-ce pas ? Donc tout le mouvement de la peur est le temps, le passé qui vient à la rencontre du présent crée la sensation, la réaction de la peur – n'est-ce pas ? et cela continue dans le futur. C'est donc là un problème de temps, n'est-ce pas ? Est-ce clair ? Sommes-nous ensemble ? Le temps est un facteur qui amène la peur. N'est-ce pas ? En ce moment, j'ai un emploi, mais je pourrais le perdre. L'usine pourrait fermer. Ce n'est pas le cas, mais cela se pourrait : c'est le futur. Ce pourrait être demain, ou dans vingt ans; mais il y a la peur d'une fermeture. C'est la pensée se projetant dans le futur, c'est-à-dire le temps, qui crée la peur. N'est-ce pas ? Donc la pensée et le temps créent la peur. C'est assez simple, non ? On a fait quelque chose de mal ou de bien, ou causé un incident, et vous venez, me menaçant à ce sujet. N'est-ce pas ? Et je prends peur. Ou je n'ai pas peur et je dis : allez-y. Vous suivez ? Donc le temps et la pensée sont les facteurs de la peur. C'est clair ?
1:04:07 Le temps est la pensée. Ce ne sont pas deux mouvements distincts. Temps égale mouvement, n'est-ce pas ? D'ici à là. Il me faut du temps pour me rendre d'ici à là. Il m'en faut pour apprendre une langue, etc. La pensée est aussi le temps, car elle repose sur l'expérience; acquérir du savoir est du temps. N'est-ce pas ? Et la mémoire est du temps, c'est-à-dire le passé. Donc pensée et temps vont de pair; ce ne sont pas deux mouvements distincts. Sommes-nous ensemble ici ? Telle est donc la cause de la peur. Je pourrais mourir; je suis en vie, mais l'idée de prendre fin, c'est-à-dire le futur, est cause de peur, la distance entre vivre et finir. Nous en reparlerons une autre fois. Vous comprenez ? Donc le 'temps-pensée' est le facteur de la peur.
1:05:54 On a confronté cela très récemment. N'est-ce pas ? Il en va ainsi pour nous tous. Nous sommes menacés par certaines personnes. Cela arrive dans le monde entier. Une nation menacée par une autre – vous savez – ou un individu contre un autre. La menace est une forme de chantage... et ainsi de suite. Quand on est menacé, il s'agit d'être conscient de l'apparition éventuelle de la peur ou vous observez simplement. Vous comprenez ? Vous pouvez observer sans aucune réaction quand il y a compréhension de la nature du temps et de la pensée.
1:07:02 L'auteur de la question dit : comment cela se produit-il ? N'est-ce pas ? Comment la peur prend-elle fin quand on observe ? N'est-ce pas ? Quand on en comprend la nature et qu'on observe. La fuir, la rationaliser, la sublimer et ainsi de suite, aller chez un psychanalyste, etc., est un gâchis d'énergie. N'en est-il pas ainsi ? Soyons clairs là-dessus. La fuir est un gaspillage total d'énergie, car elle est toujours là quand vous revenez de votre match de football, de l'église, elle est toujours chez vous. Ou après avoir trop bu, elle est là. Vous pouvez continuer à boire, c'est peut-être une issue, mais vous êtes de plus en plus malade ou atteint mentalement. La fuite est donc un gaspillage d'énergie.
1:08:40 Analyser et progressivement découvrir la cause de la peur, soit par votre propre analyse ou par l'analyse d'un autre, est un gaspillage d'énergie. Car si vous observez, vous pouvez en découvrir instantanément la cause : c'est le temps et la pensée. N'est-ce pas ? Voyez-vous, malheureusement on est poussé à être engourdi. Je n'aborderai pas cette question. Le savoir pourrait nous engourdir. Je ne l'aborderai pas maintenant, elle est trop complexe. Nous disons que là où il y a une cause, il y a une fin. C'est évident. Si j'ai contracté une maladie, et le docteur en découvre la cause, cela peut finir. Ou peut ne pas finir. Là où il y a une cause, celle-ci peut avoir une fin. C'est un fait.
1:10:06 Donc si l'on observe la peur quand elle survient et vit avec elle sans la fuir, on commence à voir le fait : le temps, la pensée sont sa racine. Voilà la cause. Et, comme nous l'avons dit, la fuir, l'analyser, en chercher les causes en y passant des jours, des mois, des années, est là un gaspillage d'énergie. En conservant l'énergie, c'est-à-dire ne pas fuir, etc., vous avez l'énergie. N'est-ce-pas ? Alors le fait-même de focaliser cette énergie sur le facteur temps, – c'est-à-dire ce qui a eu lieu hier, qui pourrait causer... – cette conservation même de l'énergie dissipe complètement la peur. Bien ? Oui. Attendez !
1:11:28 Ainsi, la peur est vous. La peur n'est pas distincte de vous. N'est-ce pas ? Est-ce un fait ? Nous avons séparé la peur de 'moi'. N'est-ce pas ? Ce qui est une abstraction, une division. N'est-ce pas ? Il y a la colère et je dis : 'j'ai été en colère'. Ainsi, je suis distinct de la colère. Mais je suis la colère, il n'y a pas de personne distincte de la colère. Il faut vraiment approfondir cela avec grand soin, ou vous pouvez le comprendre instantanément. Vous êtes l'avidité, n'est-ce pas ? L'avidité n'est pas distincte de vous. Nous l'avons séparée. Vous dîtes : l'avidité est distincte de moi et je puis donc agir dessus. Moi, le penseur, suis distinct de la pensée, alors je maîtrise la pensée. N'est-ce pas ? J'essaie de maîtriser, j'essaie de... me concentrer, etc. Mais le penseur est la pensée. La pensée a créé le penseur, n'est-ce pas ? Non ? Autrement, il n'y aurait pas de penseur.
1:13:28 Ainsi, quand on se rend compte du fait que la peur est soi-même, alors la division prend fin. N'est-ce pas ? Et tant qu'il y a une division, il y a conflit entre vous et la peur. Mais si vous êtes la peur, il n'y a alors pas de division et le conflit finit. Je me demande si vous le réalisez. Bien ? Est-ce clair ? Tant qu'il y une division entre Arabes et Juifs, Musulmans et Hindous, Chrétiens, etc. – vous savez – cela crée le conflit. C'est logique, sain, n'est-ce pas ? Donc tant qu'il y a une division en moi, comme moi et la peur, moi et l'avidité, moi et la violence, il y a inévitablement conflit. Mais le fait réel est que la violence est moi. L'avidité est moi. L'envie est moi. Ainsi cette division que la pensée a créée entre moi et la peur prend fin; par conséquent, plus de conflit, d'où la présence d'une vaste énergie; bien ? C'est un fait, sans conflit il y a naturellement de l'énergie. Pouvons-nous poursuivre ? Est-ce clair ?
1:15:27 Je ne vous enseigne rien; vous apprenez de votre propre observation. Vous êtes donc votre propre gourou, votre propre disciple et seul avec vous-même, etc. Et l'auteur de la question dit : qu'est-ce qui empêchera la peur de revenir en d'autres occasions sous une autre forme ? Bien ?
1:16:03 La peur a beaucoup de branches; n'est-ce pas ? Beaucoup, beaucoup d'expressions, beaucoup de formes : peur de l'obscurité, peur de l'opinion publique, de ce qu'on pourrait faire, de ce que j'ai fait, peur de tant de choses. Peur de sa femme, peur de perdre quelque chose, d'acquérir, la peur a mille branches. Et il ne sert à rien de tailler les branches – n'est-ce pas ? – parce qu'elles repousseront. Il faut donc aller à sa racine et ne pas trancher les expressions superficielles de la peur. Il faut aller à la racine de la cause de la peur : la pensée et le temps.
1:17:07 Si l'on voit vraiment ce fait, sa vérité, et l'on reste avec, sans le fuir, alors la peur – n'admettez pas cela, je vous en prie avec tout le respect qui vous est dû – n'admettez pas ce que dit l'orateur. Pour l'orateur, c'est un fait. Quelle absurdité, direz-vous. Vous vivez dans l'illusion. Vous avez bien le droit de le dire, mais pour soi ce n'est pas ainsi.
1:17:51 5ème QUESTION : Est-ce faute d'énergie que nous n'allons pas jusqu'au bout d'un problème ? Cela exige-t-il une énergie spéciale ? Ou n'y a-t-il qu'une seule énergie à la racine de toute vie ?
1:18:08 Est-ce faute d'énergie que nous n'allons pas jusqu'au bout d'un problème ? Cela exige-t-il une énergie spéciale ? Ou n'y a-t-il qu'une seule énergie à la racine de toute vie ?
1:18:30 Tout d'abord, qu'est-ce qu'un problème ? C'est ce que dit l'auteur de la question : aller à la racine même du problème demande de l'énergie. Nous demandons donc : qu'est-ce qu'un problème ? Le mot 'problème' signifie – du latin, du grec – une chose qui vous est lancée. Une chose que vous devez confronter, une chose qui diffère de vous. Or, depuis l'enfance nous sommes formés à résoudre des problèmes : problèmes mathématiques, de géographie, d'écriture – c'est un problème qui se pose à un enfant. Comment aller aux toilettes, c'est un problème pour l'enfant. Ainsi, depuis l'enfance notre cerveau est formé à résoudre des problèmes : comment aller sur la lune, aller à bicyclette, conduire une auto, comment vivre sans problèmes avec une autre personne. Ainsi, notre cerveau est effectivement entraîné à résoudre des problèmes. Non ? C'est un fait. Toute notre vie devient donc un problème à résoudre. N'est-ce pas ? Voyez vous-même, Monsieur, comment cela fonctionne. Bien ? Est-on clair là-dessus ? Peut-on poursuivre ?
1:20:25 Toute notre instruction, information vise à résoudre des problèmes. Nous sommes conditionnés depuis l'enfance, le cerveau l'est. Et le mot problème signifie une chose qui vous est lancée. Vérifiez-le dans un bon dictionnaire, il vous indiquera son origine latine, etc. Nous résolvons donc toujours des problèmes. Nous voyons la totalité de la vie comme un problème à résoudre.
1:21:15 Et l'auteur de la question dit : est-ce qu'une certaine énergie nous empêche d'aller jusqu'au bout d'un problème. Je ne demande pas comment terminer un problème, mais pourquoi nous en avons. Non qu'il n'y ait pas de problèmes. Vous m'attaquez, cela devient un problème, légalement ou autre. Ce le devient, il y a des problèmes. Mais pourquoi en avons-nous, l'esprit qui dit : j'ai des problèmes ? Vous comprenez ? Je me demande si nous pouvons un peu creuser cela. Cela vous intéresse-t-il ?
1:22:15 Il en découle un autre sujet qui consiste à vivre sans le moindre problème. Non qu'il n'y ait pas de problème, mais n'avoir aucun problème. Nous allons y venir dans un instant. Pourquoi avons-nous des problèmes ? Vous m'attaquez. Ou je vous attaque pour diverses raisons, morales, immorales, etc., parce que vous tenez à certaines conclusions, par névrose ou pour quelques raisons idéalistes, vous y tenez. Et vous persistez dans cette attitude, ne cédant ni ne vous excusant jamais, ne vous souciant de rien, sinon de vous-même et de votre mode de vie névrosé. Et l'auteur de la question dit : pour aller au bout d'un problème faut-il de l'énergie ? Evidemment. Pas une énergie spéciale, seulement une énergie ordinaire de recherche.
1:23:50 Alors, pour étudier très attentivement, délicatement, profondément toutes les ramifications d'un problème, il ne faut pas avoir de motif. N'est-ce pas ? Si votre recherche comporte un motif, c'est ce motif qui dictera la réponse, pas le problème. Bien ? Nour rejoignons-nous, nous rencontrons-nous ? Supposons que j'ai un problème – personnellement je n'en ai pas : quoi qu'il arrive, je m'en chargerai. Mais je ne vais pas avoir de problèmes. Il est stupide d'en avoir – je parle pour moi. Et j'ai besoin d'énergie pour étudier un problème, problème de guerre, pourquoi les êtres humains s'entre-tuent. Il faut de l'énergie pour observer le problème, pas à pas. Et pour résoudre un problème de relation, – la relation étant extrêmement importante – j'ai besoin d'énergie pour l'aborder avec grand soin. N'est-ce pas ? Comme d'autres problèmes. Donc l'énergie est nécessaire à une investigation attentive, délicate, sans jamais tirer de conclusion, avançant toujours, vous suivez ? Mais si vous êtes lié à une corde vous ne pouvez étudier. N'est-ce pas ? A une corde, un poteau. Un animal attaché à un poteau ne peut aller plus loin que le permet la longueur de la corde. Il faut donc être libre de toute conclusion, de tout motif pour mener une recherche. C'est clair. Evident. Comme un scientifique ayant plein d'hypothèses, de théories, mais il les écarte pour mener sa recherche. Il peut ensuite dire que sa théorie est exacte, mais il n'affirme pas que cette théorie est vraie avant sa recherche. N'est-ce pas ? Mais nous le faisons !
1:26:44 Il vous faut donc de l'énergie pour aller tout au bout d'un problème. Prenez n'importe quel problème – lequel ? Nous avons traité la peur.
1:27:01 Q: la solitude.
1:27:06 K: Bien. Est-ce un problème ? Très bien, la solitude. Pourquoi en avons-nous fait un problème ? Elle est là. N'est-ce pas ? Elle est là. Vous êtes esseulé. Pourquoi l'êtes-vous ? C'est-à-dire séparé, n'est-ce pas, divisé. Vous auriez beau être marié, avoir plein d'amis, vous ressentez cette profonde solitude humaine. Comment cette solitude survient-elle, quelle est sa nature ? N'est-elle pas due à notre action quotidienne ? Notre action repose sur nos motifs égoïstes, notre activité égocentrique : je dois être un grand homme, quelqu'un qui réussit, je dois atteindre, méditer, faire ceci, cela. Moi qui suis la personne la plus importante qui soit. Vous l'entendez tous les jours à la télévision. Non ? Ainsi, quand vous mettez toute la journée l'accent sur cette qualité limitée, sur cet état d'esprit limité, cela doit inévitablement aboutir à un mot tel que solitude, ce qui revient à n'avoir aucune relation avec qui que ce soit. N'est-ce pas ? Ceci est attribuable à notre activité quotidienne de pensée et d'action. Et alors vous dites : je me sens seul, je dois boire un coup pour m'en évader. Je me sens seul, donc je vais aller au club, ou en boîte de nuit, peu importe où. Ou vous vous cramponnez à votre femme, parce que vous avez peur d'être seul.
1:29:56 Vous en voyez maintenant la cause, ce qui est très simple, très rapide, et il s'agit de rassembler tout cela et ne pas se servir du mot 'seul '. Le mot 'seul' est une abstraction du fait, vous comprenez ? Le fait n'est pas le mot. Mais le mot a pris plus d'importance que le fait. Et la cause du fait est cette lutte perpétuelle, névrosée ou autre, cette façon de toujours penser à soi : je suis blessé, je veux être important, je veux être ceci ou cela. Vous savez tout ce qui a lieu dans le cerveau humain. Il y a donc le fait, et le mot n'est pas le fait. Quand on se sert du mot 'seul', il est déjà utilisé avec ses associations au passé. On ne regarde donc jamais ce sentiment à neuf quand on use du mot 'seul'. Je ne sais si vous le voyez.
1:31:31 Il faut donc vivre à neuf avec ce sentiment, et vous ne pouvez le faire qu'en voyant sa cause : la préoccupation quotidienne que l'on a de soi. Vous pourriez alors dire : ne doit-on pas se préoccuper de soi ? Cette bonne vieille question ! Si vous voulez vous préoccuper de vous-même, pour finalement vous sentir seul, malheureux, triste, etc., ça vous regarde. Si c'est ce que vous voulez, allez-y. Mais si l'on veut saisir un tout autre mode de vie, il faut alors voir tout cela de très près, se poser des questions fondamentales. On ne pose des questions fondamentales qu'en doutant, questionnant, demandant.
1:32:47 6ème QUESTION : Pourriez-vous aborder la nature de l'intelligence qui se manifeste lors de la perception et est-ce la seule vraie source de l'action ?
1:33:00 C'est la dernière question. Quelle heure est-il ? Peut-on voir cette dernière question ? Pardon de nous être attardés sur toutes ces questions.
1:33:17 Pourriez-vous aborder la nature de l'intelligence qui se manifeste lors de la perception ? Et est-ce la seule vraie source de l'action qui est l'intelligence ? Nous avons plus ou moins parlé de l'intelligence ce matin, et l'auteur de la question dit que c'est la nature de l'intelligence qui se manifeste lors de la perception. N'est-ce pas ? Il faut donc voir ce qu'est la perception. Nous avons déjà étudié la nature et la structure de l'intelligence. Nous demandons à présent : qu'est-ce que percevoir ? Est-ce voir non seulement visuellement, optiquement, mais... Quand vous dites 'je comprends', est-ce intellectuel ? Je comprends très vite quelque chose. C'est intellectuel. Cela fait partie de toute la structure de l'homme... ce n'en est qu'une partie. N'est-ce pas ? Les théories intellectuelles, les concepts, conclusions, perceptions sont une toute petite partie du tout. La partie ne fait pas le tout, mais nous lui avons donné une importance extraordinaire. N'est-ce pas ? Pourquoi ? Abordez cela lentement. Pourquoi avons-nous donné à l'intellect, qui est une partie du tout, tout le ressenti de l'être, sa compréhension, son affection, tout cela ? Pourquoi avons-nous donné de l'importance à la partie ? Nous le faisons toujours : partie du pays,
1:35:54 partie de ma famuille, c'est une partie. La terre est vouée à la totalité de l'homme, à l'humanité, mais nous disons : c'est ma terre, mon pays, ma partie. Pourquoi avons-nous fait cela tout du long ? Divisant le monde entier en nationalités, en – vous savez, tout ce qui a lieu – pourquoi ? Voici une suggestion de ma part, ne l'acceptez pas, mettez-la en question, en doute : serait-ce que la pensée qui a fait cette division pense qu'elle sera en sécurité dans la partie, en sécurité en étant nationaliste, en étant tribale, en appartenant à une tribu, à une forme particulière de pensée qu'est la religion, n'est-ce pas ? Nous recherchons donc constamment la sécurité dans la partie. C'est un fait, non une théorie, c'est un fait. Ma propriété – je ne suis pas contre la propriété, c'est juste une remarque – ma propriété, mon pays, ma femme, mon Dieu, ce que je pense. Nous avons donc toujours cultivé la partie, et la partie est l'intellect. Et nous pensons que la sécurité réside dans cette compréhension intellectuelle. Bien sûr, plus vous êtes habile, plus vous discernez finement. Connaissez-vous le monde des professeurs, des savants, des écrivains : quand ils sont intellectuels, tout le monde les adore. Ils deviennent très importants. C'est-à-dire, la partie signifie le superficiel, n'est-ce pas ? La perception n'est-elle qu'une partie, percevoir par une partie, l'intellect, ou seulement des émotions, ou seulement une réponse sensorielle ? Ou la perception implique-t-elle une vision totale, non partielle ? Comprenez-vous ?
1:39:27 On perçoit la cause de la peur, pas verbalement, intellectuellement ou émotionnellement. La perception est l'acte de voir toute la nature de la peur, pas ses diverses branches, mais tout le mouvement de la peur. Le mouvement de la peur est le temps-pensée, nous l'avons vu. Il s'agit de percevoir cela, pas verbalement, ni par idéalisme, mais voir instantanément toute la nature de la peur, bien ?
1:40:18 Alors, quand vous voyez une chose globalement, complètement, ce qui a lieu est d'une toute autre nature. Je vais approfondir cela si vous êtes patients, si vous n'êtes pas fatigués d'écouter le seul orateur. Une fois chez vous, vous pouvez tous parler, mais à présent, malheureusement seule cette personne-ci parle.
1:41:00 Voyons, soyons très simples. Supposons que j'ai été nationaliste toute ma vie, ou que je me sois cramponné à ma propre 'religion'. C'est-à-dire que mon cerveau a été conditionné en tant que nationaliste, ou à appartenir à une certaine secte – qu'elle ait cent, mille ou un million de membres, c'est encore une secte. Mon cerveau a été conditionné ainsi. Vous survenez et me dites : le nationalisme est la racine de la guerre, une des causes de guerre. Je vous écoute. Vous me l'expliquez logiquement, si je veux bien écouter. Sinon, vous ne pouvez rien en faire. Mais si je veux bien écouter, et c'est le cas, alors vous m'expliquez qu'un des facteurs ou qu'une des causes de la guerre est le nationalisme, le racisme. Vous m'indiquez les diverses implications de la guerre. Je vous écoute et dis : voyez, j'ai essayé. Soit je l'admets intellectuellement et cela ne vaut pas grand chose, soit je vois combien c'est vrai. Dès que je perçois combien c'est vrai, je m'en suis écarté; le cerveau a été déconditionné, a quitté le vieux schéma. Vous le saisissez ? Dès que je perçois la vérité de ce que vous avez dit, cela disparaît des cellules cérébrales qui étaient conditionnées au nationalisme, au sectarisme. Donc la perception, ou l'insight [vision directe] de ce que vous avez dit induit un changement radical dans les cellules elles-mêmes. L'orateur en a discuté avec des scientifiques. Non qu'il faille admettre ce que disent les scientifiques ou ce que dit l'orateur, mais il en a discuté. Nous en avons débattu. Ils ont été d'accord, du moins quelques-uns, mais les autres disent : ce n'est pas ainsi, ce n'est que pur romantisme, etc. Mais le fait est que j'allais jusqu'ici vers le nord. Vous survenez et dites : cette direction est dangereuse, et je vous écoute. J'en débats, j'en discute avec vous, et peut-être ai-je un bref 'insight' de ce que vous dîtes et j'en vois la vérité. Alors je cesse de me diriger vers le nord. Je me dirige vers le sud, l'est ou l'ouest. Ce mouvement même, contraire aux vieilles habitudes, a amené un changement radical dans le cerveau lui-même, car, comprenez-vous, le schéma sera brisé. Quand le schéma est brisé, il y a autre chose.
1:44:43 Ainsi, il y a une perception dans laquelle il n'y a pas qu'une compréhension intellectuelle, mais un 'insight' total au sein du problème. Par exemple, un 'insight' dans l'affirmation que toute religion organisée est sans valeur. Ce ne sont que divertissements, excitations, sensations, cela n'amène pas de changement humain. Vous avez un bref 'insight' dans tout cela. Donc, c'en est fini. Vous n'appartenez à aucun groupe.
1:45:34 Q: (inaudible)
1:45:45 K: Monsieur, j'ai expliqué la peur. Si vous avez un 'insight' au sein des institutions organisées qui... etc., à condition d'avoir un 'insight', c'est-à dire une brève perception instantanée de ce qui est vrai, mais la plupart d'entre nous en est incapable, faute d'être vite sensibles. Nous sommes des gens plutôt apathiques. Je ne dis pas que vous l'êtes. Nous sommes tous des gens plutôt conditionnés. Et ce conditionnement ne peut être changé sans 'insight' dans le conditionnement, la mutation totale ne peut avoir lieu. Et l'insight' n'est ni souvenirs, ni conclusions. Ce n'est pas un processus de temps et de remémoration. C'est voir les choses telles qu'elles sont, vite, instantanément.
1:47:03 Alors l'auteur de la question demande : quand la perception a lieu il y a intelligence, et, demande-t-il, cette intelligence est-elle la source de l'action ? Bien sûr. Comprenez-vous ? Quand il est perçu que le tribalisme, qui est devenu du nationalisme glorifié, est l'élément le plus destructeur de la vie, causant les guerres, etc., si vous en avez un 'insight' instantané, cet insight comporte sa propre action. Ce n'est pas 'insight' et puis action : l'insight' lui-même est action. Comprenez-vous ? Dès qu'il y a une perception que le tribalisme est un des facteurs de la guerre, cet 'insight' est action. Il y a une action qui efface intérieurement votre propre tribalisme, votre désir d'appartenir à un groupe. N'est-ce pas ?
1:48:38 C'est la fin des questions. Au bout du compte, on demande : qu'a-t-on vu, appris, observé ? Allez-vous poursuivre le vieux schéma de haine, d'action et réaction, de chantage réciproque ? Ou tout cela prend fin. C'est-à-dire les disputes, d'où un sentiment de communion, d'affection, tout ça.
1:49:31 Je m'arrête. Puis-je me lever ?
1:49:48 Q: (inaudible)
1:49:50 K: Comment Monsieur ?
1:49:54 Q: Il a dit au revoir.

K: Pourquoi faire ?