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OJ83T4 - Observer sans le moindre mouvement de la pensée
4ème causerie publique
Ojaï, USA
Le 22 mai 1983



0:46 Ceci n'est pas un sermon. En général, les sermons sont une sorte de moralisation, de caractère religieux semi superstitieux. Nous allons entreprendre ensemble un très long voyage. Les trois dernières causeries concernaient notre vie quotidienne, et nous avons abordé les divers aspects de notre vie, nos us et coutumes, notre existence, nos luttes, nos conflits et malheurs, et les idéologies qui divisent le monde : religieuses, sociales, politiques et ainsi de suite. Ces divisions ont engendré de grandes guerres, et après tant de millénaires, nous en sommes encore à préparer des guerres, pour nous entretuer. Très peu de gens semblent prêter attention à l'insanité courante, aux choses terribles que l'homme fait à l'homme. Nous avons parlé de tout cela ensemble, comme deux amis marchant sur un chemin bordé d'arbres, parlant non seulement de leurs problèmes personnels, mais des problèmes existant dans le monde : problèmes de peurs humaines, problèmes de relation, et recherche sans fin de plaisir.
3:41 Et nous demandions hier matin s'il est possible de mettre fin à toute souffrance, à cette lutte perpétuelle entre êtres humains, à la souffrance dans le monde et à la souffrance de chacun de nous. Nous nous indiquions aussi l'un à l'autre pourquoi les êtres humains vivent comme ils le font. Pourquoi les êtres humains, après tant de siècles, depuis les anciens Sumériens, les Hindous, les Egyptiens et la civilisation moderne, n'ont jamais cessé de s'entretuer et de détruire la nature – surpopulation, pauvreté, les divisions extraordinaires qui sévissent dans le monde. Les scientifiques ne semblent pas se soucier de mettre fin à la guerre. Bien sûr, les politiciens ne peuvent jamais faire cela; leur métier, leur travail consistant à entretenir ce conflit. Et hier, nous parlions aussi de la nature de la compassion et de son intelligence. Et nous devrions discuter ensemble aujourd'hui de l'éventualité que nos cerveaux, qui ont été conditionnés, programmés comme un ordinateur, si lourdement conditionnés, puissent se libérer de ce conditionnement.
6:25 Si l'on est tant soit peu conscient d'être conditionné religieusement, moralement, et qu'il n'y a pas un soupçon de liberté, il ne peut y avoir la moindre de liberté tant que l'on est conditionné,. Nous allons donc non seulement parler ensemble ce matin de la liberté, de la justice, de la bonté, mais voir si les êtres humains ont la possibilité de s'écarter du courant de la soit-disante civilisation conditionnée.
7:42 Nous devrions donc d'abord examiner s'il existe la moindre justice dans le monde – la justice étant ce qui ressort de la loi, ce qui est moral, correct et égalitaire. La loi proclame que nous sommes tous égaux; mais certains sont apparemment plus égaux que d'autres. D'habiles avocats peuvent faire n'importe quoi de la loi, ils peuvent soutenir, justifier n'importe quoi. Nous demandons donc si l'égalité existe tant soit peu; car telle a été une des questions soulevées par Aristote, Platon et tous les philosophes grecs, mais encore, bien avant eux, l'homme s'est constamment demandé s'il existe ou non une possibilité d'égalité, de justice pour tous. Il semble qu'il n'y ait pas d'égalité, qu'elle ne pourra jamais exister. Vous êtes grand, un autre est petit. L'un est très malin, érudit, capable dans beaucoup de domaines, et l'autre ne l'est pas, il est obtus, obéissant, se conformant comme une simple machine ou un rouage de la structure sociale. Il y a une grande différence entre les deux. Vous êtes beau, l'autre ne l'est pas; vous avez un sens esthétique, un sens de la beauté, l'autre n'a aucune sensibilité. Où se trouvent donc la justice, l'égalité ? Ou bien elle n'existent pas en dehors des philosophes et des théoriciens, qu'ils soient marxistes ou théologiens – les marxistes devenant généralement des théologiens – et où se situe le sentiment de justice, d'égalité ? Il semble qu'il n'existe pas sur cette terre chez les êtres humains. Alors, si nous devons nous pencher ensemble sur cette question – permettez à nouveau que nous vous rappelions respectueusement que nous effectuons un voyage ensemble, non que ce soit l'orateur qui parle et que vous vous borniez à écouter un tas de mots, d'idées et de concepts, mais plutôt que vous et l'orateur discutions de ces choses, comme le feraient deux amis qui se connaissent depuis longtemps, marchant sur une allée, et parlant de tous ces sujets. Aucun ne cherche à imposer ses idées à l'autre, il n'y a aucun sentiment d'autorité – cela n'a pas lieu d'être entre deux amis. Entre amis, il n'y a pas que sympathie, amitié, affection, mais encore un esprit de recherche. Et l'esprit de recherche n'est possible que quand il y a non seulement liberté à l'égard de tout parti pris, de tout préjugé, mais aussi une volonté de comprendre toute l'affaire de l'existence humaine. Ces deux amis communiquent ensemble. Telle est la nature de notre relation : vous êtes assis là, et l'orateur est assis un peu plus haut. Nous faisons un voyage ensemble. Si vous ne voulez pas de ce voyage ensemble, cela vous regarde. Mais peut-être allez-vous rester assis là, par cette belle et fraîche matinée, en étant conscient de la beauté de chaque jour, de la fraîcheur de chaque matinée, des merveilles du monde – c'est bien un monde merveilleux et nous le détruisons par notre relation mutuelle et par notre relation à la nature, à tout ce qui vit sur cette terre.
14:11 Alors, s'il nous est permis de le répéter sans cesse, nous sommes ensemble dans ce voyage. Et ceci est une affaire sérieuse, et non une chose à expédier un dimanche matin; ce n'est pas un divertissement; alors que la plupart des gens s'adonnent aux divertissements, religieux ou autres, nous, l'ami et l'orateur, sommes très sérieux, conversant non seulement au niveau verbal superficiel, mais à un niveau bien plus profond, plus signifiant. Souvenez-vous donc que vous et l'orateur effectuez un long voyage. Ce voyage ne finit jamais, c'est là toute sa beauté.
15:38 Nous demandons donc : l'égalité existe-elle parmi les êtres humains ? Elle semble introuvable par voie légale. Non plus par dictat social ou par l'affirmation religieuse que nous sommes tous frères au nom de ceci ou cela. Et en l'absence d'égalité, il ne peut y avoir de justice. Alors où l'égalité existe-t-elle ? C'est là une question très importante. Sans égalité, nous allons perpétuellement nous entre-détruire. Pour découvrir cette égalité il faut qu'il y ait de la compassion. Ce n'est que dans la compassion qu'il y a égalité et justice, pas dans la loi, pas chez les avocats, pas dans les organismes tels que les Nations Unies, etc., pas dans des petits groupes, des petites communautés. Mais pouvons-nous ensemble découvrir la compassion ? Celle-ci ne peut être inventée par la pensée. Ce n'est pas une chose qui s'élabore par détermination, par désir, mais cette compassion apparaît quand une relation juste prévaut entre chacun de nous. Nous avons très sérieusement approfondi cela au cours des deux ou trois dernières causeries.
18:13 Alors, comme notre relation est un conflit perpétuel, la fin de cet état de chose est l'investigation, le changement absolu, immédiat et urgent. Autrement, nous allons nous entre-détruire. Et lui et moi l'orateur nous disons : nous devrions parler de la bonté. Ce mot est démodé, on s'en sert rarement de nos jours. Le mot 'bonté' veut dire rassembler plusieurs choses; rassembler de nombreuses facettes de notre vie de sorte que tous les fragments que nous sommes soient réunis, rendus sains, rendus harmonieux, pour agir à partir de cette bonté. C'est le sens de ce mot 'bonté' : vivre une vie qui ne comporte pas de fragmentation en soi. Et un cerveau en quête de réalisation est toujours fragmenté. Donc bonté, égalité, justice et liberté.
20:20 La liberté : ce mot signifie amour. Pas une liberté à l'égard d'une prison, ce n'est là qu'une réaction. La liberté à l'égard de la douleur – pas de la douleur physique, mais de la douleur psychologique, s'en libérer, c'est se faire piéger par une autre servitude. Ce n'est pas la liberté à l'égard de quelque chose, mais la liberté en soi. S'il y a blessure psychologique – et pour la plupart, nous sommes blessés depuis l'enfance – et cette blessure cause à soi-même et aux autres une grande douleur, un grand malheur; la liberté seulement à l'égard de la douleur n'est pas la vraie liberté. Par conséquent, la liberté implique un sentiment de bonté globale, un mode de vie holistique, si je puis me permettre d'user de ce mot scientifique, et non un fragment en quête de liberté et les autres fragments en servitude. La liberté ne peut exister que quand tous les fragments sont réunis, donc vivre une vie 'saine'. Le mot 'sain' signifie en bonne santé, physiquement; le mot 'sain' signifie robuste, rationnel, et [phonétiquement] le mot signifique aussi saint, s-a-i-n-t. Et la bonté implique tout cela.
22:58 Et nous demandons si le cerveau, qui a été conditionné, programmé en tant que catholique, protestant, et toutes les divisions du christianisme, dans la répétition continuelle de louanges adressées à une personne, comme cela se fait en Inde et chez les bouddhistes – là, ils prennent un nom qui symbolise une chose qu'ils espèrent vraie, comme cela se fait dans le monde chrétien. Dans le monde chrétien, vous avez été programmés – mon ami a été programmé pendant 2000 ans – que cette personne ait existée ou non est hors de propos. Il y a un doute quant à son existence, mais ce que l'église, etc. a fait de cette personne est évidemment si irréaliste : une telle superstition, tant d'idéalisme, de romantisme, toute cette affaire sentimentale. Ils font exactement la même chose en Inde, en Islam. Dans les pays bouddhistes où l'on ne croit pas en Dieu – c'est un de leurs dires, les bouddhistes ne croient pas en Dieu – mais ils ont fait de Bouddha un dieu. C'est le même schéma qui se répète de par le monde, de génération en génération. Et cela s'appelle la religion. Nous allons en parler sous peu. Nous sommes donc conditionnés par cela. Nous avons été programmés; nous recevons une quantité d'impressions, de coercition, de propagande : jour après jour si vous écoutez la publicité dans ce pays, achetez, achetez. Et les religions font la même chose. Nos cerveaux sont donc conditionnés, non seulement par les influences extérieures, les pressions et la propagande, mais aussi intérieurement, psychologiquement : nos désirs, peurs, notre avidité, nos croyances, souffrances et peines, tout cela conditionne nos cerveaux.
26:36 Donc une question qu'il importe de se poser au sujet des cellules cérébrales – mon ami et moi parlons ensemble sans être dérangés, nous sommes tous deux ensemble, conscients de la question, et nous la posons l'un à l'autre – est de savoir si les cellules cérébrales elles-mêmes peuvent changer, sinon le conditionnement continuera à jamais. Il y a toute une école qui affirme que le conditionnement ne pourra jamais changer radicalement. Il peut être modifié, apprivoisé, rendu plus facile à vivre; il y a toute cette école. Mais l'ami et moi-même nous disons l'un à l'autre : est-ce ainsi ? Ou est-il possible de changer radicalement ? Pas petit à petit, partiellement, mais totalement. Si ce changement radical n'a pas lieu, les hommes continueront à vivre à jamais dans le conflit, la souffrance, la peine, se détruisant l'un l'autre; chacun affirmant ses propres exigences, ses propres désirs, sa propre quête, son propre accomplissement. Et ils ne peuvent ainsi jamais se rejoindre, et il n'y a donc jamais de paix dans le monde. Alors, dit l'ami, est-ce possible ? C'est possible quand vous percevez le contenu total de la conscience. Notre conscience, avec toutes ses réactions, est comme le flux et le reflux de la marée – action, réaction; C'est un mouvement perpétuel. Et tout le contenu – la croyance, les dogmes, les rituels, les quêtes diverses, les désirs, etc. – tout le contenu de notre conscience est ce que nous sommes : notre nom, notre forme, notre compte en banque – pas en tant que tel, mais l'attachement – l'ami et vous-même êtes tout cela. Cette conscience est la conscience de l'humanité. Elle n'est ni à vous ni à moi; c'est la conscience de toute l'humanité. Parce que toute l'humanité passe par l'angoisse, une grande douleur, la solitude, le désespoir, la dépression, bavardant à tout rompre. C'est la conscience, que vous alliez en Inde, au Japon, en Russie ou ici. Nous sommes donc l'humanité. Nous en avons parlé hier. Alors, est-il possible d'amener un changement radical dans notre conscience ?
31:17 C'est possible si vous êtes lucide sans direction, sans contrôle, sans motif, observant simplement toutes les pensées, les anxiétés, les observant simplement sans les fuir. C'est comme observer un superbe joyau dans votre main, observant toutes ses facettes, sa couleur, son brillant, ses taches mates, ses interstices, l'observer sans le moindre mouvement de pensée. Cela amène alors un changement radical dans les cellules cérébrales elles-mêmes. Nous en avons brièvement parlé hier matin.
32:21 Nous devrions maintenant parler de ce qu'est la religion. Car, apparemment, la religion a joué depuis la nuit des temps un rôle extraordinaire dans la vie. Chaque civilisation, si ancienne soit-elle, a eu son idée de la religion : l'adoration du soleil, l'adoration des arbres, l'adoration du tonnerre, de l'éclair – probablement la meilleure de toutes. Depuis la nuit des temps, l'homme a cherché quelque chose au delà de lui-même, qui le transcende; les anciens Sumériens, les anciens Hindous, les Egyptiens, et bien plus tard le Christianisme, et encore plus tard l'Islam, tous ces gens, de génération en génération, pendant des milliers et des milliers d'années, ont établi des religions de diverses natures. Et ces religions ont donné naissance à la culture, à la civilisation. La Chrétienté, le Bouddhisme – le Bouddhisme a explosé dans toute l'Asie, et la Chrétienté fait de même dans le monde occidental, s'efforçant de répandre sa propre doctrine, sa propre philosophie, son propre sauveur. Depuis qu'il existe, l'homme a toujours été en quête de quelque chose au delà.
34:49 Et dans cette quête de l'au-delà, la pensée a créé Dieu. Ne vous en offusquez pas s'il vous plaît, examinez cela. Je ne m'offusque pas dit mon ami, j'écoute. Je suis prudent; je ne veux pas devenir un athée, un incroyant, mais je suis désireux de vous écouter. La pensée a créé cette chose que nous appelons Dieu. Du fait que nous sommes dans une telle confusion, insécurité, incertitude, une telle peur, souffrance, solitude, et ne sachant comment résoudre tout cela, je cherche quelqu'un d'extérieur, quelqu'un pour me guider, me protéger, me donner de la sécurité. La pensée est perpétuellement en quête de sécurité, et comme elle découvre qu'il n'y en a pas tant qu'il y a des individus qui se battent, des groupes distincts les uns des autres, tant qu'il y a du tribalisme sous toutes ses formes, il ne peut y avoir que guerres, insécurité, manque de protection; par conséquent la pensée dit : donnez-moi un être suprême, une entité paternelle ou maternelle, à votre choix. En Inde, il y a de nombreux dieux et déesses, environ 300.000. A votre gré, vous pouvez en choisir un, ou deux c'est plus amusant. N'avoir qu'un seul dieu est asssez fatigant. Mais cela a toujours été la quête de l'homme. Et le prêtre arrive – il est comme nous autres – il dit : je vais vous aider. Il devient l'interpréte, car dans les temps anciens, le prêtre était la seule personne sachant lire et écrire. Il interprétait ce qu'il appelait Dieu. Et puis il inventa tout le décorum pour se donner de l'importance : les chasubles, la mitre, vous savez tout le cirque.
38:08 Alors, en dépit de toutes les églises, temples et mosquées, l'homme a toujours recherché quelque chose au delà. Et ce qui est au delà ne doit pas être décrit ou mis en mot; mais celui qui le découvre, voit quelque chose d'au delà. Son ami dit : organisons-nous afin de le répandre à tout le monde. Ainsi les organisations religieuses tuent la vérité. J'espère que mon ami voit le fait. Alors, en dépit de toutes les religions et leur l'absurdité, leurs mots et rituels dénués de sens, leurs dogmes et superstitions – c'est vraiment un faisceau de superstitions – en dépit de tout cela, nous demandons : qu'est-ce que la religion ?
39:29 Le mot 'religion' n'a pas de sens étymologique. Il n'a pas été possible d'en découvrir l'origine. Mais on lui attribue en général celui de 'attention'. Etre attentif, travailler, penser, agir, vivre avec diligence, se comporter. Et en posant la question de savoir s'il y a quelque chose de sacré au delà de toute pensée, nous allons nous pencher ensemble là-dessus; à savoir si en dépit de tous les efforts de l'homme, de ses superstitions, ses rituels, les choses terribles qui ont été faites au nom de la religion – les Chrétiens réalisent-ils qu'ils ont tué plus de monde que quiconque – en dépit de tout cela, y a-t-il quelque chose de sacré, de totalement sacré, non inventé par la pensée, ne résultant pas d'un quelconque imaginaire romantique, sentimental, ou d'une aspiration sentimentale ? En écartant tout cela, nous nous posons l'un à l'autre la question : y a-t-il quelque chose de sacré – pas une chose qui soit sacrée pour vous et pas pour l'autre – qui est au delà du temps et de la mesure.
41:56 Cette recherche est de la méditation. Le mot 'méditation' signifie peser, réfléchir à, observer exactement les choses telles qu'elles sont, ne pas chercher à fuir 'ce qui est', mais comprendre, pas verbalement ou intellectuellement, creuser profondément 'ce qui est'. Donc le mot 'méditation' signifie non seulement observer, peser, mais aussi en sanskrit et en latin, etc., 'mesurer'. Tant qu'il y a mesure, psychologiquement... techniquement, depuis les Grecs et les anciens Hindous, etc., la mesure a été nécessaire. Sinon, on n'aurait pas pu bâtir un temple; ni créer tout le monde de la technologie. La mesure est nécessaire. Mais spychologiquement la mesure est de la comparaison; comparer 'ce qui est' à 'ce qui devrait être'. Comparer ce que j'étais hier à ce que je serai demain. Vous comprenez ? Tout le processus de la comparaison. Là où il y a comparaison, il y a forcément mesure : je suis obtus, mais vous êtes habile; vous êtes beau, pas moi. Il y a continuellement en nous cette comparaison entre l'idéal et le fait; le fait de la violence et l'idéal de ne pas l'être, c'est de la comparaison. Dans la méditation, cette comparaison doit complètement cesser.
45:01 Et physiquement, il est parfois nécessaire de comparer une bonne et une mauvaise voiture, un bon et un mauvais tissu, un bon et un mauvais tableau. La comparaison entre grand et petit, entre la lumière et l'obscurité, là, cela existe, c'est évident. Mais pourquoi comparons-nous psychologiquement, intérieurement ? Peut-on vivre sans comparaison ? Avez-vous jamais essayé de vivre sans comparaison ? Vous commencez alors vraiment avec 'ce qui est'. Vous pouvez alors vous attaquer à 'ce qui est'. Mais si vous vous comparez toujours à quelqu'un d'autre, à un héros, par exemple, vous n'arrivez jamais à être face à vous-même ou à vous familiariser avec vous-même. Alors est-il possible de ne jamais comparer ? La comparaison engendre le conflit. La comparaison est une forme de compétitivité, d'agression.
46:55 L'orateur place en général la religion et la méditation à la fin des causeries pour une raison très simple : on ne peut découvrir ce qui est sacré, s'il existe une telle chose que le sacré, ou ce que signifie la méditation, si l'on n'a pas fermement établi ce qu'est une relation juste dans laquelle il n'y a aucun conflit, mais un apprentissage qui ne comporte psychologiquement aucune peur. Nous avons abordé cela, ainsi que la compréhension du désir, du plaisir, et la fin de la souffrance. Si cela n'est pas bien établi, solidement fondé, méditer n'a pas de sens. Vous pourrez bien répéter sans fin des mots, que ce soit en sanskrit ou vos propres mots; que vous répétiez le mot indien de 'mantra' – plein de gens ont fait de l'argent là-dessus. Un de ces affairistes distribuant des mantras est multi-millionnaire. Comme nous l'avons expliqué, le mot 'mantra' signifie peser, ne pas devenir psychologiquement. Et il signifie aussi écarter complètement toute activité égocentrique. C'est la véritable racine de ce mot, un mot merveilleux, mais voyez ce qu'ils en ont fait. Alors, qu'est-ce que la religion, et y a-t-il quoi que ce soit de sacré, ou n'y a-t-il absolument rien de sacré, rien du tout. Ou il y a quelque chose, mais pour découvrir cela ou venir à sa rencontre ou que cela existe, la méditation est nécessaire.
50:16 En général, la méditation revêt tant de formes : la méditation Zen – nous demandons à l'ami : j'espère que cela vous est égal d'aborder toute cette ineptie – il y a la méditation Zen, la méditation tibétaine, la forme bouddhiste de méditation, diverses formes de méditations hindoues, et dans ce pays cela s'appelle contemplation, dans le monde religieux occidental. Toutes ces formes, du Zen au gourou dernier cru avec ses fadaises, absurdités, consistent à maîtriser la pensée. Et tous ces gens, soi-disant sérieux, qui ont médité, maîtrisant la pensée, ne se sont apparemment jamais demandé qui est celui qui maîtrise la pensée – j'espère que certains l'ont fait, mais j'en doute. Celui qui maîtrise ne fait-il pas partie de la pensée ? N'est-il pas l'entité qui s'est souvenue de tous les incidents passés, de la peine et de l'anxiété, ce souvenir n'est-il pas celui qui maîtrise ? Celui qui maîtrise fait partie de la pensée. Tant qu'il y a division entre celui-ci et ce qu'il maîtrise, le conflit est inévitable. Mais celui qui maîtrise la pensée est la pensée. Alors tous ceux qui prônent la méditation, et il y en a tant, pratiquant quotidiennement tel système ou telle méthode, s'abrutissent de plus en plus devenant de plus en plus insensibles; il est essentiel d'être sensible, sensible à la nature, sensible les uns aux autres, à tout ce qui vit sur terre. Mais si votre esprit est sans cesse occupé, que ce soit par la sexualité, par Dieu, ou par vos propres réalisations, soucis, ce cerveau devient de plus en plus obtus, stupide et insensible. Alors qu'au contraire, la méditation implique une formidable activité des sens, et une sensibilité consciente de tout cela.
54:01 Tout ceci requiert énormément d'énergie. Pas seulement l'énergie créée par la pensée dans le conflit, mais une énergie qui n'est pas gaspillée. Vous comprenez ? Gaspillée dans le conflit, gaspillée dans un bavardage incessant; gaspillée dans la poursuite d'innombrables désirs sans comprendre ce qu'est le désir, etc. Nous avons énormément d'énergie : aller sur la lune requiert une énergie considérable et des milliers de gens. Nous avons donc une énergie indicible si elle n'est pas mal utilisée, gaspillée.
55:14 Et pour découvrir ce qui est sacré, il faut faire preuve de doute, de scepticisme; car ce doute, ce scepticisme est sain; on ne peut douter de tout, mais le processus du doute clarifie le cerveau de toutes ses stupidités, ses superstitions, ses illusions. Le cerveau devient alors extraordinairement vivant, subtile. La méditation ne consiste donc pas à maîtriser la pensée ou à pratiquer quelque système ou méthode que ce soit, mais plutôt à libérer l'esprit, libérer le cerveau de son conditionnement.
56:22 Ceci n'en est que le commencement. Quand il y a cette liberté, on peut alors se pencher sur ce qu'est un cerveau silencieux, car ce n'est que dans un grand silence qu'on apprend, qu'on observe, et pas quand on fait beaucoup de bruit. Pour observer ces collines et ces beaux arbres, pour observer votre femme, vos enfants, votre mari, vos proches, peu importe, il faut avoir de l'espace et le silence doit prévaloir. Mais si vous bavardez, papotez, vous n'avez ni espace ni silence. Et il nous faut de l'espace, non seulement physiquement, mais bien plus psychologiquement; cet espace nous est refusé quand nous pensons à nous-mêmes. C'est tellement simple ! Parce que là où il y a espace, un vaste espace psychologique, il y a beaucoup de vitalité, une grande énergie. Mais quand cet espace se limite à notre propre petite personne, cette énergie est entièrement enfermée dans cette limite. Voilà pourquoi la méditation est la cessation du moi.
58:38 On peut écouter tout ceci sans fin, mais si vous ne le faites pas, à quoi sert d'écouter ? Si l'on n'est pas vraiment conscient de soi, de ses paroles, de ses gestes, de sa façon de marcher, de manger, de pourquoi on boit et fume, et de toutes ces autres choses que font les êtres humains, si on n'en est pas physiquement conscient, comment peut-on être profondément conscient de ce qui se passe ? Si l'on n'est pas conscient, on devient alors un être si falot, si médiocre, de peu d'envergure. Le mot 'médiocre' signifie étymologiquement gravir à mi-chemin la colline, gravir à moitié la montagne, sans jamais en atteindre le sommet. C'est la médiocrité. C'est-à-dire ne jamais exiger de soi l'excellence, ne jamais exiger de soi la bonté totale, ne jamais exiger de soi une complète liberté – pas pour faire ce qu'on veut, ce qui n'est pas la liberté, mais de la trivialité – mais être délivré de toute la douleur de l'anxiété, de la solitude, du désespoir et tout le reste.
1:01:02 Alors pour découvrir ou rencontrer cela, ou pour que cela existe, un grand espace et silence sont nécessaires. Pas un silence imposé, pas la pensée disant 'je dois être silencieuse'. Le silence est extraordinaire, ce n'est pas le silence entre deux bruits. La paix n'est pas ce qu'il y a entre deux guerres. Le silence est une chose qui vient naturellement quand vous observez; quand vous observez sans ancun motif, sans rien exiger; comme vous observez simplement la beauté d'une étoile solitaire dans le ciel, ou un arbre unique dans un champ, ou observez votre femme, votre mari, ou tout ce que vous observez. Observer au milieu d'un grand silence et espace. Alors, dans cette observation, dans cette vigilance, il y a quelque chose qui se situe au delà des mots, de toute mesure.
1:02:46 Nous usons de mots pour mesurer l'immesurable. Il faut donc aussi être conscient du réseau des mots, de la façon dont les mots nous leurrent, de l'étendue de leur signification : pour un capitaliste, le mot communiste signifie une chose terrible, un socialiste ou un étranger. Vous suivez ? Les mots deviennent extraordinairement importants. Il s'agit donc d'être conscient de ces mots et de les peser, de peser, de vivre avec le mot 'silence', sachant que le mot n'est pas le silence, mais vivre avec ce mot et d'en voir le poids, le contenu, la beauté de ce mot. Alors, quand la pensée observe en silence, on commence à prendre conscience de quelque chose qui dépasse l'imagination : doutez, cherchez, et une telle chose existe, tout au moins pour l'orateur. Mais ce que dit l'orateur n'est pas valable pour un autre. Ce n'est que lorsque vous écoutez, apprenez, observez, étant totalement libre de toute l'anxiété de la vie, que là seulement existe une religion génératrice d'une nouvelle culture totalement différente. Nous ne sommes nullement des gens cultivés. On aura beau être expert en affaires, être extraordinairement capable techniquement ou être médecin, professeur, on n'en demeure pas moins très limité. La fin de la personne, du 'moi', n'être rien : 'rien' [nothing] signifie aucune chose [not a thing]. Pas une chose créée par la pensée. En latin le préfixe 'res' signifie 'chose' Et 'chose' est ce qui est créé par la pensée. N'être rien, n'avoir aucune image de soi. Et nous avons un grand nombre d'images de nous-mêmes. N'avoir pas d'image quelle qu'elle soit, pas d'illusion, n'être absolument rien. L'arbre n'est rien en soi. Il existe. Et son existence même en fait ce qu'il y a de plus beau, comme ces collines : elles existent. Elles ne deviennent pas quelque chose, elles ne le peuvent pas. C'est comme la semence d'un chêne, ou d'un pommier : c'est la pomme; elle ne cherche pas à devenir poire ou autre chose. Elle est. Ainsi, quand il n'y a rien, cela est. Vous comprenez ? Ceci est la méditation. C'est la fin de la quête et la vérité est.
1:07:35 J'en ai assez dit. Quelle heure est-il ?
1:07:41 Q: 1 heure moins 25.

K: Bien.
1:08:01 C'est la dernière causerie. Pouvons-nous nous lever ?