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OJ85T1 - Pourquoi notre maison est-elle en désordre ?
Première causerie publique
Ojai, USA
Le 11 mai 1985



0:22 Krishnamurti: je regrette qu'il fasse plustôt frais. J'espère que nous aurons de meilleures journées.
0:51 Nous allons discuter de nombreux sujets concernant principalement notre vie quotidienne, monotone, plutôt fatigante, conflictuelle. Et nous espérons que vous serez tout à fait assurés que nous ne nous livrons à aucune propagande visant à propager un quelconque point de vue, une quelconque idéologie, une quelconque conclusion, une quelconque persuasion. Nous allons parler ensemble, comme deux amis, de nos divers problèmes, non seulement des problèmes du monde extérieur, mais aussi du problème psychologique très complexe. Nous allons discuter ensemble sans admettre quoi que ce soit de ce que dit l'orateur, mais plutôt en questionnant, en doutant, en examinant ensemble. Ceci n'est donc pas une conférence ou un prêche de l'orateur.
3:03 Mais nous devrions plutôt discuter ensemble, vous et l'orateur, non seulement de ce qui effectivement lieu dans le monde, qui devient de plus en plus désordonné, mais aussi du monde bien plus complexe, qui exige énormément de bon sens, énormément d'étude, d'observation, de quête, de questionnement, qu'est le monde du psychisme, soi-disant subjectif. Et il y a lieu d'être assuré que ceci n'est pas une réunion sensationnelle où vous allez éprouver des sensations. Il devient de plus en plus clair que nous dépendons de sensations, qu'elles soient intellectuelles, émotionnelles, imaginaires, sentimentales ou romantiques. Nous devons tous être très clairs, s'il est permis de vous le rappeler, que nous allons ensemble, vous et l'orateur, commencer par examiner le monde. C'est-à-dire le monde que les êtres humains ont créé, économique, social, environnemental, politique et religieux. La société que nous avons créée, construite, le désordre, qui devient très dangereux, le monde de la tyrannie, une tyrannie absolue, les Etats soi-disant totalitaires, et l'Etat démocratique, libre. Ce pays-ci, et peut-être un ou deux autres pays, sont des sociétés ouvertes. Vous pouvez y faire ce que vous voulez, aller où vous voulez, changer d'emploi, exprimer vos opinions, vos jugements, critiquer tout ce qui vous entoure, si vous le voulez. Ou vous acceptez ce qui est et allez votre chemin.
7:00 Alors veuillez garder à l'esprit, si vous le voulez, que nous allons parler ensemble comme deux amis – ici, nous pourrions être étrangers, l'orateur ne vous connaît pas tous, certainement pas. Mais comme nous voilà ici ce matin et la semaine prochaine, nous allons tranquillement, avec hésitation, à titre d'essai, examiner ce que nous faisons, chercher ensemble, après tous ces millénaires d'évolution, cette longue durée de milliers et de milliers d'années, pourquoi nous en sommes là.
8:22 Le désordre revêt divers aspects. La guerre est le plus grand des désordres. Et chaque petite nation s'arme, ravitaillée par les grandes puissances et les petites. Et il y a eu l'holocauste – la dernière guerre. Et à présent d'autres sortes d'holocaustes ont lieu : Beyrouth, le Vietnam, l'Amérique du Sud, la Russie et ainsi de suite. Il n'y a pas eu qu'un seul holocauste. Ces holocaustes ont lieu en ce moment. Et nous semblons être devenus totalement indifférents à ce qui se passe en Extrême-Orient, au Proche-Orient et au Moyen-Orient, en Europe, en Russie et ici. Nous sommes vraiment insensibles, indifférents, silencieux dans un sens, bien que des manifestations puissent avoir lieu dans le monde entier pour diverses raisons : refuser une certaine guerre, la bombe à neutrons et la bombe atomique, pour autant qu'on ait pu l'établir, mais personne ne veut mettre fin aux guerres
11:05 et, comme nous l'avons dit, il y a le désordre. Le désordre idéologique, un pays, une partie du monde s'étant cristallisée sur une certaine idéologie. Le léninisme est devenu la religion d'une certaine partie du monde, et toute personne qui s'y oppose devient un hérétique, comme au Moyen Âge, quand les catholiques brûlaient des gens en tant qu'hérétiques, païens. Voilà ce qui a lieu dans une certaine partie du monde, et nous y sommes indifférents. Nous savons que cela a lieu là-bas, les journaux en sont emplis, des livres ont traité de ces sujets. Et les meurtres : une secte s'opposant à une autre de la même religion, armée par les autres, s'entretuant au nom de Dieu, au nom de la paix, au nom de leur propre idéologie. Ce sont là tous des faits. L'orateur ne mentionne que ce qui a effectivement lieu. Et nous y sommes indifférents tant que cela se passe au loin. Il semble que nous devenions terriblement vivants, actifs quand cela nous touche, touche chacun de nous, quand c'est très près de chez nous, dans notre arrière-cour. Là encore, c'est un fait. Et sachant tout celà, par des dires, par des livres, par les journaux et la télévision, nous semblons incapables de faire quoi que ce soit à cet égard. Cela encore est un fait. Et si nous le pouvons ce matin et la semaine prochaine, nous allons chercher à découvrir ce que chacun de nous peut faire. Quelle est notre responsabilité, pas seulement en paroles, mais avec un vrai sentiment de responsabilité, comme on se sent responsable de sa femme ou de ses enfants, de son époux ou de sa petite amie, etc. Pour autant qu'on se sente responsable. Mais quand on se demande quelle est notre place dans ce monde, qu'est-ce qui nous unit au reste de l'humanité, que doit-on faire de ce chaos désastreux, effrayant qui a lieu dans le monde. Et la plupart d'entre nous est conscient, sait non seulement verbalement, mais effectivement que nous avons eu des guerres, des camps de concentration, qu'il s'agisse de guerres récentes ou passées, ou des camps de concentration actuels, nous savons ce qui se passe, à quel point nous sommes responsables, profondément ou superficiellement, ou si nous sommes indifférents. Ou si nous prenons une part active dans l'entière société humaine, pas dans une seule partie du monde, comme l'Amérique, la Russie ou l'Angleterre, la France, l'Inde ou le Japon. Nous sommes des êtres humains, hormis les frontières économiques, nationales, religieuses, nous sommes tous des êtres humains, noirs, blancs, pourpres, roses ou ce que vous voudrez. C'est notre terre où l'on est censé vivre, apprécier la merveilleuse beauté du paysage, les mers magnifiques et les collines les grandes vallées et les montagnes, les bosquets, les bocages et les prairies. Mais il semble que nous soyons incapables de vivre ensemble sans aucune barrière, sans aucune séparation en tant que nationalités – ce qui équivaut en fait à une forme glorifiée de tribalisme – sans aucun attachement à des religions organisées. Nous parlons beaucoup de liberté dans le monde démocratique, alors que dans d'autres parties du monde, bien qu'ils y ressentent le besoin de liberté, la nécessité humaine de liberté, l'élite absolue détruit leur liberté.
18:37 Alors pouvons-nous, tout en reconnaissant tout ceci, pas seulement verbalement, pas seulement de façon descriptive, pas en se contentant d'explications, qu'elles soient historiques, dialectiques ou personnelles, pouvons-nous regarder tout ceci de façon impersonnelle, si c'est possible, sans aucun biais, préjugé, et découvrir ensemble ce que l'on peut faire ?
19:43 Qu'est-ce que le désordre ? D'après vous que serait le désordre ? Et qu'est-ce que l'ordre ? L'ordre est-il induit par les idéologies ? Par nos opinions, jugements, diverses conclusions religieuses avec leurs expériences ? Les idéologies ne sont-elles pas elles-mêmes causes de désordres ?
20:52 Je vous en prie, nous pensons ensemble. Si l'on peut se permettre de le suggérer avec emphase, ne vous contentez pas d'écouter ce que dit l'orateur. Si vous ne faites qu'écouter une longue série de mots, cela n'en vaut pas la peine. Mais si vous écoutez, non seulement avec l'oreille, mais avec votre cœur, votre esprit, de tout votre être, vous découvrirez ce que l'on peut faire en tant qu'être humain.
21:45 Il y a un grand gâchis dans le monde, que l'on nomme désordre, un dangereux gâchis. Et autour de ce gâchis, nous organisons, et réorganisons ce qui a été organisé. J'espère que vous suivez tout ceci. Et cette réorganisation autour du désordre, du gâchis, de la confusion, du conflit, est ce qu'on appelle le progrès. N'est-ce pas ? Vous suivez tout ceci ? Et nous nous satisfaisons de ces nouvelles organisations. Nous nous sentons progresser de façon vitale. Mais le gâchis, la confusion, le conflit, le désordre, la terreur qui se perpétuent ont sévi de millénaire en millénaire. On sait à présent que cela a lieu dans le monde entier, grâce à la communication rapide, etc. Il paraît que pour entraîner un légionnaire romain en Italie, à Rome, cela coûtait de 15 à 20 centimes. A présent il faudrait probablement des milliers de dollars. Vous suivez tout ceci ? Et nous avons énormément progressé. Un homme en tuait un autre d'un coup de massue. Puis quelqu'un inventa l'archerie et ils dirent que cela tuerait tant de monde que les guerres cesseraient enfin. Puis vinrent divers instruments de guerre, le dernier d'entre eux étant la bombe absolue qui peut vaporiser les êtres humains par millions, d'un coup. Et nous avons encore accompli un énorme progrès.
24:40 Dans tout ceci, les guerres, les terreurs, les choses épouvantables qui ont lieu, on n'a encore jamais abordé la cruauté. Pas la cruauté de l'Europe centrale ou de la guerre récente avec toutes ses horreurs, et les horreurs des guerres qui ont lieu dans le monde, nous n'avons jamais, en tant qu'êtres humains, été capables de nous libérer de la cruauté, non seulement à l'égard des animaux, de la nature, mais les uns envers les autres. La cruauté ultime est la guerre, naturellement. En tant qu'êtres humains pouvons-nous d'abord regarder ce mot, le mot 'cruauté', puis sentir la signification et la profondeur de ce mot. Cruauté à l'égard de soi-même en tant que discipline, nous allons voir tout cela. Cruauté à l'égard des autres, les exploitant, se servant des autres pour satisfaire sa propre ambition ou son ambition sexuelle. Ce sont là diverses formes de cruauté, de cruauté idéologique, et ainsi de suite. Ce n'est pas la cruauté d'un groupe particulier de gens, mais celle que recèle presque chaque être humain, vouloir nuire à quelqu'un d'autre.
27:12 Pourquoi est-ce que, après toutes les admonitions religieuses, bien avant la chrétienté, de très nombreux siècles avant celle-ci, on a dit 'tu ne tueras pas'. L'autre est vous-même. Et nous continuons encore. Cela peut-il prendre fin ? Un des problèmes majeurs de notre vie consiste à savoir si cette cruauté est inhérente – veuillez écouter tout ceci – inhérente à l'intérêt pour soi. Tant qu'il y a de l'intérêt pour soi, il y a nécessairement exploitation d'autrui, cruauté envers autrui, utilisation des autres, etc. Cet intérêt pour soi qui se dissimule sous divers aspects, se cache derrière le nom de Dieu, se cache dans chaque prêtre et chaque être humain. Ne vous intéressez-vous pas à vous-mêmes ? Evidemment. Mais on n'y fait jamais face. On ne veut pas le regarder. Et pour le traquer, pour découvrir toute sa malice, toute son hypocrisie, sa fierté, son arrogance, sa vanité et son humilité, il faut une grande lucidité, ce qui exige beaucoup de discipline. Mais nous sommes tous plutôt négligents, mous dans notre façon de penser. Nous ne sommes jamais certains de quoi que ce soit. Nous avons beaucoup de croyances, dogmes, foi. Je me demande si vous avez examiné certaines religions telles que la chrétienté, le monde de l'Islam, qui se basent sur des livres; si vous commenciez à les mettre en question, en doute, tout s'effondrerait, car nous ne mettons jamais en doute notre propre pensée, notre propre expérience. Nous ne mettons jamais en question.
32:34 J'espère que cela a été une bonne distraction.
32:48 Comme nous le disions, nous ne mettons jamais en doute notre pensée, nos préjugés, nos conclusions, pour découvrir si tout cela est exact, ou si ce n'est que des opinions. Ou nous ne mettons jamais en doute notre propre exigence égoïste. Alors je vous en prie, pendant ces causeries et sessions de questions et réponses, veillez à ce que prévale le doute. Le doute est essentiel, une certaine forme de scepticisme, sans cynisme, car cela clarifie le cerveau de sorte que l'on peut voir clairement. On peut voir clairement ce que l'on est. Alors soyez spécialement sceptique sur ce que dit l'orateur, spécialement, car il n'est pas un gourou, il n'attend rien de vous, ni que vous l'applaudissiez, etc. Soyez-en assurés. Vous pouvez ainsi vous détendre et vous sentir libres. Car il est très important que vous soyez vraiment assurés, convaincus que l'orateur n'attend rien de vous, il ne veut pas de votre argent, sauf si vous voulez participer aux donations. Mais cela n'est pas destiné à l'orateur : c'est pour maintenir cet endroit propre, pour les écoles, etc. Il ne veut créer chez vous aucune sensation, dans la mesure où vous voulez être divertis. Vos romans, vos livres, votre télévision, tout vous divertit. Et vous aimez le divertissement religieux. Mais ici, nous essayons de sonder, d'aller au fond du problème de notre existence.
36:39 Alors est-il possible, demandons-nous, d'amener de l'ordre dans notre vie ? S'il y règne un ordre complet, tant biologiquement que psychologiquement, alors il n'y a pas de conflit. Il y a conflit et désordre quand nous poursuivons une idéologie, l'idéal qui est projeté à partir de notre confusion. Ainsi, vos idéaux amènent la confusion. Je ne sais si vous êtes conscients de tout ceci. C'est très clair si vous observez ce qui a lieu dans les Etats dits totalitaires. Là, l'idéologie est souveraine. L'idéologie de Marx, de Lénine, de Staline, tous ces gens et leurs interprètes créent, comme ils l'ont fait dans le passé et le font toujours, un grand désordre dans le monde. Toute idéologie, qu'elle soit catholique ou hindoue, socialiste et ainsi de suite, est vouée à créer le désordre, car c'est l'idéologie à laquelle vous croyez. J'admets cette idéologie. Donc vous vous divisez par opposition aux autres idéologies. Et il y a désormais conflit dans les idéologies. Au moment où vous voyez cela, effectivement, profondément, pas seulement verbalement, intellectuellement, mais tout au fond de votre être, en percevez la vérité, vous êtes alors libre de regarder autre chose. Mais les idéologies nous donnent un sentiment de sécurité. Et c'est pourquoi nous nous cramponnons aux croyances, aux dogmes, à la foi qui sont érigés par les prêtres, etc. – je ne vais pas aborder tout cela – et nous nous y cramponnons. Il y a plus de 800 [subdivisions] catholiques; j'ignore combien il y en a chez les protestants, et il y a dans le monde islamique plusieurs sectes qui se battent, s'entretuent. Chez les bouddhistes et les hindous cela existe, mais moins violemment.
40:38 Alors, sachant la vérité de ceci, le sentiment, la profondeur de cette vérité, peut-on écarter toute idéologie divisant les êtres humains ? C'est une question très sérieuse, ne l'écartez pas s'il vous plaît pour dire 'pourquoi ne pas avoir ma propre petite idéologie ou mon propre idéal ? L'idéal basé sur mon expérience, sur mon savoir.' Alors ce savoir, cette expérience, ce concept particulier auxquels on s'accroche doivent être mis en doute, démontés afin d'en découvrir la vérité.
41:51 On doit alors demander : qu'est-ce que le désordre ? Pourquoi y a-t-il dans sa vie privée et aussi dans sa vie publique un tel désordre ? L'orateur ne pose pas la question. C'est vous qui la posez. Qui a amené ce désordre ? Ne dites pas à la légère 'oui, chacun est responsable', puis mettez aussi cela de côté. Nous apprenons à répondre vite, car nous sommes tous des gens très érudits – 'érudits' entre guillemets. Mais nous ne nous demandons jamais pourquoi notre maison est en désordre, ce qui signifie que là où il y a désordre il y a inévitablement conflit. Et nous vivons dans le conflit, dont l'ultime forme est la guerre avec toute son irresponsabilité et son désordre. Vous pouvez bien avoir beaucoup d'ordre dans votre maison physique, comme la plupart des Américains, mais nous parlons non seulement du désordre externe, mais aussi du désordre interne. Pourquoi y a-t-il en nous tous tant de conflit, qui engendre le désordre ?
44:17 Qu'est-ce que ce conflit ? Pourquoi nous autres êtres humains avons-nous vécu dans le désordre ? Pas seulement pendant ce siècle, la semaine dernière et maintenant, mais depuis des milliers d'années l'homme vit dans le désordre. Nous en avons hérité, nos cerveaux sont conditionnés au conflit. C'est notre façon même de voir la vie, de penser à, d'accepter, de désobéir, d'appartenir à ceci et pas à cela, d'appartenir à une certaine secte, à un certain stupide gourou – j'espère que vous me passerez ce mot – à quelqu'un de spécial qui dit : je l'ai, pas vous, laissez-moi vous guider. La vanité de ces gens et leurs disciples ! Alors à quoi est dû ce conflit, quelles en sont la raison, la racine ?
45:48 Commençons par regarder de très près et intimement, en profondeur ce cerveau humain qui a évolué de siècle en siècle, sur deux ou trois millions d'années, ou cinquante millions d'années, ou cinquante mille ans, voyons pourquoi ce cerveau qui est celui des êtres humains, et non le mien en particulier – il n'y a pas de cerveau particulier. 'Mon cerveau m'appartient', la belle idée ! Le cerveau a évolué comme l'organisme humain. Votre organisme est comme tout autre organisme, très évolué, sensible, intelligent. Chaque organisme a sa propre intelligence, mais nous détruisons lentement cette intelligence par les drogues, l'alcool, la fumée, toute cette absurde existence moderne. Alors, quelle en est la cause dans notre vie quotidienne, pour commencer ? Si l'ordre prévalait chez chacun ici présent, écoutant, si chacun avait en soi cet ordre complet, pensez-vous qu'on tuerait un autre ? Qu'on appartiendrait à une nation, un groupe, un gourou quelconques ? A un quelconque livre sanctifié par le temps ? Il n'y aurait alors aucune peur, aucune souffrance, aucune solitude, et certainement pas de dieux. Nous allons donc découvrir ensemble s'il est possible d'avoir en soi cet ordre complet.
48:37 Cela vous intéresse-t-il ? Honnêtement ? Dépenseriez-vous votre temps, pas votre argent – c'est la dernière saleté qu'on puisse demander – dépenseriez-vous votre énergie pour découvrir ? Comme vous dépensez votre énergie à aller au bureau ou au laboratoire ou dans une certaine discipline scientifique, etc., – vous dépensez énormément d'énergie dans ce sens-là, pour le pouvoir, l'argent, une situation, la reconnaissance, la célébrité, la notoriété qui en découle, vous dépensez énormément d'énergie pour aller au bureau, jour après jour, pendant 50 ou 60 ans, essayant de corriger les autres quand vous en avez vous-même besoin. Alors, allez-vous donner un peu de cette énergie ? Assis là, regardant, pensant ensemble tranquillement, allez-vous donner cette énergie ? Pas en totalité, car vous devez aller au bureau après-demain matin, ou à l'usine, ou ailleurs. Donnerez-vous cette énergie pour découvrir si vous pouvez mettre votre maison en ordre, la maison intérieure, toute cette structure complexe du psychisme. Si vous voulez la donner à vous-même, pas à moi, pas à l'orateur, il ne l'acceptera pas, alors découvrons cela ensemble. Découvrons-le ensemble, pas que l'orateur vous le dise, car alors cela devient absurde, enfantin, immature. Mais si vous consacrez cette énergie, cette vitalité, cet élan afin de découvrir si vous pouvez vivre sans l'ombre d'un conflit, nous pouvons alors demander quelle en est la cause. Car lorsque vous pouvez découvrir la cause, l'effet n'existe pas. Je ne sais si vous avez abordé le sujet de la cause et de l'effet. Nous allons le faire brièvement.
52:11 La cause n'est pas distincte de l'effet. L'effet repose dans la cause. Sans cause, il n'y a pas d'effet. Mais nous séparons la cause de l'effet. Le gland de ces chênes produit le chêne. Mais l'arbre, tout le feuillage, sa beauté, le soleil sur les feuilles, les branches et le tronc se trouvent dans la graine. Mais pour nous, la cause et l'effet sont deux choses distinctes. Nous disons : si je me débarrasse de la cause, peut-être deviendrais-je très sain. Mais c'est comme dire que c'est le moyen menant au but qui compte, ou peu importe le moyen vers le but, la finalité, alors que le moyen est la fin. Vous comprenez tout ceci ? Regardez ce qui se passe dans le monde. Ils parlent tous de la paix, et accumulent des armes. La cause est la peur, essayer de sauver une chose ou l'autre, etc. Tant qu'il y a cette peur, ce désir d'être soi-même en complète sécurité, vous aurez des guerres. Nous en parlerons plus tard.
54:21 Alors quelle est la cause de ce désordre dans lequel nous vivons ? Je l'ai dit, appliquez votre cerveau, pensée, énergie à le découvrir. Ce n'est pas très difficile. N'en faites pas une chose difficile. C'est très simple. Voyez ce qui se passe entre les Palestiniens, les Arabes et les Israéliens. Ils font partie du même groupe. Ils vivent sur la même terre. Mais l'un a été formé, éduqué, programmé à penser que l'autre est un Arabe. Programmé comme un ordinateur, pendant les derniers 1600 ans. Et l'autre côté les traite d'Israéliens, depuis 4000 ans. Ce sont de vieux peuples, comme les Hindous, comme les Chinois. Ils se sont donc divisés, entre Arabes et Israéliens. Les Américains et les anciens Indiens de ce pays, vous les avez soigneusement détruits. L'holocauste.
56:27 Le conflit est donc inévitable tant qu'il y a division. Je vous en prie, c'est une loi. Ce n'est pas ma loi, c'est une loi, pas la loi des juges et du tribunal, mais c'est la loi éternelle. Tant que vous êtes distinct de votre femme et qu'elle est distincte de vous, chacun avec ses ambitions, son désir d'accomplissement, sa fierté, son sens de séparation – je dois accomplir, je dois être ceci, cela, il y aura dans cette relation du conflit, comme il y a du conflit entre le disciple et le gourou, entre Dieu et vous – s'il y a un Dieu. Donc là où il y a division entre moi et vous, et eux et nous, nous aurons un conflit.
58:00 Comment cette division survient-elle ? Est-ce de l'intérêt pour soi de la part d'un de nous ? Veuillez examiner, mettre en doute, en question. Serait-ce que chacun de nous est si centré sur soi, si préoccupé de lui-même ? Ainsi, cette préoccupation elle-même divise. Vous pourriez vous marier, vivre avec un autre, etc. mais cette division persiste. Et nous acceptons cette division comme étant naturelle, et par conséquent acceptons le conflit, la lutte sans fin comme faisant partie de l'existence, de la vie : il est naturel de lutter, de se battre l'un contre l'autre. Et la raison d'être de cela est : la lutte n'est-elle pas partout dans la nature ? Chaque arbre lutte pour la lumière. Le grand animal mange le plus petit, et ainsi de suite – c'est la raison que nous invoquons. Dès lors, notre vie est admise comme étant naturellement vouée au conflit. Mais nous ne demandons jamais vraiment s'il est possible de ne pas être soumis à cet état individualiste distinct d'intéret pour soi.
1:00:47 S'il nous est permis, vous posez-vous cette question ? Avez-vous peur de la poser ? Ou vous contentez-vous d'écouter, de passer des heures inutiles assis sous ces arbres, et vous en aller en disant 'ce n'est pas possible', ou au contraire : 'oui, c'est possible', pour juste en rester là. Ou le mettrez-vous en cause, au vu de ce qu'est le monde, d'abord à votre propos – les divisions nationales, religieuses, les différences idéologiques que nous avons créées. Les intellectuels, les terroristes, les impérialistes. Aucun empire, moderne, ou ancien, ne s'est bâti sans épanchement de sang. Comme on le disait, vous prenez d'abord la Bible, puis le canon. Tel a été notre mode de vie. Et quelqu'un de sérieux, homme ou femme, veut vraiment découvrir si le conflit peut finir. S'il finit, alors seulement il y a la paix dans le monde. La paix demande énormément d'intelligence, pas juste une manifestation pour la paix. Elle ne se trouve dans aucune capitale d'aucun pays. Il faut qu'il y ait une vraie paix dans le cœur et l'esprit pour que l'on comprenne la nature du conflit et y mette fin. Et la compréhension de la structure et la nature du conflit demande de l'observation, sans condamnation, sans prendre parti à ce sujet, mais seulement d'observer ce que l'on fait, comme de se séparer continuellement – le mode de vie américain et ainsi de suite. Ecoutez-vous tout ceci ? Ou cela commence-t-il à vous ennuyer ? Voulez-vous bien en informer l'orateur ?
1:04:25 Auditoire: nous écoutons.
1:04:27 K: Je vous en prie, vous pouvez tous dire oui et rentrer chez vous. Ou vous laisser stimuler un moment par l'orateur – cela n'amène pas la fin du conflit. Il faut exercer l'immense aptitude du cerveau, son aptitude infinie. Mais notre éducation limite cette aptitude. Notre éducation nous a bien aidés techniquement, par une formidable avance, du petit ordinateur aux avions complexes, sous-marins, navires de guerre, aux communications rapides, etc., etc. Plus il se déclare de maladies, plus on invente de médicaments. Ils font d'immenses progrès. L'orateur ne veut pas être cynique, ce sont là des faits. Il déteste le cynisme.
1:06:19 Alors peut-on observer calmement, sans aucun choix, ce qui se passe en nous ? Le miroir dans lequel nous voyons nos visages. Comment on se coiffe, se brosse les dents, comment on se rase ou se maquille, etc. Peut-on observer attentivement, aussi précisément que possible, sans aucune déformation ? Cela signifie qu'il nous faut comprendre le mouvement du choix.
1:07:29 Pourquoi choisissons-nous ? Veuillez vous poser la question, quelle est la nécessité du choix ? Il y a bien sûr le choix entre deux voitures, entre deux tissus. Si vous avez les moyens, vous choisissez ce qu'il y a de mieux. Entre deux auteurs. Le choix entre l'ombre et la lumière, l'ombre projetée par le soleil, le soleil créateur de l'ombre et de la lumière. La nuit et le jour, grand, petit, mais y a-t-il un quelconque choix psychologique ? Vous comprenez ma question ? Demandez-vous, je vous prie, pourquoi choisissons-nous psychologiquement, intérieurement, disant 'je ferai ceci, pas cela'. Ceci est juste, cela est faux. Je suis violent, mais je dois devenir non-violent. Je suis fier, mais je dois devenir humble. Vous comprenez ? Ce choix interne a lieu tout le temps. Y a-t-il le moindre choix quand il y a clarté ? Ou n'y a-t-il choix que dans la confusion ?
1:09:45 Question: (inaudible)

K: Pardon M., nous passerons aux questions mardi, si cela ne vous fait rien.
1:10:00 Veuillez écouter, pas l'orateur mais vous-même. C'est vous qui posez cette question, je ne vous demande pas de la poser. Vous la posez vous-même. Pourquoi y a-t-il ce choix de ne pas être violent ? C'est un choix, je suis violent, mais je choisirai d'être non-violent. Pourquoi ce choix ?
1:10:42 Q: (Inaudible)

K: M., voulez-vous s'il vous plait venir vous asseoir ici et vous exprimer, vous serez le bienvenu.
1:10:53 Q: (Inaudible)

K: Vous permettez, M. ? Vous pourrez poser des questions mardi et jeudi prochains. Je ne vous empêche pas de poser des questions. Veuillez avoir la courtoisie, la patience, sans sombrer dans l'ennui, de découvrir par vous-même, pas à travers ce que dit l'orateur; ce qu'il dit n'est pas important, mais c'est ce qui est dit ensemble qui l'est. L'orateur n'est pas en quête d'adulation, il n'y a aucune personnalité ici. Je l'entends bien ainsi. Il n'a aucune importance, mais ce qui est dit est important.
1:12:13 Nous demandons donc, pourquoi y a-t-il en nous ce choix, hormis le choix d'objets. Pourrions-nous examiner cela un instant ?
1:12:35 Les êtres humains de par le monde ont probablement hérité des singes et ainsi de suite, la violence : l'être humain est violent, où que ce soit dans le monde. Et réalisant ce que produit la violence, non seulement en lui, mais collectivement, il dit : soyons non-violents, entraînons-nous à cela, parlons de la non-violence, servons-nous politiquement de cet outil, etc. C'est une des choses que l'Inde a produite – la non-violence – non seulement en Inde, d'autres en ont parlé bien avant. Donc nous, vous, sommes violents – pour autant que je le sois – nous sommes violents. Puis nous disons : je vais devenir non-violent, ce qui est un choix, n'est-ce pas ? Alors, pourquoi faisons-nous cela ? Je suis avide, mais je ne serai pas avide. Bien ? Je suis plein de vanité, mais je ferai semblant de ne pas l'être. On ne peut pas devenir : là où il y a vanité, cela ne peut être changé en humilité. Là où il y a vanité, c'est seulement en y mettant complètement fin et non en changeant ceci en cela qu'il y a humilité. Alors regardons très attentivement, si vous en avez la patience et l'énergie, sans succomber à trop d'ennui, pourquoi nous faisons tout le temps cela.
1:14:55 Prenez la violence, car c'est ce qui a lieu dans le monde et en soi : l'énorme sentiment de violence – bombes, meurtres, coups de poignard, vol, assassinat, viol, toutes les formes de violence. Qu'est-ce que la violence ? La violence physique ? C'en est un des aspects. La violence est sûrement bien plus compliquée que cela. Dans la mesure où vous l'examinez de près, l'approfondissez en vous, la violence est de la conformité. Je suis ceci, mais je serai cela. Vous ne comprenez pas ceci, mais pensez comprendre cela. On ne comprend pas vraiment 'ce qui est', et sans le comprendre, vous voulez transformer cela en l'autre chose. Supposons que je sois violent. Je n'aime pas la violence physique, car je la vois tout autour de moi. Supposons que j'ai dit – pas moi – je n'aime pas ce qui a lieu, je ne serai pas violent. Je n'ai pas compris la nature de la violence, mais je veux m'en évader, par conséquent je crée l'idéal. Donc après avoir créé ce qui n'est pas, il y a alors conflit entre ce qui est et ce qui devrait être à mon sens. C'est ce que nous faisons. Donc je me dis : avant d'accomplir l'autre aspect qui est non-violent, je dois d'abord comprendre ce qu'est la violence. Cela paraît logique, n'est-ce pas ? Nous sommes devenus si illogiques et avons peur d'être logiques, car nous sommes pris dans l'illusion d'essayer de ne pas être trop logiques. Je vais donc commencer par être très logique. Je puis aller au delà de la logique après m'en être servi.
1:18:31 Je suis violent. Et je vois que tout ce qui m'entoure revêt diverses formes de violence. Les animaux, la nature et ainsi de suite; le formidable éclair, avec sa beauté, est une forme de violence, ce choc. Et je suis violent. La violence n'est pas que physique, elle est encore bien davantage psychologique, quand je me conforme à un modèle, quand je me permets d'être programmé. Vous comprenez ? Quand vous me dites quoi faire pour le bien de mon âme ou mon psychisme, peu importe, et que vous devenez l'autorité, quand j'accepte l'autorité il y a violence. N'est-ce pas ? L'autorité psychologique, bien sûr. Il y a l'autorité de l'ordinateur. L'autorité de la loi. L'autorité du policier qui dit tenez votre droite ou gauche. Pour conduire en Europe, vous tenez la droite. En Angleterre, c'est la gauche – ici, c'est quoi ? La gauche, oui. Non, la droite ? Bien. Je n'ai pas conduit dernièrement. Oui, je descends à gauche et remonte à droite, très juste.
1:20:45 Donc la violence existe inévitablement – cela en fait partie – quand, à partir de ma confusion, de mon désordre, je crée l'autorité, je suis confus, je suis perturbé, je veux la certitude. Et vous survenez, le gourou, le prêtre, le psychologue, les autres, et ils deviennent l'autorité. Je les ai créés à partir de ma confusion, de mon désordre. Je réalise donc que [cela a lieu] tant qu'il y a une autorité, subjectivement, soit l'expérience que j'ai eue, le souvenir de cette expérience qui devient l'autorité – suivez tout ceci – ou l'autorité de quelqu'un qui dit 'je sais, je vais tout vous dire là-dessus.' Les vilains, les affreux gourous font tout cela, encaissant de l'argent. Ils sont parmi les gens les plus riches du monde, vos évangélistes, les églises, les énormes organisations qui disent : ayez la foi, croyez, acceptez. Et j'ai si peur que je dis oui. Je suis crédule, je l'accepte. Je crée donc l'autorité à partir de mon désordre. S'il y a de l'ordre, il n'y a pas d'autorité, car je me comporte convenablement, pas d'après un modèle.
1:22:56 Ainsi, une des causes de conflit, le désordre, est l'acceptation psychologique de l'autorité. Ce qui signifie : peut-on vivre sans le moindre idéal, la moindre autorité, afin de vivre dans un grand ordre, maintenant, pas demain. Et psychologiquement, il y a désordre dans notre maison interne, car nous nous sommes séparés d'autrui. La chose la plus difficile qui soit est de dire qu'il n'y a pas de séparation. Je suis le monde. Je suis le reste de l'humanité. Car vous souffrez, le Russe souffre, l'Hindou, le Chinois, chaque être humain sur cette terre souffre. Je verse des larmes. Et il y a aussi le rire, bien sûr. Chaque être humain sur cette terre recherche toutes les formes d'évasion, toutes les échappatoires à la peur, à la souffrance. Je suis donc le monde car je souffre, vous souffrez. Ceci n'est pas une ineptie idéologique, c'est la réalité. Tant que je me sépare du reste de l'humanité, c'est-à-dire vous, je ne peux avoir que conflit et désordre. Nous verrons cela un peu plus tard, à savoir si nous avons une conscience séparée ou si c'est la conscience de l'humanité.
1:25:42 Quelle heure est-il, M. ?
1:25:44 R: Une heure moins cinq.
1:25:48 K: Pardon de vous avoir retenus si longtemps. Quelqu'un devrait nous le dire. J'en resterai donc là. Là où il y a séparation dans ma pensée, je peux séparer la pensée de l'action. Je pense à une chose et en dis une autre, je pense à une chose et agis autrement. C'est cela la séparation qui engendre le conflit, l'hypocrisie.
1:26:41 On peut donc creuser très, très à fond cette question du conflit, et quand vous commencez à comprendre sa nature, sa structure et la subtilité qui l'animent, pendant que vous l'observez sans le moindre choix, vous verrez que le conflit prend fin lors de cette observation. Et cela requiert une grande attention sur chaque pensée, chaque action, chaque forme de sentiment intérieur. Et si l'on veut terminer ce conflit, il faut y porter une attention considérable. Pas une attention légère, sans remettre cela à demain ou à la semaine prochaine, mais en soutenant tout le temps cette attention.
1:28:05 Ayez l'amabilité de vous lever, c'est terminé.