Krishnamurti Subtitles home


OJ85T3 - La création ne finit jamais
Troisième causerie publique
Ojai, USA
Le 18 mai 1985



0:25 Krishnamurti: C'est une belle matinée, n'est-ce pas ? Et j'espère que vous en profitez. Nous n'avons que ce matin pour converser, vous et l'orateur, et aussi demain matin. Nous avons à aborder divers sujets ou problèmes. Nous allons parler ensemble de toute la question du plaisir, de la souffrance, de la mort, et de ce que les êtres humains ont recherché partout dans le monde au delà des aléas, de l'ennui, de la solitude de la vie quotidienne, de ce qu'il y a au delà, non seulement pour l'individu, mais pour toute l'humanité. Qu'est-ce qui n'est pas touché par la pensée, qui n'a pas de nom, qui pourrait être éternel, qui dure, persiste ?
2:11 Nous allons donc traiter tous ces sujets, y compris la méditation, peut-être aussi le yoga. Tout le monde semble terriblement s'intéresser au yoga. Ils veulent rester jeunes et beaux. Allons-nous commencer par là ? Je pensais que cela vous intéresserait. Le yoga est devenu une affaire commerciale, comme tout le reste. Il y a des professeurs de yoga partout dans le monde, et ils encaissent de l'argent, comme d'habitude. Et à une certaine époque, d'après ceux qui en savent beaucoup à ce sujet, le yoga n'était enseigné qu'à un très petit nombre. Yoga ne signifie pas seulement maintenir le corps dans un état sain, actif, intelligent. Mais en Sanskrit le sens de ce mot est d'unir. Unir le plus élevé au moins élevé. J'ignore qui les unit, mais c'est la tradition. Et il y a aussi diverses formes de yoga. Mais la plus élevée s'appelle 'raja yoga', c'est-à-dire le roi des yogas. Là, ce système ou ce mode de vie ne s'appliquait pas seulement au bien-être physique, mais aussi bien plus fermement psychololgiquement. Il n'y avait pas de discipline, pas de système, rien à répéter de jour en jour, mais il s'agissait d'avoir un cerveau ordonné, continuellement actif, mais ne bavardant pas tout en maintenant cette activité – l'orateur interprète tout cela. Ils ne vous le diraient sans doute pas. L'orateur en a parlé avec divers érudits et pandits, et de vrais maîtres de yoga. Il y en a très peu à présent.
5:39 Ainsi, mener une vie très profonde, ordonnée, morale, éthique, sans se contenter de prendre diverses postures, mais mener une vie très morale, éthique, disciplinée, tel était le vrai sens de la forme la plus élevée du yoga. Vous mainteniez ainsi le corps en bonne santé. Le corps n'était pas l'essentiel. L'essentiel était d'avoir un cerveau, un esprit reflétant un bien-être clair, actif, pas dans le sens du mouvement, mais intrinsèquement actif, vivant, plein de vitalité. Mais à présent, c'est devenu assez superficiel, axé sur le profit et de plus en plus médiocre. L'orateur reçut un enseignement – oh, il y a bien longtemps – qui ne pouvait être transmis à autrui. Restons-en là, n'est-ce pas ? A-t-on assez parlé du yoga ?
7:11 Participant: Pourriez-vous élaborer un peu ?
7:12 K: Vous voulez que je vous dise ce qu'on m'a enseigné ? Je regrette, je ne puis vous le dire. Ce n'est pas à enseigner au tout venant. C'est une chose que l'on fait, peut-être une heure par jour, comme le fait l'orateur, pour avoir une parfaite maîtrise du corps – je n'userai pas du mot 'maîtrise' : afin d'être attentif, étudier son corps, sans le moindre mouvement, sans un geste qui ne soit observé. Il n'y a pas de mouvement inutile du corps, mais il n'est pas maîtrisé. C'est là qu'est la différence. Pouvons-nous quitter ce sujet pour autre chose ? Je sais que vous êtes réticents, car peut-être pensez-vous que le yoga est une chose à pratiquer de jour en jour pour développer ses muscles, pour avoir un corps musclé. Ce n'est rien de cela. C'est une chose que vous vivez toute la journée. Une chose que vous regardez, observez afin d'être clairs là-dessus.
9:04 Samedi et dimanche derniers nous parlions de la question de la culpabilité, d'être blessés psychologiquement et des diverses formes de relation. Non seulement entre êtres humains, mais aussi notre relation à la nature, à toute la beauté du monde, aux montagnes, aux prairies, aux bocages, et les collines, les ombres, les lacs et les rivières. Etre en relation. Nous avons aussi un peu parlé de cette relation. Quand il y a une image fabriquée par la pensée, entre vous et la montagne, les champs et les fleurs, comme l'image qu'on se fait de sa femme ou de son mari, etc., cette image nous empêche d'avoir une relation complète avec un autre.
10:47 De même que la relation réciproque qui existe en ce moment entre vous et l'orateur, il est très important de la comprendre. Il ne vous persuade d'aucun point de vue quel qu'il soit. Il n'exerce aucune pression pour vous amener à écouter, à admettre ou à réfuter. Il n'a aucune autorité. Ce n'est pas un gourou. Il abhorre toute cette idée de conduite psychologique ou spirituelle, si vous me permettez ce mot. C'est pour lui une abomination. Et il l'entend bien ainsi. Ce n'est pas une chose à prendre à la légère, comme un simulacre de l'orateur, c'est pourquoi il faut être extrèmement honnête là-dessus.
12:07 Et nous avons parlé de l'activité du temps. Nous avons traité cela assez clairement. De même que le mouvement de la pensée, de qu'est-ce que penser. Nous avons aussi parlé de cela. Voulez-vous que l'orateur le répète ? Dites-le moi, svp. Si ce n'est pas clair, l'orateur peut faire preuve de beaucoup de patience à cet égard. Peut-être éviterais-je même le mot 'patience'. Nous avons donc parlé de tout cela lors d'une conversation entre vous et l'orateur. Donc cette conversation se poursuit mutuellement. Ce n'est pas une conversation à sens unique.
13:17 Et nous avons aussi dit que le monde est constitué de brutes : les brutes religieuses, les journaux, le politicien, le gourou, les prêtres, les brutes dans la famille. Et ces brutes font que nous nous sentons coupables, elles mènent l'attaque et l'on doit se défendre. C'est le jeu qui a lieu dans notre relation mutuelle, etc. Cela engendre donc ce sentiment de culpabilité. Nous avons beaucoup parlé de cela. Et dimanche dernier nous avons aussi parlé de la peur. De la raison pour laquelle les êtres humains, qui ont évolué au cours de tant de millénaires, vivent avec ce terrible fardeau qu'est la peur. Cette peur est une sensation. Et la sensation revêt beaucoup de formes, sensation due aux drogues, à l'alcool, etc., sansation due à la sexualité, sensation d'accomplir quelque chose, de grimper les échelles, soit l'échelle terrestre, ou la soi-disante échelle spirituelle.
15:13 Nous avons aussi parlé du rapport qu'il y a entre le temps et la pensée. Ou ne sont-ils qu'un ? Nous avons vu cela et aussi la question de la racine de la peur. Et nous avons de multiples peurs qui détruisent non seulement les aptitudes humaines, mais déforment le cerveau, déforment ou réduisent, limitent l'activité biologique et psychologique. Quelle est la racine de la peur ? Nous avons vu cela. Nous avons dit que sa racine est le temps et la pensée.
16:20 On peut écouter tout ceci, superficiellement ou sérieusement, écouter la conversation des uns et des autres. Mais les mots ne sont pas la chose. La peur n'est pas le mot. Ou le mot pourrait créer la peur. Vous comprenez ? Le mot peut créer la peur, ou la peur existe d'elle-même. N'est-ce pas ? Le mot est l'image, l'idée. Mais le fait de la peur est tout autre chose.
17:10 Il faut donc être certain que le mot n'est pas en train de provoquer, de cultiver la peur pour ensuite la surmonter, ce qui revient à surmonter le mot mais pas le fait. Vous suivez tout ceci ? Et nous avons dit qu'il faut confronter ce fait. Et la manière dont on le confronte est essentielle, pas le fait, mais la manière dont on s'en approche, dont on l'aborde. Si l'on a des conclusions, des concepts sur comment surmonter la peur ou comment la réprimer, ou comment la transcender, ou si l'on cherche quelqu'un qui vous aidera à la surmonter, alors la peur continuera sous d'autres formes. Vous pourriez un jour avoir peur d'une chose, et le lendemain d'une autre. Et cette peur nous a fait faire de terribles choses à l'humanité. Nous avons fait de terribles choses les uns aux autres. A cause de cette peur ou de notre désir de sécurité, nous avons détruit les êtres humains par millions. La dernière guerre et la précédente l'ont démontré. Là où règne la peur, il y a Dieu, avec tout le réconfort que l'on retire de cette illusion. Mais psychologiquement et donc biologiquement, – pas dans l'autre sens, la sécurité physique ne vient pas d'abord, suivie de la sécurité psychologique. Les socialistes, les communistes, les soi-disant radicaux ont essayé d'établir un ordre extérieur, comme essaient de le faire les communistes, les totalitaires. Et ils n'y arrivent pas, ils ne font que réprimer. Mais si l'on commence à comprendre toute la structure psychologique de chaque être humain, de soi-même, on commence alors à comprendre la nature de la peur. Et il peut y être mis fin si l'on comprend la nature du temps, de la pensée, ce que nous avons vu.
20:32 Et nous devrions parler ensemble, par une si belle matinée, de ce qu'est la beauté. Ceci vous intéresse-t-il ? Qu'est-ce que la beauté ? L'orateur vous pose cette question, et vous devez y répondre. Pas tous, c'est impossible, ou même un seul. Quelle serait votre réponse, si l'on peut se permettre de le demander, quelle est votre réponse à cette question ? Qu'est-ce que la beauté ? Repose-t-elle dans les montagnes ? Dans les ombres ? Dans les taches de lumière sous ces arbres ? Dans une étendue d'eau paisible au clair de lune ? Ou les étoiles d'une soirée tranquille ? Ou un beau visage, bien proportionné, reflétant la beauté intérieure ? Ou se trouve-t-elle dans les musées, les tableaux, les statues ? Il y a une merveilleuse statue au Louvre, à Paris : la Victoire de Samothrace. C'est une merveilleuse statue. Est-ce cela la beauté ?
22:33 On devrait donc se poser cette question. Pas la beauté dans un magazine. Est-ce cela la beauté ? Une belle femme, soigneusement maquillée, etc., etc. Est-ce cela la beauté ? Il faudrait donc se poser cette question. Car l'homme, la femme recherchent constamment cette chose. D'où l'importance que prennent les musées, car nous sommes si laids en nous-mêmes. Pas pécheur, ce n'est pas le mot qui convient. Nous sommes si morcelés, fragmentés, nous ne pouvons jamais voir l'ensemble, un mode de vie holistique. Et nous pensons que la beauté est là-bas, dans les tableaux, dans un charmant poème de Keats ou dans la merveilleuse littérature. Qu'est-ce alors que la beauté ? Attendez-vous que l'orateur vous l'explique ? Ou vous l'êtes-vous jamais demandé ? Ou recherchez-vous l'explication auprès d'experts ? Pouvons-nous aborder cela ensemble ? Non pas que l'orateur cherche à vous convaincre, à vous montrer, à vous dire quoi que ce soit. Il est très important de comprendre cela. Il n'a rien d'une autorité. Il n'est pas un homme public. Il exècre toute cette vilaine réputation, le succès, devenir quelqu'un : on peut alors menacer ce quelqu'un. Vous comprenez ? Mais ce n'est pas ainsi. Nous sommes 2 êtres humains parlant ensemble de toute la complexité des problèmes de l'existence. Alors, qu'est-ce que la beauté ? La beauté est-elle amour ? La beauté est-elle plaisir ? Est-ce une chose qui vous donne un élan, une sensation ? Vous dites : comme ce tableau est beau, merveilleux. Qu'est-ce alors que la beauté ? Pouvons-nous aborder cela ensemble ? Ensemble.
26:33 Quand vous voyez ces collines, là derrière, le ciel bleu et la ligne de crête de ces montagnes contre le ciel, et voyez ces ombres sur l'herbe brûlée par le soleil, et l'ombre des arbres, quand vous regardez cela sans aussitôt le verbaliser, mais le regardez, ou voyez une haute montagne toute enneigée, ces pics élevés, et un ciel qui n'a jamais été pollué, quand vous voyez la majesté d'une montagne, qu'est-ce qui a lieu ? Quand vous voyez la majesté de cette montagne, son immense stabilité, sa grandeur, que se passe-t-il à cet instant ? La vision de ce sommet, de ces ombres, ces taches de lumière sous ces arbres, n'écarte-t-elle pas un instant toute notre mesquinerie, tous nos soucis, nos problèmes et toute la peine de la vie à cet instant ? Vous devenez alors silencieux et regardez. N'est-ce pas ?
28:43 Prenez un garçon, un petit garçon ou une fille, ils ont passé la journée à courir, à crier, vous savez, un peu malicieux, ce qui est mignon. Mais les parents n'aiment pas qu'ils soient ainsi. Qu'en est-il de leur méchanceté quand vous leur donnez un beau jouet, un jouet compliqué ? Toute leur énergie se concentre sur ce jouet. Ils ne sont pas méchants. Jusqu'à ce qu'ils cassent ce jouet. Alors tout recommence. C'est-à-dire – écoutez ceci, je vous prie, nous parlons ensemble – ce jouet absorbe l'enfant. Le jouet devient primordial. Il l'aime, il le tient, l'embrasse – vous suivez ? Vous avez vu des ours en peluche complètement usés. Et toute cette méchanceté a disparu, car le jouet a absorbé sa méchanceté, le jouet est devenu important. N'est-ce pas ? Vous le savez si vous êtes parents. Et le jouet est la télévision, malheureusement. Donc la montagne nous absorbe pendant un instant, c'est notre jouet. Et nous nous oublions. C'est la réalité. Si vous voyez une merveilleuse statue, non seulement les statues grecques, mais celles de l'Egypte ancienne : la sensation extraordinaire de leur plénitude, richesse, stabilité, dignité. Pendant un instant, leur dignité, leur immensité écartent notre mesquinerie. Nous sommes donc absorbés par les jouets. Les adultes aussi. Ce pourrait être leurs affaires, leurs chicaneries politiques. Donc toutes ces choses nous absorbent. Et s'il n'y a rien pour vous absorber, vous sombrez dans la déprime, essayez de vous en échapper en faisant toutes sortes de choses pour fuir ce que nous sommes.
32:17 Alors, la beauté ne serait-elle pas ce qui se manifeste quand vous n'êtes pas ? Quand vous, avec tous vos problèmes, vos angoisses, votre insécurité, que vous soyez ou non aimé, quand vous, avec toute votre complexité psychologique, n'êtes pas, alors cet état est la beauté.
33:04 Et c'est là un des problèmes de la méditation. Cultiver, pratiquer, jour après jour, pour voir que vous n'êtes pas. Et qui est l'entité qui pratique ? Vous comprenez ? C'est le même vieux jouet. Mais vous l'appelez méditation. Alors, là où vous ou K n'est pas, il y a la beauté. Comme nous l'avons dit, la beauté n'est ni plaisir, ni sensation.
34:03 Nous devrions donc parler ensemble du plaisir, car pour nous le plaisir est extraordinairement important. Le plaisir dû à un coucher de soleil, le plaisir de voir quelqu'un que vous aimez éprouver de la joie. Nous devrions donc discuter ensemble de tout le concept du plaisir. Car c'est ce que nous voulons, pour être honnêtes. Et la difficulté est qu'on n'est jamais sérieusement honnête vis-à-vis de soi-même. On pense qu'être tellement honnête vis-à-vis de soi mènerait à plus de problèmes, non seulement pour soi, mais son mari, sa femme, etc. Donc pour comprendre la nature de la peur, de la culpabilité, de la relation, et tout le mouvement de notre vie quotidienne, il faut examiner la chose avec grand soin, sans la maîtriser, la façonner et dire que ce doit être comme ceci ou comme cela, mais commencer par la regarder, sans peur, sans être déprimé ou sentir qu'il faut faire quelque chose à cet égard.
35:59 Nous allons donc ensemble étudier ce qu'est le plaisir. Posséder une belle voiture ou un ravissant meuble du 12ème siècle – l'astiquer, le regarder, l'évaluer. Il y a quelque part en Angleterre un meuble datant du 15ème ou 16ème siècle. Et cela nous a coûté énormément d'argent. Et l'on éprouve à le voir un grand plaisir. Puis on s'identifie à ce meuble. Puis on devient le meuble, car l'on est tout ce à quoi on s'identifie. Ce pourrait être une image, un meuble, un homme, une femme, ou ce pourrait être une certaine idée, conclusion, idéologie. Et toute identification à quelque chose de plus grand, quelque chose de commode, de satisfaisant, qui ne soit pas trop gênant, nous procure beaucoup de plaisir. Et le plaisir va avec la peur. Je ne sais si vous l'avez observé. C'est l'autre face de la médaille. Mais on ne veut pas regarder l'autre face. On se dit que le plaisir est ce qui importe le plus, qu'il s'agisse de drogues, ce qui se développe de plus en plus dans ce pays : opium, cocaïne, alcool. Vous savez tout ce qui a lieu dans le monde, surtout dans ce pays, ce qui engendre une certaine irresponsabilité, vous donne momentanément un certain élan, de l'énergie, tranquillisant peut-être le cerveau, l'engourdissant, et finit par détruire les êtres humains. Vous avez vu tout cela à la télévision. Si vous ne l'avez pas vu, vous connaissez quelqu'un, et ainsi de suite. Nous commençons par le plaisir et aboutissons à la ruine. Et le plaisir de posséder quelque chose, la femme ou l'homme, le plaisir du pouvoir sur quelqu'un : par exemple sur une aide domestique, si vous en avez une, ou sur votre femme, votre mari ou qui que ce soit, nous voulons le pouvoir. N'est-ce pas ? Soyons trés honnêtes à ce propos. Nous admirons le pouvoir, nous exaltons le pouvoir, nous idolâtrons le pouvoir. Qu'il s'agisse du pouvoir spirituel de la hiérarchie religieuse, ou du pouvoir d'un politicien, du pouvoir de l'argent. Pour l'orateur, le pouvoir est maléfique, c'est pourquoi ceux qui veulent du pouvoir par le savoir, l'illumination, et toute cette boue dont ils parlent – nous ne réfutons pas l'illumination, mais la boue, la stupidité l'ineptie dont ils parlent, cela leur donne du pouvoir.
40:39 C'est-à-dire que, pour poursuivre là-dessus, notre éducation, la télévision, notre environnement, notre ambiance, tout cela nous rend médiocres. Nous avons trop lu de ce que les autres disent. Le mot 'médiocre' signifie gravir la colline à mi-chemin sans jamais parvenir au sommet. Pas la réussite, la réussite est le comble de la médiocrité. Excusez-moi d'être si emphatique sur tous ces sujets. Si vous ne voulez pas écouter, très bien. Vous ne divertissez pas l'orateur, pas plus qu'il ne vous divertit. Ce sont là des sujets terriblement sérieux. Et nous donnons du pouvoir à d'autres parce que nous-mêmes manquons de pouvoir – situation, statut – nous le passons donc à quelqu'un d'autre. Et alors, nous vénérons, adorons, idolâtrons cela. Et cela fait des millénaires que nous vivons ainsi.
42:23 Ainsi, le pouvoir, l'identification, la sécurité, l'argent et sentir que l'argent vous donnera une liberté qui n'est en fait pas la liberté. Une liberté qui vous permet de choisir ce que vous voulez, est-ce cela la liberté ? On ignore si vous avez abordé cette question de la liberté; que signifie la liberté ? Pas au paradis. Vous souvenez-vous de cette plaisanterie ? je la répète ? Deux hommes sont au paradis, avec des ailes et auréoles, etc. L'un dit à l'autre : 'si je suis mort, pourquoi est-ce que je me sens si mal ?' Vous avez saisi ? Donc toutes les formes de plaisir font partie de notre vie. C'est devenu de plus en plus sensationnel, toujours plus, cela devient bruyant, vulgaire, médiocre. Et ainsi, nous continuons avec nos plaisirs, dans le sillage desquels vient la peur. Ainsi, à moins de comprendre cette activité sensorielle, la peur et le plaisir continueront.
44:40 Qu'est-ce que la sensation ? S'il nous est permis de l'aborder maintenant. Le sens réel de ce mot est 'l'activité des sens'. N'est-ce pas ? Cette activité des sens est soit partielle, ce qu'elle est toujours, soit tous les sens sont pleinement éveillés. Vous comprenez ? Quand elle est partielle, elle est limitée. N'est-ce pas ? Vous en voulez toujours plus. Et le 'plus' signifie que la sensation passée a été insuffisante. Vous en voulez davantage, allez dans différentes écoles de pensée, allez d'une secte à l'autre. Vous avez vu tout cela dans ce pays, et ailleurs. Alors y a-t-il une activité holistique de tous les sens ? Vous comprenez ma question ? Je vous pose une question. Nos sensations sont limitées. Et vous prenez des drogues, etc., pour renforcer les sensations. C'est toujours limité parce que vous en demandez plus. Quand vous voulez 'le plus' il y a toujours 'le peu', par conséquent c'est partiel. Bien ? C'est simple. Nous demandons donc s'il y a une présence holistique de tous les sens, d'où jamais de demande de 'plus' ?
47:04 Vous suivez tout ceci ? Sommes-nous ensemble là-dessus, même partiellement ? Et quand il y a cette présence totale, pleinement lucide de tous les sens – pas que vous en soyez conscients, mais la lucidité des sens eux-mêmes – il n'y a alors aucun centre dans lequel se situerait une conscience du tout. Vous comprenez ? Quand vous regardez ces collines, pouvez-vous le faire, pas seulement au moyen des yeux, de l'usage des nerfs optiques, mais avec tous vos sens, toute votre énergie, toute votre attention ? Il n'y a alors pas le moindre 'moi'. Alors, sans 'moi', il n'y a pas de demande de 'plus', ou d'essayer de devenir meilleur.
48:20 Nous devrions ensuite discuter aussi ensemble de ce qu'est la souffrance. Vous comprenez ? Tous ces éléments sont liés entre eux. La culpabilité, les blessures psychologiques qu'a la plupart des gens, et les conséquences de ces blessures psychologiques, la vanité de sa propre intelligence qu'on a cultivée, qui est blessée, et les images que l'on s'est faites de soi : c'est cela qui est blessé, rien d'autre. Nous avons vu tout cela. Et nous avons parlé de la relation. Nous avons parlé de la peur, du plaisir. Ils sont tous liés entre eux, ils ne sont pas à prendre un à un, ni à séparer pour dire 'c'est mon problème', et s'en tenir à cela. On aurait beau dire 'je peux le résoudre, le reste m'indiffère', mais le reste subsiste. Alors peut-on voir ce mouvement en totalité et non comme un mouvement partiel ?
50:04 Nous voulons donc parler de la souffrance. C'est un sujet immense. Il nous arrache des larmes. Pas les mots. Le mot 'souffrance' a occupé l'esprit de l'homme et de la femme depuis la nuit des temps – ce sentiment de souffrance. Et la souffrance n'a jamais cessé. Si l'on voyage, spécialement dans le monde asiatique ou africain, on y constate une immense pauvreté, immense. Et vous pleurez ou participez à une œuvre sociale, ou distribuez de la nourriture ou des vêtements, etc. Mais la souffrance est toujours là. Et il y a la souffrance due à la perte de quelqu'un. Vous avez son portrait sur la cheminée ou le piano, ou accroché au mur, cela ravive les souvenirs, et à sa vue vous versez des larmes, en évoquant les souvenirs liés à ce portrait. On les entretient, les nourrit par loyauté envers ce portrait. Ce portrait n'est pas la personne. Ce portrait n'est pas les souvenirs. Mais nous nous agrippons à ces souvenirs, et cela nous apporte de plus en plus de souffrance. Et la souffrance de ces gens qui ont très peu dans la vie, non seulement peu d'argent, de mobilier, mais aussi par cause d'ignorance. Pas l'ignorance de quelque chose de grand, mais l'ignorance de leur vie quotidienne, due à leur vide intérieur – non que les riches en aient, ils en ont à la banque, mais intérieurement, rien. Voyez tout ceci.
53:30 Et il y a l'immense souffrance de l'humanité, c'est-à-dire la guerre. Des milliers, des millions ont été tués, et peut-être avez-vous vu en Europe ces alignements de milliers de croix. Combien de femmes, d'hommes, de parents ont pleuré, non seulement dans ce pays-ci, mais dans chaque communauté, chaque pays, chaque Etat. Avons-nous réalisé que, historiquement, il y a eu chaque année des guerres ? Guerres tribales, nationales, idéologiques, religieuses. Au Moyen Age ils torturaient les gens, les brûlaient. C'était des hérétiques. Vous savez tout cela pour peu que vous ayez écouté, observé. Et depuis l'aube de l'humanité la souffrance a continué sous diverses formes, pauvreté de la souffrance, pauvreté de l'ignorance, de l'incapacité de satisfaire vos désirs, pauvreté d'accomplissement – il y a davantage à accomplir.
55:40 Et tout ceci a amené une immense souffrance, non seulement la souffrance personnelle, mais aussi la souffrance de l'humanité. Voyez ce qui a lieu au Cambodge, en Russie, dans les Etats totalitaires. Nous lisons à ce propos et ne versons jamais une larme ! Nous y sommes indifférents, étant anéantis par notre propre souffrance, notre propre solitude, notre propre inaptitude. Nous allons donc nous demander : y a-t-il une fin à la souffrance ? Une fin, pas ce qui a lieu après la souffrance, après sa fin. Y a-t-il une fin à notre souffrance personnelle, avec toutes ses implications ? Un visage laid – je ne dirai pas laid : un visage que vous n'aimez pas. Vous savez tout cela. Et l'on demande, si l'on est tant soit peu sérieux, impliqué, engagé dans cette recherche : y a-t-il une fin à la souffrance ? Et s'il y en a une, qu'y a-t-il ? Car nous voulons toujours une récompense : si je mets fin à ceci, il me faut cela. On ne met jamais fin à une chose pour elle-même – per se. Alors cette souffrance peut-elle finir ? Ce qui signifie : la souffrance peut-elle cohabiter avec l'amour ?
58:34 Voyons cela. J'aime mon fils – si j'ai un fils et une fille, je les aime. Et ils deviennent comme chaque type d'être humain : drogues, vous connaissez tout le processus. Et je pleure. Et j'appelle cela la souffrance. Quel est le lien entre la souffrance et l'amour ? Vous comprenez ma question ? Je vous la pose, découvrez-le, je vous prie. Nous savons ce qu'est la souffrance : grande douleur, chagrin, solitude, sensation d'isolement. Ma souffrance est toute différente de la vôtre. Le fait même de la ressentir m'a isolé. Nous savons, pas seulement verbalement, mais en profondeur, par notre ressenti intérieur, nous savons ce que ce mot veut dire. Et quel est le lien entre la souffrance et l'amour ? Il nous faut alors demander qu'est-ce que l'amour. Vous posez cette question, pas l'orateur. Qu'est-ce que l'amour ? Quand on pose cette question, y vient-on positivement, au sens de 'l'amour est ceci', lui donnant une certaine définition, une définition verbale ou intérieure et s'y tenant ? Amour de Dieu, amour des livres, amour des arbres, amour d'une dizaine de choses. Alors qu'est-ce que l'amour ? Avez-vous jamais posé cette question ? Si vous l'avez posée, est-ce une sensation ? Sexuelle, lire un ravissant poème, regarder ces merveilleux vieux arbres. L'amour est-il plaisir ?
1:01:52 Soyons terriblement honnêtes avec nous-mêmes, autrement ce n'est pas amusant. L'humour est nécessaire, pouvoir rire, trouver une bonne plaisanterie, pouvoir rire ensemble, pas quand vous êtes seul, mais ensemble. Et nous nous demandons ce qu'est l'amour. L'amour est-il désir ? L'amour est-il pensée ? L'amour est-il une chose que vous détenez, possédez ? L'amour est-il ce que vous vénérez ? Vous comprenez ? Vénérer la statue, l'image, le symbole. Est-ce cela l'amour ? Le symbole, la statue, le tableau sont produits par la pensée. Vos prières, vous les produisez par la pensée. Est-ce cela l'amour ? Approfondissez cela vous-même. Il s'agit donc de réaliser que tout cela n'est pas l'amour, vos plaisirs, sensations, avoir un bon cigare, un bon repas, être bien vêtu, avec bon goût. Donc le plaisir, le désir et bien sûr la peur ne sont évidemment pas l'amour. Avez-vous jamais examiné la haine ? Si vous haïssez, vous chassez la peur. Oui. Si vous haïssez vraiment quelqu'un, il n'y a pas de peur. N'est-ce pas ? J'espère que ce n'est pas le cas...
1:04:44 Alors, par la négation de ce que l'amour n'est pas, en le niant complètement en soi, pouvons-nous écarter totalement tout ce qui n'est pas l'amour ? Alors, ce parfum est là. Et ce parfum ne peut jamais s'en aller une fois qu'on a totalement écarté ce que l'amour n'est pas. Alors l'amour, qui va de pair avec la compassion, a sa propre intelligence. Ce n'est pas l'intelligence de la pensée, ni l'intelligence d'un esprit scientifique. Quand on a cet amour, cette compassion, il n'y a pas de chagrin, de douleur, de souffrance. Mais pour y parvenir – on ne peut y parvenir, pardon – c'est là quand vous niez tout ce qu'il n'est pas. Pas la beauté d'un assemblage de pierres réalisé par un architecte. Si vous avez vu ces cathédrales, temples et mosquées, tout cela a été réalisé par la pensée et le plaisir, ou la dévotion, la vénération. Tout cela est-il l'amour ? S'il y a l'amour, alors vous ne tuerez jamais autrui. Jamais ! Vous ne tuerez jamais un animal pour vous nourrir. Mais je vous en prie, continuez à manger de la viande si vous le voulez, je ne vous en empêche pas.
1:07:23 Venir à la rencontre de cela est donc incommensurable. Personne ne peut le donner à un autre. Rien ne peut vous le procurer. Mais si vous écartez de votre être tout 'ce qui n'est pas', tout ce que la pensée a élaboré, les rituels, tout ce qui a lieu, les vêtements spéciaux, quand vous êtes complètement vidé de tous vos problèmes, alors il y a l'autre, qui est la chose la plus positive, la plus pratique qui soit. La chose la moins pratique dans la vie est de produire des armes pour tuer des gens. N'est-ce pas ? C'est à cela que servent vos impôts. Je ne suis pas politicien, donc n'écoutez pas tout ceci. Mais voyez ce que nous faisons tous. Et ce que nous faisons est la société que nous avons créée. Cette société n'est pas différente de nous. Nous pouvons réformer la société, beaucoup d'entre nous le font; les socialistes, les capitalistes, et surtout les communistes essaient d'organiser l'extérieur.
1:09:22 L'amour n'a donc rien à voir avec quelque organisation que ce soit ou avec qui que ce soit. Comme la brise fraîche de l'Océan, cette brise, vous pouvez soit la neutraliser, soit vivre avec. Quand vous vivez avec, il y a une toute autre dimension. Aucun chemin n'y mène, aucun chemin ne mène à la vérité, ni la vôtre, ni la mienne, aucun chemin quel qu'il soit – chrétien, hindou, sectaire, sapristi ! Il faut donc le vivre. Vous ne pouvez y venir que quand vous avez compris toute votre nature psychologique et la structure de votre être.
1:10:35 Nous devrions parler, peut-être demain – il est une heure moins vingt. Oui, une heure moins vingt – voulez-vous que nous parlions de la mort ou attendrons-nous demain ? Ceci n'est pas une invitation à venir demain. Que vous veniez ou pas est totalement indifférent à l'orateur. C'est là un problème très, très complexe. La mort n'est pas une sensation. Voulez-vous que nous abordions ensemble tout ceci maintenant ?
1:11:27 Auditoire: oui.
1:11:30 K: En êtes-vous sûrs ?

R: Oui.
1:11:33 K: Non, je vous en prie, vous le demandez parce que c'est un sujet très, très sérieux. Tout ce dont nous avons parlé est très sérieux. Nous en avons le temps. Vous comprenez ? Nous avons vu tout cela en détails, nous pouvons aborder ces sujets pendant les six causeries, etc., quel que soit le nombre des conversations. Mais parler de la mort n'est pas un sujet morbide. Ce n'est pas une chose à éviter, une chose située à la fin de sa vie. Je pense que nous ferions mieux d'attendre demain – un instant M., écoutez ce que dit l'orateur.
1:12:42 Si vous avez vécu ce dont nous avons parlé, vous devez aborder tout ceci délicatement, doucement, et non par curiosité. Venez-y avec hésitation, délicatement, avec grande dignité, avec un intime respect. Et comme la naissance, c'est une chose prodigieuse. Et parler de la mort implique aussi la création, pas l'invention. Les scientifiques inventent, car l'invention est née du savoir. La création est continue. Elle n'a ni commencement, ni fin, elle n'est pas née du savoir. Et la mort pourrait signifier la création. Pas avoir lors de la prochaine vie de meilleurs occasion, maison, réfrigérateur. Ce pourrait être un sentiment de prodigieuse création, éternellement, sans commencement ni fin. Et en parler après une heure vingt ou une heure dix ou cinq, peu importe, requiert votre attention, vos soins, un sentiment d'approche délicate.
1:14:49 Donc pouvons-nous – je vous le demande avec humilité et respect – pouvons-nous en parler demain matin, quand nous aurons probablement plus d'énergie ?
1:15:23 Pouvons-nous nous lever ?