Krishnamurti Subtitles home


OJBR80CB12 - L'intelligence de l'amour
12e entretien avec David Bohm
Brockwood Park, Angleterre
16 septembre 1980



0:29 K: Nous avons commencé ce dialogue à Ojai, en Californie, le Docteur Bohm et moi-même – huit dialogues là-bas – et maintenant trois ici, dont le dernier avant-hier. Nous poursuivons donc ce dialogue. Quelqu'un va-t-il se joindre à nous, ou pas? Si quelqu'un a envie de se joindre à nous, il faut qu'il soit très, très sérieux s'il veut participer. Personne ne veut, très bien. C'est une conversation entre le Dr Bohm et moi. Commençons.
1:49 L'autre jour, nous disions que l'être humain qui s'est frayé un chemin dans tous les problèmes de la vie physiques et psychologiques, et qui a saisi pleinement tout le sens d'être libre des souvenirs, des conflits et des épreuves du mental, arrive à un état où l'esprit se retrouve libre mais n'a pas rassemblé l'énergie suprême de sortir de lui-même. Voilà ce dont nous discutions l'autre jour. Pouvons-nous partir de là? D'accord?

B: Oui.
3:05 K: L'esprit – l'esprit, le cerveau, toute la structure psychologique – peut-il vraiment être libre de tout conflit, de toute trace de dérèglement?
3:27 B: De ses propres dérèglements.
3:30 K : De ses propres dérèglements. Peut-il jamais en être libre? Ou l'idée de liberté complète est une illusion.
3:41 B: Oui, c'est une possibilité.
3:44 K: C'est une possibilité.
3:48 B: Certains disent qu'on peut avoir une liberté partielle.
3:51 K: Oui, une liberté partielle. Ou bien que la condition humaine est si déterminée par le passé, par son propre conditionnement, qu'il ne pourra jamais s'en libérer – c'est ce que disent certains philosophes.
4:12 B: Certains pensent que c'est le cas.
4:16 K: Il est vrai que des gens profondément religieux, non sectaires – ça doit bien exister, des gens totalement affranchis de toute religion organisée, des croyances, rituels et dogmes – ces gens ont dit que c'est possible. Ils sont très peu à l'avoir dit.
4:39 B: Ceux qui disent que c'est possible par la réincarnation. et, en plus, ce groupe ajoute que cela va prendre très longtemps !
4:47 K: Oui, ils disent que cela va prendre très longtemps. Vous devez vivre de nombreuses vies, et souffrir, traverser toutes sortes d'épreuves pour en arriver finalement là. Mais nous ne raisonnons pas en termes de temps. Nous demandons si un être humain qui reconnaît, qui sait, ou qui réalise, qu'il est conditionné en profondeur, foncièrement, qu'il est cela dans tout son être, peut se libérer tout seul? Et, s'il le fait, qu'y a-t-il au delà? Nous en étions là.
5:40 Est-ce que cette question est valide, raisonnable, tant que l'esprit n'en a pas vraiment fini avec tout ça, fini avec toute cette... corvée de l'existence? Nous l'avons dit, nos esprits sont de confection humaine. Existe-t-il un esprit qui ne soit pas de confection? D'accord, Monsieur? C'est là que nous en étions. Comment allons-nous le découvrir? Nous connaissons tous cet esprit artificiel avec sa conscience, tous ses contenus, etc. Faut-il y revenir? Non.
6:33 B: Nous l'avons vu.
6:35 K: C'est un esprit artificiel. Et il lui est possible de se libérer lui-même de son propre esprit mécanique et fabriqué.
6:51 B: On a ici un difficile problème d'expression : si cet esprit est totalement artificiel, totalement conditionné, dans quel sens peut-il s'en sortir? C'est une chose à éclaircir si on laisse entrevoir la possibilité d'une chose au-delà...
7:14 K: Alors ça devient une récompense, une tentation, une chose à...
7:21 B: je pense qu'il faut pouvoir l'exprimer de façon cohérente, avec logique : il semble qu'il y ait une incohérence à dire qu'un esprit tout à fait conditionné va pouvoir se sortir de là. Je ne dis pas que c'est incohérent, mais ça peut paraître incohérent.
7:44 K: Je comprends la question, mais si l'on admet l'existence d'une partie non conditionnée on entre dans...
7:56 B: Oui, dans une autre incohérence.
8:01 K: Oui, dans une autre incohérence. Nous avons dit, lors de nos discussions, que l'esprit profondément conditionné peut s'en libérer par l'insight – c'est la bonne piste, vous êtes d'accord?

B: Oui.
8:22 K: Cet insight – on a vu ce qu'il est, sa nature – cet insight peut-il déconditionner l'esprit complètement, balayer toutes les illusions, tous les désirs, etc., cet insight peut-il tout effacer? Ou est-ce partiel?
8:58 B: Si l'on disait d'abord que l'esprit n'est pas statique – dire qu'il est totalement conditionné suggère un objet statique, qui ne peut jamais changer. Maintenant, si nous disons que l'esprit est toujours en mouvement cela peut d'une certaine façon rendre impossible de savoir ce qu'il est en ce moment et de dire qu'il a été totalement conditionné.
9:24 K: Non. Supposons que je sois totalement conditionné. Il y a un mouvement, mais un mouvement dans une limite.
9:33 B: Dans une limite, oui.
9:35 K: Dans un certain champ.

B: Oui.
9:37 K: Le champ est parfaitement délimité, il peut s'étendre ou se contracter mais sa frontière est d'une grande précision.
9:51 B: Oui. Et aussi toute cette structure peut s'évanouir. Tant qu'on bouge dans cette structure on reste dans l'enclos.
10:03 K: Pour l'instant, il bouge à l'intérieur de cette limite. Est-ce qu'il peut mourir à cela?
10:12 B: C'est un autre type de mouvement dans une autre dimension, vous l'avez dit.

K: Oui. Et nous disons que c'est possible par l'insight – qui est aussi un mouvement, un mouvement d'un genre tout à fait différent.
10:38 B: Oui, mais nous disons que ce mouvement ne naît pas dans l'individu, nous l'avons bien dit?

K: Oui.
10:46 B: Pas non plus dans l'esprit général.
10:48 K: Tout à fait, oui, c'est ce que nous disions l'autre jour. Ce n'est ni l'insight du particulier ou du général. Nous déclarons là une chose tout à fait scandaleuse !
11:06 B: Si l'on regarde bien, cela viole assez le genre de logique dont on s'est servi, qui est que le particulier et le général recouvrent absolument tout – dans la logique ordinaire. À présent, si vous dites qu'il y a quelque chose au-delà des deux voilà une question qui n'a pas encore été énoncée, pour le moins. Et je crois qu'elle est très importante.
11:33 K : Comment l'énoncer, ou plutôt comment l'approcher?
11:41 B: J'ai remarqué que les gens se divisent globalement en deux groupes : pour l'un la chose la plus importante, la plus fondamentale, c'est le particulier, l'activité concrète et quotidienne du particulier. L'autre groupe ressent que c'est le général, l'universel, qui est fondamental.

K: Tout à fait.
12:00 B: L'un est de type pratique, l'autre de type plus philosophique. Cette division générale est visible dans l'Histoire – aussi dans la vie quotidienne, où que vous regardiez.
12:15 K: Discutons-en un peu. Le général est-il séparé du particulier?
12:22 B: Non, d'accord, mais la question est : à quoi faut-il accorder plus de valeur? Les gens tendent à mettre l'accent sur l'un ou sur l'autre. Certains donnent toute la place au particulier, ils reconnaissent l'aspect général mais disent qu'en prenant soin du particulier l'aspect général ira très bien.

K: Oui
12:41 B: D'autres disent que tout ce qui compte, c'est le général, l'universel, et que si cela va bien le particulier va aller bien.

K: Oui, tout à fait.
12:50 B: Donc il y a toujours eu une sorte de déséquilibre entre les deux côtés, un parti pris de l'esprit humain. À présent, ce dont nous parlons ici n'est ni le général ni le particulier.
13:09 K: C'est juste. C'est tout à fait ça ! Peut-on en discuter, converser là-dessus – en toute logique? Usant de votre expertise, de votre cerveau scientifique, face à un homme qui n'est rien de tout cela, pouvons-nous, en en parlant découvrir si le général et le particulier ne sont qu'un, pas divisés du tout.
13:54 B: Et sans aucun parti pris pour l'un ou pour l'autre.
13:57 K: L'un ou l'autre, tout à fait, aucune insistance sur l'un ou sur l'autre. Et, si on ne le fait pas, qu'y a-t-il? Je ne sais si...
14:16 B: On n'a plus aucun moyen facile d'en discuter.
14:20 K: Oui, oui.
14:24 B: En Californie, nous avons discuté du fondement. La question était : l'esprit particulier meurt dans l'esprit général, dans l'universel, ou dans le vide, et que à la fin, même le vide et l'universel meurent dans le fondement.
14:40 K: C'est vrai, nous avons discuté de cela.
14:42 B: Je crois que cela nous mène à...
14:45 K: Un être ordinaire, assez intelligent, serait d'accord, verrait tout ça?

B: Je n'en suis pas certain.
14:53 K: Il dirait plutôt, 'Quelles âneries !'.
14:55 B: Dit de cette façon, il va dire que c'est absurde. En le présentant mieux certains pourraient le voir. Bien sûr, si vous le dites devant n'importe qui...
15:05 K:Bien sûr.
15:07 B: ... il dira, 'On n'a jamais entendu ça !'
15:10 K: Alors, où en sommes-nous maintenant? Un instant. Nous ne sommes ni le particulier ni le général. Voilà une déclaration qu'on peut difficilement trouver raisonnable.
15:28 B: Ma foi, c'est raisonnable... si l'on voit la pensée comme un mouvement plutôt qu'un contenu...
15:41 K: La pensée est un mouvement – oui, on était d'accord là-dessus.
15:44 B: ... alors la pensée est le mouvement qui va du particulier au général.
15:48 K: Mais la pensée est le général, la pensée est le particulier.
15:51 B: La pensée est aussi le mouvement.

K: Oui.
15:54 B: Dans le mouvement, elle cesse d'être une chose ou une autre – je dis bien, dans le mouvement.
16:01 K: Vraiment?
16:03 B: Ma foi, elle peut, mais d'ordinaire non, elle reste prise dans une option ou dans l'autre.
16:08 K: C'est tout le problème, n'est-ce pas? Le général et le particulier, normalement, se trouvent dans le même périmètre.
16:16 B: Oui, on prend l'un ou l'autre.
16:18 K: Mais toujours dans le même champ, dans le même périmètre. Et la pensée est le mouvement entre les deux – ou la pensée a créé les deux.
16:32 B: Oui, elle a créé les deux et se déplace entre eux.
16:34 K: Entre et tout autour.

B: Autour, dans ce périmètre.
16:38 K: Oui, dans ce périmètre.
16:45 Elle fait ça depuis des millénaires.
16:48 B: On pense généralement que c'est tout ce qu'elle peut faire.
16:52 K: À présent, nous disons que, quand la pensée prend fin, le mouvement que la pensée a créé arrive aussi à sa fin, et donc le temps arrive à sa fin.
17:09 B: Si nous allions plus lentement...

K: Pardon.
17:11 B: ... vous sautez de la pensée au temps, on l'a déjà examiné, mais ça reste un grand pas.
17:19 K: D'accord. Voyons cela. La pensée a créé le général et le particulier et la pensée est un mouvement qui connecte les deux ou qui tourne autour, toujours dans le même périmètre.
17:38 B: Oui, et ce faisant il a créé le temps, qui fait partie du général et du particulier, le temps est un temps particulier mais aussi un temps général – de tous temps et à jamais. On voit ce temps particulier dans le temps tout entier.
17:54 K: Oui, mais, voyez-vous, la pensée est le temps !
17:57 B: C'est une autre question que nous avons discutée : la pensée a un contenu 'à propos' du temps, et en outre, nous disons que la pensée est un mouvement qui 'est' le temps – qu'on pourrait décrire comme se déplaçant du passé vers le futur, n'est-ce pas?
18:15 K: Mais, Monsieur, la pensée est fondée sur le temps, la pensée est le produit du temps.
18:23 B: Bien, alors ça veut dire que le temps existe en dehors de la pensée? Si la pensée est fondée sur le temps, le temps est plus fondamental que la pensée, c'est ça?

K: Oui, oui.

B: On devrait regarder ça.
18:36 Peut-on dire que le temps était là avant la pensée ou au moins qu'il est à l'origine de la pensée?
18:45 K: Le temps a été là dès l'accumulation du savoir.
18:53 B: C'est venu de la pensée, dans une certaine mesure.
18:58 K: Non. J'agis et j'apprends.

B: Oui.
19:04 K: Cette action n'est pas fondée sur un savoir préalable, je fais quelque chose et en le faisant j'apprends.
19:16 B: Ce que j'ai appris est enregistré dans la mémoire.
19:19 K: Dans la mémoire, etc. Alors, la pensée n'est-elle pas, en essence, le mouvement du temps?
19:30 B: Comment apprendre peut-il être le mouvement du temps? Disons que, quand on apprend c'est enregistré, d'accord? Et ce que l'on a appris opère dans l'expérience suivante, ce que vous avez appris.
19:50 K: Oui. Le passé s'introduit dans le présent, tout le temps.
19:55 B: Oui, il se mélange, il fusionne avec le présent.
19:57 Et ce mélange est enregistré à son tour comme une autre expérience.
20:03 K: Disons-nous que le temps est distinct de la pensée – ou le temps est la pensée?
20:12 B: Le mouvement d'apprendre, la mémoire qui en fait une expérience et le réenregistrement qui suit, nous disons que c'est le temps. C'est aussi la pensée, n'est-ce pas?
20:25 K: Oui, c'est la pensée.
20:30 Y a-t-il un temps à part de la pensée?
20:34 B: Dirions-nous que, en physique, ou dans le cosmos, le temps a une signification indépendamment de la pensée?
20:42 K: Dans le domaine physique, oui, je le comprends.
20:45 B: D'accord. Nous parlons donc de l'esprit, de la psyché.
20:49 K: Psychologiquement, tant qu'il y a accumulation psychologique – le savoir, le 'moi' – il y a le temps, c'est fondé sur le temps !
21:03 B: Dès qu'il y a accumulation, il y a le temps.
21:06 K: Voilà, Le fait c'est ça. Où il y a accumulation il y a le temps.
21:10 B: D'ordinaire le temps existe d'abord et on accumule au fil du temps.
21:15 K: Non, personnellement je l'inverserais.
21:18 B: C'est très intéressant de l'inverser : supposons qu'il n'y ait pas d'accumulation, alors?
21:25 K: C'est toute la question : il n'y a pas de temps ! Et tant que j'accumule, que je gagne, que je deviens, le temps est en marche. Si on ne gagne rien, ne devient rien, n'accumule rien, où est le temps psychologique?
21:53 B: Il est probable que le temps physique doit dépendre d'une certaine sorte d'accumulation physique. Ce n'est pas cela que nous remettons en question, nous nions toute validité à l'accumulation psychologique.
22:06 K: C'est cela. Donc la pensée est le résultat de l'accumulation psychologique, et cette accumulation, ce capital lui donne un sentiment de continuité – qui est le temps.
22:25 B: Il semble que tout ça soit en mouvement : tout ce qui a été accumulé réagit au présent et se projette dans le futur, et tout cela est ensuite réenregistré. Et l'accumulation de tout l'enregistré est de l'ordre du temps : une fois, la prochaine fois...
22:43 K: Donc, nous disons : la pensée est le temps !
22:47 B: Ou le temps est la pensée.

K: Oui, dans les deux sens.
22:51 B: Mais le mouvement du temps est la pensée.
22:54 K: Le mouvement du temps...

B: ... du temps psychologique.
22:59 K: Mouvement... Que voulez-vous dire?
23:02 B: Le mouvement du temps psychologique, cette accumulation.
23:06 K: C'est le temps.

B: Mais c'est aussi la pensée, les deux veulent dire la même chose.
23:14 K: Donc, l'accumulation psychologique c'est la pensée et le temps.
23:20 B: Oui, nous avons deux mots là où en fait il suffit d'un. Et, comme nous avons deux mots, nous cherchons deux choses.
23:29 K: Oui. Il n'y a qu'un seul mouvement, le temps et la pensée, temps plus pensée, le temps-pensée. À présent, l'esprit qui a arpenté ce terrain pendant des millénaires, sans jamais cesser, peut-il s'en libérer tout seul?
23:50 B: Pourquoi est-il bloqué? Voyons de près ce qui le retient.
23:54 K: L'accumulation.
23:56 B: Mais pourquoi l'esprit continue-t-il à accumuler?
24:02 K: Je pense que la raison est assez claire, l'accumulation est une sauvegarde, une sécurité – une apparence de sécurité.
24:11 B: Cela demande à être un peu discuté. C'est vrai dans certains domaines, accumuler de la nourriture peut assurer une certaine sécurité.
24:21 K: Bien sûr.
24:22 B: Et, ne faisant pas la distinction entre l'extérieur et l'intérieur, le besoin est né d'accumuler en soi des expériences où du savoir-faire...
24:35 K: Disons qu'il est nécessaire, à l'extérieur, d'accumuler physiquement pour être en sécurité, et que ce même mouvement, cette même idée, ce même besoin déborde sur le terrain de la pensée psychologique – accumuler là aussi pour être en sécurité.
24:54 B: Oui, l'espoir d'accumuler en soi les souvenirs, ou les relations, des choses sur lesquelles compter, des principes sur lesquels compter.
25:07 K: Donc, l'accumulation, dans le domaine psychologique c'est une sauvegarde, une protection, la sécurité.
25:17 B: L'illusion, en tout cas.
25:19 K: Très bien, l'illusion de sécurité. Et il a vécu dans cette illusion.
25:28 B: Visiblement, la première erreur de l'homme a été de ne jamais comprendre la distinction entre ce qu'il faut faire dehors et ce qu'il faut faire dedans, non?
25:37 K: Oui, on l'a dit. C'est le même mouvement, dehors et dedans.
25:42 B: Oui, mais l'homme transpose le mouvement. Cette démarche bonne pour l'extérieur il l'a introduite à l'interne sans savoir, sans réaliser totalement que cela allait créer un problème.
25:53 K: Bien. Où en sommes-nous? Un être humain réalise tout ceci, au point qu'il en vient à dire : puis-je réellement me libérer de ce capital de sécurité, et de la pensée et du temps? Le temps psychologique, d'accord? Est-ce possible?
26:21 B: Si l'on dit que l'origine c'est cela, il devrait être possible de tout démanteler. Si c'était dans notre nature on ne pourrait rien faire.
26:29 K: Ce n'est sûrement pas dans notre nature !
26:32 B: Les gens se comportent comme s'ils le croyaient.

K: C'est absurde !
26:35 B: Si ce n'est pas notre état naturel, alors nous avons la possiblité de changer. Mais nous avons dit que cela avait été construit par le temps depuis le début.
26:50 K: Si nous disons que c'est notre état naturel notre situation est désespérée.
26:58 B: C'est le problème des gens qui croient en l'évolution. Au moyen de l'évolution ils espèrent se sortir de ce cadre rigide, mais ils ne réalisent pas que l'évolution c'est pareil, ou même pire, elle est l'instrument qui a fabriqué le piège.
27:21 K: Donc, j'en suis arrivé, en tant qu'être humain, à réaliser tout ceci, je suis pleinement conscient de la nature de tout ceci. Je me demande alors : cet esprit peut-il sortir de ce champ, complètement, pour entrer, peut-être, dans une dimension toute différente? Et nous disions... cela ne peut se produire que par l'insight – on a bien examiné tout cela.
28:08 B: Oui, il semble que cet insight jaillit quand on remet profondément en cause toute cette affaire. Quand on voit que cela n'a pas de sens.
28:20 K: À présent, on a eu un insight de tout ceci, on en voit la limite et on passe au-delà – au-delà, qu'y a-t-il? Nous en avons parlé déjà, un petit peu, à Ojai, et également ici.
28:59 B: Nous avions trouvé très difficile de mettre tout ceci en mots, tout en trouvant qu'il fallait quand même le faire, n'est-ce pas?
29:09 K: Je pense qu'il faut le mettre en mots.
29:12 B: Pouvez-vous dire pourquoi? Beaucoup ont le sentiment qu'on devrait le garder entièrement non-verbal.
29:26 K: Disons que le mot n'est pas la chose, toute description n'est pas le réel, n'est pas le vrai, qu'on embellisse ou qu'on diminue – simplement, le mot, ce n'est pas ça. Ceci posé, qu'y a-t-il au-delà de tout ça? Mon esprit peut-il être si dénué de désir qu'il ne crée pas l'illusion qu'il y a quelque chose au-delà?
30:03 B: Si l'on parle du désir, le désir fait forcément partie du processus du temps.
30:08 K: Bien sûr, le désir c'est le temps.
30:11 B: Le désir prend des formes très subtiles tout comme des formes évidentes...
30:19 K: Après tout, être et devenir sont à base de désir.
30:26 B: C'est une seule et même chose, en fait.
30:28 K: Oui, c'est une seule et même chose. Donc, quand on a un insight – je déteste employer ce mot sans arrêt – de tout ce mouvement du désir et de sa capacité de créer l'illusion, c'est terminé !
30:51 B: Oui. Peut-être pourrions-nous, comme c'est un point crucial, essayer d'en dire un peu plus sur le désir, qu'il est intrinsèque à ce processus d'accumulation, et qu'il se manifeste de bien des façons. On peut déjà dire que, dès que l'on accumule, naît un sentiment de manque. On ressent qu'on devrait avoir plus, il faut le finir il faut le complèter. Rien de ce qu'on accumule n'est complet.
31:28 K: Pourrions-nous commencer par la question du devenir, le désir y est inclus.
31:34 Pourquoi les hommes, dans le monde entier, ont-ils cette soif de devenir? Au plan extérieur, je comprends, c'est tout simple.
31:46 B: Nous devons devenir de plus en plus forts.
31:48 K: Développer vos muscles...
31:51 B: Votre langage, votre logique.
31:54 K: Aussi un meilleur job, plus de confort et tout ça. Mais qu'est-ce qui a semé dans l'esprit de l'homme ce besoin de devenir... illuminé – employons-le provisoirement – de devenir meilleur?
32:22 B: Un sentiment d'insatisfaction, peut-être, de ce que l'on est – c'est une chose.
32:27 K: Est-ce de l'insatisfaction?
32:29 B: L'être semble rechercher la complétude. Mettons qu'il ait accumulé des souvenirs de plaisir mais ces souvenirs désormais ne satisfont plus et il ressent le besoin de quelque chose de plus.
32:44 K: Est-ce ainsi?
32:46 B: Oui, en avoir plus, voilà la question, et finalement il a le sentiment qu'il lui faut le tout, le suprême.
32:59 K: Je me demande si le mot 'plus' n'est pas le véritable aiguillon.
33:06 B: Le mot 'plus'?

K: Oui, plus. Plus, je vais être plus, je vais avoir plus, je vais devenir – tout ce mouvement qui pousse à aller de l'avant, à gagner, à comparer, à avancer, à réussir – psychologiquement.
33:27 B: Le mot 'plus' est déjà implicite dans le sens général du mot 'accumuler'. Si vous accumulez, vous devez accumulez plus, il n'y a pas d'autre moyen.
33:38 K: Alors, pourquoi ce germe dans l'esprit humain?
33:42 B: L'humain ne voit aucun mal à ce 'plus' intérieur. Il a commencé à l'utiliser au-dehors il le transpose dans son monde intérieur sans voir à quel point c'est destructeur.
33:58 K: Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi les philosophes, plutôt intelligents, les gens religieux qui ont passé une grande part de leur glorieuse existence à arriver, pourquoi n'ont-ils pas vu une chose aussi simple? Les grands intellectuels, ceux qui s'intéressent au concept d'évolution, etc., pourquoi n'ont-ils pas vu ce simple fait que, quand on accumule, il faut toujours plus !
34:33 B: Ils l'ont vu, mais ils n'y voient aucun mal.
34:35 K: Non, je ne suis pas certain qu'ils l'aient vu.
34:37 B: Ils l'ont vu et ils en veulent encore plus, ils veulent une meilleure vie. Le dix-neuvième siècle fut le siècle du progrès, du progrès continuel.
34:48 K: Très bien, mais de progrès matériel.
34:50 B: Ils croyaient que l'homme aussi allait s'améliorer.
34:56 K: Et pourquoi n'ont-ils jamais remis ça en question?
34:59 B: Et qu'est-ce qui les aurait fait remettre en question?
35:05 K: Cette lutte perpétuelle, bien sûr. Pour le 'plus'.
35:11 B: lls le jugeaient nécessaire au progrès.
35:15 K: S'agit-il bien d'un progrès?
35:17 B: Précisons un peu. Supposons que vous ayez à répondre à l'un de ces optimistes du dix-neuvième siècle, qui dit que l'homme est en progrès constant, qu'il s'améliore intérieurement comme à l'extérieur.
35:28 K: Admettons l'extérieur.

B: Admettons.
35:34 K: Ce même besoin d'être meilleur à l'extérieur, il l'applique au domaine psychologique?
35:44 B: Pouvons-nous préciser en quoi c'est néfaste sur le plan psychologique?
35:50 K: Néfaste. Un instant, réfléchissons un peu. En quoi est-ce néfaste d'accumuler, psychologiquement? Oh, oui. Cela divise.
36:09 B: Et qu'est-ce que cela divise?
36:11 K: Il est dans la nature même de l'accumulation de créer une division entre vous, moi, et eux.
36:21 B: Pouvons-nous expliciter cela, c'est un point crucial. Je peux déjà voir une chose : si vous accumulez à votre façon et que j'accumule à ma façon...
36:29 K: ... et qu'il ou elle accumule d'une autre façon...
36:33 B: Alors on tente d'imposer une façon commune d'accumuler et là c'est le conflit.
36:37 K: Et c'est impossible ! Ça n'arrive jamais.
36:40 B: On dit que chacun devrait se montrer plus...

K: Oui, oui, oui. Mettons que j'aie un capital psychologique, en tant qu'hindou, et un autre a accumulé son capital de musulman.
36:58 B: Des divisions par milliers.

K: Des divisions par milliers.
37:00 B: Ou entre une profession et une autre...
37:02 K: Des divisions par milliers.
37:05 Donc l'accumulation, de par nature, divise les gens. Et provoque le conflit.
37:15 B: Chacun accumule à sa manière, qui diffère de celle de quelqu'un d'autre. On ne peut pas élaborer une façon commune d'accumuler.
37:23 K : Ah bon? Allez, accumulons tous ensemble !
37:25 B: Ça ne marchera pas, chacun ayant déjà une...
37:29 K: C'est évident !
37:31 B: ... relation différente à la chose, quoi que vous fassiez.
37:34 K: Pouvons-nous résumer : l'homme a accumulé en cherchant sa sécurité psychologique, et cette sécurité par accumulation est ce qui divise l'humanité, psychologiquement.
37:52 B: Oui, dès qu'on tente d'accumuler, on divise. Maintenant, certains sociologues comme Karl Marx ont déclaré que l'accumulation de capital par quelques personnes les séparait du peuple – cela a déclenché un effroyable conflit.
38:13 K: Donc, voilà la raison pour laquelle les humains ont accumulé, sans en réaliser les conséquences. Si on les réalise, peut-on ne pas accumuler? Écoutez, c'est énorme !
38:38 B: Oui, l'esprit humain accumule par automatisme.

K: Je sais.
38:43 Pourquoi? Pour la bonne et simple raison qu'en accumulant comme au-dehors, il se sent à l'abri, en sécurité.
38:57 B: Il faut dire aussi que l'esprit déjà pris dans ce piège trouve très dur de s'en tirer, il est déjà trop occupé, bien trop saturé déjà par ce processus d'accumulation, il lui devient très difficile de voir quoi que ce soit.
39:11 K: Mettons que mon esprit soit saturé par cette'occupation qu'est le savoir psychologique, etc. – est-ce que ça peut finir? Mais bien sûr qu'il peut !
39:24 B: Si l'esprit va jusqu'à la racine.
39:27 K: Évidemment qu'il peut ! C'est une illusion de trouver la sécurité dans l'accumulation. C'est une illusion de trouver la sécurité dans l'accumulation.
39:37 B: On peut le voir à un certain niveau, on peut en discuter – pas intellectuellement, je préfère dire comme on lit une carte. On a dressé une carte de tout ce processus. Maintenant le problème est : si vous avez la carte vous devez être capable de reconnaître le pays. De voir ce qui se trouve sur la carte.
39:58 K: Oui. Quand vous regardez la carte vous ne voyez pas le pays.
40:02 B: Non. La carte peut servir mais elle ne suffit pas. Mais maintenant, nous disons que c'est le désir qui empêche les gens d'aller voir.
40:16 K: Non seulement le désir, mais cet instinct bien ancré d'accumulation.
40:23 B: Comme l'écureuil.

K: L'écureuil, pour demain, par sécurité. Cela et le désir vont ensemble.
40:38 B: Cela grossit jusqu'à devenir un désir intense.
40:42 K: Donc, désir plus accumulation voilà le facteur de la division, du conflit, etc.
40:53 B: Disons qu'en fait désir équivaut à besoin, la personne sent qu'elle doit accumuler parce qu'elle en a besoin.
41:01 K: Un besoin, oui. Je demande : est-ce que ça peut finir? Si c'est en usant de volonté, c'est encore la même chose.
41:14 B: Cela fait partie du désir.
41:17 K: Où à base de récompense ou de punition, même chose. Donc l'esprit voit ça et s'en débarrasse, d'accord? Mais, l'esprit... est-il libre de l'accumulation? Oui, Monsieur, je pense qu'il le peut – il le fait. Autrement dit, strictement aucun savoir psychologique. Le savoir c'est l'accumulation.
42:10 B: Il faut prendre en compte que le savoir va infiniment plus loin que son sens habituel, pas que...

K: Le savoir livresque, l'expérience – évidemment !
42:23 B: Mais, l'accumulation... Par exemple, le savoir à propos de ce micro devient une image, tout cadre avec cette image et l'on s'attend à ce qu'elle dure. Le savoir sur vous construit une image de vous.
42:46 K: Ah ! Peut-on détenir un savoir sur soi-même?
42:48 B: Non. On pense que l'on sait. Si l'on pense savoir le genre de personne que l'on est, cela devient une image, avec toutes les attentes...
42:59 K: Mais enfin, si vous pensez savoir qui vous êtes vous êtes déjà dans une image !
43:05 B: C'est pareil. La tendance est de transposer ce que l'on fait dans le monde extérieur. J'observe ce micro et je forme un savoir qui cadre avec mon image, ma perception du micro, puis je me dis, je vais en faire autant avec moi-même. Je sais le genre de personne que je suis ou que je devrais être et ça prend corps, toute cette accumulation prend des formes que l'on n'appelle pas savoir, habituellement – des préférences, des envies et des répulsions, par exemple.
43:38 K: Mais dès que vous réalisez que l'accumulation psychologique qu'est le savoir est une illusion, que c'est destructeur, que cela cause infiniment de douleur et de détresse, dès que vous le voyez, c'est terminé !
43:58 B: J'essaie de dire que très souvent, le mot 'savoir' n'évoque pas tout ce qu'il inclut. Je pourrais dire, OK, je connais certaines choses du savoir et c'est absurde d'entasser tout ce savoir sur moi-même. Mais il y a peut-être d'autres formes de savoir que je ne reconnais pas comme savoir...
44:23 K: Quelles autres formes de savoir? Les préférences, les envies et les répulsions, les préjugés.

B: Les habitudes.
44:33 K: Les habitudes. Tout ça est dans l'image que l'on s'est faite.
44:46 B: Oui. L'homme a évolué de telle façon que cette image semble extraordinairement réelle. Et donc ses caractéristiques n'ont pas l'air d'être du savoir.
45:00 K: Très bien , Monsieur. Nous disions donc que l'accumulation est le temps, l'accumulation est la sécurité, et l'accumulation psychologique va créer la division, que la pensée est le mouvement entre le particulier et le général, et que la pensée est aussi née de l'image de tout ce qui a été accumulé. Tout cela, c'est l'état des lieux intérieur. Tout cela est profondément incorporé en moi.
45:43 B: Oui, physiquement et mentalement.
45:45 K: Partout. C'est plus ou moins nécessaire, au plan physique.
45:50 B: C'est déjà exagéré, au plan physique.
45:53 K: On peut exagérer n'importe quoi. Mais pour le réaliser psychologiquement... comment vais-je m'y prendre? Comment, moi qui ait accumulé et accumulé durant des millénaires – en général et en particulier, c'est l'habitude de toujours – comment fais-je, d'abord pour reconnaître l'habitude, et, si je reconnais l'habitude, comment tout ce mouvement va-t-il parvenir à sa fin? Voilà la vraie question.

B: Oui.
46:43 K: Où l'intelligence intervient-elle en tout ceci? Vous me suivez?
46:51 B: Il faut de l'intelligence pour voir tout ceci.
46:55 K: Est-ce l'intelligence? Ce que l'on appelle couramment l'intelligence, ou l'intelligence est-elle une chose totalement différente?
47:05 B: Je ne sais ce que veut dire l'intelligence pour les gens mais si c'est seulement la capacité de...
47:12 K: De discerner, de faire la distinction, de résoudre...

B: D'user de logique.
47:18 K: ... les problèmes techniques, économiques – j'appellerais ça intelligence partielle, elle n'est pas vraiment...
47:26 B: On pourrait l'appeler le savoir-faire de la pensée.
47:27 K: Savoir-faire de la pensée, bien. Le savoir-faire de la pensée. Mais l'intelligence – un instant, je suis en train de découvrir. Je réalise tout ceci : l'accumulation, la division, la sécurité, le général et le particulier, la pensée. Je vois bien les raisons de tout ça, la logique de tout ça. Mais la logique et les explications ne vont pas mettre fin à la chose. Il faut une autre qualité. Cette qualité, est-ce l'intelligence? J'aimerais me passer de l'insight, pour un moment.
48:19 B: Ne pas répéter ce mot trop souvent.

K: Trop souvent. L'intelligence est-elle associée à la pensée?
48:39 B: Je ne vois pas ce que vous voulez dire par 'associée'.
48:42 K: Est-ce qu'elle a un rapport, fait-elle partie de la pensée, est-elle le résultat de conclusions très claires, précises, exactes et logiques de la pensée?
48:56 B: Non, ce serait toujours plus de savoir-faire.
48:59 K: De savoir-faire, oui, je suis d'accord.
49:02 B: Nous suggérons plutôt que l'intelligence est une autre qualité.
49:11 K: Cette intelligence est-elle en lien avec l'amour?
49:18 B: Je dirais qu'ils vont ensemble.
49:21 K: Oui, mais j'y viens tout doucement. J'en suis à... Je réalise tout ce qui a été dit ce matin, je me trouve devant un mur, un mur solide, je ne peux pas aller plus loin. Et à force d'observer, de regarder, de fouiller partout, je tombe sur ce mot, l'intelligence. Je vois bien que ce que l'on appelle l'intelligence de la pensée, le savoir-faire et tout ça, ce n'est pas l'intelligence. Donc je pousse l'enquête plus loin : cette intelligence est-elle associée, reliée, ou fait-elle partie de l'amour? On ne peut accumuler l'amour, n'est-ce pas?
50:28 B: On pourrait le tenter.
50:30 K: Ça paraît idiot !
50:32 B: Les gens cherchent vraiment à garantir l'amour.
50:35 K: Tout ça, c'est du bazar romantique, du cinéma. Vous ne pouvez pas accumuler l'amour, vous ne pouvez pas l'associer à la haine et tout ça. C'est quelque chose de tout à fait différent, cet amour. Cet amour a-t-il l'intelligence? Qui opérerait – vous me suivez? – qui démolirait le mur. Je me demande si...

B: Oui.
51:36 K: Très bien,alors reprenons. Je ne sais pas ce qu'est cet amour, je n'en connais que le côté physique. Et je réalise que plaisir, désir, accumulation, souvenirs, images, ce n'est pas l'amour. Tout ça, je l'ai réalisé depuis longtemps. Mais je suis au pied du mur, le mur est si énorme que je ne peux même pas sauter par-dessus. Alors, je fouille partout, pour voir s'il existe un mouvement autre, un mouvement qui ne soit pas produit par l'homme. Ce mouvement pourrait être l'amour – je regrette d'employer ce mot, mais gardons-le provisoirement – ce mot a été tellement usé et abusé.
52:39 B: L'amour est un mouvement, pas juste un sentiment?

K: Oh, non !
52:45 B: Il peut comporter un sentiment, mais ce n'est pas un sentiment.
52:51 K: Cet amour, avec son intelligence, est-ce là le facteur qui va démolir, ou dissoudre, ou démanteler ce mur? Pas 'je vous aime' ou 'vous m'aimez', n'est-ce pas? Ni général ni particulier, cela dépasse tout ça. D'accord?
53:25 B: Oui, c'est un point... Cela fait partie aussi du bagage de l'homme de particulariser l'amour pour les choses ou les individus...
53:40 K: Je pense que quand on aime avec cette intelligence cela recouvre tout, ce n'est ni particulier ni général – c'est cela ! C'est la lumière, pas une lumière en particulier Très bien. Alors, si c'est là le facteur qui va démolir le mur qui est en face de moi, alors... Je ne connais pas cet amour. Je suis un être humain, arrivé à un certain point, je ne peux plus avancer pour trouver cet amour. Que dois-je faire? Qu'est-ce que... – pas faire ou ne pas faire – quel est l'état de mon esprit quand je réalise que tout mouvement de ce côté-ci du mur ne fait que renforcer le mur, n'est-ce pas? Je le réalise et, par la méditation, le mouvement s'arrête, mais l'esprit ne peut pas aller plus loin.
55:09 Vous venez me dire : 'Regardez, ce mur peut se dissoudre, peut tomber, si vous avez cette qualité d'amour et d'intelligence.' Et je dis : 'Magnifique, mais je ne sais pas ce que c'est.' Que puis-je faire? Je réalise que je ne peux rien faire. Tout ce que je ferai restera de ce côté-ci du mur, n'est-ce pas?
55:45 Alors, suis-je au désespoir? Évidemment pas, car être désespéré ou déprimé c'est encore m'agiter sur le même terrain. Donc, tout cela s'est arrêté. Quand je réalise que je ne peux strictement rien faire, plus un geste, que se passe-t-il dans mon esprit? Vous comprenez, Monsieur, ce que je demande? Est-ce juste? Je crois que c'est assez logique. Je réalise que je ne peux strictement rien faire. Donc, que s'est-il passé dans la nature de mon esprit qui a toujours été poussé à accumuler, à devenir... et tout cela a stoppé. Dès que je réalise, je ne peux plus... Plus un mouvement, d'accord? Est-ce que c'est possible? Ou est-ce que je vis dans l'illusion? Ai-je réellement fait tout ce chemin pour en arriver là? Ou me suis-je dit soudain : 'Je dois me taire'? Je ne suis pas sûr de me faire comprendre.
57:19 B: Oui, ça revient au même processus.
57:21 K: Au même processus.

B: Une projection du passé.
57:27 K: Alors, est-ce que mon esprit... S'est-il produit une révolution dans mon esprit? Révolution dans ce sens que ce mouvement a complètement cessé. Et, s'il a cessé, l'amour est-il une chose derrière le mur?
58:09 B: Cela ne voudrait rien dire.
58:11 K: Bien sûr, cela ne peut pas être.
58:13 B: Le mur lui-même est le produit du processus, c'est une illusion.
58:18 K: Exactement. Donc je réalise que ce mur est ce mouvement. Et quand ce mouvement cesse, cette qualité d'intelligence, d'amour, est là ! Voilà, c'est ça.
58:45 B: Oui, on peut dire, le mouvement finit, le mouvement voit qu'il n'a pas de raison d'être.
58:56 K : Il existe une certaine capacité à repérer un danger.
59:05 B: Oui, probablement.
59:07 K: Oui. Tout danger requiert une certaine dose de vigilance. Mais je n'ai jamais réalisé, moi, l'être humain, que le processus d'accumulation est un danger formidable.
59:23 B: Cela apparaît comme l'essence de la sécurité.
59:28 K: Vous venez me l'expliquer et je vous écoute avec toute mon attention et j'en perçois effectivement le danger. La perception fait partie de l'amour, n'est-ce pas? Ah, j'y suis !
59:59 B: Vous suggérez que l'amour est une sorte d'énergie ni spécifique ni générale qui peut momentanément envelopper certaines choses.
1:00:13 K: Donc la perception – sans motif et sans direction – la perception du mur qui a été élevé par ce mouvement d'accumulation, cette perception est en soi l'intelligence et l'amour, d'accord? Nous devrions arrêter, il est midi et demi.

B: Très bien.
1:00:55 K: Devrions-nous continuer?
1:00:57 B: Comment vous sentez-vous? C'est mieux d'arrêter.
1:00:59 K: Mieux d'arrêter. Nous sommes arrivés quelque part. Quand nous revoyons–nous?

B: Jeudi, dans deux jours.
1:01:10 K: Très bien, Monsieur.