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OJBR80CB13 - La fin du savoir psychologique
13e entretien avec David Bohm
Brockwood Park, Angleterre
18 septembre 1980



0:32 K: May we continue with where we left off yesterday? K: Reprenons-nous où nous en étions hier?
0:47 What plagues the mind? It is always following a certain pattern, always seeking. If it lets go of one pattern it picks up another pattern, keeps on functioning all the time within that. Why? One can give explanations, one sees why it does: for protection, for safety, for slackness, indifference, a certain amount of callousness, total disregard to one's own flowering, etc. Qu'est-ce qui empoisonne l'esprit? Il suit toujours un même sillon, il est toujours en recherche. S'il sort d'un sillon, c'est pour en adopter un autre c'est ainsi qu'il fonctionne, tout le temps. Pourquoi? On peut l'expliquer, on en voit bien les raisons : pour se protéger, se mettre à l'abri, par négligence, par indifférence, une bonne dose d'insensibilité, un mépris total pour son propre épanouissement, etc.
1:42 But I think it is very important to find out why our minds are always operating in a certain direction. Mais je pense qu'il est capital de découvrir pourquoi nos esprits fonctionnent toujours dans une direction donnée.
1:56 We came to the point when we said that – after one has been through all kinds of travail, investigation, and insight – one comes to a blank wall, and that blank wall can only wither away or be broken down when there is love and intelligence. That is where we came to the other day. But before we go into that I would like to ask: why do human beings, however intelligent, however learned, however philosophical and religious, they always fall into this groove? Nous en étions à dire, qu'après être passés par tout un travail d'investigation – et aussi par l'insight – on se trouve face à un mur. Et ce mur ne peut disparaître ou être détruit que s'il y a l'amour et l'intelligence. Voilà où nous en étions l'autre jour. Mais, avant de continuer, je voudrais demander : pourquoi les humains, même pourvus d'intelligence, de culture, de réflexion philosophique et religieuse, retombent toujours dans cette ornière?
2:59 B: I think the groove is inherent in the nature of the accumulated knowledge. B: Pour moi, l'ornière est inscrite dans la nature même du savoir cumulatif.
3:06 K: Are you saying then that knowledge invariably must create a groove? K: Donc vous dites que le savoir doit invariablement produire une ornière?
3:15 B: Perhaps not ‘must’, but it has, in the way it has developed in mankind. Psychological knowledge, that is to say. B: Peut-être pas 'doit', mais c'est ce qu'il a fait dans la place qu'il a prise au sein de l'humanité – je parle du savoir psychologique, évidemment.
3:25 K: We are talking of that, obviously. K: Cest bien de cela que nous parlons.
3:28 B: Psychological knowledge, I would agree, must create a groove. B: Le savoir psychologique doit créer une ornière, je suis d'accord.
3:33 K: But why isn't the mind aware of it, it sees the danger of it, see its mechanical repetition and that therefore there is nothing new in that, and yet keeps on doing it. K: Mais pourquoi l'esprit n'en est-il pas conscient? Il voit le danger, il voit cette répétition machinale, que par conséquent il n'y a rien de neuf là-dedans – et pourtant il continue !
3:48 B: When we were discussing this accumulation of knowledge which really constitutes the groove... B: Dans notre discussion sur l'accumulation du savoir – qui, en fait, constitue l'ornière...
3:55 K: Yes, constitutes the groove, but why? K: Oui, elle constitue l'ornière. Mais pourquoi?
3:58 B: It is the same question. If you merely think of the accumulation of knowledge making a groove, then you don’t see why a person should stay in it. B: C'est la même question. Si l'on voit que l'accumulation de savoir doit creuser une ornière, on ne voit pas pourquoi quelqu'un devrait rester dedans.
4:10 K: Yes, that's what I am asking. K: Oui, c'est ma question.
4:12 B: Now, it seems to me that the groove or the knowledge accumulated, seems to have a significance far beyond what its real significance is. That it carries a necessity. If we have knowledge of some object, like the microphone, it has some limited significance. Now, knowledge about your nation, the nation to which you belong seems to have immense significance. B: Mon impression est que le savoir accumulé semble avoir une valeur qui dépasse de loin sa valeur réelle. Il porte en lui une nécessité. Le savoir sur un objet quelconque, comme ce micro, n'a qu'une signification limitée. Par contre, le savoir sur votre nation, la nation à laquelle vous appartenez, semble puissamment chargé de sens.
4:47 K: Yes. So is this significance the cause of this narrowing down of the mind? K: Oui. Donc cette charge de sens serait la cause de ce rétrécissement de l'esprit?
4:56 B: It holds the mind, this knowledge has a tremendous value beyond all other values. It makes the mind stick to that because it seems the most important thing in the world. B: Il tient l'esprit, ce savoir a une valeur fabuleuse surpassant toute autre valeur. Il pousse l'esprit à s'y accrocher comme à la chose la plus précieuse au monde.
5:09 K: You know, in certain philosophies, certain concepts in India, there is this philosophy that knowledge must end – you know it, of course, the Vedanta. But apparently very few people do end knowledge and talk from freedom. K: Vous le savez, dans certaines philosophies, certains concepts de l'Inde, on trouve cette philosophie que le savoir doit prendre fin – vous la connaissez, bien sûr, c'est le Vedanta. Mais visiblement très peu de personnes mettent vraiment fin au savoir et parlent depuis l'état de liberté.
5:36 B: I would come back to that point: knowledge generally seems extremely important, worth holding on to, though a person may verbally say it should end. That is, knowledge about the self. B: J'aimerais insister sur ce point qu'en général le savoir apparaît comme extrêmement important, et qu'il vaut la peine qu'on y reste attaché – même en déclarant verbalement qu'il doit prendre fin. Le savoir sur soi-même.
5:54 K: You mean I am so stupid that I don’t see that this knowledge has very little significance essentially – psychological knowledge – and yet my mind clings to it? K: Vous voulez dire que je suis si stupide que je ne vois pas que ce savoir n'a en fait qu'une signification minime – le savoir psychologique – et pourtant mon esprit persiste à s'y accrocher.
6:08 B: I wouldn’t quite put it that a person is that stupid but rather to say that this knowledge stupefies the brain. I mean that the brain being caught in this knowledge becomes stupefied. B: Je ne dirais pas que la personne est stupide, je dirais que ce savoir stupéfie le cerveau. Le cerveau est pris dans ce savoir comme dans un stupéfiant.
6:21 K: All right, but it doesn’t seem to extricate itself. K: Très bien, mais il n'a pas l'air de vouloir s'en extirper.
6:25 B: Because it is already so stupefied that it can’t see what it is doing. B: Il est déjà tellement drogué qu'il ne voit plus ce qu'il fait.
6:30 K: So what shall it do? I have been watching this, many years, why human beings attempt to become free from certain things, and yet this is the root of it, you understand, this psychological accumulation which becomes psychological knowledge and so it divides and all kinds of things happen around it and within it. And yet the mind refuses to let go. Is it that it doesn’t see? Or it has given to knowledge such immense importance? K: Alors, que doit-il faire? Tout cela, je l'observe, depuis des années, ces tentatives des humains pour se libérer de certaines choses. Pourtant, c'est cela, la racine, vous comprenez, cette accumulation psychologique qui devient savoir psychologique et par conséquent divise – avec tout ce qui vient s'en mêler ou s'y agglutiner. Et pourtant, l'esprit refuse de lâcher prise. Parce qu'il ne voit pas? Ou parce qu'il a donné au savoir une importance aussi gigantesque?
7:18 B: That is what I mean, yes. B: Oui, c'est ce que je veux dire.
7:21 K: Why? Is that because there is safety in it, security in it? K: Pourquoi? Est-ce qu'il y trouve un abri, une sécurité?
7:30 B: Part of it seems to be a source of security but I think in some way knowledge has taken on the significance of the absolute. Knowledge should be properly relative. But this knowledge of the mind, the psychological knowledge of the self, or the associated knowledge of religion... B: Cela semble en partie une source de sécurité, mais pour moi, d'une certaine façon, le savoir a pris le sens de l'absolu. Et la place du savoir devrait être relative. Mais ce savoir de l'esprit, ce savoir psychologique sur soi-même ou le savoir connexe de la religion...
7:57 K: But you are not answering my question. I am an ordinary man, I realise all this and I realise the significance and the value of knowledge in different levels. But deeper down, inside one, this accumulated knowledge is very destructive. K: Mais vous ne répondez pas à ma question. Je suis un homme ordinaire, je me rends compte de tout ça, et je réalise le sens et la valeur du savoir à divers niveaux. Mais en profondeur, à l'intérieur de soi, cette accumulation de savoir est extrêmement destructrice.
8:18 B: True, but there is self-deception, knowledge deceives the mind so a person is not usually aware that it is destructive. B: C'est vrai, mais l'aveuglement vient du savoir, il trompe l'esprit. – on n'a généralement pas conscience que c'est destructeur.
8:31 K: Is that why human beings cling to it? K: Et c'est pour cela que les humains s'y accrochent?
8:35 B: Well, they can’t really... We don’t know exactly how they got started on it, but once it gets started the mind is generally in a state in which it is not able to look at this, because it is avoiding the question, there is a tremendous defensive mechanism to escape looking at the whole question.

K: Why?
B: En fait, il ne peuvent pas... On ne sait pas quand cela a commencé, mais une fois que le processus est en route l'esprit se trouve généralement incapable de regarder tout ça, parce qu'en fait il évite cette question – un formidable mécanisme de défense lui fait éluder toute cette question.

K: Pourquoi?
8:59 B: It seems something supremely precious might be at stake. B: On dirait qu'une chose infiniment précieuse se trouve menacée.
9:05 K: One is strangely intelligent in other directions, capable and efficient, skilled, but here, where the root of all this trouble is, why don’t we comprehend it fully? What prevents the mind? You say it has given importance to knowledge. I acknowledge that, it is so, but, and yet it holds on. You must know. K: C'est étrange, on est intelligent dans d'autres domaines, capable, compétent, même talentueux, mais ici, à la source de tout ce problème, pourquoi ne comprend-on pas? Qu'est-ce qui bloque l'esprit? Vous me dites qu'il a donné de l'importance au savoir, je le reconnais, c'est ainsi. Et pourtant il reste accroché. Vous le savez bien...
9:38 B: But I think that once this has happened there is a mechanical process that resists intelligence. B: Mais une fois enclenché, ce processus mécanique résiste à l'intelligence.
9:48 K: So what shall I do? What shall I do as an ordinary man, I realise technological knowledge, etc., but the knowledge which I have accumulated, which is divisive, which is destructive, which is rather petty – and yet I hold on to that. I realise I must let it go but I can’t! What shall I do? I think this is the average person’s problem – a problem which arises when we are a little bit serious about all this. Is it the lack of energy?

B: Not primarily. The energy is being dissipated by the process.
K: Alors, que vais-je faire? Que vais-je faire, moi, un homme ordinaire? J'admets le savoir technique, etc., mais je vois que le savoir que j'ai accumulé est séparateur, qu'il est destructeur, qu'il est plutôt minable – pourtant je ne veux pas le lâcher. Je vois bien que je dois le lâcher, mais je ne peux pas! Qu'est-ce que je vais faire? Je crois que c'est le problème de tout un chacun, le problème qui surgit dès que l'on devient un peu sérieux sur ces sujets. Est-ce le manque d'énergie?

B: Pas essentiellement. Mais il y a un constant gaspillage d'énergie dans ce processus.
10:55 K: Having dissipated a great deal of energy I haven’t got the energy to grapple with this? K: Ayant gaspillé beaucoup d'énergie, je n'ai plus assez d'énergie pour m'y attaquer?
11:03 B: That could come back quickly if we could get out of this. The energy is constantly being dissipated and a person may be a little worn down but he could recover if this would stop. I don’t think it is the main point. B: Elle reviendrait très vite si l'on pouvait se sortir de là. Cette fuite permanente d'énergie pourrait épuiser un peu la personne mais elle récupérerait dès l'arrêt du processus. Ce n'est pas le problème central.
11:17 K: No, that is not the main point. So what shall I do, as a human being, realising that this knowledge is naturally, inevitably forming a groove in which I live? My next question is: how am I to break it down? K: Non, ce n'est pas le problème central. Alors, que vais-je faire, moi, un être humain, réalisant que ce savoir va naturellement, fatalement creuser l'ornière dans laquelle je vis? Ma question alors, c'est, comment casser ça?
11:40 B: I am not sure that it is clear in general for people that this knowledge is doing all this, and also that the knowledge is knowledge, you see. It may seem to be some being, the self, the me, this knowledge is experienced as some entity: this knowledge creates the ‘me’ and the ‘me’ is now experienced as an entity which is not knowledge, but some real being. B: Je doute que ce soit aussi clair pour la plupart des gens que le savoir est responsable de tout ceci, et même, voyez-vous, que le savoir est le savoir. Il apparaît comme une entité, l'ego, le 'moi'. On fait l'espérience du savoir comme d'une sorte d'entité – le savoir crée le 'moi' puis on fait l'expérience du 'moi' comme d'une entité, qui n'est plus du savoir, c'est un être réel.
12:10 K: Are you saying this being is different from knowledge? K: Dites-vous que cet être est distinct du savoir?
12:15 B: It appears to be, it feigns difference. B: Il en donne l'impression, il fait semblant d'être différent.
12:18 K: But is it? K: Mais l'est-il?
12:20 B: It isn’t, but it has a very powerful ability... B: Il ne l'est pas, mais il possède une telle puissance...
12:23 K: But that has been my conditioning! K: Mais c'est mon conditionnement de toujours.
12:26 B: That is true. Now the question is, how do we get through that to break down the conditioning? B: C'est vrai. Alors, la question c'est, comment passer à travers tout ça pour casser le conditionnement?
12:29 K: That is the real point, you see. K: C'est tout le problème, voyez-vous.
12:31 B: Because it creates an imitation or a pretension of a state of being. B: Parce qu'il crée le simulacre, la contrefaçon d'un état d'être.
12:39 K: Look, there are seven hundred million Catholics, millions and millions of Chinese. All... you follow? This is their central movement. And it seems so utterly hopeless! And realising the hopelessness of it I sit back and say, I can’t do anything. But if I apply my mind to it then the question arises: is it possible to function without psychological knowledge, in this world? I am rather concerned about it because I think wherever one goes, whether it is California, India, here or anywhere else, it is this central issue that must be resolved. K: Regardez, sept cent millions de catholiques, des millions et millions de chinois, et tous... vous voyez? C'est ça le pivot de toute leur action. Tout cela semble tellement désespérant ! Face à l'impasse de cette situation je baisse les bras et je dis que je ne peux rien faire. Mais si je me mets à y réfléchir, une question s'impose : peut-on fonctionner sans savoir psychologique – dans ce monde? Ce sujet me tient particulièrement à cœur parce que, où que j'aille, en Californie, en Inde, ici ou n'importe où, c'est le problème central – et il faut le résoudre.
14:07 B: That's right. But you see you may discuss this, or tell this to somebody, and he may say it looks reasonable, perhaps, but when his... let’s say that his status is threatened... that is psychological knowledge but it doesn’t seem to him that it is knowledge but something more. He does not see that his knowledge of his status is behind the trouble. Knowledge seems at first sight something passive, something which you know, which you could use if you wanted to or you could fail to use if you don’t want to, just put it aside, which is the way it should be. B: C'est exact. Mais, voyez-vous, si dans une discussion vous dites ça à quelqu'un, il va trouver ça raisonnable, peut-être. Mais quand son statut est menacé... Ce qui est du savoir psychologique mais il ne réalise pas que c'est du savoir, pour lui c'est bien plus. Il ne réalise pas que ce savoir sur son statut est le fauteur de trouble. À première vue, le savoir semble passif, quelque chose que vous connaissez, dont vous pouvez faire usage si vous voulez ou ne pas en faire usage si vous ne voulez pas et simplement le laisser de côté – ce qui devrait être la règle.
14:50 B: But when the moment comes...

K: Back again.
Mais, à un moment donné...

K: On y retombe.
14:53 B: Knowledge no longer appears to be knowledge. How would you, if you were to talk to some politician... B: Le savoir n'apparaît plus comme étant du savoir. Comment feriez-vous, si vous deviez parler à un politicien...
15:12 K: Oh!

B: For example, I think somebody once wanted you to talk to Mao Tze Tung. you would probably get nowhere.
K: Oh!

B: Par exemple, quelqu'un vous demandait un jour de parler à Mao Zedong. Vous n'auriez abouti à rien.
15:22 K: Nowhere! The politicians and the people in power wouldn’t even listen to you, as the religious people won’t listen to you – so-called religious people. It is only the people who are discontented, who are frustrated, who feel they have lost everything, perhaps those will listen. But they won’t listen so that it is a real burning thing. K: À rien! Les politiciens et les hommes au pouvoir ne vous écouteraient même pas. Les religieux non plus ne vous écouteraient pas – les gens qu'on dit religieux. Seuls ceux qui sont mécontents, qui sont frustrés, qui sentent qu'ils ont tout perdu, ceux-là peut-être vont écouter. Mais ils ne vont pas écouter au point que la chose devienne réelle et brûlante.
16:00 How does one go about it? Say I have left Catholicism, Protestantism and all that nonsense, and also, I have a career, I know it is necessary to have knowledge there, but I have come to a point, as a human being, living in this world, I see how important it is not to be caught in the process of psychological knowledge, and yet I can’t let it go! It is always dodging me, I am playing tricks with it. It is like hide and seek. All right. From there we said, that is the wall I have to break down – we are approaching it differently. That's the wall I have to break down – not ‘I’ – that's the wall that has to be broken down. And we said that wall can be broken down through love and intelligence. Aren’t we asking something enormously difficult? Alors, comment s'y prendre? Disons que j'ai lâché le catholicisme, le protestantisme, toutes ces bêtises – j'ai aussi ma carrière et là je sais que le savoir est nécessaire. Mais j'en suis arrivé, moi, un être humain qui vis dans ce monde, à voir l'importance de ne pas être pris dans ce système de savoir psychologique – et pourtant je ne peux pas le lâcher! Ça m'échappe tout le temps, j'essaie de tricher, on joue à cache-cache. Très bien. Partant de là, voilà le mur que je dois démolir – on l'aborde sous un autre angle. Voilà le mur que je dois démolir – pas 'je' – voilà le mur qui doit tomber. Et nous avons dit que ce mur sera mis à terre par l'amour et l'intelligence. Est-ce que ce n'est pas demander une chose incroyablement difficile?
17:25 B: It is difficult. B: C'est difficile.
17:27 K: I am behind this side of the wall, and you are asking me to have that love and intelligence which will destroy the wall. But I don’t know what that love is, what that intelligence is, because I am caught in this, this side of the wall. And... I realise logically, sanely, as you pointed out, as an ordinary human being I realise what you are saying: it is accurate, true, logical, and I see the importance of it, but the wall is so strong and dominant and powerful that I can’t get beyond it. And we said the other day, that wall can be broken down through insight – we went into that. That insight becomes an idea. K: Je me trouve de ce côté du mur, et vous me demandez d'avoir cet amour et cette intelligence qui vont détruire le mur. Mais je ne sais rien de cet amour, de cette intelligence, puisque je suis coincé ici, de ce côté du mur. Je trouve logique et sain ce que vous me montrez, en tant qu'humain ordinaire je comprends ce que vous dites, c'est juste, vrai, logique, j'en vois l'importance mais le mur est si solide, si imposant, si souverain que je ne peux pas passer de l'autre côté. Nous avons dit que ce mur peut être détruit par l'insight – nous en avons parlé. Mais cet insight devient une idée.
18:37 B: Yes. B: Oui.
18:39 K: It is not an actuality, so you say, ‘Yes, I understand it, I see it’ but when you describe the insight, whether it is possible, how it is brought about, I immediately make an abstraction of it, which means I move away from the fact and the abstraction becomes all important. Which means knowledge. You follow what I mean? K: Ce n'est pas une réalité, comme quand on dit : 'Oui, oui, je comprends, je vois!' Quand vous décrivez l'insight, s'il est possible, comment il apparaît, j'en fais immédiatement une abstraction – autrement dit je m'écarte du fait et l'abstraction devient tout ce qui compte. C'est devenu du savoir, vous voyez ce que je veux dire?
19:06 B: The activity of knowledge. B: L'activité du savoir.
19:08 K: So I am back again! K: Nous y revoilà.
19:10 B: The general difficulty is this, that knowledge is not just sitting there as a form of information but it is extremely active, meeting every moment and shaping every moment according to the past knowledge, so even when we raise this issue knowledge is all the time acting.

K: All the time waiting,
B: Le problème dans tout cela est que le savoir n'est pas posé là à attendre, comme de l'information. Il est extrêmement actif, il réagit à chaque moment, il remodèle chaque moment selon le passé, le connu. En ce moment même où nous soulevons ce problème, le savoir est en activité, sans arrêt.

K: Toujours à l'affût.
19:30 B: Waiting and then acting. One point is to know that our whole tradition is that knowledge is not active but it is... B: À l'affût, et prêt à agir. Il faut se souvenir que toute notre tradition affirme que ce savoir n'est pas actif, qu'il est...
19:38 K: Very active! K: Très actif!
19:39 B: ...it is really active but people generally don’t think of it that way. They think it is just sitting there. B: ... il est vraiment très actif, mais en général les gens ne le voient pas comme ça, ils pensent qu'il est simplement en train d'attendre, là.
19:45 K: It is waiting.

B: It is waiting to act, you see. Anything you try to do about it, knowledge is already acting. By the time you realise that this is the problem it has already acted.
K: Et il attend.

B: Il attend d'agir, voyez-vous. Quoi que vous tentiez d'y faire le savoir est déjà en action. Le temps que vous réalisiez que c'est ça le problème, il est déjà passé à l'action.
20:02 K: Yes. Do I realise it as a problem, or an idea which I must carry out? You see the difference? K: Oui. Est-ce que je le réalise comme un problème, ou comme une idée à mettre en œuvre? Vous voyez la différence?
20:14 B: The first point is that knowledge automatically turns everything into an idea you must carry out. That is the whole way it is built. B: Le savoir transforme tout, automatiquement, en une idée qu'il faut ensuite mener à bien. Il est bâti comme ça.
20:22 K: That is the whole way I have lived! K: Et c'est comme ça que j'ai vécu!
20:24 B: Knowledge can’t do anything else. B: Le savoir ne peut pas faire autrement.
20:27 K: How am I to break that even for a... K: Comment faire pour casser ça, ne serait-ce que pour...
20:39 B: It seems to me that if you could see, observe, be aware... Knowledge could be aware of itself at work. The point is, knowledge seems to work unaware, it is just simply waiting there and then acts, and by that time it has disrupted the order of the brain. B: Il me semble que si l'on pouvait voir, observer, prendre conscience... le savoir pourrait se regarder faire, en pleine action. Car le savoir semble nous prendre au dépourvu, qu'il est juste là à attendre, mais dès qu'il entre en action il a déjà désorganisé le cerveau.
21:08 K: I am very concerned about this, because wherever I go this is what is happening. And it has become a problem, not for me, but it is something that has to be resolved. Would you say the capacity to listen is far more important than any of this, any explanations, any logic – to listen? K: Je suis très préoccupé par tout ça, je le vois se produire partout où je vais. C'est devenu un problème – pas pour moi – c'est quelque chose qu'il faut résoudre. Diriez-vous que la capacité d'écouter est bien plus importante que tout ceci, toutes les explications, la logique? – Écouter.
22:04 B: It comes to the same problem. B: Le problème est le même.
22:05 K: No, I am trying... It doesn’t. I want to see if there is a possibility that, when I listen... listen to what you are saying so completely the wall has broken down. You understand? I am trying to find out, sir. I am an ordinary man, and you are telling me all this, and I realise what you are saying is so. And I am concerned about it, I am really deeply involved in what you are saying. And, somehow, the flame isn’t lit, all the fuel is there but the fire isn’t there. So what, as an ordinary man, what shall I do! This is my everlasting cry. K: Non, non, pas du tout. J'essaie de voir... Je veux voir s'il est possible, quand j'écoute... qu'à écouter ce que vous dites aussi complètement, le mur soit tombé. Vous comprenez? J'essaie de découvrir, Monsieur. Je suis un homme ordinaire et vous m'expliquez tout ça : je réalise que ce que vous dites est vrai. Et ça m'interroge, je prends vraiment part, sérieusement, à tout ce que vous dites, Mais, on ne sait pourquoi, le feu ne prend pas – tout le combustible est là mais la flamme n'y est pas. Alors, moi, un homme ordinaire, que puis-je faire? C'est ce que je clame depuis toujours!
23:24 B: If it is the capacity to listen then we have the question of, say the ordinary man is full of opinions, so he can’t listen. B: S'il s'agit de la capacité à écouter, le problème est que l'homme ordinaire est tellement plein d'opinions qu'il ne peut pas écouter.
23:34 K: Ah! If you are listening with opinions, you might be just as well dead! That’s nonsense! K: Ah, écouter avec des opinions autant être mort ! C'est trop bête !
23:41 B: Knowledge has all sorts of defences. If you are thinking of trying to make it possible for the ordinary man, to have this perception – that's really what you are asking, isn’t it? At least those who are interested.

K: Yes.
B: Le savoir dispose de toutes sortes de défenses. Si vous envisagez de mettre à la portée de l'homme ordinaire d'avoir cette perception – c'est bien ce que vous demandez, n'est-ce pas? Au moins ceux qui sont intéressés...

K: Oui.
24:00 B: Knowledge has a tremendous number of defences, it is against perceiving this. It has evolved in such a way that it is built so as to resist seeing so it has opinions which also act immediately. B: ... le savoir dispose d'un nombre formidable de défenses contre le fait de percevoir ceci. Les voies de son évolution l'ont structuré de telle façon qu'il se refuse à voir, donc il est plein d'opinions – qui réagissent aussi instantanément.
24:21 K: I understand that, sir. But I want to find! Not a drug, not a medicine, not a way, but there must be a communication between you and me who is the ordinary man, a communication so that the communication is so strong that my act of listening to you and you communicating with me operates. You follow? K: Je comprends bien, Monsieur. Mais je veux trouver !... Pas une drogue, un médicament, pas une façon de faire. Il doit exister une communication entre vous et moi, un homme ordinaire, une communication d'une telle force que le seul fait que moi, je vous écoute et que vous, vous communiquez avec moi opère. Vous me suivez?
25:02 B: Yes, so you have to break into, through this opinion, through the whole structure. B: Oui, mais alors il faut passer à travers toute cette opinion, à travers toute cette structure.
25:06 K: Of course. That's why I have come here. An ordinary man, I have come for that. I have left all the churches and all that stuff, I have thrown them miles away, I have finished with all that. I have just come here and I realise all that has been said here is true and I am burning to find out. When you communicate with me, your communication is so strong, so real! You are not speaking from knowledge, you are not speaking from opinion, you are really a free human being who is trying to communicate with me. And can I listen with that intensity which you – the communicator- is giving to me? K: Bien sûr, bien sûr. Je suis venu pour ça. Moi, un homme ordinaire, je suis venu pour ça. J'ai laissé choir toutes les églises et toutes ces histoires, je les ai rejetés à des kilomètres, j'en ai fini avec tout ça. Je suis simplement venu ici et je réalise que tout ce qui a été dit ici est vrai et je brûle de découvrir. Et votre communication avec moi est si forte, si réelle! Ce que vous dites ne vient pas du savoir, ce que vous dites ne vient pas d'une opinion, vous êtes vraiment un être humain libre et vous essayez de communiquer avec moi. Alors, puis-je écouter avec la même intensité que vous mettez à communiquer avec moi?
26:13 B: Well, we would have to ask, is the ordinary man full of that? B: Ma foi, on peut se demander si l'homme ordinaire déborde vraiment de tout ça?
26:19 K: Ah, no, he is not. He wants the pub. No, I said I am an ordinary man but I have moved away from all that, I have come here. I have left all that. I have also realised in opinions I can grow, multiply, gather opinions, which is partly prejudice, etc. I realise all that. And I want to listen to somebody who is telling the truth, and, in the very telling of it, something is taking place in me. And because I'm so ardently listening, it happens. I wonder if I am conveying anything. K: Ah, non, sûrement pas. Il veut aller au pub. Non, j'ai dit que je suis un homme ordinaire mais j'ai tout quitté pour venir ici. J'ai laissé tout ça. J'ai réalisé aussi que récolter, multiplier les opinions est un moyen de me grandir – et en partie de former des préjugés, etc. Je réalise tout ça. Et je veux écouter quelqu'un qui dit la vérité, et que du seul fait de l'entendre, quelque chose s'éveille en moi. Et puisque j'écoute avec tant d'ardeur cela arrive. Je me demande si je me fais comprendre.
27:24 After all, as you are a great scientist, I am one of your students, you want to tell me something. You are telling me about something which I know must be enormously important because you have given your life to it, and as a student... I have given up so much just to come here. Is it the fault of you, who are communicating with me, that I don’t receive it instantly? You understand? Or is it my fault that I am incapable of really listening to you? Disons que vous êtes un grand homme de science, et moi un de vos étudiants : vous voulez me dire quelque chose. Vous me parlez d'une chose dont je sais qu'elle doit être infiniment importante puisque que vous lui avez voué toute votre vie. Moi aussi, en tant qu'étudiant... j'ai sacrifié bien des choses rien que pour venir ici. Alors, est-ce votre faute, à vous qui communiquez avec moi, si je ne le recois pas instantanément? Vous comprenez? Ou est-ce la mienne, de faute, car je suis incapable de vous écouter réellement?
28:15 B: Well, suppose the difficulty is that I am incapable of listening, then what can be done? B: Bon. Supposons que le problème vienne de ce que je suis incapable d'écouter : alors que faire?
28:26 K: No, nothing can be done. You see, that is the difficulty. If I am incapable of listening because I am full of prejudices and opinions, and judgements, defence, you know, the built up, and of course I won’t listen to you then. K: Rien. On ne peut rien faire. Le problème est là, voyez-vous : je suis incapable d'écouter parce que je suis plein de préjugés, d'opinions et de jugements, de défenses, vous savez, tout cet édifice, alors bien sûr je ne vais pas vous écouter.
28:47 B: Let’s say that here comes somebody who has got through some of these defences but perhaps there are others he is not aware of. Not quite so simple as that. B: Mettons que quelqu'un ait désactivé certaines défenses mais il se peut qu'il y en ait d'autres dont il n'est pas conscient. Ce n'est pas aussi simple que ça.
29:01 K: I think it is simple. I feel it is dreadfully simple somehow. I think, if I could listen with all my being, with all my attention, it takes place. That is as simple as that, I think. You see, sir, you are telling me something and I am absorbing it, and so there is an interval between your telling and my absorbing. I don’t know if...

B: Yes.
K: Je crois que c'est simple. Je sens que c'est terriblement simple, d'une certaine façon. Je crois que, si je pouvais écouter de tout mon être, de toute mon attention, cela se produit. C'est aussi si simple que ça, je crois. Voyez-vous, Monsieur, vous me dites quelque chose et je suis en train de l'assimiler, donc il y a un intervalle entre le moment où vous parlez et mon assimilation. Est-ce que...

B: Oui.
30:00 K: And in that interval is the danger. If I didn’t absorb but absolutely listen to it with all my being, it is finished! Is it because in this there is no shadow of pleasure? You follow? You are not offering me any pleasure, any gratification. You are saying, 'It is so, take it!' But my mind is so involved in pleasure it must be pleasurable to listen. You follow what I mean?

B: Yes.
K: C'est dans l'intervalle qu'est le danger. Si je pouvais ne pas assimiler, écouter totalement, de tout mon être, c'est terminé ! Est-ce parce que, dans tout ça, il n'y a pas l'ombre d'un plaisir? Vous me suivez? Vous ne m'offrez aucun plaisir, aucune satisfaction, vous dites : c'est ainsi, prenez-le. Mais mon esprit s'est tellement compromis avec le plaisir qu'il faut que ce soit plaisant à écouter. Vous comprenez ce que je veux dire?

B: Oui.
31:01 K: I won’t listen to anything that is not completely satisfactory. I realise too the danger of that. K: Je ne vais rien écouter qui ne soit totalement satisfaisant. Ce danger-là, je le réalise aussi.
31:15 B: Danger? B: Le danger?
31:16 K: Of seeking satisfaction, pleasure. So I say, ‘All right, I won’t, I see what I am doing.’ So I put that aside too: no pleasure, no reward, no punishment in listening but there is only pure observation. K: De rechercher la satisfaction, le plaisir. Donc je dis, bien, je ne le fais pas, je regarde ce que je fais. J'ai évacué ça aussi – le plaisir, la récompense, la punition – quand j'écoute, il n'y a qu'observation pure.
31:37 So we come back to that point: is pure observation, which is actually listening, is that pure observation love? I think it is. Again...

B: Again what?
On revient au même sujet : l'observation pure, – qui est en fait l'écoute – l'observation pure est-elle l'amour? Je pense que oui. Mais encore une fois...

B: Encore quoi?
32:04 K: You have stated it and then my mind says – I am fairly ordinary, I have come here – my mind immediately says, ‘Give it to me. Tell me what to do!’ When I ask you, ‘Tell me what to do’, I am back into the field of knowledge. It is so instantaneous. So I refuse to ask you what to do. Then where am I? You have told me perception without any motive, direction, pure perception is love. And that perception, love, is intelligence, they are not three separate things, they are one thing. I have a feeling for it. Because you have led me up very carefully – not led me – you have pointed out very carefully step by step, and I have come to that point, I have a feeling for it. I am sensitive enough, by listening to all this, to come to that point when I have a feeling. It says, ‘By Jove, that is so.’ But it goes away so quickly. Then begins, ‘How am I to get it back?’ Again the remembrance of it – which is knowledge – blocks. K: Vous venez de déclarer ça, alors mon esprit – de l'homme ordinaire venu ici – mon esprit dit immédiatement : 'Donnez-le moi, dites-moi ce qu'il faut faire !' Dès que je vous demande : 'Dites-moi quoi faire' je suis revenu sur le terrain du savoir. C'est tellement instantané. Donc je me refuse à vous demander quoi faire. Alors où suis-je? Vous m'avez dit, la perception sans aucun motif, aucune direction, la perception pure, c'est l'amour. Et cette perception-amour est l'intelligence, ce ne sont pas trois choses séparées mais une seule. Et cela, je le ressens. Parce que vous m'avez guidé avec soin – pas guidé – vous m'avez montré soigneusement, point par point, j'en suis venu à le ressentir. D'écouter tout ceci m'a rendu assez sensible et j'arrive à un stade où j'ai le sentiment : 'Bon Dieu, c'est ça'. Mais cela s'évanouit tellement vite. Alors, commence : 'Comment faire pour le retrouver?' Mais le souvenir qu'on en a – qui est le savoir – fait blocage.
34:10 B: What you are saying is that every time there is a communication, knowledge gets to work in many different forms. B: Vous dites qu'à chaque fois qu'il y a une communication, le savoir se met au travail sous différentes formes.
34:22 K: So you see it is enormously difficult to be free of knowledge. K: Vous voyez donc l'énorme difficulté qu'il y a à se libérer du savoir.
34:31 B: Yes. We could ask why doesn’t knowledge wait until it is needed? B: Oui. On peut se demander pourquoi le savoir n'attend pas qu'on ait besoin de lui?
34:39 K: Ah, that requires, sir! – that means to be psychologically free of knowledge but when occasion arises you are acting from freedom, not from knowledge. K : Ah! Cela exige... Cela veut dire être libre du savoir psychologique. Et, quand l'occasion se présente, votre action émane de la liberté et pas du savoir.
35:00 B: Not from knowledge, but knowledge comes in as information. It informs your action but it is not the source. B: Pas du savoir. Le savoir intervient comme information. Il rend compte de l'action, mais il n'est pas la source.
35:09 K: That is – to put it rather succinctly – freedom from knowledge, and being free, it is from freedom one communicates, not from knowledge. I wonder if...?

B: Yes.
K: En deux mots, la liberté du savoir. Et, comme on est libre, c'est à partir de la liberté qu'on communique, non du savoir. Je me demande si...

B: Oui.
35:30 K: That is, from emptiness there is communication. One may use the word, or language which is the outcome of knowledge, but it is from that state of complete freedom. K: Autrement dit, la communication naît du vide. On emploie des mots, un langage qui est le résultat du savoir, mais elle naît de cet état de liberté totale.
35:52 B: Yes. And now communication takes place but it is concerning the question of knowledge as the irrelevance of psychological knowledge, that is the communication. B: Oui. En ce moment il y a une communication sur la question du savoir, sur l'inadéquation du savoir psychologique – c'est la communication.
36:06 K: Yes. Now sir, can I communicate with you from freedom? Suppose I, as a human being, have come to that point where there is complete freedom from knowledge, and, from that freedom, a communication, using words, takes place. Right? Now will you, as a scientist, of great scientific eminence – I am not... please, I am being polite – will you communicate with me, can I communicate with you without any barrier? You follow? You understand what I mean, I am not trying to... Can I communicate with another – or rather let me put it, can that man who is free, totally, from knowledge, but uses knowledge merely as a means of communication, can I be in such a state of mind to receive that communication? K: Oui. Alors, puis-je communiquer avec vous depuis la liberté? Mettons que moi, un être humain, j'en sois venu à être complètement libéré du savoir, et que, de cette liberté, une communication ait lieu, avec des mots. D'accord? Alors, vous, homme de science, savant très éminent – pardon, c'est de la politesse – allez-vous communiquer avec moi, puis-je communiquer avec vous sans aucune barrière? Comprenez-moi, je ne cherche pas à... Puis-je communiquer avec un autre... On va le dire autrement. Cet homme est libre du savoir, totalement, il n'utilise le savoir que dans un but de communication et puis-je être dans un état d'esprit tel que je reçoive cette communication?
37:48 B: Yes, if knowledge is seen to be information. Knowledge ordinarily seems more than information, it seems that knowledge is itself free. One does not ordinarily see that knowledge is not free. B: Oui, si le savoir est vu comme une information. Habituellement le savoir représente plus qu'une information, on dirait que le savoir est libre. Ce n'est pas courant de voir que le savoir n'est pas libre.
38:06 K: Knowledge is never free. K: Le savoir n'est jamais libre.
38:08 B: No, but it may seem at first sight, you are free to use your knowledge.

K: Of course.
B: Non mais, à première vue, on se voit libre d'user de son savoir.

K: Évidemment.
38:13 B: But it isn’t free and any activity of knowledge is part of the un-freedom. B: Mais il n'est pas libre, et toute activité du savoir participe de ce manque de liberté.
38:20 K: Of course. If I want to understand myself I must be free to look at myself. K: Bien entendu. Si je veux me connaître je dois être libre de me regarder.
38:25 B: And knowledge has pressures in it to prevent you from looking. B: Et le savoir a tous les moyens de vous empêcher de regarder.
38:29 K: Prevents me from looking, So obvious! Sorry. K: C'est tellement évident! Excusez-moi.
38:32 B: It may be obvious at that stage, but in general people don’t see that. But let’s leave that aside now. B: C'est peut-être évident à ce stade mais en général les gens ne le voient pas. Mais laissons cela de côté.
38:43 K: If I am full of opinions and judgements and evaluations, to look at myself I must be somewhat free from it to look! It is so clear! K: Si je suis plein d'opinions, de jugements et d'évaluations, pour me regarder, je dois bien m'en libérer un peu. C'est tellement clair !
38:57 B: Yes, but one tends generally to say that there are certain kinds of knowledge which are harmful, like prejudice, and then you say there are other kinds which are not harmful, which are not prejudices. B: Oui, mais l'idée générale est que certains types de savoir sont dangereux, comme les préjugés, mais que d'autres n'offrent pas de danger, ne sont pas des préjugés.
39:08 K: No, the whole business. K: Non, c'est un tout.
39:09 B: The whole thing is all one structure. It is impossible to have prejudice in one part without having it in the other. B: Tout ça n'est qu'une seule structure. Impossible d'avoir un préjugé sur ceci et pas de préjugé sur cela.
39:24 K: How will you communicate with me who have come to a certain point when I am really... grasping, hoping, burning to receive what you are saying so completely it is finished? Am I, having come here, am I in that state, really? Or am I fooling myself? K: Comment allez-vous communiquer avec moi, qui suis arrivé au stade ou je veux absolument saisir... j'aspire, je brûle de recevoir ce que vous dites si complètement que ce soit terminé? Moi qui suis venu ici, suis-je vraiment dans cet état? Ou je me raconte des histoires?
40:06 B: Well, that is the question: knowledge is constantly deceiving itself. B: Ma foi, c'est bien la question, le savoir passe son temps à se mentir à lui-même.
40:10 K: Of course. K: Bien sûr.
40:12 B: I would say that it is not even that I am deceiving myself but knowledge has a built-in tendency to deceive itself. B: Ce n'est même pas que je me raconte des histoires, mais le savoir est trompeur par nature.
40:25 K: So sir, is my mind always deceiving itself? K: Donc, mon esprit est toujours à s'illusionner?
40:32 B: The tendency is constantly there when knowledge is operating psychologically. B: La tendance est permanente dès que le savoir opère au plan psychologique.
40:37 K: So what shall I do? Come back to the same blasted question. K: Mais alors, que vais-je faire? On en revient à la même maudite question.
40:42 B: The question of deceiving oneself, again it is the same point: to listen. B: La question de l'illusion. On en revient au même point, écouter.
41:01 K: Why don’t we listen, sir? Why don’t we immediately understand this thing, instantly, immediately, why? We can give the reasons why, but that doesn’t... What? Old age, conditioning, laziness, ten different things, that’s all so... K: Monsieur, pourquoi n'écoutons-nous pas? Pourquoi ne saisit-on pas cette chose – immédiatement, instantanément, sur le champ? Pourquoi? On peut en donner les raisons, mais... Quoi? La vieillesse, le conditionnement, la paresse, des douzaines de choses mais c'est tellement...
41:32 B: That is superficial.

K: ...meaningless.
B: C'est superficiel.

K: ... vide de sens.
41:39 B: But would it be possible to give the deep reason for it? B: Peut-on donner la raison profonde de tout ça?
41:44 K: Knowledge, we come back to the same thing! Is it that the knowledge which is the ‘me’... K: Le savoir, on retombe sur la même chose! Est-ce que le savoir, qui est le 'moi'...
41:56 B: Yes, that is the point. B: Oui, voilà la clé.
41:58 K: ...the knowledge which is the ‘me’ is so tremendously strong – as an idea, not as a fact. K: ... le savoir qui est le 'moi' est si incroyablement fort – c'est une idée, pas un fait.
42:07 B: Yes, I understand that it is an idea. But the idea is... That's what I tried to say, that the idea has tremendous significance and meaning. Suppose you have the idea of God, this takes on a tremendous power. B: Oui, je comprends bien que c'est une idée. Mais l'idée... Ce que j'essayais de dire c'est que l'idée a une portée et une signification énormes. L'idée de Dieu, en supposant que vous l'ayez, exerce sur vous un pouvoir formidable.
42:27 K: It’s like ‘I am British’, or French – it gives me great energy. K: Comme être 'britannique' ou 'français' ça donne beaucoup d'énergie.
42:32 B: And also it creates a state of the body which seems to be the very being of the self. Now the person doesn’t experience it as mere knowledge but he first feels something very powerful which doesn’t seem to be knowledge. B: Et cela provoque aussi un état corporel qui fait croire à l'existence concrète du 'soi'. Du coup, la personne ne le perçoit pas comme un simple savoir, elle ressent une chose très puissante qui ne ressemble pas à du savoir.
42:52 K: Yes. Are we going round and round? It seems like it. K: Oui. Est-ce qu'on tourne en rond? On le dirait.
43:00 B: Well, I was wondering if there is anything that could be communicated about that overwhelming power that seems to come with knowledge and with the self. B: Hé bien, je cherchais quelque chose de communicable sur le pouvoir exorbitant que semblent posséder le savoir – et le 'soi'.
43:15 K: With identification. K: L'identification.
43:16 B: With identification. That may be something that would be worth looking into. B: L'identification. Cela vaudrait peut-être la peine d'aller y regarder de près.
43:21 K: What does the word, – I have forgotten – the root meaning of ‘identification’? K: J'ai oublié le sens originel du mot 'identification'.
43:26 B: Well, ‘always the same’. B: C'est 'toujours le même'.
43:28 K: It’s ‘always the same’, that’s right. That’s it, you see? It is always the same. There is nothing new under the sun. K: Toujours le même, c'est juste. C'est ça, vous voyez? C'est toujours le même. Rien de nouveau sous le soleil.
43:42 B: That is the essence of it. If you say the self is always the same, It tries to be always the same in essence if not in detail. B: Voilà le principe. Le 'soi' est toujours le même, il tente d'être toujours le même, en essence, sinon dans le détail.
43:55 K: Yes, yes. K: Oui, oui.
43:57 B: I think this is the thing that goes wrong with knowledge that knowledge attempts to be knowledge of what is always the same, so it holds. B: Je crois que ce qui ne va pas avec le savoir c'est qu'il tente de devenir le savoir de ce qui est toujours le même donc il le maintient.
44:07 K: Of course, sir, it's always the same. K: Évidemment, Monsieur, c'est toujours le même.
44:09 B: Knowledge itself tries to find what is permanent and perfect and always the same. Even independent of any of us. It is built into, like the cells, you know. B: Le savoir lui-même cherche à découvrir ce qui est permanent, parfait et toujours le même. Même indépendamment de nous, c'est inné, comme les cellules, voyez-vous.
44:27 K: From this arises a question: is it possible to attend? I am trying to use the word ‘diligent’. Is it possible to diligently attend? Diligence in the sense, be accurate, you know. K: Cela amène une question : est-il possible d'être présent? Je voudrais employer le mot 'diligent' : une présence diligente, est-ce une chose possible? Diligente, au sens de... de la chose juste.
44:58 B: Literally it means ‘to take pains’, that’s its root. B: Le sens littéral est : qui se donne du mal.
45:02 K: To take pain, take the whole of it. Sir, there must be some other way round all this intellectual business! We've exercised a great deal of intellectual capacity and that intellectual capacity has led to the blank wall. I approach it from every direction, eventually the wall is there, which is the ‘me’, with my knowledge, my prejudice, and all the rest of it – me. And the ‘me’ then says, ‘I must do something about it’ which is still the 'me'. We all know that. K: Se donner du mal, tout embrasser. Monsieur, il doit y avoir un autre moyen d'éviter tout ce fatras intellectuel ! On s'est énormément servi de l'intellect et ce talent de l'intellect nous a mené à un mur. J'ai tenté toutes les approches mais finalement le mur est là – et c'est le 'moi', mon savoir, mes préjugés et tout ce qui s'ensuit. Moi. Alors 'moi' se dit qu'il doit faire quelque chose, et c'est encore le 'moi'. On sait tout ça.
46:03 B: Well, the ‘me’ wants to be always the same, and at the same time it tries to be different. B: Le 'moi' veut rester toujours le même tout en essayant d'être différent.
46:07 K: Different, yes, put on a different coat. It is always the same. So the mind which is functioning with the ‘me’ is always the same mind. Good lord, you see, sir, back again! K: Différent, oui, en changeant de costume. Il est toujours le même. Donc l'esprit qui fonctionne avec le 'moi' est toujours le même esprit. Grands Dieux, nous revoilà au même point !
46:30 B: Yes, that ‘always the same’ gives a tremendous force. Now is it possible to leave go that ‘always the same’? B: Oui, ce 'toujours le même' donne une force extraordinaire. Mais peut-on laisser choir ce 'toujours le même'?
46:48 K: You see, we have tried everything: fasting, every kind of thing to get rid of the 'me' with all its knowledge, all its illusions and so on. One tries to identify with something else, which is the same. I mean a serious man has done all this and comes back to the fundamental question: what will make this wall totally disappear? I think, sir, it is only possible when I can give my total attention to what you are saying. There is no other means to break down the wall – not the intellect, not the emotions, not any of those things. When somebody who is beyond the wall, who has gone beyond, broken down the wall, says, ‘Listen, for God’s sake, listen!’. When I listen to you my mind is empty. So it is finished! You follow what I am saying? K: Vous savez, on a tout essayé, le jeûne, des choses incroyables, pour se débarrasser du 'moi' avec son cortège de savoir, d'illusions, etc. On veut s'identifier avec autre chose, ce qui revient au même. Un homme sérieux a fait tout ça, et il en revient à la question fondamentale : qu'est-ce qui va faire disparaître totalement ce mur? Je pense, Monsieur, que cela n'est possible qu'en donnant mon attention totale à ce que vous dites. Il n'y a pas d'autre moyen de démolir ce mur – ni l'intellect, ni les émotions, rien de tout ça. Quand quelqu'un qui est au-delà du mur, qui a démoli le mur, dit : 'Écoutez, pour l'amour du ciel, écoutez !'. Quand je vous écoute, mon esprit est vide. Donc c'est fini ! Vous comprenez ce que je dis?
48:50 B: You see, generally one would feel, OK, it is finished, but something will happen and it’s going to come back. B: Ce qu'on ressent alors, c'est : très bien, c'est fini, mais à la moindre occasion ça va recommencer.
48:59 K: Ah! I have no sense of hoping to come back, whether I’ll have it in the future. It is empty and therefore listening. It is finished! K: Je n'ai pas la moindre idée de revenir, aucune notion de futur. C'est vide et donc ça écoute. C'est terminé !
49:48 We had better stop, we have come to a point... doesn’t matter. Five minutes is enough. I would like to go on differently. You are a scientist. To discover something new, you must have a certain emptiness from which there is a different perception. On pourrait peut-être arrêter... Ça n'a pas d'importance, cinq minutes c'est assez. Je voudrais continuer sous un autre angle. Vous êtes homme de science. Pour découvrir quelque chose de nouveau il vous faut un espace vide d'où va naître une perception différente.
50:47 B: There is a difference in the sense that usually the question is limited, and so the mind may be empty with regard to that question. B: Il y a une différence, car habituellement cette question est limitée donc l'esprit peut être vacant sur ce sujet précis...
51:01 K: Particular question, yes. K: Sur ce sujet particulier, oui.
51:03 B: Allowing for discovery and insight in that question. B: ... et permettre la découverte et l'insight de cette question.
51:11 K: But can that mind, which has been specialised, and therefore enquiring into something it becomes empty and from that emptiness you discover something new, I understand that. But without any specialisation, does this emptiness hold every other... – I don’t know... K: Cet esprit, qui a été spécialisé, en enquêtant sur une certaine chose, se vide et dans ce vide, vous découvrez quelque chose de nouveau – cela, je le comprends. Mais sans aucune spécialisation, ce vide contient-il tout l'autre... Je ne sais pas si...
51:43 B: We have to ask that we are not questioning a particular area but rather we are questioning the whole of knowledge. B: Mais alors il faut préciser qu'ici on sort d'un domaine particulier, ici on interroge la totalité du savoir.
51:57 K: It is most extraordinary when you come into it. K: C'est tout à fait extraordinaire, quand vous l'approchez.
52:02 B: As you were saying, it's the end of knowledge, as the Vedanta. B : Comme vous le disiez, c'est la fin du savoir – le Vedanta.
52:05 K: That is the real answer. K: C'est la vraie réponse.
52:13 B: If a person can take this scientific attitude and question the whole of knowledge, then... B: Si, en gardant l'attitude scientifique, on remettait en cause l'ensemble du savoir, alors...
52:18 K: Oh, of course. K: Oh, bien sûr.
52:25 B: But generally people would feel 'I must keep knowledge in one area to be able to question it in another'. That might worry people to say, 'With what knowledge do I question my knowledge?' B: Mais l'idée générale est qu'il faut garder du savoir dans un certain domaine pour pouvoir le remettre en cause dans un autre domaine. Cela pourrait devenir un vrai souci : 'Avec quel savoir vais-je remettre en cause mon savoir?'
52:36 K: Yes. With what knowledge I question my knowledge, quite. K: Oui, avec quel savoir vais-je remettre en cause mon savoir?
52:54 B: But in a way we do have knowledge we have gone through it logically and rationally and seen that the whole structure makes no sense, that it is inconsistent and has no meaning. The structure of psychological knowledge has no meaning, it has been done already, in a way... B: Mais en fait nous avons effectivement du savoir et nous l'avons examiné avec logique et réflexion et vu que toute cette structure ne veut rien dire, elle est inconsistante et sans signification. La structure du savoir psychologique n'a pas de sens, c'est du déjà vu – et de quelle façon...
53:15 K: Sir, would you then, from there, from that emptiness: is there a ground or a source from which all things begin? Matter, human beings, their capacities, their idiocies – the whole movement starts from there. K: Monsieur, en partant de là, de ce vide : existe-t-il un fondement, une source d'où toutes choses commencent? La matière, les humains avec leurs capacités et leurs idioties – ce mouvement tout entier part de là.
53:42 B: Yes, we could consider that, certainly. Let’s try to clarify it a little. So we have the emptiness. B: Oui, c'est à considérer, certainement, mais précisons un peu. Nous avons donc le vide.
53:54 K: Yes, emptiness in which there is no movement of thought – as knowledge, of course. K: Oui, le vide dans lequel il n'y a aucun mouvement de pensée – de savoir, bien sûr.
54:02 B: As psychological knowledge. B: Le savoir psychologique.
54:04 K: Of course, I understand that.

B: All right. So, well then..
K: Bien sûr, c'est entendu.

B: D'accord. Et après...
54:08 K: And therefore no time.

B: No time. No psychological time.
K: Et donc, pas de temps.

B: Pas de temps psychologique.
54:13 K: Yes, no psychological time. K: Oui, pas de temps psychologique.
54:14 B: Though we still have the watch. B: On a toujours l'horloge.
54:16 K: Yes. Of course... We have gone beyond that, don’t let’s go back to it. K: Oui, évidemment, on a dépassé ce stade, n'y revenons pas.
54:19 B: But sometimes it’s the words are often confusing, they carry wrong meaning. B: C'est que parfois les mots prêtent à confusion, ils trompent sur le sens.
54:25 K: Psychological time. There is no psychological time, no movement of thought. And is that emptiness the beginning of all movement? K: Le temps psychologique. Il n'y a pas de temps psychologique, aucun mouvement de pensée. Et ce vide est-il le début de tout mouvement?
54:45 B: Would you say the emptiness is the ground then? B: Vous voulez dire que le vide est le fondement, alors?
54:47 K: That's what I am asking. Slowly, I am going... Let’s go slowly into it. Or shall we postpone this for another day? K: Je me le demande. Allons doucement... Examinons cela doucement. Ne faut-il pas le reporter à un autre jour?
54:55 B: Perhaps it should be gone into more carefully. B: Peut-être, on pourrait l'examiner plus sérieusement.
54:57 K: Right. We better stop. K: D'accord, il vaut mieux s'arrêter.
55:15 B: Well, just one thing: in California we were saying that there is the emptiness and beyond that is the ground. B: Une chose : en Californie, nous avons dit qu'il y a le vide, et que derrière cela, il y a le fondement.
55:24 K: Quite, I know. I don’t want to enter into that. K: Oui, je sais. Je ne veux pas commencer.
55:26 B: We leave it go for the time.

K: I’ll leave it. When do we meet again?

B: It is two days, on Saturday.
B: Laissons-le pour plus tard.

K: On le laisse. Quand nous revoyons-nous?

B: Dans deux jours, samedi.
55:31 K: The day after tomorrow.

B: Yes.
K: Après-demain.

B: Oui.
55:38 K: Right, sir. K: Très bien, Monsieur.