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SA79T2 - Pouvons-nous ensemble créer une bonne société?
2e causerie
Saanen, Suisse
10 juillet 1979



0:57 K:Pouvons-nous poursuivre ce dont nous parlions dimanche matin? Cela vous va-t-il?
1:17 Je me demande si vous avez réfléchi à ce dont nous parlions dimanche matin, si vous avez creusé le sujet vous-mêmes et peut-être êtes-vous parvenus au bout de vos possibilités. Si c'est le cas, nous pouvons encore aller plus loin. Ce que nous disions dimanche matin, c’est qu’il nous faut avoir la capacité de penser ensemble. L'aptitude nous vient naturellement et inévitablement si l'on voit l'importance, et la nécessité, dans un monde en corruption, de penser ensemble. Non pas être d'accord, ou ne pas être d'accord, mais mettre de côté son propre point de vue, ses préjugés, opinions et jugements, devenant ainsi aptes à penser ensemble. Car, lorsqu'on pense ensemble, il n’y a pas de division. Vous ne pensez pas séparément de l’orateur. Excusez-moi, j’ai un rhume des foins. Ne m’apportez pas de médicaments. Si nous sommes capables de penser ensemble, la division entre vous et l'autre prend fin. Il n’y a plus que penser, et pas votre façon de penser ou une autre façon de penser, mais juste la capacité de penser ensemble. Cela n'est possible que si vous mettez de côté vos propres conclusions, votre vanité, vos exigences personnelles, sinon l'union ne peut se faire.
4:46 Le mot 'ensemble' signifie marcher ensemble, être ensemble tout le temps. Vous ne marchez pas devant et l'autre derrière; marcher ensemble signifie que nous allons tous deux sur le même chemin, sans penser à des choses différentes, en observant la même chose, sans traduire ce que vous avez observé selon votre goût ou vos préjugés, mais en observant, écoutant, marchant ensemble.
5:30 Je me demande si vous vous rendez compte de ce qui se passe, dans ces conditions, entre deux êtres humains? Dans la société permissive actuelle, il y a chez chacun de nous un très grand besoin, un désir ardent de se réaliser, sur le plan sexuel, émotif... Le désir d'épanouissement. Et tout ceci, naturellement, entraîne le problème de la frustration. Prêtez attention, s'il vous plaît, à ce que j'indique. N'acceptez ni ne rejetez ce que nous disons, car nous pensons ensemble, je dis bien : penser ensemble.
6:33 Quand on cherche sa complétude dans un autre être, ou que l’on veut être et devenir, et qu'on agit en ce sens, ce qui est un moyen de s'épanouir, ce mouvement implique de la frustration, toutes sortes d’idées névrotiques, des névroses, etc. Mais quand nous pensons ensemble, c'est-à-dire que vous avez lâché vos propres opinions, jugements, etc., et que l’autre en a fait autant, il n'y a pas division, donc aucun sentiment de réalisation personnelle - je me demande si vous saisissez - et donc pas de frustration. Ceci n'est pas une conclusion verbale, un concept idéaliste, une chose à réussir, mais la réalisation du fait concret que tant que nous ne réfléchissons pas ensemble à propos de quoi que ce soit - politique, religion, économie, relations personnelles, etc. - il y a nécessairement division, et de cette division naît le désir de se réaliser, dont la suite inévitable est la frustration avec toutes ses névroses et réactions inévitables. Quand nous pensons ensemble, tout cela prend fin. Je me demande si vous suivez ceci?
8:54 Puis-je demander à ceux d'entre vous qui ont suivi la causerie de dimanche, avez-vous intérieurement laissé tomber vos opinions personnelles, vos conclusions, vos expériences? Ou bien, vous les gardez, consciemment ou inconsciemment, et vous faites un effort pour penser ensemble. Bien sûr, ceci est plutôt puéril, cela maintient peut-être une certaine communication verbale, mais en réalité il y a division, et donc conflit. Quand nous pensons ensemble, le conflit prend fin. Je me demande si vous voyez? Je vous en prie, il faut saisir cela. Car, nous, les humains, pendant des millénaires, avons vécu dans les conflits, luttes et tensions de toute sorte, physique, psychologique, émotionnelle, en nous exploitant mutuellement - toutes les relations humaines sont basées là-dessus. Mais, en pensant ensemble, la relation se transforme fondamentalement parce qu'il n'y a pas de division. Si vous êtes ambitieux et l'autre ne l'est pas, il y a division. Si vous croyez en Dieu, Jésus ou Krishna, peu importe, et l’autre n’y croit pas, il y a division et donc conflit. Peut-être vous tolérez-vous, c'est ce qui se passe, mais la division existe : le nationalisme, et le reste. Pendant ces causeries - je ne sais plus combien, une dizaine, je crois - si un groupe parmi nous, - ou nous tous si c'était faisable - mais au moins quelques uns, pouvait appliquer leurs esprits à découvrir si nous sommes capables de penser absolument ensemble. Quand nous faisons cela, la relation entre nous change complètement. N’est ce pas? Je me demande si vous voyez ça.
12:09 Nous disions aussi dimanche que, psychologiquement, la pensée a admis le processus d’évolution progressive et, dés lors, elle tente toujours de devenir quelque chose, d’être quelque chose. Et nous avons parlé du temps - écoutez, je vous prie jouez avec - s'il existe jamais un temps psychologique, demain, si, psychologiquement, le futur existe. S'il n'existe pas, quelle est la relation entre deux êtres humains qui n’ont pas de futur? Comprenez-vous? Suivez vous ma question? En fait, ce n'est pas ma question, c'est votre question. Peut-être ne vous l’êtes-vous pas posée, mais elle a été posée, donc vous devez l'examiner.
13:39 Pendant des siècles, religieusement, politiquement et de diverses façons, nous avons admis cette notion de progression. N'est-ce pas? C'est évident. Graduellement je vais devenir parfait, je serai moins ceci et plus cela. Dans cette conclusion d'évolution graduelle, la mesure a pris de l'importance. Naturellement. Suivez-vous tout ceci? La mesure, c'est ce qu'on était, ce qu'on est et ce qu'on sera : ce sont des mesures. Mesurer, c'est le temps, et nous contestons - ensemble - l’existence d’un quelconque temps psychologique. Le temps chronologique existe, lui, car nous allons nous rencontrer après demain matin, si vous le voulez bien; c’est évident. Si vous voulez jouer au golf ou aller au cinéma ou faire autre chose, après demain existe bel et bien. Mais psychologiquement, intérieurement, le temps existe-t-il? Ou bien, la pensée a-t-elle inventé le temps, psychologiquement, parce qu’elle est trop paresseuse, indolente, et aussi car elle ne sait pas comment agir sur ce qui se passe réellement. Donc la pensée dit : 'donnez-moi du temps'. Je ne sais pas comment me libérer de l'envie, mais je vais y penser, je vais y travailler et progressivement m'en débarrasser - si vous préférez la garder, c'est très bien.
16:09 Tel a donc été notre conditionnement. N’est-ce pas? Suivez-vous? Pas verbalement, observez en vous-même. Tel a été votre conditionnement. Et quelqu’un comme l’orateur arrive et dit : 'est-ce ainsi?' Vous l’avez accepté, cela a été la tradition, une tradition cultivée, pas une superstition, car tout le monde, les savants et les autres, ont parlé du progrès de l’homme grâce à l'accumulation du savoir, c'est-à-dire le temps, et vous l’avez admis. Et l’orateur vient dire : Vous pourriez être tous dans l'erreur, reposez-vous la question'. Il dit que, peut-être, il n'y a pas de lendemain, psychologiquement. Comprenez-vous? Non. Voyez l’importance de cette question. Que vous arrive-t-il si vous posez très sérieusement cette question, non comme une idée, mais comme une réalité? La réalité est ce qui a lieu maintenant. N’est-ce pas? Quand vous vous posez cette question, quelle est alors la qualité de l'esprit qui ne pense pas psychologiquement à demain? Suivez-vous? Avez-vous saisi ma question? D'accord? Que se passe-t-il quand il n’y a pas de futur, psychologiquement? Il y a bien un futur quand il faut aller manger, dormir, faire ceci ou cela, mais psychologiquement, s'il n'y a pas de futur, quelle est votre relation à l'autre? Vous saisissez? Vous avez compris? Avez-vous résolu cette question que nous avons posée hier? Où en est votre relation avec votre épouse, ou votre petite amie, etc., s'il n'y a pas de lendemain? Psychologiquement, s'il y a pour vous un demain, vous créez l'image, vous poursuivez cette image de la personne, vous cultivez ainsi le souvenir de cette personne, et vous agissez en fonction de ce souvenir, de cette expérience. Vous suivez cela. N'est-ce pas? Quand il y a un futur psychologique, tout devient machinal. Vous comprenez ce que j'entends par machinal : la routine, la répétition, agir à partir du souvenir. Mais s'il n'y a pas de demain sur le plan psychologique, qu'est-il arrivé à votre relation? Dans votre relation, pas dans une idée, dans votre relation concrète avec votre épouse, votre époux, votre ami, votre fils, votre fille, qu'arrive-t-il en réalité? Vous comprenez? Cela vous intéresse-t-il? Ce qui signifie que vous avez examiné le concept, le conditionnement du futur psychologique, que vous avez compris rationnellement, sainement, logiquement, toute sa signification, et que vous dites alors : 'cela pourrait ne pas exister'. Vous vous êtes donc prudemment dégagés de votre conditionnement. Et quand vous posez cette question, votre esprit est libre d’observer. il n’est plus lié au conditionnement de l'existence d'un futur. Avez-vous saisi? Quelle est votre relation à autrui quand le 'demain' psychologique n'est pas là?
21:58 Peut-être pouvons-nous... je ne veux pas répondre à cette question nous découvrirons la réponse nous-mêmes en chemin. Je sais bien que vous attendez que j’y réponde, mais cela ne rime à rien, cela devient verbal, c'est plutôt stupide. Mais si nous prenons cela sous un autre angle, peut-être pourrons-nous en saisir le sens profond, sa beauté et sa vérité.
22:42 Les anciens Hindous et les Grecs ont formulé le concept d’une bonne société. Que ceci ne vous plonge pas dans l’ennui ! Ils disaient qu’une bonne société est ceci, cela, et cela. Les Grecs disaient qu’une bonne société, c’est la justice, etc. Les anciens Hindous disaient qu’une bonne société n’est possible que si un groupe de gens renonce au monde - attention, je ne vous demande pas de faire cela, je décris - n'ont aucune possession, restent en dehors de la société, et de ce fait, sont responsables des activités de la société. Vous suivez? Ils ne se retiraient pas du monde, mais, étant extérieurs à la société, ils étaient moralement incorruptibles, car ils ne possédaient aucun bien. Et ils étaient irréprochables sur le plan moral, éthique ou religieux. Ils ne tuaient pas, etc. Pendant un certain temps, probablement, cela a existé. Ensuite, comme toute chose, cela a dégénéré en ce que le monde connaît comme les Brahmanes.
25:24 Les Grecs eurent la même idée : il faut une bonne société dans le monde. Et ce fut une société idéaliste, mise en mots, idéologique. Des idées - vous suivez? - des idéaux. D'après ces idéaux, ils formulèrent très soigneusement - les Aristotéliciens - la société. Mais elle n'exista jamais.
26:10 A présent, nous disons : pouvons-nous créer une bonne société, pas idéologiquement, pas une utopie, pas une chose à faire, à réussir, mais une société, c'est-à-dire une relation entre deux personnes est une société ! Suivez-vous tout ceci? En tant que groupe, pouvons-nous créer une telle bonne société? Maintenant, un instant. Les Grecs formulèrent, les Hindous formulèrent, sans doute les Chinois, mais nous, nous ne formulons rien. Nous ne disons pas que la société idéale doit être ceci, cela, etc. Nous ne disons pas cela, cela deviendrait une utopie, un idéal à poursuivre, quelque chose à faire. Nous parlons d'une bonne société qui ne peut naître qu'à condition que vous, en tant qu'être humain représentant toute l'humanité, - j'y viens - soyez responsable d'un autre être humain. Quand nous disons que vous êtes la totalité de l'humanité, vous l'êtes, psychologiquement. N'est-ce pas? La forme de votre tête est peut-être différente, votre peau plus ou moins claire, une meilleure alimentation vous fait plus grand, sous un climat tempéré, votre nom est différent, mais psychologiquement, nous vivons au même niveau : peines, douleurs, angoisse, frustration, un sentiment d'incurable solitude, une grande tristesse. Vous suivez? Ceci existe partout dans le monde. C’est un fait, ce n’est pas une idée à adopter. Si vous allez en Inde, vous y constatez le même phénomène qu’ici. On y a la peau plus foncée, surpopulation, pauvreté, mais, psychologiquement, ils sont anxieux, incertains, confus, malheureux; ils vénèrent un produit de leur imagination, tout comme ici. Il y a donc une grande similitude. Et psychologiquement, c’est le même mouvement. Il y a des variations, mais la source de ce mouvement est la même pour toute l’humanité. Le voyez-vous? Non en tant qu’idée, mais comme une réalité, c’est-à-dire ce qui a lieu. N’est-ce pas? Donc, vous êtes le reste de l’humanité. Si vous voyez ça, vous n'attribuez pas une importance démesurée à vous-même, à vos angoisses personnelles, vos réalisations personnelles, vous savez, tous les problèmes égoïstes, parce que vous êtes comme tout le monde. Mais il vous faut le résoudre ! N’est-ce pas?
30:59 Nous disons donc ... - je commence à me fatiguer, pas vous? Nous disons qu’une bonne société peut voir le jour immédiatement; elle n'est pas une chose à atteindre dans le futur. Cette bonne société ne peut naître que lorsque nous pensons ensemble, ce qui veut dire qu'il n'y a pas de division entre vous et les autres. Dès lors, tout notre comportement change. Le voyez-vous? Alors, on n’exploite plus autrui, que se soit sexuellement ou de diverses manières psychologiquement subtiles. N’est-ce pas? Suivez cela, au moins verbalement. Mais verbalement ne veut rien dire, c'est comme suivre de l'air, ou tenir des cendres vides dans votre main vide.
32:31 Nous disons donc qu’une bonne société - il faut qu'elle ait lieu, dans ce monde terrible ce monde meurtrier, dans cette société immorale, si un groupe d’entre nous est capable de penser ensemble. Donc j'ai demandé : quelle est votre relation à l'autre s'il n'y a pas de futur psychologique? Comprenez-vous ce qui s’est passé? Ecoutez. Que s'est-il passé dans un esprit habitué, formé, éduqué, conditionné à accepter tout le schéma d'une vie fondée sur le futur? Telle a été votre manière de vivre qui suppose un effort constant en vue de devenir, de réaliser - compétition, comparaison, imitation - la lutte. Si vous avez l'intelligence de ne plus accepter cette façon de vivre, c'est-à-dire que vous n’admettez plus le futur dans votre rapport à l'autre, que se passe-t-il alors dans votre esprit, que s'y est-il passé?
35:09 C’est une question importante, si vous pouvez la résoudre vous-même - pas la résoudre... si votre esprit a cette qualité de ne pas agir à partir d'un point de vue idéologique - l'idéal dirige l'action c'est-à-dire division - donc, sans aucun idéal, jamais, et sans tenter d'accomplir quoi que ce soit d'autre que de comprendre ce qui se passe en réalité. Avez-vous compris ceci? Êtes-vous tous endormis?
36:38 Q:Non.
36:46 K:Vous venez me dire qu’il n’y a pas de lendemain. J’écoute très attentivement ce que vous dites car, peut-être, avez-vous une manière de vivre qui ne comporte pas de conflit. Vous venez me dire cela. D'abord, je me demande : 'est-ce que je vous écoute?' Suis-je vraiment en train d'assimiler ce que vous dites? Ou est-ce que je traduis ce que vous dites en idée et - suivez attentivement - rejetant ou admettant cette idée, je dis ensuite : 'comment vivre selon cette idée?' Vous suivez? C'est ce que vous faites tous. Et cet homme dit : ne faites pas ça, contentez-vous d'écouter. Voyez le fait que vous vivez ainsi, voyez toutes les conséquences, les implications de ce mode de vie, logiquement, pas à pas. Vous avez vécu comme cela, et par conséquent votre esprit est devenu complètement machinal : routinier, répétitif, enclin à suivre. Si vous êtes très attentif à cela, me dit-il, découvrez par vous-même ce qui se passe quand vous ne pensez pas en termes de futur. Que vous arrive-t-il dans vos relations avec autrui? Avec un autre qui est également en train de penser avec vous. Vous comprenez? Lui aussi dit : 'oui, je vois ça, alors, pensons ensemble tous les deux. J'abandonne mes opinions, préjugés, pour que nous pensions ensemble'. Vous suivez? Alors, que se passe-t-il? Nous avons tous la volonté, le désir, la nostalgie d'une bonne société qui ignorerait blessures, meurtres, mutilations, guerres, où on ne vivrait pas perpétuellement dans l'insécurité et la peur. Nous désirons tous une société d'un autre genre. Certains ont dit : vous pouvez avoir une bonne société si vous modifiez les circonstances, l'environnement. Les communistes, les socialistes, et le reste du monde, ont dit : changez tout cela par des lois, démocratiquement si possible, et sinon autoritairement - supprimez, conformez, forcez, mais changez l'environnement. Ils l'ont tenté de dix façons différentes - cela n'a jamais abouti. L'homme n'a pas changé. Qu'il soit chrétien ou hindou, l'homme n'a pas changé radicalement. Pourquoi? Est-ce pour une raison économique? Est-ce une affaire de croyance? Vous croyez en Jésus; un autre, pas. Pourquoi? Pourquoi y a-t-il eu dans le monde, pendant des millénaires, ces constantes discordes? Les Egyptiens, les Grecs, les Romains, les Perses - vous savez, toutes ces divisions - pourquoi? Serait-ce parce que jamais deux êtres humains n'ont découvert comment penser ensemble? Comprenez-vous où je veux en venir? Vous et moi ne pouvons penser ensemble. Moi je le veux. L'orateur dit : 'pour l'amour du ciel, pensons ensemble, car nous créerons un monde tout à fait différent'. Mais vous dites : 'je regrette, je tiens à mes opinions, je les aime, je ne peux renoncer à mes expériences, à mes plaisirs'. Ainsi, cela entretient la séparation.
42:46 A présent nous disons : pouvez-vous lâcher toutes vos stupidités sans valeur - opinions, expériences, elles sont mortes, parties, envolées - et dire : 'pensons ensemble'. Donc, nos esprits - pas votre esprit différent du mien - il n'y a qu'un seul esprit quand on est ensemble - vous comprenez? Quelle est alors, dans la vie quotidienne, la relation de cet esprit à un autre esprit? Allons, Messieurs.
43:35 Q:Est-ce une question rhétorique, Monsieur? Car j'aimerais répondre, mais ne veux pas interrompre votre discours.
43:49 K:Je n'entends pas, Monsieur. Quelqu'un a-t-il entendu?

Q:Il demande si c'est une question rhétorique.
43:55 K:Non, elle ne l'est pas.
43:58 Q:Voulez-vous une réponse de l'auditoire
44:02 à votre place?
44:04 K:C'est pourquoi j'attends.

Q:Je vous donne une réponse.
44:07 K:Oh non, pas une réponse.

Q:Je ne peux que donner ma réponse.
44:11 Je ne puis répondre pour autrui.
44:14 K:Ah ! Alors, nous ne pensons pas ensemble. Non, non, tout le problème est là, Monsieur. Veuillez m'excuser. Il n'y a pas votre point de vue et mon point de vue.
44:27 Q:Je n'ai jamais parlé de point de vue.

K:Votre façon de le dire.
44:35 Q:Non, je voulais simplement me référer à ce que avez dit, à savoir :
44:40 'sans temps psychologique, quels sont vos rapports à autrui?' Ma réponse est celle-ci : attendez jeudi et je vous le dirai, car à l'instant, je ne le peux pas. Cela fait 20 ans que je me dispute avec ma femme.
44:54 K:Donc, vous dites, Monsieur, je ne peux pas vous le dire à l'instant. Cela fait 20 ans que je fais comme ceci, je ne peux pas vous le dire maintenant, mais peut-être plus tard?
45:09 Q:Jeudi, Monsieur. Autrefois, je vous écoutais d'une manière qui n'était nullement de l’écoute. A présent, je suis peut-être sur la même longueur d'onde que vous, mais il me faut un peu de temps pour en faire l'expérience. Je ne peux vous répondre immédiatement et vous dire comment est ma relation à l'autre alors que je n'ai pas eu l'occasion d'observer ce qui a lieu dans la vie quotidienne.

K:C'est bien ce que je dis, Monsieur. Oui, Monsieur, j'ai compris votre question. 'Je n'ai pas encore eu l'occasion de me poser cette question, Il me faut du temps et je vous répondrai'. Je dis que vous êtes hors jeu ! Je dis qu’alors vous ne me rejoignez pas ! Je vous aime. Et que se passe-t-il dans un esprit qui dit : 'je ne connaîs pas la division'? En cet instant ! Pas : 'je vais y penser, je vais y travailler, je vais...' Là, vous êtes...

Q:Il est ouvert.
46:20 K:Non, vous ne comprenez pas mon raisonnement, Monsieur.
46:26 Q:Mais vous ne pouvez pas savoir ce qui se passe.
46:30 K:Comment, Madame?
46:31 Q:Si vous pensez ensemble, vous ne pouvez savoir ce qui se passe.
46:41 K:En ce moment, connaissez-vous la nature de votre relation à autrui?
46:46 Q:Non.
46:51 K:Vous ne savez pas ce qu'est votre relation à autrui en ce moment,
46:55 avec votre femme, ami, fille ou fils, savez-vous où elle en est?
47:00 Q:Non.

K:Vous ne le savez pas?
47:06 Q:Nous le savons, mais ... (inaudible).

K:Je vous demande, le savez-vous?
47:12 Q:Bien sûr.
47:14 Q:Je ne le sais pas.
47:19 K:La dame dit qu'elle ne le sait pas.
47:24 Votre mari ou votre ami accepte-t-il cela?
47:36 Vous plaisantez.
47:44 Posons la question autrement. Qu'allons-nous faire ensemble pour changer le monde? Nous disons tous qu'un changement est nécessaire, que la situation se dégrade - vous savez bien où en est le monde, quelles choses terribles s'y passent. Et qu'allons-nous faire ensemble - écoutez bien - pour changer ça?
48:21 Q:Se changer soi-même...

K:Non, attendez. J'y viens. Ne parlez pas de changer, vous avez eu 50 ans pour le faire !
48:29 Q:52.

K:52 ! Vous avez eu 52 ans, et pourquoi, au nom du ciel, n'avez-vous pas changé? Cela veut dire que vous admettez l'idée du futur. Quelque chose va arriver qui vous fera changer. Donc, ma question est : que faisons-nous ensemble? Ecoutez, s'il vous plaît ! Bien que vous ayiez écouté l'orateur pendant 52 ans ou 10 ans, ou 5 ans, que faire ensemble pour créer une nouvelle société?
49:28 A une certaine époque, les catholiques furent très unis. Tout contradicteur était torturé, soumis à la question, brûlé. Ils ont tenu un certain temps, parce qu'ils avaient la même foi, les mêmes... enfin vous savez. A présent, tout cela a disparu, plus personne ne croit en rien. Et nous voyons la société telle qu'elle est. Qu'allons-nous faire ensemble? Quand on recoit cette question, chacun a son propre plan, non? Chacun a ses idées, ses concepts : faire ceci, ne pas faire cela, unissons-nous tous pour élire un nouveau président, un nouveau politicien - vous suivez?
50:41 Donc : est-ce qu'une croyance peut nous réunir?
50:49 Q:Non.

K:Impossible - attendez. Est-ce qu'une autorité va nous unir?

Q:Non.
51:03 K:Je vous promets une récompense.

Q:Non.
51:09 K:Vous atteindrez le nirvana, si vous faites ceci.

Q:Non.
51:16 K:Si vous ne le faites pas, vous irez en enfer.
51:21 Récompense et punition, on a vécu là-dessus.
51:27 Alors, qu'est-ce qui va nous rassembler? Certainement pas la foi, toutes les autorités sont rejetées, tout comme la récompense offerte par certains pour vous faire changer. Si quelqu'un dit qu'au paradis vous serez puni pour avoir désobéi, vous dites : 'ne soyez pas stupide', et vous passez votre chemin. Alors, qu’est-ce qui va nous faire nous rassembler?
52:04 Q:Essayer d'écouter.
52:12 K:Mais vous n'écouterez pas si vous avez des préjugés. N'est-ce pas? Alors, abandonnerez-vous vos préjugés? Nous revenons au même point. Renoncerez-vous à votre désir personnel de quelque extraordinaire utopie sur l'évolution, de l'illumination? Abandonnerez-vous votre idée de ce que doit être la méditation? Pouvez-vous lâcher tout cela? Cela va-t-il vous demander encore 52 ans, pour dire à la fin : 'oui, je suis près de mourir, mais j'espère abandonner'. Vous suivez? Alors, qu'est-ce qui va nous rassembler? Posez cette question!
53:10 Q:(inaudible)
53:14 K:Seulement si nous sommes capables de penser ensemble. N'est-ce pas, Monsieur? Quand vous et moi voyons la même chose, et non vous d'une façon et moi d'une autre. Quand tous deux nous voyons la chose qui se passe telle qu'elle est, alors, nous pouvons tous deux la regarder. Mais si vous dites 'cela n'a pas lieu, c'est de l'imagination', c'est ceci ou cela - suivez-vous ce que je dis? Alors, qu’est-ce qui va nous réunir? Ne parlons pas de sexualité : dans ce monde permissif, c’est la chose la plus bêtement prévisible et nous pensons que c'est cela, être ensemble.
54:22 Posons la question autrement : s'il n’y a pas, psychologiquement, de lendemain, de futur, quelle est mon action à l’égard d’autrui? Pas de futur, c'est : pas d'idéaux et pas de passé non plus. Comprenez-vous? Si, psychologiquement, vous niez le futur, il faut aussi nier le passé. Je ne sais si vous suivez ceci? Seigneur ! Allez-vous abandonner votre passé? Vos traumatismes, les blessures subies, les désirs inaccomplis, les anxiétés - c’est-à-dire le passé. Psychologiquement, s’il n’y a pas de futur, cela implique que, psychologiquement, il n’y ait pas de passé. Je me demande si vous le voyez ! Vous ne pouvez garder l’un et jeter l’autre. C'est le même mouvement. C’est là qu'est notre difficulté. Notre difficulté est de lâcher - soit le passé, soit le futur - car nous sommes effrayés. Laissons cela de côté pour l'instant, mais observez ce que nous faisons : nous voulons changer le monde. Il le faut pour nos petits enfants. Si vous aimez quelqu’un de tout votre cœur, de tout votre sang, de tout votre être, et ce petit enfant que vous aimez vous voudriez qu'il entre dans ce monde-là? Alors, qu’allons-nous faire? Mais ceci ne vous intéresse pas.
57:02 Q:Mais pensez-vous vraiment possible de le faire totalement? Connaissez-vous quelqu’un qui l’a fait?
57:12 K:'Est-il possible de le faire totalement?', demande ce Monsieur qui m’écoute depuis 52 ans. Et connaissez-vous quelqu’un qui l'a fait? Ce serait de l’impudence de ma part – écoutez, je vous prie - il serait impudent, impoli, incorrect de dire que je connais quelqu’un. Ce qui importe, c'est : vous, le faites-vous, en ce moment? Et non 'connaissez-vous quelqu’un'. C’est une évasion de soi-même que de dire : 'montrez-moi quelqu’un, un résultat'. L’orateur ne s'intéresse pas aux résultats. S’il l’était, il serait déçu, il exploiterait, il aborderait un monde totalement différent.
58:17 Alors, qu’allons-nous faire ensemble? Vous savez, si vous compreniez le sens de ce mot 'ensemble'. Vous savez, quand vous tenez la main de quelqu’un que vous aimez, vous pouvez vous tenir la main et chacun penser de son côté. Non? Ils ne sont pas ensemble. Ensemble signifie avoir la même qualité d’esprit. S'ils s’aiment, c'est la même qualité. Comprenez-vous? Aimer quelqu’un si totalement... Il n'y a là pas de futur, n'est-ce pas? Vous ne dites pas : 'je t’aimerai demain'.
59:32 Alors, qu’allons-nous faire pour faire naître le sentiment que nous ne sommes pas séparés, que nous sommes ensemble, ressentir cette qualité - comprenez-vous?
1:00:06 C'est phénoménal que ce Monsieur m’ait écouté pendant 52 ans, cet autre là-bas pendant 20 ans et certains pendant 10 ans, 5 ans, ou pour la première fois. Qu’est-ce qui vous fera changer? Un coup sur la tête? Une offre de récompense? Qu’est-ce qui vous fera changer pour que vous disiez : 'Voyez, être ensemble, c'est le plus important dans la vie'.
1:01:23 Q:Cesser d'avoir peur.

K:Pas de peur. Est-ce cela?
1:01:33 Ou - écoutez, je vous prie - est-ce parce que nous pensons être en sécurité en étant séparés?

Q:Oui, Monsieur.
1:01:52 Q:(inaudible)
1:01:54 K:Ecoutez ce que j’ai dit, Madame.
1:02:01 Chacun de nous pense que, parce qu'il a un nom, un physique, un emploi, un compte en banque, qu'il appartient à une nation, à un certain groupe, il est sauf, il est en sécurité. Et je demande : êtes-vous en sécurité? Bien sûr que non. Alors, vous suivez? Vous voulez être en totale sécurité dans votre isolement, et dès l'instant où vous êtes isolé, vous ne pouvez être en sécurité. C’est ce que proclame chaque nation : 'il faut être en sécurité, il faut fabriquer des armes, nous devons nous protéger de vous'. Ainsi, chaque être humain cherche sa sécurité dans son isolement. Oh, pour l'amour du ciel ! Quand vous êtes isolé, vous ne pouvez jamais être en sécurité.
1:03:34 N’est-ce pas là un fait?

Q:Oui.
1:03:37 K:Donc, si c’est un fait, ne soyez pas isolé. Vous voyez, vous voulez bien admettre le fait et dire 'c’est ainsi' et pourtant, vous vous accrochez à ce qui existe. C’est une génération sans espoir, non? Non, Monsieur.
1:04:05 Nous avons montré qu'il y a sécurité totale, complète, lorsque nous sommes ensemble. Comprenez-vous? Quand nous pensons ensemble. Et ce n’est que de là que peut émerger une bonne société qui soit juste, morale, qui connaisse la paix - vous savez. C'est là que se trouve la sécurité, et non dans ce que vous avez actuellement.
1:04:57 Basta. Je crois que nous nous reverrons après-demain, n’est-ce pas?