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SA85T2 - Être absolument affranchi du désordre
2e causerie
Saanen, Suisse
10 juillet 1985



1:55 Pouvons-nous poursuivre le sujet de l'autre jour ? Je pense qu'il est important de réaliser qu'il n'y a pas de culte de personnalité. La personne appelée K n'est pas importante. Ce qui importe est ce qu'il dit, pas son apparence ou sa personnalité et toutes ces bêtises. Je me permets de préciser, de façon claire et définitive, que la personne qui parle sur l'estrade n'est absolument pas importante. Il n'y a pas ici de culte personnel avec toute l'absurdité qui s'y rattache.
3:22 L'autre jour, nous avons parlé des différentes formes que revêt le conflit, et de ses causes. Pourquoi , dès l'origine de l'humanité, deux millions et demi d'années à peu près, pourquoi l'homme – incluant la femme, bien sûr – a-t-il vécu dans le conflit, pourquoi n'a-t-il jamais résolu ce problème ? Et pourquoi, à travers les âges, au cours d'une longue période d'évolution qui a duré des millénaires nous sommes toujours en conflit entre nous, entre l'homme et la femme, entre les êtres humains, entre groupes, entre nations, entre sectes, religions. Cela dure depuis des milliers d'années. Je suis certain que l'on est au courant.
5:04 Ou bien nous sommes absolument indifférents à ce qui se passe : le terrorisme, la brutalité, l'épouvantable cruauté, toutes les horreurs qui se produisent dans le monde. Qui est responsable de tout cela ? Nous l'avons dit l'autre jour, ceci est une réunion sérieuse, pas seulement une belle matinée sous une tente, à écouter quelqu'un – c'est une réunion sérieuse, active, participante et déterminée.
6:14 Nous demandons ce matin : qui est responsable de tout cela ? La responsabilité, qui implique de se soucier, d'être attentif à ce qui se passe, non seulement au-dehors, dans le monde, mais aussi à l'intérieur, en chacun de nous – qui est responsable ? Les politiciens ? Eux qu'on laisse faire tout ce qu'ils veulent parce qu'on les a élus, dans une société dite démocratique ? Dans les états totalitaires ils ne sont pas élus, ils prennent le pouvoir et contrôlent tout – c'est ainsi dans le monde communiste. Alors, à nouveau, qui est responsable ? Les religions ? Le monde islamique, le monde chrétien, le monde hindou, bouddhiste, etc.? Ou bien sommes-nous tous responsables, chacun de nous ? S'il vous plaît, accordez de l'attention à ceci. Chacun de nous, vivant dans ce monde, dans cet environnement, pas seulement dans la belle Suisse, mais partout dans le monde, chacun de nous, vous, assis là-bas, et l'orateur ici, est-il responsable de tout celà ? Quand vous vous posez cette question – j'espère que c'est ce que nous faisons – êtes-vous responsable d'avoir créé ce monde effroyable, ce monde dangereux, ce monde brutal et terrifiant ? En voyageant dans divers pays, vous voyez tout cela : une immense pauvreté, et ceux qui sont extrêmement riches, promis de naissance à une situation élevée, et disposant à vie de leurs richesses, de leurs châteaux, de leurs rentes, etc. Et il y a des millions et des millions de pauvres mourant de faim. Qui est responsable ? Vous êtes responsable, car vous êtes, comme nous, responsable d'avoir créé cette société. Nous avons créé cette société qui nous entoure : la culture, la religion, les dieux, toute cette répétition rituelle et sensorielle. Parce que nous sommes coléreux, avides, violents, en désordre, pleins de haine, limitant notre affection à un tout petit nombre d'élus, nous, chacun de nous, avons créé cette société dans laquelle nous vivons. Est-ce ainsi ? Chacun de nous est-il responsable ? Soit vous dites : 'désolé, pas moi', soit tout ceci nous laisse indifférents tant que nous sommes en sécurité dans un pays particulier protégé par ses frontières.
11:40 Cela nous amène à une question très sérieuse : qu'est-ce l'ordre et qu'est-ce que le désordre ? Je vous en prie, c'est ensemble que nous discutons, que nous parcourons cette question. Nous réfléchissons à cette question, il ne s'agit pas d'admettre, ni d'acquiescer en rien à ce que dit l'orateur – ce serait totalement futile. Mais si nous pouvions ensemble faire un très long voyage, non seulement avec l'intellect, avec les mots mais bien plus en profondeur. Cette société, que chacun de nous a créée, qui engendre un désordre aussi affreux, de la cruauté et tout cela – en sommes-nous responsables ? Sommes-nous différents de la société, cette chose que nous avons créée ? Ou bien faut-il d'abord de l'ordre dans la maison, dans notre maison ? Pas juste dans l'enclos de la maison, du jardin – ou dans la vallée, mais aussi dans le monde de notre vie intérieure, le monde subjectif, le monde psychologique. Là, y a-t-il du désordre ? Vous comprenez ma question ? J'espère que l'orateur s'exprime clairement. Tant que chacun d'entre nous vit dans le désordre – nous verrons en détail ce qu'est le désordre – tant que nous vivons dans le désordre psychologiquement, subjectivement, à l'intérieur, tout ce que nous ferons créera du désordre. Les états totalitaires ont affirmé que changer la société, l'environnement, par la force et la contrainte, transformera l'humanité, le cerveau humain. Ils n'y ont pas réussi. Il y a dissension permanente, des révoltes et tout le reste.
15:21 Alors, si vous le voyez, que nous avons créé ce désordre, que ce désordre est la société dans laquelle nous vivons, qu'allons-nous faire ? Par où commence-t-on ? Voulez-vous changer la société ? La réforme sociale, les âmes charitables, ceux qui veulent changer les lois, par le terrorisme, par la contrainte, par tout ce que vous voulez ? Ou bien allez-vous mettre votre maison intérieure en ordre ? La question est-elle claire ? Si elle ne l'est pas, nous y reviendrons. Mais ce serait plutôt une perte de temps.
16:48 Comment allons-nous mettre notre maison en ordre ? C'est le seul endroit par où commencer, non pas les réformes extérieures, changer les lois à l'extérieur, instituer les Nations Unies. Ici, si je peux faire une petite digression, nous avons été invité à y parler l'an dernier et cette année. Après le speech de K, une de leurs grosses pointures s'est levée et a dit 'Enfin, après avoir travaillé quarante ans dans cette institution, travaillé dur, j'en suis venu à la conclusion que nous ne devons pas nous entretuer.' Quarante ans ! Nous faisons la même chose, nous espérons que quelque chose va arriver, là, quelque chose qui va nous contraindre, nous forcer, nous persuader, nous porter. Nous avons été dépendants de l'extérieur, des défis extérieurs, des guerres extérieures, etc.
18:58 Alors, qu'allons-nous faire ? Rejoindre de petites communautés, suivre un gourou, cela ne sert à rien, c'est d'une irresponsabilité totale. S'abandonner, se mettre entre les mains de quelqu'un qui se dit illuminé, qui vous dirigera vers... n'importe où, généralement de l'argent. Par où allons-nous commencer pour amener l'ordre à l'intérieur ? L'ordre implique : pas de conflit, n'est-ce pas ? Pas de conflit en soi, absolument aucun conflit. Nous avons abordé cela l'autre jour : quelle est la cause du conflit ? On a écrit des volumes sur le sujet. Des psychologues, des psychiatres, des thérapeutes, ont tout expliqué verbalement, des millions de mots qui se sont répandus partout, et pourtant, tous, nous sommes en conflit. Quand le cerveau est en désordre, ce qui est l'essence du conflit, ce cerveau ne peut jamais être cohérent, simple, clair. S'il est considéré comme un fait acquis, comme une loi – comme la loi de la gravitation la loi du lever du soleil à l'Est et de son coucher à l'Ouest – que là où il y a conflit subjectif ou intérieur, il y a nécessairement désordre. Étudiez cela soigneusement je vous prie.
22:27 Et quelle est la nature du désordre ? Pas la nature de l'ordre, car un esprit confus peut inventer un ordre et dire : 'l'ordre, c'est cela'. Un cerveau pris dans les illusions, comme celui de la plupart des gens, va créer son ordre personnel à partir de sa confusion, n'est-ce pas ? Alors, quelle est la nature du désordre ? Pourquoi dire qu'il faut de l'ordre quand on est soi-même en désordre ? Vous comprenez ? Pourquoi séparons-nous les deux choses ? Vous comprenez ? On dit qu'on réalise que l'on est dans le désordre, – c'est assez facile – et, sur cette base, on recherche l'ordre, non ? Par exemple, les politiciens savent qu'il y a désordre et ils cherchent à mettre de l'ordre – n'est-ce pas ? Est-ce clair ? Bien sûr. Pas seulement les politiciens, chacun de nous. Nous savons que notre vie est en désordre. Aller au bureau le matin de neuf à dix-sept heures – quelle vie vous menez ! De neuf à dix-sept heures, ou de midi à minuit, et lutter, vous bagarrer, être ambitieux, avide, agressif, gravir les échelons. Puis rentrer à la maison et être tout docile, non ? Vous soumettre à votre épouse, ou elle à son mari, qu'importe. Il y a du désordre là-dedans. Le désordre existe, pourtant, pendant tout ce temps, le cerveau recherche l'ordre – il ne peut pas vivre dans le désordre, Il ne peut fonctionner dans sa clarté, dans sa beauté, dans son intensité, au summum de sa capacité, quand il y a du désordre. Par conséquent, il y a une fragile recherche d'ordre en chacun de nous. Nous demandons donc : pourquoi cette division ? Vous comprenez ? L'ordre et vivre dans le désordre. Je ne sais pas si vous suivez tout ceci. Ne soyez pas perplexes, c'est très simple. On vit dans le désordre, c'est sûr. Pourquoi se soucier de l'ordre ? Bien ? Voyons si nous pouvons déblayer le désordre. Si vous le dégagez, l'ordre est là. Il n'y a plus ce conflit entre le désordre et l'ordre.
26:31 Regardez, c'est vraiment tout simple. Nous sommes des gens violents, agressifs, pas seulement physiquement, mais aussi psychologiquement, à l'intérieur. Nous voulons blesser les gens. Nous disons des choses brutales sur les autres. La violence n'est pas seulement l'acte physique, la violence est aussi psychologique : l'agression, l'imitation, la comparaison avec d'autres, etc., tout cela est une forme de violence, n'est-ce pas ? Par nature, issus de l'animal, nous sommes violents. Mais nous ne restons pas avec : 'je suis violent', nous inventons la non-violence, n'est-ce pas ? Nous disons : 'je ne dois pas être violent' – vous comprenez ? Pourquoi vouloir ne pas être violent ? Vous êtes violent. Regardons, restons avec la chose, tenons-nous y, ne nous en éloignons pas. Alors, nous pouvons l'examiner ensemble, puis voir jusqu'où l'on peut aller pour la dissiper. Mais si on lutte constamment pour devenir non-violent, on ne peut pas résoudre le problème. Pendant que vous essayez de devenir non-violent, vous continuez à semer les graines de la violence. Vous comprenez ? Bien ? Je suis violent et j'espère, un jour, être sans violence, mais ce jour-là est bien loin, et en attendant, je suis toujours violent, – plus tout à fait autant, peut-être, mais toujours violent. Alors je me dis : 'plus question de ne pas être violent, comprenons la violence' – quelle est sa nature, pourquoi elle existe, s'il est possible de s'en libérer complètement ? C'est beaucoup plus intéressant et vital que de poursuivre la non-violence, non ?
29:43 De la même façon, il est important de comprendre le désordre, et d'oublier l'ordre. Car si nous comprenons, puis dépassons cette compréhension intellectuelle et verbale, alors nous pouvons découvrir comment vivre une vie qui soit complètement non-violente. Bien ? J'espère que nous sommes au clair sur ce sujet.
30:23 Qu'est-ce que le désordre ? Mon cerveau ne recherche plus l'ordre, il est maintenant concentré, attentif à découvrir ce qu'est le désordre. Ceci est un dialogue entre vous et l'orateur, n'attendez pas qu'il réponde à cette question, sinon vous allez répéter. Mais si vous pouvez trouver la vérité, elle est à vous, vous pouvez agir. Si vous ne faites qu'écouter ce que dit l'orateur, vous répétez, vous ne savez pas – 'je ne comprends pas pourquoi c'est si difficile', et toutes ces bêtises. Alors, qu'est-ce que le désordre ? Dire une chose et en penser une autre, n'est-ce pas ? Agir d'une façon et cacher vos propres pensées, vos sentiments, qui sont différents. Ce n'est pas une affaire compliquée. Il faut une grande honnêteté pour dire ce que l'on pense, – pas ce que d'autres vous ont dit de penser, n'est-ce pas ? Il est probable que vous avez tous beaucoup lu, donc vos cerveaux sont remplis du savoir des autres, des concepts des autres, de leurs préjugés qui s'ajoutent aux vôtres. Donc vous répétez. Jamais vous ne vous asseyez – ou allez marcher dans les bois – pour découvrir ce qu'est le désordre. Pour le découvrir, il faut une formidable honnêteté. Affronter les choses telles qu'elles sont. Si j'ai peur, j'ai peur, je ne fais pas semblant de ne pas avoir peur. Si j'ai dit un mensonge, je dis que j'ai menti, sans me défendre, sans me justifier, vous connaissez tout ce jeu. Alors, si chacun peut affronter exactement ce qu'il est, pas ce qu'il devrait être – sommes-nous ensemble ? Marchons-nous ensemble sur la même route ? Pour l'instant ? Donc graduellement ou instantanément, vous découvrez vous-même, ce qui cause le désordre. Par exemple, qu'il y a forcément du désordre là où il y a un conflit, quel qu'il soit. Ou physique, ou subjectif, ou psychologique. Le conflit existe quand, dans la vie, deux facteurs s'opposent : le bien et le mal – n'est-ce pas ? Le bien est-il totalement séparé du mal ou le bien est-il partiellement mauvais ? Vous comprenez ? Suis-je clair ? Non.
34:58 Qu'est-ce qui est mal ? Et qu'est-ce qui est bien ? Évidemment, tuer quelqu'un est mal, au nom de Dieu, etc. – un autre être humain. Et qu'est-ce qui est bien ? Être bon. Vous m'attendez pour une description ? Vous n'avez probablement jamais examiné tout ceci. Nous allons aborder ce sujet plutôt intéressant : le bien est-il séparé du mal ? Ou le bien a-t-il ses racines, son origine dans le mal – vous comprenez ? Je vais cesser de vous demander si vous comprenez, c'est stupide de ma part ! Il y a deux éléments dans l'être humain, le bien et le mal. Je dis qu'être en colère, c'est mal, ce qui est bien, c'est ne pas l'être. Mais, la colère, je connais, n'est-ce pas ? Et quand je dis que je ne dois pas être en colère, que je serai bon, ce bien est né de ma colère. Non ? Je dis 'je dois être bien', parce que j'ai connu le mal. Si je ne connais pas le mal, je suis le bien. – Pas 'les biens' ! Je suis le bien. Vous comprenez cela ? Je me le demande. En d'autres mots, tant que je suis violent, je ne connais pas autre chose. Si je ne suis pas violent, alors l'autre chose existe. Alors le bien est-il né du mal ? Et si le bien est né du mal, ce n'est pas le bien. Non ? Sommes-nous ensemble ? Cela paraît plutôt déroutant, mais ça ne l'est pas. C'est très simple. C'est pourquoi j'ai dit : s'il vous plaît, pensons simplement, clairement, sans préjugés, sans détours.
38:26 L'amour n'est pas la haine, n'est-ce pas ? Si l'amour est né de la haine, ce n'est pas l'amour. Est-ce clair ? L'orateur ne hait personne, mais supposons qu'il le fasse, il dit alors: 'je ne dois pas haïr, je dois aimer' – mais cela n'est pas l'amour, cela fait encore partie de la haine, c'est une décision, une démarche de la pensée. Et la pensée n'est pas l'amour. Je ne vais pas aborder cela maintenant, nous le verrons.
39:21 Alors, ayant ressenti la responsabilité d'avoir créé cette société dans laquelle nous vivons, qui est monstrueuse, immorale – ce que nous avons fait dépasse l'imagination – chacun de nous peut-il, tout en vivant dans ce monde, dans cette société, être absolument affranchi du désordre ? Cela signifie la fin absolue du conflit, la fin de ce sentiment de dualité en nous. La dualité, les éléments contradictoires en nous. La question est d'être formidablement conscient, vous comprenez, conscient de chaque pensée. Le pouvons-nous ?
40:41 Cela nous amène au point suivant : qu'est-ce que la pensée ? Qu'est-ce que penser ? Si l'on vous demandait ce qu'est penser, quelle serait votre réponse ? Penser. Vous pensez à présent, parce que l'orateur vous demande : qu'est-ce que penser ? Et vous commencez à penser. Et toute notre vie est penser et sensation. La sensation : 'c'est "ma" montre', l'enfant dit : 'c'est "mon" livre' 'c'est "ma" balançoire' – alors qu'est-ce que penser ? Grâce à la pensée, l'humanité a envoyé une fusée sur la lune. Mais cette pensée a aussi planté un drapeau là-haut, ce qui est tellement... vous suivez ? Faire tout ce chemin jusqu'à la lune pour y planter un drapeau ! Voyez ce que fait la pensée. Une formidable invention, de la concentration, la coopération de milliers de gens, leur formation, et ils vont là-haut et font la chose la plus... La pensée a aussi créé tout le monde de la technologie, n'est-ce pas ? Ils font des choses stupéfiantes que nous avons peine à imaginer, et dont nous savons très peu de chose. L'ordinateur, les extraordinaires sous-marins, les navires de guerre. Tout cela a été fabriqué en pensant. Et la pensée a construit les plus fabuleux édifices. Donc, pour écrire une lettre, il faut penser, conduire une voiture est presque automatique, mais il faut penser, être vigilant, et ainsi de suite. Penser a pris pour nous une importance extraordinaire. Penser fait partie de notre programme. Nous avons été programmés. Je suis catholique et vous protestant, je suis musulman et vous hindou, vous êtes communiste, je suis démocrate – vous suivez ? Cela fait partie de notre conditionnement, on nous programme : les journaux, les magazines, les politiciens, les prêtres, l'archevêque, le pape, tout le monde – nous sommes programmés. Alors, penser, c'est quoi ? Pourquoi pensez-vous ? Pourquoi penser du tout ? Pourquoi ne vous contentez-vous pas d'agir ? Vous ne pouvez pas. D'abord, vous planifiez avec soin ce que vous allez faire, est-ce juste, est-ce faux, cela devrait-il être, ou pas, et puis vos propres émotions, vos sensations disent que c'est bien ou mal, et vous le faites. Tout cela est un processus de pensée, n'est-ce pas ? Dois-je me marier, ou non ? Cette fille est bien, celle-là est... ou inversement. La pensée a fait énormément de mal, la guerre, la haine, la jalousie, vouloir blesser autrui. Qu'est-ce donc que penser ? La soi-disant bonne et la soi-disant mauvaise pensée, la pensée correcte et la pensée incorrecte – c'est toujours penser. La pensée orientale et la pensée occidentale – c'est toujours penser. Qu'est-ce que penser ? Ne m'attendez pas. Posez-vous cette question à vous-même : qu'est-ce que penser ? Pouvez-vous penser sans mémoire ? Désolé. Vous ne pouvez pas penser sans mémoire. Alors qu'est-ce que la mémoire ? Allez. Faites marcher vos cerveaux. Le souvenir, une longue association d'idées, un long paquet de souvenirs. Puis vous demandez : qu'est-ce que la mémoire ? Je me souviens de la maison où j'ai vécu. Je me souviens de mon enfance. Qu'est-ce que c'est ? Le passé. Le passé est la mémoire. Vous ne savez pas ce qui se passera demain, elle peut projeter ce qu'elle voudrait, ce que demain pourrait lui réserver, c'est toujours la mémoire qui agit dans le temps.
48:33 Alors, qu'est-ce que la mémoire ? Comment vient-elle ? Tout ceci est si simple. La mémoire... La mémoire ne peut exister sans le savoir. N'est-ce pas ? Si je n'ai pas connaissance de mon accident de voiture qui s'est produit hier – ce n'est pas le cas – cet accident est un souvenir. Avant ce souvenir, il y a eu l'accident, qui est un savoir. L'accident devient un savoir, ensuite, à partir de ce savoir, il y a la mémoire. Si je n'avais pas eu d'accident, il n'y en aurait pas le souvenir. Je puis imaginer des accidents d'autres personnes. Le savoir repose sur l'expérience L'expérience est toujours limitée. Je peux avoir plus d'expérience, des expériences plus variées, pas seulement physiques, sexuelles, mais aussi soi-disant intérieures, l'expérience de quelque dieu illusoire, etc. Donc expérience, savoir, mémoire, pensée. Bien ? L'expérience étant toujours limitée, toujours, je ne peux pas faire l'expérience – l'expérience – de l'immensité de l'ordre de l'univers. Je ne peux pas en faire l'expérience. Mais je peux l'imaginer : 'C'est merveilleux !'. Donc l'expérience est limitée, et par conséquent le savoir est limité, que ce soit dans le futur ou maintenant, car tout savoir est une addition, on y ajoute de plus en plus, c'est la base du savoir scientifique. Avant même Galilée et la suite, on ajoutait toujours plus de savoir. Le savoir, actuel ou futur, est donc toujours limité. N'est-ce pas ? Donc la mémoire est limitée. Donc la pensée est limitée. Maintenant vous allez trouver cela difficile. La pensée est limitée. La pensée a inventé les dieux, les sauveurs, les rituels, Lénine, Marx et Staline – leur savoir est limité. Donc la pensée, quoi qu'elle fasse de noble ou d'ignoble, religieuse ou pas, vertueuse ou pas, morale ou immorale, la pensée reste limitée. Quoi qu'elle fasse ! N'est-ce pas ? Sommes-nous ensemble ?
53:08 Alors la pensée peut-elle engendrer l'ordre ? Car la pensée étant limitée pourrait être la source du désordre. Je me demande si vous captez ceci. Vous comprenez ma question ? Très intéressante. Examinez-la. Tout ce qui est limité ne peut que créer du désordre. Si je suis musulman, ce qui est très limité, je vais créer du désordre. Si je suis israélien, c'est limité, je ne peux que créer du désordre. Ou hindou, bouddhiste, chrétien et tout le reste. N'est-ce pas ? Alors la pensée est-elle la racine même du désordre ? Examinez cela, Monsieur. Soyez sceptique, s'il vous plaît, n'admettez pas un mot de ce que dit l'orateur ! Découvrez, cherchez, pas demain, tout de suite, assis là, approfondissez, découvrez. Mettez-y votre passion, pas votre fanatisme. Alors vous allez découvrir.
54:50 Nous avons donc vécu jusqu'ici, depuis deux millions et demi d'années, plus ou moins, en tant qu'êtres humains, en état de violence, de désordre, de conflit, et tout cela est engendré par la pensée – n'est-ce pas ? Le tout. On commence donc à se demander : y a-t-il autre chose d'aussi actif, d'aussi clair, d'aussi précis et plein d'énergie que la pensée ? Vous comprenez ? Mettons que K découvre que la pensée est très limitée – cela fait bien longtemps, personne ne le lui a dit, il l'a trouvé... cela lui est apparu. Il pose alors la question : y a-t-il un autre instrument comme celui-là ? La pensée se trouve dans le cerveau, dans le crâne, le cerveau est l'entrepôt de toutes les pensées, de tous les souvenirs, de toute expérience. Et aussi de toutes les émotions, sensations, réponses nerveuses. Il est la vaste mémoire qui y est entreposée, raciale, non-raciale, personnelle, vous suivez ? Tout cela est là. Et, au centre de tout cela, est la pensée. Elle peut prétendre être autre chose, c'est toujours la pensée ! Quand elle prétend chercher la supra-conscience c'est toujours la pensée.
56:59 Alors K demande : y a-t-il un autre instrument que celui-ci – pas un instrument, une onde, un mouvement qui n'est pas de cette nature ? Vous posez-vous cette question ? Si vous la posez, qui va vous répondre ? Est-ce la pensée qui va vous répondre ? Attention, je vous prie. Ceci est extraordinaire, cela exige une grande subtilité, du savoir-faire car la pensée peut être très trompeuse. Elle dit : 'Très bien, j'ai compris que la pensée est limitée', mais elle est encore active. Alors elle commence à inventer : 'Je sais que la pensée est limitée, mais Dieu est illimité, alors je cherche Dieu.' La pensée est limitée, mais elle invente les rituels, les robes moyenâgeuses des moines et des prêtres, etc.
58:26 Alors, pour découvrir cela, le cerveau peut-il se servir de la pensée, agir de manière réfléchie quand c'est nécessaire, et sinon, pas de pensée ? Vous comprenez ? Le cerveau peut-il se servir de la pensée là où c'est nécessaire, vivre avec la pensée quand vous conduisez, quand vous mangez, quand vous écrivez une lettre, quand vous faites ceci ou cela, c'est l'activité de la pensée limitée. Quand c'est nécessaire, la pensée peut agir. Mais sinon, pourquoi devrait-elle bavarder toute la journée ? Vous comprenez ?
59:28 Alors, y a-t-il un autre instrument qui n'est pas du tout la pensée ? Qui n'est pas échafaudé par la pensée, qui n'est pas conçu par la pensée, ou subtilement confectionné par la pensée ? Découvrez. Pour cela il faut comprendre le temps. Puis-je entamer ce sujet ? Vous n'êtes pas fatigués ? Vous avez payé pour cela, à vous de voir !
1:00:18 Il faut comprendre ce qu'est le temps. Pas le temps qui règle le lever et le coucher du soleil – c'est aussi le temps – le temps de la nouvelle lune et de la pleine lune, le temps d'une journée, du matin jusqu'au soir, vingt-quatre heures. Le temps est aussi tout ce qui s'est passé dans sa vie, c'est-à-dire un millier d'hiers, et tout ce qui peut arriver demain. Le temps est horizontal et vertical – n'est-ce pas ? Celui qui va vers le haut et le linéaire. Et le temps, qui est le passé, qui est maintenant, assis ici, et aussi le temps de demain. Tel est le cycle dans lequel nous sommes pris. Un millier d'hiers, beaucoup de jours dans nos vies, et avant que je meure, il y aura encore des jours. Donc tout ce mouvement, ce mouvement cyclique est le temps, n'est-ce pas ? Nous sommes ensemble ? Le temps est nécessaire pour que la petite graine se développe en un grand arbre, le petit bébé en un adulte. Il y a le temps physique et aussi le temps psychologique. Je suis comme ceci, mais je serai comme cela. Pour devenir cela, il me faut du temps – n'est-ce pas ? Vous suivez ? Par conséquent, le cerveau vit dans le temps. Le cerveau s'est cultivé, a grandi, s'est développé dans le temps, du plus primitif, au plus sophistiqué d'aujourd'hui, cela a pris du temps. Ainsi, tout ce mouvement de vie tel que nous le connaissons, est le temps. Bien ? Est-ce tout ?
1:03:35 Nous savons ce que fut hier. Vous vous rappelez votre enfance, votre vie il y a vingt ans, dix jours, c'est-à-dire le passé – c'est le passé. Ce passé est le présent, avec de petits changements, de légères modifications dues aux circonstances présentes. Suivez-vous ? Ou est-ce que je parle tout seul ? Ne vous endormez pas. Encore dix minutes, s'il vous plaît. Ne sombrez pas dans le sommeil ou l'ennui. C'est de votre vie que nous parlons, pas de la mienne. De votre vie, votre vie de tous les jours. De ce qu'elle est en réalité, pas ce qu'elle devrait être. Votre vie quotidienne, monotone, solitaire, désespérée, anxieuse, incertaine. Et cette vie fait partie du mouvement du temps. Le temps est aussi celui qui prend fin quand je meurs. Nous sommes impliqués dans le temps. 'J'aurai un meilleur poste si je m'accroche, si je deviens plus compétent je gagnerai plus.' N'est-ce pas ? Tout cela est le temps. Et les hiers, tous ces hiers, légèrement modifiés par les circonstances, les pressions, sont le maintenant – n'est-ce pas ? Vous le voyez ? Tout ce qui s'est passé lors d'un millier d'hiers, légèrement lissé, légèrement modifié s'en va vers le futur – n'est-ce pas ? Le passé se modifiant à travers le présent devient le futur, donc le futur est maintenant. Je me demande si vous voyez ceci. Oui ? Accordez-y encore un peu de temps. Voilà, j'ai vécu en Inde, avec toutes les croyances culturelles, superstitions, dogmes, tradition, – une immense tradition vieille de trois à cinq mille ans – une immense tradition, dans laquelle on était élevé, et l'on vivait là, dans ce petit cercle brahmane. Et si l'on ne se réveillait pas on restait là toute sa vie, jusqu'à sa mort. Mais les circonstances, les facteurs économiques, les voyages, etc., vous font l'abandonner. La tradition vieille de trois à cinq mille ans a changé maintenant, elle s'est modifiée pour raisons économiques. Je dois gagner plus d'argent, ma femme, mes enfants doivent être mieux habillés. Le passé est toujours en mouvement, il subit les changements dûs aux circonstances et ce changement se poursuit vers le futur. C'est clair. Alors, vous demandez : qu'est-ce que le futur ? Posez-vous la question : qu'est-ce que le futur ? Quel est votre futur ? Ce que vous êtes maintenant est votre futur, modifié, mais néanmoins le futur. Il y a donc une continuité entre le passé, avec quelques changements, et le futur. Nous autres, êtres humains, homo sapiens, avons vécu sur cette terre depuis deux millions et demi d'années. Nous étions des sauvages alors et nous le sommes encore, mais avec des habits propres, rasés, nets, civilisés, pourtant à l'intérieur, nous nous haïssons, nous nous entretuons, l'esprit tribal, etc. Nous n'avons pas beaucoup changé. Vous comprenez ? Donc le futur est maintenant. Je me demande si... Car ce que j'ai été, je le suis toujours, modifié, et je vais continuer comme cela. Donc le futur est maintenant – à moins que je rompe le cycle, le futur sera le maintenant pour toujours. Je me demande si vous comprenez. Ce n'est pas très difficile. Ne le compliquez pas. C'est très simple. J'ai été avide ces trente dernières années, cette avidité change de forme car je ne gagne plus assez pour me satisfaire mais je suis toujours avide, cela continue – n'est-ce pas ? Si je ne stoppe pas l'avidité maintenant, elle continuera demain. C'est très simple.
1:10:24 Notre question est donc celle-ci : 'ce qui est', le passé, peut-il changer complètement, finir? Alors vous rompez le cycle. Quand vous rompez le cycle, les cellules cérébrales elles-mêmes changent. Nous en avons discuté avec des spécialistes du cerveau – ne vous embêtez pas avec tout cela. Vous voyez, Monsieur, l'orateur a 90 ans. Pas de sympathie, pour l'amour du ciel, juste 90 ans. Et tout ce qui est arrivé pendant 90 ans ou 50, ou 10 ans, – ou même 10 jours – c'est le passé : les souvenirs,les expériences, parler ici, parler là, à un petit auditoire, à un grand auditoire, la réputation et toutes ces bêtises, tout cela est situé dans le passé. Et il se sent important, assis sur une estrade, il a sa réputation, il doit maintenir sa réputation, sinon... Donc il veut que ce qui fait sa réputation – l'estrade, le public et tout ça – continue, n'est-ce pas ? Mais en vieillissant – il est vieux, en fait – il peut perdre son public, devenir gâteux du cerveau – non, écoutez bien, écoutez, s'il vous plaît il n'y a pas de quoi rire – c'est comique, mais regardez bien quand même. Si son cerveau tourne au sénile, il ne peut plus rien faire. Alors quoi ? Mais s'il est libre de l'auditoire maintenant, libre de sa réputation maintenant – s'il a fini ! Il pourrait devenir gâteux l'an prochain ? Très bien. Mais il a fini ! vous avez compris ? Le cerveau a brisé le cycle du temps. Car le cerveau est fait de millions et de millions de cellules, et ces cellules mutent, d'elles-mêmes, laissant place à des cellules d'une espèce différente parce que vous avez cessé de prendre une direction pour prendre une autre direction – vous suivez ? Mettons que, toute votre vie, vous soyez allé au Nord. Quelqu'un vient vous dire : 'Regardez, il n'y a rien au Nord. Pour l'amour du ciel ne gaspillez pas votre énergie, allez au Sud ou à l'Est.' Dès que vous vous tournez vers l'Est, vous avez cassé le système. Vous comprenez ? Le système que les cellules du cerveau avaient mis en place, il l'a cassé en se dirigeant vers l'Est. C'est aussi simple que cela – si on le fait. Mais vous pouvez indéfiniment jouer avec les mots, écrire des livres à l'infini. Si vous pouviez voir une bonne fois la nature du temps : au cours de ces millions d'années, nous avons très peu changé. Nous continuons à nous entretuer, de manière plus diabolique, n'est-ce pas ? L'atome peut nous éliminer en une seconde, nous vaporiser, et nous n'existons plus, plus rien n'existe. L'homme tuait déjà l'homme il y a deux millions d'années – nous le faisons toujours. Et, à moins de casser le système nous ferons la même chose demain. Vous suivez ? C'est très simple. Il y a deux mille ans, ils tuaient avec une massue, plus tard, ils ont inventé la flèche – pensant que la flèche arrêterait toutes les guerres. Alors arriva la légion romaine et tout cela. Et nous voici aujourd'hui avec de terribles moyens de destruction, n'est-ce pas ? La même chose qu'il y a deux millions d'années, toujours la même chose : tuer. C'est un mode de comportement que le cerveau accepte, il vit avec, c'est lui qui l'a créé. Et si le cerveau réalise – lui-même, pas sous la pression, pas sous la contrainte – que le temps est sans validité dans le mouvement du changement – je me demande si vous voyez cela – alors, vous avez cassé le système. Alors, il y a une toute autre manière de vivre.
1:16:55 Pouvons-nous nous lever ? Vous ne pouvez pas rester ici pour déjeuner !